CA Grenoble, ch. com., 4 novembre 2021, n° 19/03190
GRENOBLE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Alp Machines Outils (SARL)
Défendeur :
Techni-Cn (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Conseiller :
M. Bruno
Avocats :
Me Plumerault, Me Grimaud
Faits et procédure :
X a signé le 15 juillet 2010 un contrat d'agent commercial avec la société Techni CN à effet au 1er septembre 2010, afin de vendre sur les départements 01, 38, 73 et 74, à titre exclusif, au nom et pour le compte de Techni CN, l'ensemble de sa gamme de Machines Outils de diverses marques, commercialisés par elle sur le territoire français.
Le même jour, simultanément à la signature précitée, X, en sa qualité de futur gérant de la société Alp Machines Outils, a signé un second contrat identique au premier avec la société Techn CN.
La société à associé unique Alp Machines Outils a été créée le 6 septembre 2010, avec un début d'activité au 1er septembre 2010.
Le 14 novembre 2012, la société Techni CN a écrit à la société Alp Machines Outils, afin de lui reprocher des manquements contractuels observés depuis plusieurs mois et des comportements caractérisant des fautes graves au point de s'interroger sur la suite qu'entendait donner monsieur X à l'accord commercial les liant.
Le 20 novembre 2012, M. X s'est excusé auprès de la société Techni CN, en faisant valoir un « dysfonctionnement mental ». Cependant, dès le mois de mai 2013, et ce pendant deux mois, monsieur X, en qualité de gérant de la société Alp Machines Outils, a repris une campagne de dénigrement des dirigeants de la société Techni CN et de certains de ses salariés, matérialisée par des centaines de mails, textos, appels téléphoniques, créant ainsi un climat de déstabilisation au sein de celle-ci au point que certains salariés en sont venus à s'interroger sur la solidité financière de leur employeur et sa pérennité.
Le 26 Juin 2013, la société Techni CN a mis fin au contrat d'agent commercial de la société Alp Machines Outils, pour faute grave et répétée de son gérant. Elle s'est cependant ensuite acquittée des commissions dues à la société Alp Machines Outils sur encaissements et générées par les ventes réalisées antérieurement à la rupture du contrat mais qui n'avaient pas encore été réglées par les clients.
Monsieur X a réclamé le versement d'une indemnité compensatrice en raison du préjudice créé par la rupture du contrat à l'initiative de la société Techni CN, sans la chiffrer précisément. Cette demande a été rejetée par la société Techni CN qui a rappelé que la rupture du contrat était consécutive à une faute grave, excluant ainsi tout versement indemnitaire et rajoutant à l'occasion que le comportement de monsieur X avant, pendant et après la rupture du contrat, lui avait créé un préjudice considérable et qu'elle se réservait le droit d'en réclamer ultérieurement réparation.
Pendant environ un an, monsieur X a poursuivi son harcèlement vis-à-vis des dirigeants de la société Techni CN et de certains salariés, usant parfois de méthodes d'intimidation et multipliant les agressions verbales et parfois physiques sur le bien d'autrui, conduisant la société Techni CN à faire constater les dégradations commises par huissier de justice et à déposer plusieurs plaintes contre lui.
Le 10 Juin 2015, la société Alp Machines Outils a mis en demeure la société Techni CN d'avoir à lui payer la somme de 249.952 euros, correspondant à deux ans de commissions, ce que la société Techni CN a rejeté.
