CA Versailles, 14e ch., 18 novembre 2021, n° 21/01435
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
SARL HOME FINANCEMENT
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guillaume
Conseillers :
Mme Le Bras, Mme Igelman
La SARL Home Financement exerce une activité d'intermédiaire en opérations de banque au sens de l'article L. 519-1 du code monétaire et financier.
Dans le cadre de son activité, elle fait appel à des mandataires d'intermédiaire en opération de banque et service de paiement (les MIOBSP) afin de la représenter dans le cadre de la préparation et les conclusions de ces opérations.
A ce titre, par contrat du 21 septembre 2017, la SARL Home Financement a confié à Mme Sandra Dos S. une mission de mandataire d'intermédiaire en opérations de banques.
Par lettre recommandée du 2 juillet 2019, Mme Dos S. a notifié à la société Home Financement son intention de mettre un terme à son contrat avec effet au 5 août 2019.
Par courrier du 16 juillet 2019, la société Home Financement lui a d'une part répondu que son contrat devait courir jusqu'au 20 septembre 2019 et d'autre part rappelé que qu'elle était tenue à une obligation de non-concurrence.
Par acte du 5 octobre 2020, Mme Dos S. a fait assigner la société Home Financement devant le tribunal de commerce de Compiègne afin d'obtenir le paiement de commissions selon elle impayées. Cette procédure est toujours pendante devant cette juridiction.
En parallèle, prétendant avoir découvert que Mme Dos S. avait rejoint avant même son départ un de ses concurrents directs, la société JL Conseils, et démarché ses propres clients, la société Home Financement a, suivant ordonnance du 16 novembre 2020 rendue par le juge des requêtes du tribunal de commerce de Compiègne, obtenu l'autorisation de faire pratiquer des mesures d'instruction in futurum dans les locaux de la société JL Conseils à Chantilly et à Chambly, mesures qui ont été exécutées le 4 décembre 2020. Une instance aux fins de rétractation est en cours.
Par ailleurs, par requête du 6 novembre 2020 déposée le 9 novembre 2020, la société Home Financement a pour ces mêmes motifs demandé au juge des requêtes du tribunal de commerce de Pontoise la désignation de la SCP B. F. S. L., huissiers de justice, afin de faire procéder à la saisie dans les locaux de Mme Dos S. de pièces tendant à établir la preuve des actes de concurrence déloyale allégués.
Il a été fait droit à cette requête par ordonnance du 17 novembre 2020 qui a été exécutée par l'huissier instrumentaire le 4 décembre 2020.
Par acte du 30 décembre 2020, Mme Dos S. a fait assigner en référé la société Home Financement aux fins de rétractation de l'ordonnance sur requête et de destruction des documents et copies saisis.
Par ordonnance contradictoire rendue le 25 février 2021, le juge des référés du tribunal de commerce de Pontoise a :
- dit recevable et bien fondée la demande de rétractation formée par Mme Sandra Dos S.,
- rétracté l'ordonnance sur requête rendue par le président du tribunal de commerce de Pontoise le 17 novembre 2020,
- dit que la rétractation emporte nullité du procès-verbal de constat dressé à l'issue de l'exécution de la mesure dans les locaux de Mme Dos S., sis [...],
en conséquence,
- ordonné la destruction et l'effacement de tous éléments saisis par l'huissier de justice dans le cadre de cette mesure,
- condamné la société Home Financement à payer à Mme Sandra Dos S. la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la société Home Financement de toutes ses demandes, y compris celle formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que l'exécution provisoire de l'ordonnance est de droit en conformité de l'article 489 du code de procédure civile nonobstant appel et sans caution,
- condamné la société Home Financement aux dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 3 mars 2021, la société Home Financement a interjeté appel de cette ordonnance en tous ses chefs de disposition, à l'exception de ce qu'elle a dit recevable la demande de rétractation formée par Mme Sandra Dos S..
En cours de procédure, par requête du 4 mai 2021, Mme Dos S. a fait assigner la société Home Financement aux fins de radiation de l'appel. La société Home Financement a sollicité, à titre reconventionnel, l'arrêt de l'exécution provisoire de l'ordonnance dont appel.
