CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 19 novembre 2021, n° 21/04123
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
RC Food (SARL)
Défendeur :
GBM Invest (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lagemi
Conseillers :
M. Chazalette, Mme Le Cotty
Avocats :
Me Maier, Me Trojani
Le 12 mai 2017, les sociétés GBM Invest et RC Food ont conclu un contrat de franchise portant sur l'exploitation d'un restaurant spécialisé dans la restauration rapide sous la marque et le concept Nabab et Takos King, situé <adresse>
Le 1er août 2019, la société GBM Invest a mis en demeure la société RC Food de se conformer à ses obligations contractuelles dans un délai d'un mois.
Par acte du 9 janvier 2021, la société GBM Invest a assigné la société RC Food devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de constat de la résiliation de plein droit du contrat de franchise au 1er septembre 2019.
Par ordonnance du 9 février 2021, le juge des référés a :
Constaté que le contrat de franchise du 12 mai 2017 était résilié de plein droit depuis le 1er septembre 2019 ;
Constaté qu'à compter de cette date, la société RC Food exploitait un restaurant à l'enseigne Nabab et Takos King revêtant tous les signes distinctifs et éléments spécifiques à cette franchise, sans droit ni autorisation du franchiseur ;
Ordonné à la société RC Food de cesser d'utiliser et de retirer tous les signes distinctifs et éléments spécifiques à la franchise Nabab et Takos King à l'intérieur comme à l'extérieur de son magasin, sur tous les supports tant matériels que virtuels, et plus généralement de se conformer aux obligations postérieures à la fin du contrat spécifiées à l'article 16 du contrat de franchise du 12 mai 2017 ;
Assorti ces obligations d'une astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter du 10e jour suivant la notification de l'ordonnance à la société RC Food, astreinte d'une durée d'un mois ;
Laissé au juge de l'exécution le soin de liquider l'astreinte ; condamné la société RC Food à payer à titre de provision à la société GBM Invest les sommes suivantes :
31 839,25 euros au titre des redevances exigibles au jour de la résiliation du contrat ;
15 000 euros à titre d'indemnité pour rupture anticipée en application de l'article 16.3 du contrat de franchise ;
Dit n'y avoir lieu à référé pour le surplus des demandes de la société GBM Invest ;
Rejeté les demandes reconventionnelles de la société RC Food ;
Condamné la société RC Food à payer à la société GBM Invest la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamné la société RC Food aux dépens de l'instance.
Par déclaration du 2 mars 2021, la société RC Food a relevé appel de cette ordonnance.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 28 septembre 2021, elle demande à la cour de:
Infirmer l'ordonnance entreprise ;
débouter la société GBM Invest de l'intégralité de ses demandes ;
condamner la société GBM Invest à lui payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la société GBM Invest aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 2 septembre 2021, contenant un appel incident, la société GBM Invest demande à la cour de :
- rejeter l'ensemble des demandes de la société RC Food ; confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :
constaté que le contrat de franchise du 12 mai 2017 est résilié de plein droit depuis le 1er septembre 2019 ;
constaté qu'à compter de cette date, la société RC Food exploite un restaurant à l'enseigne Nabab et Takos King revétant tous les signes distinctifs et éléments spécifiques à cette franchise, sans droit ni autorisation du franchiseur ;
ordonné à la société RC Food de cesser d'utiliser et de retirer tous les signes distinctifs et éléments spécifiques à la franchise Nabab et Takos King à l'intérieur comme à l'extérieur de son magasin, sur tous les supports tant matériels que virtuels, et plus généralement de se conformer aux obligations postérieures à la fin du contrat spécifiées à l'article 16 du contrat de franchise ;
dit que l'ensemble de ces obligations sont assorties d'une astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter du 10e jour suivant la notification de l'ordonnance;
condamné la société RC Food à lui payer à titre de provision la somme de 31 839,25 euros au titre des redevances exigibles au jour de la résiliation du bail ;
condamné la société RC Food à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamné la société RC Food aux dépens de l'instance ;
- réformer la décision entreprise en ce qu'elle a :
condamné la société RC Food au paiement de la somme de 15.000 euros à titre d'indemnité pour rupture anticipée en application de l'article 16.3 du contrat de franchise ;