Le 4 novembre 2015, la société Alp Machines Outils a assigné la société Techni CN devant le tribunal de commerce de Vienne, afin d'obtenir le paiement de 272.309 euros HT au titre de l'indemnité compensatrice, outre intérêts aux taux légal à compter du 30 mai 2014, avec exécution provisoire, ainsi que 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Par jugement du 20 juin 2019, le tribunal de commerce de Vienne a :
- dit que l'agent commercial de la société Techni CN est bien la société Alp Machine Outils représentée par son gérant X, laquelle s'est substituée à ce dernier le 1er septembre 2010 pour la poursuite du contrat signé le 15 juillet 2010, avec l'accord du mandant, la société Techni CN ;
- dit n'y avoir lieu d'opérer une distinction entre la société Alp Machines Outils et son gérant dans l'exécution du contrat d'agent commercial vis-à-vis du mandant, la société Techni CN, et notamment dans l'appréciation des fautes commises par le gérant ;
- constaté que la société Alp Machines Outils, représentée par son gérant monsieur X, a gravement manqué à son devoir de loyauté et d'information envers son mandant ;
- constaté que l'intérêt commun, élément consubstantiel du contrat d'agence commerciale, a été ainsi rompu par monsieur X ;
- constaté que dans ces conditions, il était devenu impossible de maintenir la relation commerciale entre la société Techni CN et la société Alp Machines Outils ;
- dit que les efforts de dialogue et d'offre de discussion de la société Techni CN préalablement à la rupture contractuelle, ne constituent pas une reconnaissance implicite d'absence de faute grave de l'agent commercial ;
- rejeté comme non fondé l'argument selon lequel les griefs comportementaux faits à l'endroit de monsieur X ne constitueraient pas une faute grave dans l'exécution du contrat ;
- constaté que la gravité des fautes ainsi commises par le gérant de la société Alp Machines Outils a entraîné la décision de la société Techni CN de rompre le contrat d'agent commercial sans indemnité, conformément à l'article L. 134-13 du code de commerce ;
- déclaré irrecevables les contestations sur les factures de commissions émises entre 2010 et 2013 en ce qu'elles sont éteintes en vertu de l'article 1234 du code civil ;
- débouté la société Alp Machines Outils de l'intégralité de ses demandes ;
- à titre reconventionnel, condamné la société Alp Machines Outils à verser à la société Techni CN la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice causé par les agissements de son gérant ;
- condamné la société Alp Machines Outils à verser à la société Techni CN la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et infondée ;
- condamné la société Alp Machines Outils à verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
La société Alp Machines Outils a interjeté appel de cette décision le 22 juillet 2019.
L'instruction de cette procédure a été clôturée le 1er juillet 2021.
Prétentions et moyens de la société Alp Machines Outils :
Selon ses conclusions n°2 remises le 17 mai 2021, elle demande, au visa des articles L. 134-5, L. 134-6, L. 134-9, L. 134-12 du code de commerce, 1134 du code civil (dans sa version en vigueur au moment des faits et antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016), 2224 du code civil :
- d'infirmer le jugement déféré conformément à son acte d'appel ;
- statuant à nouveau, de débouter l'intimée de toutes ses demandes ;
- de la condamner à lui payer 64 513,90 euros TTC correspondant aux rappels de commissions dus en vertu des accords commerciaux souscrits par le mandant envers l'agent commercial le 15 juillet 2010 ;
- de la condamner à lui payer 294 679 euros H.T. à titre d'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi du fait de la rupture du contrat d'agent commercial ;
- ainsi que la somme de 4 500 euros TTC au titre des frais irrépétibles engagés, outre les dépens de première instance et d'appel.
Elle soutient :
- que X a servi les intérêts de l'intimée pendant près de 17 ans en qualité de salarié, puis de cadre et, in fine, d'agent commercial indépendant en sa qualité de gérant de la société Alp Machines Outils ; qu'au cours de l'année 2008, l'intimée a cherché à réduire ses coûts fixes et ses charges et a proposé à monsieur X, comme à d'autres cadres, de basculer du statut de salarié vers le statut d'auto-entrepreneur sous couvert d'une meilleure autonomie et d'une augmentation du taux de commissionnement ; que cette personne a ainsi régularisé le 18 mai 2009 avec l'intimée une rupture conventionnelle de son contrat de travail à effet au 26 juin 2009 pour « des raisons de convenances personnelles » ; que suite à cette rupture conventionnelle, l'intimée lui a adressé le 15 juillet 2010 une lettre portant comme objet « Accords Commerciaux » aux termes de laquelle était conditionnée leur nouvelle et future relation à naître au 1er septembre 2010, dans l'attente de la création de la concluante ;