Par ordonnance rendue le 10 juin 2021, le magistrat délégué par le premier président de cette cour a notamment :
- rejeté la demande de radiation formée par Mme Dos S.,
- ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire de l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a ordonné la destruction et l'effacement de tous les éléments saisis par l'huissier de justice dans le cadre de la mesure d'instruction.
Dans ses dernières conclusions déposées le 2 juillet 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Home Financement demande à la cour au visa des articles 74, 75, 455, 458, 493, 566 et 700 du code de procédure civile de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
In limine litis,
- faire droit à l'exception d'incompétence qu'elle soulève,
- en conséquence, se déclarer incompétente en ce qui concerne la demande de radiation du présent appel du rôle pour défaut d'exécution par l'appelante de la décision déférée et renvoyer Madame Dos S. sur ce point devant Monsieur le Premier Pré-
sident de la Cour d'appel de Versailles.
- et/ou confirmer le retrait par l'intimée de sa demande relative à la radiation d'appel,
A titre liminaire :
- constater l'absence et/ou l'irrecevabilité de l'appel incident de l'intimée,
- constater la recevabilité de son appel principal et en conséquence, débouter l'intimée de sa demande concernant l'irrecevabilité de son appel et/ou confirmer le retrait par
l'intimée de sa demande relative à l'irrecevabilité de l'appel principal,
A titre principal :
- annuler conformément aux dispositions des articles 455 et 458 du code de procédure civile, l'ordonnance du 25 février 2021 pour défaut de motifs,
A titre subsidiaire :
- infirmer l'ordonnance du 25 février 2021 dans son intégralité des chefs critiqués,
statuant de nouveau,
- confirmer la validité de l'ordonnance le 17 novembre 2020 et juger valide le procès-verbal de constat du 4 décembre 2020 dressé à l'issue de la saisie probatoire pratiquée dans les locaux de Mme Dos S.,
- prononcer la mainlevée totale du séquestre provisoire des pièces ayant fait l'objet de la saisie probatoire par l'huissier instrumentaire,
- débouter Mme Dos S. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner Mme Dos S. à lui payer la somme de 4 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Mme Dos S. à lui payer la somme de 1 068 euros également au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au titre du remboursement des honoraires de Maître Franck L., avocat postulant obligatoire auprès de la cour d'appel de Versailles ;
- condamner Mme Dos S. aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître Franck L., avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- débouter Mme Dos S. de sa demande de condamnation conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, aux dépens relatifs à la distraction au profit de Me Stéphanie L..
Dans ses dernières conclusions déposées le 10 juin 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, Mme Dos S. demande à la cour, au visa des articles 145 et 526 du code de procédure civile, de :
- confirmer l'ordonnance rendue par le tribunal de commerce de Pontoise le 25 février 2021 ;
- débouter la société Home Financement de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société Home Financement à payer à Mme Dos S. la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Home Financement aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Stéphanie L., conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 septembre 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
- observations liminaires :
Il sera dès à présent retenu que l'exception d'incompétence soulevée par la société Home Financement est devenue sans objet, dès lors qu'elle visait la précédente demande de Mme Dos S. aux fins de radiation de la procédure que cette dernière n'a pas maintenue dans ses dernières conclusions et sur laquelle il a d'ailleurs été statué par le magistrat délégué par le premier président suivant ordonnance du 10 juin 2021.
Il n'y a de même pas lieu d'examiner les moyens avancés par la société Home Financement concernant la recevabilité de son appel, Mme Dos S. ne saisissant plus la cour dans ses dernières conclusions d'une fin de non-recevoir à ce sujet.
Enfin, l'intimée se limitant à demander la confirmation de l'ordonnance, il n'y a pas lieu d'examiner la fin de non-recevoir énoncée par la société Home Financement concernant un supposé appel incident que l'intimée n'a pas formé.
- sur la demande d'annulation de l'ordonnance présentée par la société Home Financement :
La société Home Financement dénonce au visa des articles 455 et 458 du code de procédure civile une absence de réponse du premier juge à certains moyens soulevés dans ses conclusions de 1ère instance ainsi que le caractère dubitatif et de pure forme de la motivation de l'ordonnance entreprise.
Estimant que pour ces raisons, cette décision doit être considérée comme entachée d'un défaut de motifs, elle en sollicite l'annulation.