rejeté sa demande au titre de l'indemnité provisionnelle en réparation du préjudice subi ;
Et statuant à nouveau, condamner la société RC Food à lui payer à titre de provision les sommes suivantes :
36 647,94 euros à titre d'indemnité pour rupture anticipée en application de l'article 16.3 du contrat de franchise ;
2 443,20 euros par mois à titre d'indemnité provisionnelle en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de l'utilisation illicite de la marque, du concept et des signes distinctifs Nabab et Takos King depuis le 1er septembre 2019 et jusqu'à l'arrêt complet de cette activité ;
En tout état de cause, condamner la société RC Food à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 octobre 2021.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
SUR CE, LA COUR,
Sur la demande de constat de la résiliation du contrat de franchise
Selon l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
En l'espèce, le contrat liant les parties comporte une clause de résiliation par le franchiseur dans les termes suivants (article 15) :
« Le présent contrat pourra être résilié par anticipation, par l'une ou l'autre des parties, en cas d'inexécution de l'une quelconque des obligations y figurant et/ou l'une quelconque des obligations inhérentes à l'activité exercée. La résiliation anticipée interviendra automatiquement un mois après mise en demeure signifiée par lettre recommandée avec accusé de réception à la partie défaillante, indiquant l'intention de faire application de la présente clause résolutoire expresse restée sans effet ».
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 1er août 2019, la société GBM Invest a adressé à la société RC Food une mise en demeure relevant divers manquements à ses obligations contractuelles, notamment un défaut de paiement des redevances de franchise depuis le mois de mars 2019 et un défaut de déclaration du chiffre d'affaires des mois de mai à juillet 2019 entraînant une facturation forfaitaire. Cette mise en demeure visait la clause résolutoire du contrat.
La société RC Food ne conteste pas la réception de cette mise en demeure ni l'absence de paiement des redevances de franchise et l'absence de déclaration de son chiffre d'affaires, mais soulève une exception d'inexécution au motif que la société GBM Invest aurait elle-même manqué à ses obligations.
Elle soutient qu'elle a été délaissée par le franchiseur, qui n'a pas procédé au suivi et n'a pas fourni l'aide prévue par le contrat de franchise.
Elle explique qu'elle s'est déplacée au siège social de la société GMB Invest au Luxembourg et qu'elle n'y a trouvé qu'une boîte aux lettres.
Elle soutient également qu'elle avait pour obligation de se fournir auprès de centrales pratiquant des prix supérieurs à tous les autres fournisseurs et dont les délais de livraison étaient très longs. Elle ajoute qu'un grand nombre de franchisés Nabab ont rencontré les mêmes difficultés et ont changé d'enseigne ou déposé le bilan.
Elle fait encore valoir qu'elle a dû prendre à sa charge des frais de communication, contrairement à ce qui était prévu dans le contrat de franchise.
Cependant, elle ne justifie pas du non-respect, par la société GBM Invest, de ses obligations contractuelles.
En effet, elle produit deux lettres simples qui auraient été adressées à la société GBM Invest les 15 mai 2017 et 8 octobre 2018 mais ne justifie ni de leur envoi ni de leur réception par le destinataire. La troisième lettre, qui annonce l'arrêt du paiement des redevances, n'est pas datée et son envoi ne peut davantage être vérifié.
Elle ne produit aucune pièce attestant d'un déplacement au Luxembourg.
Elle ne peut contester l'obligation de s'approvisionner auprès de fournisseurs référencés, qui était expressément prévue à l'article 9.3 du contrat qu'elle a signé.
De même, l'obligation de communication locale était contractuellement à la charge du franchisé (article 11.2.3 du contrat), qui devait y consacrer un budget variant de 3 000 à 6 000 euros selon l'emplacement du restaurant. La circonstance que la société RC Food ait dû engager des frais de communication à hauteur de la somme totale de 2 039 euros (pièce n° 5) n'est donc pas de nature à démontrer l'inexécution par le franchiseur de ses obligations.
Enfin, les plaintes ou difficultés rencontrées par d'autres franchisés sont étrangères au présent litige.
Il résulte de ces éléments que l'exception d'inexécution invoquée par l'appelante ne constitue pas une contestation sérieuse de nature à faire obstacle à la résiliation du contrat au 1er septembre 2019, un mois après la lettre de mise en demeure.