- que si pendant une période consécutive de 34 mois, le travail intensif fournit par monsieur X via sa société, a généré, pour le compte de son mandant, un chiffre d'affaires de 9 471 341 euros H.T, l'intimée a tardé, sans motif, à verser les commissions dues sur le produit de chaque vente réalisée et a réduit leur montant, ce qui a généré diverses tensions dans les relations entre les directions des sociétés en présence ;
- concernant le paiement des commissions, que l'intimée a manqué à ses obligations contractuelles, puisque la commission doit être payée à l'agent commercial au plus tard le dernier jour du mois qui suit le trimestre au cours duquel elle était acquise, et ce, conformément à l'article L. 134-9 du code de commerce, le délai de prescription applicable au recouvrement des commissions étant celui prévu par l'article 2224 du code civil, soit cinq ans ; que par conclusions notifiées le 15 septembre 2016, la concluante a demandé au tribunal de commerce de condamner l'intimée à lui payer les sommes suivantes: 48 548,60 euros TTC au titre du rappel des commissions par rapport au taux fixé contractuellement sur l'exercice du 1er octobre 2010 au 31 septembre 2011, 28 930 euros TTC au titre du rappel des commissions par rapport au taux fixé contractuellement sur l'exercice du 1er octobre 2011 au 31 septembre 2012 et 35 583,90 euros TTC au titre du rappel des commissions par rapport au taux fixé contractuellement pour les ventes réalisées du 1er octobre 2012 au 26 juin 2013 ; que l'intimée n'a jamais contesté être redevable de ces commissions, ni justifié des réductions des taux de commissionnement imposés unilatéralement à son agent, n'opposant qu'une fin de non-recevoir considérant que les demandes relatives aux commissions facturées avant le 30 septembre 2011 seraient prescrites et que ces demandes étaient contestables dès lors que la concluante n'avait jamais émis de réclamation sur ces impayés, ce qui a été retenu par le tribunal ;
- que le tribunal de commerce n'a pu faire abstraction du délai de prescription de droit commun de cinq ans pour juger irrecevable la concluante en sa demande de paiement pour ne pas avoir réclamé son dû dans un « délai raisonnable », mais sans jamais dire que la prescription était acquise ;
- que l'intimée était contractuellement tenue du paiement de ces commissions, puisque dans sa lettre du 15 juillet 2010 , elle s'était engagée à rémunérer son agent par « une commission sur le prix de vente final hors taxe, qui sera de 7 % pour les ventes de machines standards, et de 5 % pour les ventes de machines comprenant une forte valeur ajoutée » ; qu'elle n'a fourni aucun justificatif en première instance quant au paiement des commissions réclamées, ce qui constitue une faute au préjudice de l'agent ;
- que le tribunal a retenu à ... ; que dans ses conclusions, l'intimée a indiqué que le contrat prévoyait une commission de 5 ou 7 % en fonction du type de machine vendue, mais à arrêter au cas par cas d'un commun accord, ce qui n'a pas été réalisé puisque l'intimée s'est aperçu qu'elle allait devoir verser davantage de commissions et a revu les taux des commissions systématiquement à la baisse ;
- qu'ainsi, la concluante est fondée et recevable à demander un rappel sur le paiement de ses commissions, fut-ce uniquement pour la période postérieure au 16 septembre 2011, pour la somme totale de 64 513,90 euros TTC correspondant à l'ensemble des factures de commissions émises entre le 1er octobre 2011 et le 12 février 2014 ;
- concernant l'absence de faute grave délibérée commise par la concluante dans l'exercice de ses missions, que si le tribunal de commerce a retenu que son gérant a conduit à l'anéantissement de tous les éléments constitutifs d'un contrat d'agent commercial, à savoir l'intérêt commun des parties, la loyauté, la remontée d'information utile aux affaires, la non représentation par le mandataire d'une entreprise concurrente sans l'aval de son mandant, il n'a pas caractérisé ces griefs ; que s'il a également estimé que monsieur X s'est comporté de manière irresponsable vis-à-vis de son mandant en injuriant notamment les dirigeants de l'intimée et en mettant de la sorte en péril la communauté d'intérêts, cette motivation est contestable dès lors que le comportement de monsieur X n'était empreint d'aucune gravité qui justifiait la rupture de contrat sans indemnité ;
- que l'agent commercial étant privé de toute protection par la loi en fin de contrat, la faute de ce dernier est appréciée restrictivement par les tribunaux ; qu'en l'espèce, plus de deux tiers des pièces produites relatent des évènements survenus postérieurement à la rupture du contrat d'agent commercial, pour des faits dont on ne saurait dire qu'ils ont été commis par monsieur X et qui, en tout état de cause, sont étrangers à l'exécution du contrat d'agent commercial ;
