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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. civ., 10 novembre 2021, n° 18/06764

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pignon

Conseillers :

Mme Fabry, Mme Goumilloux

Avoués :

T. com. Bordeaux, du 29 oct. 2018, n° 20…

29 octobre 2018

EXPOSE DU LITIGE

L'Eurl X anime un réseau de franchise de boulangeries et de pâtisseries sous la marque « La mie de Pain ».

Elle a conclu le 16 juin 2015 un contrat de franchise avec M. Y qui lui a versé la somme de 26 400 euros en paiement du droit d'entrée prévu au contrat.

Suite à la signature de ce contrat, M. Y a entrepris la recherche d'un local commercial susceptible de lui être donné à bail pour exercer son activité de franchisé d'abord à proximité de Rennes, puis de La Rochelle et enfin du Mans.

Un avenant au contrat de franchise a été signé le 23 mars 2016 afin de modifier la zone d'exclusivité du franchise, M. Y ayant signé une promesse de bail pour un local commercial situé au Mans.

M. Y n'ayant pas réussi à obtenir les prêts bancaires nécessaires à son installation, son projet d'installation au Mans a été abandonné.

En janvier 2017, Monsieur Y a trouvé un local commercial adapté à son projet commercial à Caudan, à proximité de Lorient. Le 1er mars 2017, les parties ont conclu alors un nouveau contrat de franchise tenant compte de la nouvelle zone de franchise. Le franchiseur a conservé le droit d'entrée versé dans le cadre du précédent contrat.

Monsieur Y s'est trouvé à nouveau confronté à un refus des banques de financer son projet de franchise, ce dont il a informé le franchiseur en mai 2017.

Par lettre recommandée du 12 juin 2017, M. Y a indiqué à la société X qu'il envisageait de solliciter l'annulation du contrat de franchise, ce à quoi le franchiseur s'est opposé.

Par exploit d'huissier en date du 3 octobre 2017, M. Y a fait assigner la société X devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de voir prononcer la nullité du contrat de franchise sur le fondement du dol et voir condamner la défenderesse à lui rembourser le droit d'entrée qu'il a versé et à l'indemniser des frais engagés dans le cadre du contrat de franchise et de son préjudice moral.

Par jugement contradictoire du 29 octobre 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- débouté M. Y de sa demande visant à voir prononcer la nullité du contrat de franchise qu'il a conclu avec la société X,

- débouté M. Y de sa demande de remboursement du droit d'entrée de franchise, des frais exposés pour ses recherches et de toutes ses autres demandes,

- condamné M. Y à payer à la société X somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. Y aux dépens.

Par déclaration du 18 décembre 2018, M. Y a interjeté appel de cette décision intimant la société X dans des conditions de forme et de fond qui ne font pas l'objet de contestations.

Le 10 janvier 2019, une mesure de médiation judiciaire a été proposée aux parties, qui n'ont pas donné suite à cette proposition.

PRETENTIONS ET MOYENS

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 2 octobre 2019, auxquelles la cour se réfère expressément, M. Y demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a débouté M. Y de ses demandes en nullité du contrat de franchise, de sa demande de remboursement du droit d'entrée de franchise, des frais exposés pour ses cherches ainsi que de toutes ses demandes ;

- par conséquent, et statuant à nouveau :

- dire et juger que le consentement de Monsieur Y a été vicié sur le fondement du dol,

- par conséquent,

- prononcer la nullité du contrat de franchise conclu entre l'Eurl X et Monsieur Christophe J. ;

- condamner la société à X à payer à Monsieur Christophe J. les sommes suivantes :

* 26 400,00 euros ttc au titre du remboursement du droit d'entrée de franchise, outre les intérêts au taux légal à compter de la date de versement ;

* 14 915,11 euros au titre du remboursement des frais exposés et se décomposant comme suit,

* 5000,00 euros au titre du préjudice moral ;

- débouter l'Eurl X de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;

- condamner la société X à la somme de 5 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Jacques H., conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

M. Y fait notamment qu'il s'est totalement investi en vain pendant deux années dans ce projet de franchise mais que ses tentatives d'installation ont été un échec causé selon lui par les difficultés qu'il a rencontrées pour trouver un local adapté à son activité et par l'insuffisance des investissements initialement envisagés. Il fait valoir que le franchiseur a usé de manoeuvres pour le faire contracter en lui présentant un investissement nécessaire compris entre 480 000 euros et 530 000 euros HT alors que le dossier prévisionnel établi le 4 mars 2017 faisait état d'un montant de 613 882 euros. Il soutient que sur ce dernier point, le juge de première instance a dénaturé le contrat conclu entre les parties en retenant, pour juger que le budget prévisionnel n'avait pas été dépassé, un coût du projet ramené au m² et non un coût global.