Sur les conséquences de la résiliation
L'article 17 du contrat de franchise, relatif aux « conséquences de la résiliation anticipée », stipule que « les dispositions de l'article 16 ci-avant sont intégralement applicables dans l'hypothèse d'une résiliation anticipée » et l'article 16 du contrat stipule que « le franchisé s'engage, dès la fin du contrat, à tout mettre en œuvre pour qu'aucune confusion ne soit possible entre son activité passée de franchisé et sa nouvelle activité ».
L'article 16.1, relatif à la « suppression de tout signe distinctif », précise que :
« Le franchisé s'interdit d'utiliser les marques, les graphismes, les enseignes, les signes, les modèles, l'agencement, les méthodes et les éléments caractéristiques, sous peine d'une astreinte forfaitaire et définitive de 1 000 euros par jour de retard.
Le franchisé devra modifier, sous 8 jours, l'aspect extérieur et intérieur de son restaurant afin d'éviter toute confusion dans l'esprit de la clientèle, en faisant notamment disparaître tous les éléments du concept.
Le franchisé devra également détruire tout papier commercial ou publicitaire lui appartenant et portant la référence du réseau de franchise, sous peine d'une astreinte de 500 par jour de retard.
Le franchisé s'engage à ne pas faire état de sa qualité d'ancien franchisé de l'enseigne.
Le franchisé s'engage également à ne plus utiliser sur son restaurant la combinaison des couleurs du réseau, (voir le book agencement) ni le style graphique ou un quelconque signe rappelant l'enseigne ».
Le juge des référés a estimé que la société RC Food poursuivait l'exploitation sous l'enseigne du franchiseur, raison pour laquelle il lui a ordonné de mettre fin à cette exploitation sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.
A hauteur d'appel, celle-ci produit cependant des photographies et un procès-verbal de constat du 19 mai 2021, dont il résulte que toute référence au signe distinctif « Nabab » a disparu à l'extérieur comme à l'intérieur du restaurant, de même que sur les applications de livraison à domicile « Uber Eats » et « Deliveroo ».
L'enseigne figurant sur la devanture du restaurant est également différente (Nab's), sans confusion possible s'agissant des codes couleur des logos, qui diffèrent nettement.
L'intimée soutient que le procès verbal d'huissier ne contient aucune photographie des lieux et que les photographies produites par ailleurs ne démontrent pas qu'il s'agit des locaux situés <adresse>
Mais le constat d'huissier décrit l'intérieur et l'extérieur du restaurant de façon suffisamment précise et constate que l'appellation « Nabab Kebab » n'apparaît nulle part.
Quant aux photographies de l'extérieur du restaurant versées aux débats, une simple comparaison avec celles annexées au procès verbal de constat de l'intimée du 11 octobre 2019 permet de constater qu'il s'agit à l'évidence du même immeuble, l'ensemble de l'environnement (étage supérieur, immeubles voisins) étant identique.
L'intimée fait encore valoir que des commentaires et photographies de clients sur internet en août 2019 démontrent que la société RC Food continue d'utiliser les emballages « Nabab ». Mais ces éléments sont antérieurs à la résiliation du contrat intervenue le 1er septembre 2019.
Enfin, elle produit une copie d'écran dont elle déduit que l'appelante utilise toujours l'adresse email « @takos king nabab paris » mais sans aucune date permettant de vérifier la persistance de cet usage.
Il apparaît ainsi que, depuis le procès-verbal de constat du 11 octobre 2019 produit par la société GBM Invest, la société RC Food a procédé aux modifications qui lui incombaient afin de faire disparaître les signes rappelant l'enseigne.
Cette dernière produit d'ailleurs des factures de travaux du 30 septembre et du 14 octobre 2019 pour la pose d'une nouvelle enseigne et la création d'un nouveau logo, ce qui prouve que ces travaux ont été réalisés peu après le constat d'huissier et, en tout état de cause, dans les semaines ayant suivi la résiliation du contrat.
Seule subsiste à ce jour la modification du Kbis, l'intimée produisant un extrait Kbis de la société RC Food au 4 novembre 2020 dont il ressort que son nom commercial y figure toujours comme « Takos King Nabab ». Il lui sera en conséquence enjoint de procéder aux formalités de modification au RCS sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision et ce, pendant un délai d'un mois.