- que concernant le prétendu courriel envoyé le 20 novembre 2012 par monsieur X, l'intimée a adressé le 14 novembre 2012 à la concluante une lettre concernant des accusations sérieuses à l'égard de son mandataire, incriminant ce dernier de faits « de harcèlement, de déstabilisation, de concurrence déloyale », mais sans aucune pièce de nature à caractériser ces faits ; que le courriel du 20 novembre 2012 provient des serveurs de l'intimée, à partir d'une adresse interne sur laquelle elle disposait de tous les pouvoirs de création, d'accès et d'utilisation ; que monsieur X a expressément réfuté toute utilisation de l'adresse de messagerie «[email protected] » dès lors qu'il s'est toujours restreint à l'usage de sa propre adresse électronique liée à sa structure, à savoir « [email protected] » ; que ce courriel ne justifie pas que monsieur X en a été à la fois l'auteur et l'expéditeur, d'autant qu'il est à noter que le dirigeant de l'intimée en a fait abstraction au jour de son dépôt de plainte à l'endroit de son agent et qu'il n'a jamais échangé avec son agent en utilisant cette adresse ;
- s'agissant d'un delirium tremens inédit et ponctuel survenu en juin 2013, que ce fait est insuffisant à justifier d'une rupture du contrat d'agent commercial pour faute ; qu'il ne s'est agi que de propos incompréhensibles, dénués d'un sens quelconque mais faisant toutefois ressortir la frustration de monsieur X concernant la perception d'une part infirme des commissions qui lui étaient dues pour l'ensemble des ventes accomplies par son entremise ; qu'il a été reconnu par l'intimée dans sa plainte et ses conclusions, que son cocontractant était empreint de « troubles psychiques » voire d'un état « pathologique » dont monsieur X a tout mis en œuvre pour tenter de s'extraire ; qu'à aucun moment, cet incident passager n'a interféré avec la bonne exécution des missions confiée à l'agent commercial ;
- que la plainte de l'intimée a été classée sans suite, alors qu'elle n'a pas évoqué le courrier du 20 novembre 2012 ; que l'un de ses destinataires n'a pas souhaité déposer de plainte en son nom personnel ; qu'après enquête, monsieur X a reconnu son égarement et tenu à présenter ses excuses ; que les faits allégués par l'intimée n'ont pu être démontrés, sauf concernant la production des échanges de SMS et de courriels aux termes abscons ;
- que l'égarement de monsieur X ne s'est pas étendu sur une période de plusieurs mois comme a tenté de le faire croire l'intimée, mais sur une période de cinq jours au regard de la durée de la relation contractuelle entre les parties qui s'est maintenue sur près de 17 ans ;
- qu'il n'en est pas ainsi résulté une faute grave propre à justifier d'une rupture du contrat d'agent sans aucune indemnité ; que le comportement de monsieur X doit être apprécié à la lumière des propres manquements de l'intimée concernant la rétention d'une part significative des commissions ;
- que c'est à tort que le tribunal a relevé que la concluant mettait en péril la communauté d'intérêts, puisque l'agent a généré un chiffre d'affaires de 2 589 350 euros H.T. entre le 1er janvier et le 26 juin 2013, représentant le plus important chiffre d'affaires réalisé comparativement à tous autres agents commerciaux mandatés ; que si monsieur X avait nourri de noirs desseins envers l'intimée, il ne se serait pas investi d'autant plus qu'il n'avait pas l'assurance de percevoir les commissions dues par son mandant qui, au 1er janvier 2013, restait lui devoir la somme de 159 010 euros HT ;
- que la concluante a interjeté appel pour la défense de ses intérêts, en qualité de personne morale ; que les seuls comportements de son gérant ne pouvait autoriser l'intimée à s'en prévaloir pour rompre le contrat d'agent commercial ;
- concernant l'indemnisation des préjudices de la concluante, que la réparation comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties ; que cette indemnité est calculée par référence aux commissions brutes perçues par l'agent commercial au cours des deux dernières années ; qu'au regard de la date de rupture du contrat d'agent, il y a lieu de se référer aux commissions brutes perçues ou devant être perçues par la concluante au titre des exercices comptables ayant eu cours entre le 1er octobre 2011 et le 31 septembre 2013 ; que la moyenne annuelle des commissions brutes dues sur ces deux exercices s'élève à la somme de 147 339,50 euros H.T ; que le montant de l'indemnité compensatrice s'établit donc à 294 679 euros H.T. ;
- s'agissant du préjudice de l'intimée, si le tribunal lui a accordé la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le prétendu préjudice causé par les agissements de monsieur X, c'est sans aucune motivation ; que cette demande est dénuée de tout fondement juridique ainsi que de toute démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité ; que la nature et le préjudice allégué ne reposent sur aucune pièce justificative ;
- que si le tribunal a également retenu que le comportement fautif de monsieur X a fait dégénérer l'exercice de l'action en abus de droit d'agir en justice, il n'a été démontré aucune faute ; que la preuve du préjudice subi n'est pas rapportée.