En réponse, Mme Dos S. fait valoir que le premier juge ne s'est pas contenté de rappeler les textes pour motiver sa décision, développant au contraire les éléments sur lesquels il s'est appuyé.
Elle réfute l'existence de motifs dubitatifs, le juge ayant selon elle simplement relevé que la société Home Financement établissait elle-même une certaine connexité entre leurs créances respectives avant de motiver sa décision en considérant qu'il existait donc déjà une instance en cours ayant un lien avec celle dont il était saisi.
Sur ce,
L'article 455 alinéa 1er du code de procédure civile dispose que le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Cet exposé peut revêtir la forme d'un visa des conclusions des parties avec l'indication de leur date. Le jugement doit être motivé.
Selon l'article 458 qui suit, ces prescriptions doivent être observées à peine de nullité.
Il sera d'abord rappelé que le juge n'est pas tenu d'énoncer l'ensemble des moyens avancés par les parties, ceci pouvant même succinctement résulter des énonciations de la décision et également des réponses apportées par le juge aux moyens invoqués.
Il résulte des termes de la décision entreprise que le premier juge a ordonné la rétractation de l'ordonnance sur requête en relevant que :
- « la requête de la société Home Financement a été émise le 6 novembre 2020 et reçue au tribunal le 9 novembre »,
- « Mme Dos S. a assigné la société Home Financement au fond auprès du tribunal de commerce de Compiègne en date du 5 octobre 2020, que la procédure est toujours pendante, après plusieurs renvois ; que cette assignation porte sur une demande de commission que Mme Dos S. estime lui être dues par la société Home Financement »,
- la société Home Financement a confirmé lors des débats qu'elle reconnaissait devoir certaines sommes et 'qu'elle demanderait au tribunal de commerce de Compiègne la compensation d'une éventuelle condamnation avec celle que Mme Dos S. pourrait avoir à subir du fait de ses actes allégués, en déduisant de manière affirmative que « par ces dires, la société Home Financement reconnaît une connexion entre toutes ces procédures »,
- la société Home Financement « a attendu 16 mois après que Mme Dos S. ait quitté l'entreprise pour lui reprocher ces actes »,
avant de conclure à la suite d'un rappel des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile dont il a souligné en gras la mention 'avant tout procès', « qu'il sera donc dit, indépendamment de toute appréciation sur le bien-fondé des motifs des parties en présence, que la société Home Financement a contrevenu à l'article 145 du code de procédure civile en émettant cette requête ».
Sans qu'il n'y ait lieu à ce stade de juger de la pertinence de cette motivation, le premier juge, en retenant pour statuer ainsi l'existence d'un lien de connexité entre les 2 affaires du fait de la demande reconventionnelle à venir de la société Home Financement dans le cadre de l'instance au fond toujours en cours, a nécessairement répondu au moyen de la société Home Financement tendant à dire que l'absence d'instance au fond s'apprécie au jour du dépôt de la requête.
Il ne peut non plus être reproché au juge de ne pas avoir répondu aux autres moyens avancés par la société Home Financement relatifs au motif légitime de sa requête et au caractère légalement admissible de la mesure sollicitée puisque le seul motif retenu tiré de l'existence d'une instance au fond suffisait à motiver la rétractation ordonnée.
Il n'a en outre nullement retenu de motifs dubitatifs, le conditionnel ayant uniquement été utilisé dans la reprise des propos de la société Home Financement pour en déduire de manière affirmative un motif tiré du lien de connexité entre les 2 affaires.
Enfin, ce n'est pas par un motif de pure forme que le juge a rejeté la demande subsidiaire de la société Home Financement relativement à la prolongation du séquestre, puisque s'il fait référence à la jurisprudence de la Cour de cassation qui rappelle qu'une ordonnance rétractée est nulle et non avenue, il se fonde concrètement sur la rétractation qu'il a lui-même ordonné pour en déduire qu''elle ne peut laisser subsister les mesures d'instruction qui ont été pratiquée sur son fondement'.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient de rejeter l'exception de nullité de l'ordonnance pour défaut de motifs, soulevée par la société Home Financement.
- sur la mesure probatoire sollicitée sur requête par la société Home Financement :
La société Home Financement fait grief au premier juge d'avoir rétracté l'ordonnance du 17 novembre 2020 faisant droit à sa requête du 6 novembre 2020.