Il argue en outre du fait que le document d'information précontractuel lui a été remis le jour de la signature de la franchise et qu'ainsi il n'a pas pu bénéficier du délai de réflexion légal de vingt jours, ce qui constitue selon lui une première manoeuvre dolosive du franchiseur.

Il reproche au franchiseur de ne pas l'avoir averti de la nécessité de réduire les coûts ou de modifier son projet afin d'en maintenir la viabilité. Selon lui, le manque de viabilité du modèle économique et les investissements excessifs sont à l'origine des refus bancaires.

Il fait valoir enfin que la société X ne l'a jamais sérieusement assisté dans ses démarches de recherche de local et de financement.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 16 juin 2020, auxquelles la cour se réfère expressément, la société X demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bordeaux en date du 29 octobre 2018 en ce qu'il déboute Christophe J. de l'ensemble de ses demandes ;

- en conséquence :

- dire et juger que le consentement de Christophe J. n'a pas été vicié sur le fondement du dol ;

- dire et juger que le contrat de franchise souscrit par Christophe J. n'est pas nul ;

- débouter Christophe J. de sa demande de voir l'Eurl X condamner à lui payer :

* 26 400 euros ttc au titre du remboursement du droit d'entrée de franchise, outre les intérêts au taux légal à compter de la date de versement,

* 14 9151,11 euros au titre de remboursement des frais exposés,

* 5 000 euros au titre du préjudice moral,

* 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner reconventionnellement Christophe J. à verser à l'Eurl X la somme de 5 000euros au titre des dommages et intérêts ;

- condamner Christophe J. aux entiers dépens et à la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société X fait notamment valoir que le contrat de franchise est valable eu égard au respect de l'information précontractuelle et à la viabilité du concept économique ; que le profil de M. X est inadapté à l'exploitation d'une franchise ; que le consentement de M. Y est éclairé et non vicié ; que M. Y n'apporte pas la preuve de manoeuvres dolosives et qu'il a parfaitement été informé des charges financières et des risques.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 septembre 2021 et le dossier a été fixé à l'audience du 6 octobre 2021.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

En vertu des dispositions de l'article 1116 du code civil dans sa version en vigueur à la date de conclusion du contrat de franchise, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.

Il ne se présume pas et doit être prouvé.

Il appartient ainsi à Monsieur Y d'établir :

- d'une part, que le franchiseur a intentionnellement cherché à le tromper par le biais de manoeuvres destinées à l'inciter à contracter,

- d'autre part, qu'il n'aurait pas contracté sans lesdites manoeuvres.

En l'espèce, le franchisé reproche au franchiseur :

- de ne pas lui avoir remis le document d'information précontractuel (DIP) dans les délais légaux,

- de lui avoir communiqué un montant erroné des investissements nécessaires à son installation,

- de ne pas l'avoir informé de manière précise sur l'état du marché local,

- de lui avoir proposé une franchise non viable économiquement,

- de ne pas l'avoir assisté dans ses démarches de recherches d'un local et d'un financement.

* sur la remise tardive du document d'information précontractuel :

En vertu des dispositions de l'article L. 330-3 du code de commerce, toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue, préalablement à la signature de tout contrat conclu dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre partie un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause.

Ce document, dont le contenu est fixé par décret, précise notamment, l'ancienneté et l'expérience de l'entreprise, l'état et les perspectives de développement du marché concerné, l'importance du réseau d'exploitants, la durée, les conditions de renouvellement, de résiliation et de cession du contrat ainsi que le champ des exclusivités.

Lorsque le versement d'une somme est exigé préalablement à la signature du contrat mentionné ci-dessus, notamment pour obtenir la réservation d'une zone, les prestations assurées en contrepartie de cette somme sont précisées par écrit, ainsi que les obligations réciproques des parties en cas de dédit.

Le document prévu au premier alinéa ainsi que le projet de contrat sont communiqués vingt jours minimum avant la signature du contrat, ou, le cas échéant, avant le versement de la somme mentionnée à l'alinéa précédent.

Il n'est pas établi que Monsieur Y a eu connaissance du DIP dans les 20 jours précédant la signature du contrat de franchise dont il sollicite aujourd'hui l'annulation.

Pour autant, l'annulation du contrat ne peut être prononcée sur le fondement de l'article susvisé que s'il est établi l'existence d'un vice du consentement.

En l'espèce, comme l'ont relevé de manière pertinente les premiers juges, le DIP incriminé était identique aux DIP précédents qui avaient été remis au franchisé le 9 mai 2015 et le 22 février 2016, à l'exception de la mise à jour du marché local dont il n'est pas argué qu'elle contenait des informations susceptibles d'influer sur le consentement du franchisé.