Prétentions et moyens de la société Techni CN :
Selon ses conclusions n°2 remises le 22 juin 2021, elle demande de confirmer le jugement déféré et de condamner l'appelante à lui verser une somme de 6 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de l'instance.
Elle oppose :
- que si les relations commerciales se sont poursuivies sans difficulté majeure durant près de deux ans, elle a été contrainte, au mois de novembre 2012, d'adresser un courrier à l'appelante car monsieur X multipliait incidents et comportements injurieux à l'égard des dirigeants de la concluante ; que malgré un mail d'excuses du 20 novembre 2012 adressé à l'ensemble des salariés de la concluante, intitulé « mise à jour du cerveau » et aux termes duquel monsieur X indiquait « Je tiens auprès de vous à contredire tous mes propos déplacés et malveillants à propos de Christian et Pascal. Mon cerveau était en mode Connard. Après discussion avec Christian et Pascal, qui sont d'une grande valeur humaine, je tiens à vous présenter mes excuses pour dysfonctionnement mental, et la gêne que j'ai provoquée. », monsieur X a repris dès le mois de mai 2013 une guerre de harcèlement, d'insultes, d'injures, donnant lieu sur une période de deux mois à l'envoi de plusieurs centaines de messages vocaux d'injures, insultes et menaces, SMS divers , adressés aux dirigeants et à l'ensemble du personnel, semant la crainte auprès des salariés, déstabilisant la société, et faisant vivre un cauchemar aux deux dirigeants ;
- que suite à la lettre de rupture du contrat d'agent commercial pour faute grave le 26 juin 2013, les menaces et insultes, les actes d'intimidation (véhicules vandalisés, visite au domicile des dirigeants) se sont multipliés ce qui a créé un climat d'angoisse tant à l'égard des dirigeants que de leurs familles mais également à l'égard des salariés de l'entreprise ;
- concernant la demande d'indemnité compensatrice de rupture, que cette dernière repose sur une faute grave, démontrée par la liste des messages d'insultes, d'injures, de menaces adressés par monsieur X aux dirigeants de la concluante et aux membres du personnel, à compter du mois de mai 2013, après une première série d'incidents graves à l'automne 2012 ; que ce n'est qu'en raison des troubles psychiques de monsieur X, et dans l'espoir d'apaiser ces dysfonctionnements, qu'aucune plainte pénale pour harcèlement ou menaces n'a été initiée à son encontre ; que cet harcèlement donnant la mesure de l'état psychique de monsieur X rendait incompatible la poursuite d'un mandat avec la société Alp Machines Outils ;
- qu'il résulte de l'article L. 134-4 du code du commerce que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties ; que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information ; que l'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; que l'article L. 134-13 dispose que l'indemnité compensatrice de rupture n'est pas due lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial; que la jurisprudence définit cette faute comme étant celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, ainsi lorsque les relations entre la société mandante et l'agent commercial ont atteint, du fait de ce dernier, un niveau d'agressivité, de défiance et de blocage tel que le contrat ne peut plus s'exécuter même pendant une période limitée de manière compatible avec sa finalité ;
- que l'article L. 223-18 du code du commerce dispose que la société à responsabilité limitée est gérée par une ou plusieurs personnes physiques ; que dans les rapports avec les tiers, le gérant est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société, sous réserve des pouvoirs que la loi attribue expressément aux associés ; que la société est engagée même par les actes du gérant qui ne relèvent pas de l'objet social, à moins qu'elle ne prouve que le tiers savait que l'acte dépassait cet objet ou qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances, étant exclu que la seule publication des statuts suffise à constituer cette preuve ; qu'en la cause, le contrat d'agent commercial a été signé avec « Vous-même ou au nom de la société que vous allez être amené à créer » ce qui signifie que le contrat d'agent commercial a été signé avec monsieur X et s'est poursuivi avec la société créée ultérieurement par lui ;
- qu'aucun partenaire commercial n'a vocation à supporter ou à accepter de tels comportements que ni l'ancienneté, ni la qualité passée des liens ni les performances commerciales ne sauraient justifier ;