Elle soutient d'abord que la condition posée par l'article 145 du code de procédure civile tirée de l'absence d'instance au fond était satisfaite au jour de sa requête puisqu'à cette date, elle n'avait initié aucune autre procédure et n'avait formé dans le cadre de l'instance initiée par l'intimée devant le tribunal de commerce de Compiègne aucune demande reconventionnelle indemnitaire pour obtenir réparation de ses préjudices résultant de la violation par Mme Dos S. de la clause de non-concurrence et des actes de concurrence déloyale commis.
Elle ajoute que l'action au fond initiée par l'intimée porte sur des faits distincts puisqu'il s'agit d'une demande en paiement de commissions qui seraient encore dues à cette dernière et de réparation du préjudice causé par le non-paiement desdites commissions et l'impossibilité de travailler dans des conditions paisibles. Selon elle, Mme Dos S. a fait état dans son assignation des accusations de concurrence déloyale auxquelles elle était alors confrontée uniquement pour expliquer le contexte de la rupture à son initiative du contrat de mandataire, sans pour autant s'en servir de fondement pour une quelconque demande.
La société Home Financement fait également valoir que le fait qu'elle ait soi-disant attendu 16 mois pour déposer sa requête est sans incidence sur son bienfondé, l'article 145 n'imposant aucun délai pour agir.
S'agissant de la nécessité de déroger au contradictoire, l'appelante affirme que la requête est suffisamment 'éloquente' en ses pages 10 et 11 sur les circonstances et le motif légitime exigeant que la mesure probatoire qu'elle a sollicitée ne soit pas prise contradictoirement, invoquant en substance le risque de déperdition des preuves et le contexte de concurrence déloyale qui, en cas de débat, aurait incité l'auteur des agissements répréhensibles à dissimuler, voire à détruire les preuves.
Elle précise avoir découvert les agissements de concurrence déloyale au fil du temps après le départ de Mme Dos S. et avoir tenté de les faire cesser par voie amiable avant de solliciter la mesure probatoire, de sorte qu'il est selon elle mal venu de lui reprocher d'avoir attendu 18 mois pour agir.
Elle estime par ailleurs justifier d'un motif légitime à la mesure sollicitée, eu égard à la validité de la clause de non-concurrence insérée au contrat de mandataire ainsi que des actes illicites dénoncés, invoquant sur ce dernier point :
- les procès-verbaux établis à l'issue des saisies probatoires pratiquées en parallèle dans les locaux de la société JL Conseils (ses pièces 18 et 19),
- la lettre anonyme qu'elle a reçue le 9 janvier 2021 confirmant les relations d'affaires entre cette dernière et Mme Dos S., corroborée par l'attestation de M. B.,
- l'inscription de Mme Dos S. à l'ORIAS avec une activité déclarée au bénéfice de la société JL Conseils et les informations sur le site internet de celle-ci,
- les échanges de courriels effectués par Mme Dos S. sur sa boîte professionnelle au sein de la société JL Conseils.
Enfin, la société Home Financement considère que la mission confiée à l'huissier de justice par l'ordonnance sur requête est claire, précise et délimitée aux documents en lien avec les actes illicites commis par Mme Dos S., rappelant que le juge des requêtes a d'initiative restreint le périmètre de la mission.
Elle fait aussi valoir que l'huissier instrumentaire a exécuté la mesure en se conformant strictement à l'ordonnance, écartant les documents saisis sans lien avec les faits dénoncés ou susceptibles de porter atteinte à la confidentialité des échanges entre Mme Dos S. et son avocat ou encore au secret des affaires ou à sa vie privée. Elle précise que la loi ne fait pas obligation à l'huissier de faire signer le procès-verbal par le saisi.
En réponse, Mme Dos S. considère que le premier juge a parfaitement motivé sa décision de rétractation en retenant qu'il existait déjà une instance au fond en cours ayant un lien avec celle initiée par la société Home Financement.
Elle soutient que dans le cadre de son action devant le tribunal de commerce de Compiègne initiée avant le dépôt par l'appelante de sa requête, elle réclame, outre le paiement de commissions et des dommages et intérêts du fait de cette défaillance, l'indemnisation du préjudice que lui ont causé les accusations infondées de la société Home Financement dont elle fait état dans son assignation et ses conclusions au fond.
