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Décisions

Cass. 3e civ., 13 octobre 2021, n° 19-18.123

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Défendeur :

Vendôme bureaux (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Rapporteur :

M. David

Avocats :

SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Alain Bénabent

Paris, pôle 5 ch. 3, du 6 févr. 2019

6 février 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 février 2019), le 31 mars 1995, la société Compagnie foncière Matignon, aux droits de laquelle se trouve la SCI Vendôme bureaux (la SCI), a donné en location à la société Galerie [Q] [L] (la galerie [L]) des locaux à usage de « commerce d'objets d'art y compris meubles anciens » [Adresse 7].

2. Après avoir, le 22 juillet 2004, signifié à la preneuse un refus de renouvellement du bail pour motifs graves et légitimes, la bailleresse a, le 9 juin 2005, fait usage de son droit de repentir.

3. La galerie [L] ayant quitté les lieux loués le 5 juillet 2005, un jugement du 27 mars 2007 a prononcé la nullité du droit de repentir, validé le refus de renouvellement en disant qu'il ouvrait droit au paiement d'une indemnité d'éviction et ordonné une expertise à l'effet de déterminer le montant de l'indemnité d'éviction et celui de l'indemnité d'occupation due à compter du 1er juillet 2004 jusqu'au 5 juillet 2005.

4. Après dépôt du rapport d'expertise le 5 décembre 2013, la galerie [L] a sollicité la condamnation de la SCI à lui payer une indemnité principale d'éviction égale à la valeur marchande de son fonds.

Examen des moyens

Sur les premiers, troisième et quatrième moyens, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

6. La galerie [L] fait grief à l'arrêt de limiter à 1 590 000 euros le montant de l'indemnité d'éviction, alors :

1°) que la société Galerie [Q] [L] faisait valoir en appel que la prospection à l'étranger était destinée à lui permettre de réaliser des expositions au [Adresse 1] et d'attirer ainsi la clientèle dans ces locaux, que l'édition d'ouvrages d'Art, se traduisait par le fait, selon l'expert judiciaire lui-même, que « Chaque exposition était accompagnée de la publication d'un catalogue réalisé en interne et divers autres supports (invitations, dossiers presse, cartes postales et marque-page) »,

« ces catalogues et autres supports (étant) distribués gratuitement aux invités des vernissages et aux visiteurs de marque », et enfin que l'événementiel, c'est-à-dire l'organisation d'expositions et de conférences, avait lieu principalement dans les locaux du [Adresse 1], la salle d'exposition du [Adresse 1] ayant ainsi constitué le vecteur de son entière activité ; que la cour d'appel, qui a laissé ces conclusions sans réponse, a déduit de ce que la société Galerie [Q] [L] avait exercé dans les locaux du [Adresse 1] une grande variété d'activités dont une partie s'effectuait en dehors des lieux loués, que la société pouvait donc, sans dommages, continuer à exercer ailleurs ; qu'elle a ainsi méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile, 

2°) que, partant et faute d'avoir recherché, comme la société Galerie [Q] [L] le lui demandait expressément, si la salle d'exposition du [Adresse 1] n'avait pas constitué le lieu essentiel des expositions qu'elle organisait et le vecteur de son entière activité, la prospection à l'étranger n'étant destinée qu'à lui permettre d'y réaliser des expositions et d'y attirer ainsi la clientèle et l'édition d'ouvrages d'art n'intervenant que pour ou à l'occasion des expositions qui y avaient lieu, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-14 du code de commerce, 

3°) que la société Galerie [Q] [L] faisait valoir en appel qu'elle avait activement mais vainement recherché un lieu de substitution ; que la société Vendôme Bureaux, du groupe Axa, n'avait jamais été en mesure de lui en proposer un qu'en perdant son lieu d'exposition et les réserves y attachées, elle avait perdu sa clientèle, soit sa "clientèle" d'artistes internationaux de renom, lesquels n'étaient fidélisés que par l'existence d'un lieu, situé dans le secteur prestigieux du Triangle d'Or de [Localité 4], où leurs oeuvres étaient présentées de manière continuelle, et promues à l'occasion d'expositions, et, par voie de conséquence et faute également d'un espace d'accueil, sa clientèle d'acquéreurs d'oeuvres d'art ; et qu'ainsi, son activité antérieure, qui était principalement fondée sur la recherche et le recrutement d'artistes contemporains, fidélisés par l'existence d'un lieu où leurs oeuvres pouvaient être présentées de manière continuelle et la possibilité d'en assurer la promotion à l'occasion d'expositions qui s'accompagnaient d'une importante activité éditoriale et événementielle basée sur la communication, est définitivement arrêtée depuis son éviction, de sorte qu'elle a dû se tourner vers des activités entièrement nouvelles ; que la cour d'appel, qui a laissé ces conclusions sans réponse, a déduit de ce que la société Galerie [Q] [L] avait exercé dans les locaux du [Adresse 1] une grande variété d'activités dont une partie s'effectuait en dehors des lieux loués, que la société pouvait donc, sans dommages, continuer à exercer ailleurs ; qu'elle a ainsi derechef méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile, 