- que l'appelante ne saurait s'exonérer des agissements commis par son gérant et considérer qu'elle peut contraindre la concluante à poursuivre son partenariat ou à lui verser des indemnités de rupture ; que la faute du salarié, ou du gérant d'une personne morale engage la responsabilité de cette dernière ; que l'appelante ne peut invoquer le mail d'excuses du 20 novembre 2012, ni le fait que monsieur X se présente comme la victime des agissements de la concluante ;
- que si l'appelante prétend avoir généré un chiffre d'affaire considérable, et aurait ainsi rempli son obligation d'exécution loyale du contrat, que la volonté de la concluante de trouver une issue amiable serait exclusive de toute faute grave, que monsieur X ne serait pas le rédacteur des mails incriminés et que son agressivité s'expliquerait par le refus de la concluante de régler le solde des commissions dues, elle prétend à tort que la faute de l'agent commercial ne pourrait être invoquée par le mandant qu'à la condition que soit démontré un impact sur le chiffre d'affaires, alors que les agissements de monsieur X rendaient impossible le maintien du lien contractuel ; qu'un comportement isolé peut caractériser la faute grave, alors que les agissements ont été répétés à raison de centaines d'appels téléphoniques et de mails ; qu'en raison de sa longue collaboration avec monsieur X, la concluante a fait preuve de patience et a tenté de le raisonner, sans effet de sorte que la rupture pour faute grave était inévitable ; que l'appelante soutient tardivement que monsieur X ne serait pas l'auteur des mails litigieux émanant de l'adresse « [email protected] », alors que la lecture de ces mails démontre que leur auteur est bien monsieur X ; que les salariés de l'entreprise victimes des insultes et du climat anxiogène distillé par monsieur X ont témoigné des appels contenant menaces et insultes ;
- que les demandes de rappel de commissions sont irrecevables et infondées, puisqu'elles n'ont été formulées que par conclusions remises fin septembre 2016 et sont prescrites au regard de l'article 2224 du code civil car concernant des commissions facturées avant le 30 septembre 2011 ; que ces demandes sont mal fondées, puisque la concluante a toujours réglé immédiatement l'intégralité des factures de commissions que lui adressait son mandataire, ainsi qu'il résulte du tableau récapitulatif établi par le cabinet d'expertise comptable KPMG ;
- que si l'appelante soutient que le montant de la commission versée ne correspondait pas aux engagements contractuels, le contrat d'agent commercial stipulait un taux de 7 % pour les ventes de machines standards et de 5 % pour les ventes de machines comprenant une forte valeur ajoutée, avec la possibilité d'ajuster ce taux d'un commun accord ; que cette stipulation a été respectée puisque monsieur X n'a jamais émis la moindre remarque ni réclamation
sur le mode de calcul de ses commissions pendant et après la rupture du contrat d'agent commercial, pendant six ans ; que les factures étaient établies par l'agent commercial lui-même ce qui démontre un accord tacite ; qu'il n'est pas constaté que les factures émises par l'agent commercial ont toujours été ponctuellement et intégralement réglées ; que rien n'établit que la concluante aurait unilatéralement imposé des diminutions de commissions à son agent commercial ;
- concernant ses demandes reconventionnelles, qu'en raison des agissements de monsieur X, la concluante lui a enjoint à plusieurs reprises de cesser ces comportements faute de quoi elle réclamerait des dommages et intérêts pour indemniser le préjudice qu'elle subit.
Il convient en application de l'article 455 du code de procédure civile de se référer aux conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties.
Motifs :
1) Concernant les causes de la rupture du contrat d'agent commercial :
S'agissant du comportement de monsieur X, il n'est pas contesté par l'appelante que monsieur X s'est comporté d'une manière injurieuse à l'égard des dirigeants de la société Techni CN au courant de l'année 2012, puis courant 2013. Suite au courrier de l'intimée du 14 novembre 2012 reprochant à l'appelante le comportement de son gérant concernant des messages injurieux adressés y compris à ses salariés, monsieur X a présenté ses excuses dans un mail du 20 novembre 2012, invoquant « un dysfonctionnement mental ».