L'intimée fait observer que la société Home Financement a elle-même annoncé qu'elle sollicitera dans le cadre de cette autre affaire, à titre reconventionnel, la compensation entre lesdites sommes et celles qu'elle-même réclamera en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale, admettant ainsi la connexité entre les 2 instances.
Mme Dos S. dénonce par ailleurs l'absence de motivation de la nécessité de déroger au principe du contradictoire, soutenant que la société Home Financement procède par affirmation et sans preuve lorsqu'elle évoque les risques de déperdition des preuves.
Pour combattre la pertinence d'une telle motivation, elle met en avant le délai de 18 mois qui s'est écoulé entre la fin du contrat et le dépôt de la requête, et qui en théorie lui aurait permis de faire disparaître les preuves.
Selon elle, la société Home Financement a initié la présente affaire uniquement pour s'opposer à ses réclamations financières et échapper à ses responsabilités.
Mme Dos S. prétend également que la prétendue violation de la clause de non-concurrence et les actes de concurrence déloyales ne sont absolument pas démontrés à ce jour, eu égard à l'absence de valeur probante de la lettre anonyme et du contenu de l'attestation de M. B..
Elle affirme que les actes dénoncés ne sont en outre pas confirmés par les procès-verbaux établis lors de l'exécution de la mesure probatoire et la saisie de nombreux courriels.
L'intimée fait enfin valoir que la mission confiée à l'huissier de justice par le juge des requêtes est particulièrement large et générale, lui permettant de saisir 'tout ce qu'il désire', ce qui ne respecte pas les exigences d'une mesure d'instruction légalement admissible. Elle ajoute qu'elle n'a signé aucun procès-verbal de constat de sorte qu'elle ignore ce qui a été saisi.
Sur ce,
Le juge, saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile doit s'assurer de l'existence d'un motif légitime, au jour du dépôt de la requête initiale, à ordonner la mesure probatoire, des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement et de la nature légalement admissible de la mesure sollicitée.
* sur la motivation de la nécessité de déroger au contradictoire :
En application des articles 493 et 495 du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête rendue non contradictoirement doit être motivée de façon précise, le cas échéant par l'adoption des motifs de la requête, s'agissant des circonstances qui exigent que la mesure d'instruction sollicitée ne soit pas prise contradictoirement.
Le juge saisi d'une demande de rétractation ne peut suppléer la carence de la requête ou de l'ordonnance sur ce point et n'a pas à rechercher ces circonstances dans les pièces produites ou les déduire du contexte de l'affaire.
Il statue donc sur la seule motivation de la requête ou de l'ordonnance justifiant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, motivation qui doit s'opérer in concreto et ne peut pas consister en une formule de style.
En l'espèce, l'ordonnance rendue le 17 novembre 2020 a retenu que 'compte tenu des circonstances du litige, la mesure suppose une dérogation au principe du contradictoire', après avoir expressément adopté les motifs exposés dans la requête et les pièces qui y sont jointes.
Or, dans sa requête, la société Home Financement décrit de manière circonstanciée les agissements illicites qu'elle suspecte Mme Dos S. d'avoir commis et qui dit-elle, 's'inscrivent dans un contexte plus large d'actes de concurrence déloyale à son encontre', avant de rappeler les critères habituellement retenus par la jurisprudence pour déroger au principe du contradictoire, et de conclure aux termes de sa requête qu''au visa de la combinaison de ces textes, s'agissant de prouver et d'apprécier la réalité et l'ampleur des actes évoqués ci-dessus, la requérante est parfaitement légitime à solliciter une mesure d'instruction dérogeant au principe du contradictoire.'
Si ni la requête, ni l'ordonnance qui a fait suite, ne se sont expressément et de manière circonstanciée fondées sur un risque de déperdition des preuves pour justifier de la nécessité de ne pas appeler Mme Dos S. à la cause, elles ont en revanche toutes deux par les termes susvisés fait un renvoi explicite 'aux circonstances du litige' et à la nature des actes illicites suspectés et ce faisant au contexte de concurrence déloyale qui suffit à justifier qu'il soit dérogé au principe du contradictoire.
* sur la condition de recevabilité tirée de l'absence de procès en cours :
Dès lors que le juge du fond est saisi d'un litige dans lequel le demandeur à la mesure d'instruction est partie et qui apparaît identique dans son objet et sa cause à celui en vue duquel la demande d'instruction est sollicitée, le juge des référés n'a plus le pouvoir d'ordonner une mesure probatoire.