La demande d'injonction de faire sous astreinte sera pour le surplus rejetée, l'ordonnance étant infirmée de ce chef.
Sur la demande de provision
L'article 16.3 du contrat, relatif à la « déchéance du terme », stipule qu'en cas de résiliation :
« Le franchisé devra par ailleurs payer immédiatement au franchiseur (sans aucun droit à déduction ou à compensation) toutes les sommes dont il serait redevable à son égard que celles-ci soient exigibles ou non à la date de l'expiration ou de la résiliation du contrat.
En outre, dans les cas où le franchisé est responsable de la rupture anticipée, il devra, à titre de pénalité irréductible et sans que cela fasse obstacle à l'attribution de dommages et intérêts pour préjudices prouvés, une somme égale au total des redevances dues par lui pendant les douze mois précédant la rupture ».
L'article 10.2 du contrat prévoit par ailleurs que la redevance est au minimum de 3 000 euros par mois en cas d'absence de communication du chiffre d'affaires au franchiseur.
Il résulte des factures produites par la société GBM Invest et de son décompte au terme d'août 2019 inclus que la société RC Food est débitrice de la somme globale de 31 839,25 euros.
Si celle ci conteste la bonne exécution du contrat par le franchiseur et soutient avoir respecté son obligation de paiement des redevances, elle ne justifie pas de ces règlements et elle n'a émis aucune contestation relativement au calcul et au quantum des redevances.
Son obligation n'étant pas sérieusement contestable, elle sera tenue au paiement de cette somme, l'ordonnance entreprise étant confirmée de ce chef.
En revanche, l'indemnité de rupture anticipée de 36 647,94 euros réclamée par l'intimée en application de l'article 16.3, alinéa 2, précité du contrat s'analyse en une clause pénale manifestement excessive et susceptible de modération par le juge du fond en application de l'article 1231-5 du code civil. La demande de provision formulée à ce titre se heurte donc à une contestation sérieuse et sera rejetée, l'ordonnance étant infirmée en ce qu'elle a réduit l'indemnité allouée dès lors qu'il n'appartient pas au juge des référés de modérer une clause pénale.
La société GBM Invest sollicite encore une somme de 2.443,20 euros par mois à titre d'indemnité provisionnelle en réparation du préjudice subi du fait de l'utilisation illicite de la marque, du concept et des signes distinctifs Nabab et Takos King depuis le 1er septembre 2019. Mais, ainsi qu'il a été vu, à l'exception des mentions au RCS, l'appelante a très rapidement cessé toute utilisation de la marque et des signes distinctifs après la résiliation du contrat, de sorte qu'aucun préjudice n'est établi.
En tout état de cause, la demande de provision pour dommages et intérêts excède les pouvoirs du juge des référés. Elle sera donc rejetée.
Sur les demandes accessoires
Le sort des dépens et de l'indemnité allouée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en première instance n'a pas lieu d'être modifié.
En revanche, l'appel de la société RC Food étant pour partie fondé, chacune des parties conservera la charge de ses dépens d'appel et des frais irrépétibles engagés à hauteur d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle :
constate que le contrat de franchise du 12 mai 2017 est résilié de plein droit depuis le 1er septembre 2019 ;
condamne la société RC Food à payer à titre de provision à la société GBM Invest la somme de 31 839,25 euros au titre des redevances exigibles au jour de la résiliation du contrat ;
condamne la société RC Food à payer à la société GBM Invest la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamne la société RC Food aux dépens de l'instance ;
L'infirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Ordonne à la société RC Food de procéder aux formalités de modification au Registre du commerce et des sociétés afin que le nom commercial « Takos King Nabab » n'y figure plus et ce, sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt et pendant un délai d'un mois, à l'issue duquel il sera à nouveau statué sur l'astreinte ;
Rejette, pour le surplus, les demandes de suppression de signes distinctifs formées par la société GBM Invest ;
Rejette les demandes de provisions formées par la société GBM Invest au titre de l'indemnité de rupture anticipée et de la réparation de son préjudice pour utilisation de la marque et des signes distinctifs ;
Laisse à chaque partie la charge des dépens d'appel par elle engagés ;
Rejette les demandes formées par les parties en application de l'article 700 du code de procédure civile.