De tels faits ont été constatés par huissier de justice selon procès-verbal dressé le cinq juin 2013, concernant des messages adressés au courant du mois des mois de mai et juin aux dirigeants de l'intimée, y compris le week-end et tard en soirée, allant de l'insulte à la menace, et s'analysant en un véritable harcèlement, monsieur X accusant l'intimée d'avoir failli causer la mort de son fils, blessé grièvement dans un accident de la route. Il résulte de ce constat que monsieur X a ainsi tenu notamment les propos suivants à l'un des dirigeants de l'intimée, monsieur A : « t'es pas ni un homme ni une femme (...) t'es quelqu'un d'hypocrite, lâche, faux-cul, pute et repute et sous pute et fils de pute » (dimanche 2 mai à 18h38), « t'es une sous merde, t'as trompé plein de gens (...) tu mérites rien (...) on te chie tous dessus » (autre message le même jour à 18 h 42).
Des mails ont également été adressés au personnel de l'intimée. Ces faits qui se sont poursuivis au courant du mois de juin 2013 ont conduit le président de l'intimée à déposer plainte le 20 juin 2013. Selon les indications des salariés de l'intimée, monsieur X, lors d'appels téléphoniques adressés à des salariés, traitait les dirigeants de la société Techni CN de « tâche, fils de pute » (mail du 4 juin 2013 de madame B adressé à sa direction), ou indiquait à certains salariés que la société allait passer en récession et qu'elle allait devoir envisager des licenciements (mail de monsieur C à sa direction le 5 juin 2013, demandant une réunion afin de vérifier ces faits, ce salarié indiquant être très inquiet). Monsieur X adressait ainsi un mail le 18 juin 2013 à monsieur D libéllé ainsi : « pauvre con, ça fait longtemps que les bons commerciaux ne veulent plus travailler avec toi, même tes voisins ne peuvent te piffer, connard ».
Les salariés de l'intimée ont attesté de la déstabilisation qui en a résultée. Dans un mail du 19 juin 2013, monsieur D indiquait à sa direction que les relations avec monsieur X étaient devenues impossibles, avec des agressions permanentes et une clientèle destabilisée par ses mails incohérents. Il précisait que les salariés de l'intimée étaient choqués, qu'il avait été obligé de donner des explications à certains clients communs afin de stabiliser la situation, et sollicitait de sa direction la conduite à adopter. Dans un mail du 19 juin 2013 adressé aux dirigeants de la société Techni CN, monsieur X joignait une photographie de son fils sur son lit d'hôpital en réanimation.
S'agissant de l'opposabilité du comportement du gérant de l'appelante au regard de la rupture du contrat d'agent commercial, il résulte de l'enchaînement des conclusions des contrats intervenus entre les parties que X a signé le 15 juillet 2010 un contrat d'agent commercial avec la société Techni CN à effet au 1er septembre 2010, et le même jour, simultanément, un second contrat identique au premier, alors que la société à associé unique Alp Machines Outils a été créée le 6 septembre 2010, avec un début d'activité au 1er septembre 2010. Il a en outre été précisé que le contrat a été signé par « Vous-même ou au nom de la société que vous allez être amené à créer ». Il en résulte que les parties ont entendu que le contrat d'agent commercial signé personnellement par monsieur X soit repris par la société Alp Machines Outils en cours de constitution lors de son immatriculation. Le tribunal de commerce a ainsi justement rejeté la distinction opérée par l'appelante entre la personne morale et son gérant.
En outre, aux termes de l'article L. 223-18 du code du commerce, la société à responsabilité limitée est gérée par une ou plusieurs personnes physiques. Dans les rapports avec les tiers, le gérant est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société, sous réserve des pouvoirs que la loi attribue expressément aux associés et la société est engagée même par les actes du gérant qui ne relèvent pas de l'objet social, à moins qu'elle ne prouve que le tiers savait que l'acte dépassait cet objet ou qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances. En outre, la faute du salarié, ou du gérant d'une personne morale, engage la responsabilité de cette dernière sur le fondement de l'article 1242 du code civil, toute société devant répondre, à l'égard des tiers, des fautes commises par ses préposés, dont son gérant.