La recevabilité d'une demande fondée sur l'article 145 précité est conditionnée à l'absence d'instance au fond au jour de l'assignation en référé et non à la date à laquelle le juge statue.
Il est en l'espèce constant qu'au jour du dépôt de sa requête, à savoir le 9 novembre 2020, la société Home Financement avait déjà reçu par acte du 5 octobre 2020 l'assignation délivrée par Mme Dos S. dans le cadre de son action devant le tribunal de commerce de Compiègne.
Aux termes de cette assignation produite par les 2 parties (pièce 20 de l'appelante), Mme Dos S. sollicite :
- le paiement de commissions qu'elle détaille pour un montant total de 53 887,22 euros,
- le paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi.
En page 11 à 13 de son assignation, Mme Dos S. motive cette dernière demande indemnitaire en faisant état du fait que les commissions ne lui avaient pas été payées depuis le 31 juillet 2019, que par ailleurs, la société Home Financement ne lui aurait pas permis de travailler « dans des conditions paisibles' en lui interdisant l'accès à sa messagerie professionnelle et au logiciel depuis le 26 juillet 2019 et qu'en outre, l'appelante se serait permise de 'porter des accusations graves et mensongères » à son encontre en lui reprochant une usurpation d'identité d'un de ses collaborateurs et ce faisant une utilisation frauduleuse du logiciel en dépit de la coupure de son accès, un manque de professionnalisme et enfin « de ne pas respecter la clause de non-concurrence » qu'elle affirme avoir toujours « scrupuleusement » respectée.
Or, dans sa requête, la société Home Financement justifie sa demande de mesures probatoire in futurum par sa volonté d'établir la preuve de la violation par Mme Dos S. de sa clause de non-concurrence en travaillant pour un mandant concurrent mais également celle des actes de concurrence déloyale que l'intimée aurait commis, à savoir (pages 6 à 8 de sa requête) :
- avoir tenté de détourner ses clients,
- avoir utilisé frauduleusement les informations confidentielles au profit de son mandant concurrent notamment pour établir des simulations de prêts,
- avoir supprimé sciemment des données clients dans sa base de données,
- avoir tenté de débaucher des collaborateurs,
- avoir créé une confusion à travers sa fiche d'inscription à l'ORIAS dans le but de faire croire à ses clients qu'elle intervenait encore pour son compte.
Ces différents griefs dont la société Home Financement entend établir la preuve vont manifestement bien au-delà de la simple intention de s'opposer à la demande indemnitaire de Mme Dos S. qui au demeurant se fonde sur des motifs majoritairement sans lien avec la question de la violation de la clause de non-concurrence, de sorte que même à supposer ces actions connexes, il ne peut en revanche être retenu que le futur litige en germe envisagé par la société Home Financement a un objet et une cause identiques à l'instance au fond initiée par Mme Dos S..
En outre, si la société Home Financement a fait part en première instance de son intention de présenter à terme devant le juge du fond une demande reconventionnelle de condamnation de Mme Dos S. du fait des actes illicites allégués, il est acquis aux débats qu'une telle demande n'avait pas encore été formalisée au jour où la société Home Financement a déposé sa requête, de sorte qu'il ne peut être retenu qu'elle avait à cette date déjà saisi le juge du fond d'une prétention en vue de laquelle la mesure d'instruction a été sollicitée.
Pour l'ensemble de ces raisons, le moyen de rétractation tiré de l'existence d'une instance au fond ne peut prospérer.
* sur l'existence d'un motif légitime :
L'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile rappelées plus haut suppose que soit constaté qu'il existe un procès 'en germe' possible, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui.
Il sera également rappelé qu'il appartient au requérant de justifier de ce que sa requête était fondée, et non au demandeur à la rétractation de rapporter la preuve qu'elle ne l'est pas.
Le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer l'existence des faits qu'il invoque au soutien de sa demande de mesure in futurum puisque celle-ci est destinée à les établir, l'application de l'article 145 du code de procédure civile n'impliquant aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé.