En outre, il ressort des multiples échanges entre les parties produits aux débats, que depuis la signature du premier contrat, Monsieur Y est resté en contact très soutenu avec la société X qui a étudié avec lui quatre projets successifs d'installation de sorte qu'il disposait déjà de nombreuses informations susceptibles d'éclairer son consentement.

L'appelant ne démontre ainsi ni l'intention dolosive de son cocontractant dans cette remise tardive du DIP actualisé ni le caractère déterminant pour son consentement de ce document.

* sur le montant des investissements nécessaires à l'installation du franchisé :

Monsieur Y reproche au franchiseur de l'avoir volontairement induit en erreur sur le montant de l'investissement nécessaire à la mise en place de la franchise.

Il est indiqué dans le DIP « selon le type de magasin (centre-ville ou périphérie), sa taille et l'état initial du local, votre investissement global est estimé entre 420 et 450 Keuros (hors pas de porte), soit environ 1500 euros ht du m² pour un point de vente avec la fabrication du pain ».

"Cette somme peut être partiellement financée par un concours bancaire, avec un apport personnel minimum de 130 000 euros environ. Idéalement, il convient de disposer d'environ 30 % du projet global".

Le dossier prévisionnel établi par Monsieur Y prévoit un investissement total de 613 882 euros, avec un apport personnel de 162 038 euros.

Le franchiseur ne s'est pas engagé sur un montant maximum d'investissement, se contentant de se référer à une fourchette estimative et à un prix au m².

Si la fourchette haute est dépassée d'environ 15 %, le prix de revient au m² est inférieur à l'estimation figurant dans le projet comme relevé justement par les premiers juges.

En outre, à la date de la signature de l'acte, Monsieur Y avait déjà choisi son local et était conscient des surcoûts engendrés par l'aménagement d'un local plus étendu. Les grandes lignes de son prévisionnel daté de quelques jours après la signature du contrat de franchise était nécessairement acquises et il ne peut soutenir qu'il était à la date de signature de l'acte dans l'ignorance du dépassement du budget qu'il avait initialement envisagé.

Monsieur Y n'établit pas ainsi l'existence de manoeuvres frauduleuses sans lesquelles il n'aurait pas contracté.

* sur la viabilité économique du projet et l'absence d'information sur le marché local :

Monsieur Y soutient que le modèle proposé par le franchiseur n'était pas viable économiquement, au moins dans le grand Ouest, ce qui serait à l'origine du refus des banques de le financer.

Il ne justifie pas cependant :

- de l'absence de viabilité du concept du franchiseur, alors que le nombre de franchisés est en augmentation et qu'il n'est pas démontré que d'autres franchisés aient rencontré des difficultés similaires à celles dont se plaint l'appelant,

- du lien entre le défaut de viabilité alléguée et le refus des banques de le financer,

- de l'intention du franchiseur de le tromper.

En effet, les refus des banques ne sont pas tous motivés et lorsqu'ils le sont, il est fait état des motifs suivants de refus : l'emplacement, l'importance des investissements, le manque d'expérience des porteurs du projet, le caractère trop optimiste du prévisionnel d'activité, la concurrence, le marché, sans qu'il puisse être établi le critère déterminant de leur refus.

Il convient en outre de rappeler que le DIP n'exonère pas le candidat franchiseur d'établir son propre dossier prévisionnel et de faire sa propre étude du marché. En l'espèce, le franchisé n'établit pas que le franchiseur lui a donné des informations erronées à l'origine de son prévisionnel jugé trop optimiste par les banques.

Il ne précise pas en outre quelles informations déterminantes sur l'état du marché local lui auraient été cachées et auraient ainsi vicié son consentement.

L'absence de viabilité de la franchise n'est donc pas établie.

* sur le défaut d'assistance :

Monsieur Y n'explique pas dans quelle mesure le défaut d'assistance qu'il allègue serait constitutif d'une manoeuvre frauduleuse l'ayant incité à contracter.

En tout état de cause, il ressort des très nombreuses pièces produites aux débats qu'il a été assisté dans ses projets successifs d'installation par Monsieur Z et par son équipe, qu'il s'agisse du choix du local ou des partenaires financiers à contacter.

Il convient en conséquence de confirmer la décision des premiers juges en ce qu'ils ont jugé que l'existence de manoeuvres constitutives d'un dol n'était pas établie.

L'article 17 du contrat de franchise disposant que le droit d'entrée et la contribution aux coûts initiaux de formation demeureraient définitivement acquis au franchiseur indépendamment du sort du contrat, M. Y sera débouté de sa demande de restitution du droit d'entrée et des frais qu'il a exposés à l'occasion de ce contrat de franchise.

La décision de première instance sera ainsi intégralement confirmée.

Monsieur Y sera condamné à verser la somme de 1000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il sera condamné aux dépens de cette instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier recours,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 29 octobre 2018,

Condamne M. X à verser la somme de 1000 euros à la société X au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. X aux dépens.