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Décisions

Cass. com., 17 novembre 2021, n° 19-50.067

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Procureur général près la cour d'appel de Lyon

Défendeur :

Laurent père et fils (SAS), MJ Alpes (Selarl), Berthelot (Selarl), Association Unedic

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Bélaval

Avocat général :

Mme Guinamant

Avocats :

SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SARL Ortscheidt

Cass. com. n° 19-50.067

16 novembre 2021

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 14 novembre 2019), par un jugement du 2 octobre 2019, le tribunal de commerce de Saint-Etienne, après s'être déclaré compétent, a ouvert le redressement judiciaire de la société Laurent père et fils (la société Laurent). Les sociétés MJ Alpes et Berthelot ont été désignées mandataires judiciaires. Les sociétés AJ UP et FHB ont été nommées administrateurs judiciaires. Le ministère public a fait appel du jugement.

2. Par un jugement du 4 décembre 2019, la société Laurent a été mise en liquidation judiciaire, les sociétés MJ Alpes et Berthelot étant désignées liquidateurs.

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi principal, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Mais sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

4. Les sociétés MJ Alpes, AJ UP et FHB, ès qualités, font grief à l'arrêt de dire recevables les demandes du ministère public tendant à ce que soit relevée d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Saint-Etienne et à ce que ce tribunal soit déclaré incompétent pour connaître de la situation de la société Laurent, relevant de la compétence d'un tribunal de commerce spécialisé, alors « que les exceptions de procédure, telles qu'une exception d'incompétence, doivent à peine d'irrecevabilité être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, même lorsque les règles invoquées sont d'ordre public ; que le tribunal de commerce compétent pour connaître de l'ouverture d'une procédure collective est en principe celui du ressort dans lequel le débiteur exploite son activité artisanale ou commerciale ; que, par exception, notamment lorsque l'entreprise réalise un chiffre d'affaires supérieur à 40 millions d'euros, le tribunal compétent est le tribunal de commerce spécialisé dans le ressort duquel se situe l'activité du débiteur ; qu'en l'espèce, les sociétés AJ Up et MJ Alpes, ès qualités respectivement d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de la société Laurent père et fils, soutenaient que l'exception d'incompétence selon laquelle seul le tribunal de commerce spécialisé de Lyon pouvait connaître de l'ouverture de la procédure collective de la société Laurent père et fils, plutôt que le tribunal de commerce de Saint-Étienne, était irrecevable dès lors qu'elle n'avait pas été soulevée dès la première instance et in limine litis ; que la cour d'appel a néanmoins considéré que le ministère public invoquait le défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Saint-Étienne, ce qui constituait une fin de non-recevoir et non une exception de procédure, pouvant dès lors être invoquée en tout état de cause ; qu'en se prononçant ainsi, tandis que l'incompétence du tribunal de commerce de Saint-Étienne pour connaître de l'ouverture de la procédure collective de la société Laurent père et fils, en raison du montant de son chiffre d'affaires, constituait une exception de procédure et non une fin de non-recevoir, la cour d'appel a violé les articles 74, 75 et 122 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 721-8 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 721-8 du code de commerce et l'article 74 du code de procédure civile :

5. Selon le premier de ces textes, des tribunaux de commerce spécialement désignés connaissent des procédures de sauvegarde, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire lorsque le débiteur répond à certains critères relatifs au nombre de salariés ou au montant net du chiffre d'affaires. Ce texte ne prive pas le tribunal de commerce non spécialement désigné du pouvoir juridictionnel de connaître de ces procédures lorsque les seuils qu'il prévoit ne sont pas atteints mais détermine une règle de répartition de compétence entre les juridictions appelées à connaître des procédures, dont l'inobservation est sanctionnée par une décision d'incompétence et non par une décision d'irrecevabilité.

6. Pour déclarer recevables les demandes du ministère public tendant à obtenir de la cour d'appel qu'elle relève d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Saint-Etienne, et qu'elle déclare ce tribunal incompétent pour connaître de la situation de la société Laurent, au motif qu'elle serait de la compétence d'un tribunal de commerce spécialisé, l'arrêt, après avoir relevé que le ministère public avait requis, devant le tribunal, l'ouverture de la procédure collective sans solliciter le dessaisissement au profit d'un tribunal spécialisé, retient que le défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Saint-Etienne sur le fondement de l'article L. 721-8 du code de commerce constitue non une exception d'incompétence, mais une fin de non-recevoir relevant de l'article 125 du code de procédure civile, au demeurant d'ordre public, pouvant être soulevée en tout état de cause.

7. En statuant ainsi, alors que la contestation par le ministère public de la compétence du tribunal de commerce de Saint Etienne pour connaître de la procédure collective de la société Laurent devait s'analyser, non en une fin de non-recevoir, mais en une exception d'incompétence, et que le ministère public, qui avait conclu au fond en première instance, n'était pas recevable à la soulever pour la première fois devant elle, la cour d'appel, qui, en application de l'article 76, alinéa 2, du code de procédure civile, n'aurait pu relever d'office l'incompétence du tribunal de commerce de Saint-Etienne, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt en ce qu'il déclare recevables les contestations par le ministère public de la compétence et du pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Saint-Etienne, entraîne par voie de conséquence la cassation du chef de dispositif par lequel la cour d'appel se prononce sur le chiffre d'affaires de la société Laurent pour retenir la compétence du tribunal de commerce de Saint-Etienne, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

9. Ainsi que le proposent les demandeurs au pourvoi incident, il est aussi fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

11. Il résulte de ce qui précède que la contestation du ministère public s'analysait en une exception d'incompétence qui était irrecevable à hauteur d'appel.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen du pourvoi principal, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare recevables les demandes du ministère public tendant à obtenir de la cour d'appel qu'elle déclare le tribunal de commerce de Saint-Etienne incompétent pour connaître de la situation de la société Laurent père et fils et qu'elle relève d'office la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Saint-Etienne, en ce que, retenant un chiffre d'affaires inférieur à 40 000 000 euros, il dit que le tribunal de commerce de Saint-Etienne, pourvu du pouvoir juridictionnel de statuer, est compétent pour suivre la procédure collective de la société Laurent père et fils, et en ce qu'il déboute le ministère public de son appel visant au renvoi de la procédure devant le tribunal de commerce spécialisé de Lyon, l'arrêt rendu le 14 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare irrecevable le ministère public en ses demandes tendant au renvoi de la procédure devant le tribunal de commerce de Lyon.