Il lui incombe simplement de justifier d'éléments rendant crédibles les griefs allégués, étant précisé que l'existence du motif légitime s'apprécie à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête initiale et de ceux produits ultérieurement devant le juge des référés et la cour à sa suite.
Il est acquis aux débats que Mme Dos S. était soumise en exécution du contrat de mandataire la liant à la société Home Financement à une interdiction de représenter les produits et services d'une entreprise concurrente pendant la durée du contrat (clause 1), à une obligation de loyauté et de non-concurrence pendant un délai de 2 ans après la cessation du contrat (...) et dans un rayon de 20 km autour de l'agence de Gouvieux' (clause 5.1) ainsi qu'à une obligation de confidentialité (clause 5.2).
Il est également constant que Mme Dos S. a mis unilatéralement fin au contrat par son courrier du 2 juillet 2019 à effet au 5 août 2019 (pièce 6 de la société Home Financement).
Il sera dès à présent rappelé que sont sans incidence sur l'appréciation de l'existence d'un motif légitime, les résultats de l'exécution des mesures sollicitées par la requérante. Sont ainsi inopérants les éléments de preuve ou moyens avancés par chacune des parties ayant comme support les résultats de la mesure probatoire ordonnée le 17 novembre 2020 (pièce 31 de la société Home Financement).
Il ne pourra pas non plus être tenu compte pour apprécier l'existence du motif légitime des éléments saisis dans les locaux de la société JL Conseils en exécution de l'ordonnance du 16 novembre 2020 rendue par le juge des requêtes du tribunal de commerce de Compiègne (pièces 18 et 19 de la société Home Financement), dès lors que la validité de cette décision et donc des pièces avancées comme preuve, est actuellement débattue dans le cadre de l'instance en rétractation toujours en cours.
Toutefois, même en faisant abstraction de ces pièces 18, 19 et 31 ainsi que de la lettre anonyme que la société Home Financement produit en pièce 28, cette dernière avait joint à sa requête des éléments suffisants pour accréditer ses soupçons, qu'elle produit à nouveau dans le cadre du présent litige, à savoir :
- la fiche d'inscription de Mme Dos S. à l'ORIAS actualisée au 15 septembre 2020, soit un an après la fin du contrat, sur laquelle sont indiquées comme mandants, la société Home Financement avec laquelle elle ne travaille pourtant plus mais également la société JL Conseils alors que la clause de non-concurrence est toujours en vigueur (sa pièce 4),
- une copie d'écran de pages du site internet de la société JL Conseils éditée le 7 octobre 2020, comprenant une présentation de son équipe dans laquelle figure Mme Dos S. en tant que conseiller financier mandataire pour l'agence de Chambly qui se situe à moins de 14 km du siège social de la société Home Financement (sa pièce 10),
- un courriel du 10 septembre 2019 de Mme B. (UCI France) signalant la proposition faite par Mme Dos S. à des clients de la société Home Financement, M. et Mme L., d'une simulation de financement au nom de la société JL Conseils (sa pièce11),
- des courriels de Mme Dos S. à partir d'une adresse de messagerie « jlconseils.fr » datés d'octobre 2019 relatifs à une opération de financement d'une construction (dossier de M. et Mme H.) (sa pièce 12),
- un extrait de publication sur les réseaux sociaux faite par Mme Dos S. le 18 octobre 2019 pour le compte de la société JL Conseils (sa pièce 13),
- un extrait de courriel adressé par Mme Dos S. à un ancien de ses collègues, M. Genji T., pour l'inciter à travailler avec une agence immobilière avec laquelle l'appelante ne travaille pas (sa pièce 14).
Ces pièces dont il sera observé que le contenu n'est pas critiqué par Mme Dos S., sont suffisantes pour rendre crédibles les soupçons de la société Home Financement concernant la commission par l'intimée d'actes de concurrence déloyale et la violation de la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de mandataire la liant à l'appelante, dans la mesure où elles tendent à corroborer l'exécution d'un mandat par Mme Dos S. au profit d'une société concurrente dès septembre 2019, la tentative de débauchage d'ancien collaborateur de la société Home Financement et le détournement de clients de cette dernière.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, la société Home Financement justifie d'un motif légitime à établir la preuve des griefs allégués en vue d'un futur procès au fond.
Aucun moyen de rétractation ne peut donc être retenu de ce chef.