En la cause, les graves agissements de monsieur X, associé unique et gérant de la société, sont ainsi opposables à cette dernière. Il ne s'est pas agi d'un fait unique, mais d'une pluralité de faits commis sur plusieurs mois, ayant perturbé tant les dirigeants de l'intimée que ses salariés. Ces faits graves, constitutifs d'infractions pénales, ont mis en péril la confiance nécessaire à la bonne exécution du contrat d'agent commercial, ainsi que retenu par le tribunal de commerce, en raison d'un manque totale de loyauté de monsieur X. Ainsi qu'indiqué par les premiers juges, il n'existait plus aucun intérêt commun à poursuivre le partenariat commercial. La gravité des fautes commises par le gérant de l'appelante, à propos des relations existant avec le mandat, a justifié la rupture des relations par l'intimée, aux torts de la société Alp Machines Outils, ainsi qu'énoncé par le jugement déféré.
Le tribunal a en conséquence justement débouté l'appelante de sa demande en paiement de l'indemnité compensatrice pour le préjudice subi par la rupture du contrat d'agent commercial, par application des articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce.
Peu importe à cet égard que l'appelante ait permis auparavant la réalisation d'un chiffre d'affaires qualifié par elle d'important, puisqu'en raison des graves fautes commises par son gérant pendant plusieurs mois, aucune relation ne pouvait plus être valablement poursuivie entre les deux sociétés.
2) Sur le paiement d'arriérés de commissions :
Concernant la prescription de cette demande, il est acquis qu'elle a été formulée pour la première fois par conclusions notifiées le 15 septembre 2016, dans le cadre de la procédure suivie devant le tribunal de commerce. De ce fait, elle ne peut porter sur des commissions dues avant le 15 septembre 2011, le délai de cette prescription étant de cinq ans comme reconnu par les parties.
Ainsi que soutenu par l'intimée, les commissions ont été réglées sur la base des factures présentées par la société Alp Machines Outils. L'intimée justifie de leur règlement selon le tableau des paiements visés par son expert-comptable. Ces factures ont concerné des commissions dues antérieurement et postérieurement au 15 septembre 2011, et cette demande n'est pas ainsi prescrite en tous ses éléments.
Cependant, sur le fond, il est constant que deux taux de commissions ont été prévus, à arbitrer selon l'accord des parties le cas échéant. En la cause, d'une part les facturations ont été faites par l'appelante selon des taux qui n'ont pas été contestés par l'intimée, de sorte que la preuve d'un accord sur le taux retenu par l'appelante est rapportée, alors que d'autre part, aucune contestation ni réclamation n'a été formulée par l'appelante avant ses conclusions déposées devant le tribunal de commerce, après que le litige résultant de la résiliation du contrat d'agent commercial soit né.
Il en résulte que le tribunal de commerce a justement constaté l'extinction des créances de l'appelante, par application de l'article 1234 (ancien) du code civil, et l'a déboutée de sa demande en paiement.
3) Sur les demandes reconventionnelles de l'intimée :
Concernant sa demande de dommages et intérêts pour le préjudice résultant du comportement de monsieur X, les premiers juges ont exactement retenu que l'absence de loyauté dans l'exécution du contrat d'agent commercial, et que les injures et dénigrements répétés de monsieur X ont causé un préjudice certain à l'intimée, établi au regard des attestations de ses salariés sur le climat créé par cette attitude persistante du gérant de l'appelante. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Concernant sa demande formée au titre du caractère abusif de la procédure initiée par l'appelante, il résulte des motifs développés plus haut que l'attitude de monsieur X, en sa qualité de gérant de l'appelante, a montré une volonté de harcèlement véritable. La présente procédure n'en a été que le prolongement. Il s'ensuit que le tribunal de commerce a pu constater que le droit d'agir en justice de l'appelante a ainsi dégénéré en abus. Cette procédure a déstabilisé l'intimée, qui a dû en outre consacrer une partie de son temps pour y répondre, en dehors de ses frais irrépétibles. Le jugement déféré sera également confirmé en ce qu'il a fait droit à cette prétention.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.
Y ajoutant, la cour condamnera la société Alp Machines Outils à payer la somme complémentaire de 4 000 euros à la société Techni CN par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens exposés en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la
Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu les articles 1234, 1382 et suivants (anciens) du code civil, L134-1 et suivants, L223-18 du code de commerce ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne la société Alp Machines Outils à payer à la société Techni CN la somme complémentaire de 4 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Alp Machines Outils aux dépens exposés en cause d'appel.