* sur la nature et le périmètre de la mesure ordonnée :
Au sens de l'article 145, les mesures légalement admissibles sont celles prévues par les articles 232 à 284-1 du code de procédure civile. Elles ne doivent pas porter une atteinte disproportionnée aux intérêts légitimes du défendeur.
Le secret des affaires, de même que le secret des correspondances et le respect de la vie privée, ne constitue pas en soi un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que les mesures ordonnées procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées.
Enfin, le juge de la rétractation peut modifier la mission en la complétant ou l'amendant afin qu'elle soit limitée dans son étendue et dans le temps, conformément aux articles 149 et 497 du code de procédure civile.
Contrairement à ce que soutient Mme Dos S., la mission confiée par le juge des requêtes à l'huissier instrumentaire n'apparaît ni trop large, ni générale.
En effet, la recherche porte sur les documents et fichiers concernant des 'démarchages, proposition, prestation et facturation' effectuées par Mme Dos S. en son nom personnel ou au nom de la société JL Conseils à l'égard de clients ou d'apporteurs d'affaires faisant partie de la liste remise par la société Home Financement à l'huissier de justice, de sorte qu'elle est bien circonscrite aux éléments en lien avec les faits dénoncés.
En outre, concernant la recherche des prestations accomplies par Mme Dos S. au profit de la société JL Conseils en violation de la clause de non-concurrence, elle est circonscrite dans le temps aux pièces postérieures au 1er juin 2019, date contemporaine à la résiliation par Mme Dos S. de son contrat de mandataire auprès de la société Home Financement.
S'agissant des courriels, la recherche cible exclusivement ceux en rapport avec l'activité de concurrence déloyale dénoncée.
Sont par ailleurs expressément exclus les documents, mentions et informations personnelles ou confidentielles qui ne présentent aucun lien avec le litige ainsi que les échanges confidentiels avec l'avocat de Mme Dos S..
Etant relevé que cette dernière ne développe aucune argumentation concrète pour expliquer en quoi le contenu de la mesure d'instruction serait trop générale, il ressort des éléments susvisés qu'elle apparaît au contraire suffisamment précise et circonscrite aux faits dénoncés.
Enfin, il sera rappelé qu'il n'est pas fait obligation à l'huissier de justice de faire signer son procès-verbal par la personne saisie.
Aucun moyen de rétractation tiré du caractère non légalement admissible de la mesure ne peut donc être retenu.
Pour l'ensemble de ces motifs, il convient d'infirmer l'ordonnance critiquée en ce qu'elle a ordonné la rétractation de l'ordonnance sur requête du 17 novembre 2020.
Etant relevé que Mme Dos S. n'allègue d'aucun risque d'atteinte au secret des affaires qui justifierait la mise en œuvre de la procédure prévue les articles R.153-1 et suivants du code de commerce, il y a lieu d'ordonner la mainlevée totale du séquestre provisoire ayant fait suite à l'exécution de l'ordonnance sur requête du 17 novembre 2020 au profit de la société Home Financement.
- sur les demandes accessoires :
La société Home Financement étant accueillie en son recours, l'ordonnance sera infirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.
Partie perdante, Mme Dos S. ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.
Il est en outre inéquitable de laisser à la société Home Financement la charge des frais irrépétibles. Mme Dos S. sera en conséquence condamnée à lui verser une somme globale de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire,
DIT que l'exception d'incompétence soulevée par la société Home Financement est devenue sans objet ;
REJETTE l'exception de nullité de l'ordonnance critiquée soulevée par la société Home Financement ;
INFIRME l'ordonnance entreprise en date du 25 février 2021 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
DÉBOUTE Mme Sandra Dos S. de sa demande de rétractation de l'ordonnance sur requête rendue le 17 novembre 2020 ;
ORDONNE en conséquence la mainlevée totale du séquestre provisoire faisant suite à l'exécution de l'ordonnance sur requête du 17 novembre 2020, au profit de la société Home Financement ;
CONDAMNE Mme Sandra Dos S. à payer à la société Home Financement une somme globale de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;
DIT que Mme Sandra Dos S. supportera les dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par Madame Nicolette GUILLAUME, Président et par Madame Elisabeth TODINI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,
Décision(s) antérieure(s)
• Tribunal de Commerce PONTOISE 25 Février 2021 2021R013