4°) que, partant la société Galerie [Q] [L] faisait expressément valoir qu'elle avait été dans l'impossibilité de trouver un lieu de substitution aux locaux du [Adresse 1] que, faute d'un local d'exposition, elle avait perdu sa "clientèle" d'artistes internationaux de renom et, par voie de conséquence et faute également d'un espace d'accueil, sa clientèle d'acquéreurs d'oeuvres d'art, ce qui l'avait contrainte à abandonner son activité antérieure, principalement fondée sur la recherche et le recrutement d'artistes contemporains, fidélisés par l'existence d'un lieu où leurs oeuvres pouvaient être présentées de manière continuelle et la possibilité d'en assurer la promotion à l'occasion d'expositions qui s'accompagnaient d'une importante activité éditoriale et événementielle basée sur la communication, et à se tourner vers des activités entièrement nouvelles ; que faute d'avoir procédé à la recherche qui lui était ainsi demandée, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-14 du code de commerce, 

5°) que, par ailleurs, la cour d'appel, pour retenir l'hypothèse d'un transfert du fonds de commerce, a fait état d'un transfert du siège social, des salariés et de quelques oeuvres d'art dans l'appartement occupé par M. [Q] [L] au [Adresse 4], sans répondre aux conclusions par lesquelles la société Galerie [Q] [L] faisait valoir que le domicile de M. [L] sis [Adresse 4] ne répond nullement aux critères minima requis pour exploiter une galerie d'art, puisqu'il ne peut accueillir d'expositions ni permettre de recevoir des clients et que par voie de conséquence, seules y sont réalisées des tâches administratives, de gestion et logistiques, dans des conditions de surcroît particulièrement difficiles ; qu'elle a ainsi, une fois de plus, méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile

6°)  que, également, la cour d'appel, pour retenir l'hypothèse d'un transfert du fonds de commerce, a retenu que la société bailleresse soutient sans être utilement démentie par la société locataire que celle-ci appartient à un ensemble de cinq entités juridiques exerçant sur cinq sites dont M. [Q] [L] serait l'animateur et l'un des principaux associés ; que, faute d'avoir précisé l'objet social et l'activité de ces prétendues sociétés, ainsi que les liens autres que la participation de M. [L] qu'elles entretiendraient avec la société Galerie [Q] [L], la cour d'appel a statué par un motif inopérant et, par suite, privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-14 du code de commerce, 

7°) que, en outre, la cour d'appel, pour retenir l'hypothèse d'un transfert du fonds de commerce, a fait état d'un déménagement des oeuvres d'art se trouvant dans les réserves en sous-sol de l'[Adresse 7] dans des locaux sis à [Localité 1], appartenant à M. [L] et que la société Galerie [Q] [L] a fait sécuriser que faute d'avoir précisé si ce local dont il est constant qu'il est à usage d'habitation était de nature à permettre à la société Galerie [Q] [L] de conserver son ancienne clientèle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-14 du code de commerce ;

8°) que, de surcroît, la cour d'appel, pour retenir l'hypothèse d'un transfert du fonds de commerce, a fait état d'un transfert du siège social, des salariés et de quelques oeuvres d'art dans l'appartement occupé par M. [Q] [L] au [Adresse 4], mais également d'un déménagement des oeuvres d'art se trouvant dans les réserves en sous-sol de l'[Adresse 7] dans des locaux sis à [Localité 1], appartenant à M. [L] et que la société Galerie [Q] [L] a fait sécuriser, et encore d'un ensemble de cinq entités juridiques exerçant sur cinq sites dont M. [Q] [L] serait l'animateur et l'un des principaux associés ; que faute d'avoir précisé vers lequel des sites en cause aurait eu lieu le prétendu transfert du fonds de commerce et faute, en définitive, d'avoir caractérisé ce prétendu transfert dudit fonds de commerce plutôt que l'absence de disparition dudit fonds, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 145-14 du code de commerce ;

9°) que, enfin, le bailleur qui refuse le renouvellement du bail doit payer au locataire évincé une indemnité égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement ; que cette indemnité d'éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre ; qu'en se prononçant en faveur d'un transfert du fonds de commerce au motif essentiel que « la locataire n'a pas produit à l'expert et au sapiteur les pièces nécessaires pour déterminer la consistance du fonds et son éventuelle disparition, compte tenu de la poursuite des activités de la société et de l'augmentation constante de son chiffre d'affaires, de l'absence de licenciement de ses salariés », la cour d'appel a fait peser la charge de la preuve sur la société preneuse, inversant ainsi la présomption de perte du fonds de commerce posée par l'article L. 145-14 du code de commerce, qu'elle a donc violé. »

Réponse de la Cour

7. La cour d'appel a relevé qu'à la suite de son départ des lieux, la société locataire avait, d'une part, transféré son siège dans l'appartement parisien de son dirigeant qu'elle avait fait réaménager afin de pouvoir y accueillir ses salariés, des équipements informatiques et quelques oeuvres d'art, d'autre part, fait déménager des oeuvres d'art se trouvant dans les réserves en sous-sol de l'[Adresse 7] dans des locaux sis au Muy, également propriété de son dirigeant, qu'elle avait fait sécuriser.

8. Elle a encore relevé que la locataire n'avait pas communiqué à l'expert les pièces nécessaires à la détermination de la consistance du fonds et de son éventuelle disparition, compte tenu de la poursuite des activités de la galerie [L], de l'augmentation constante de son chiffre d'affaires, de l'absence de licenciement de ses salariés et de ce que, décrivant ses propres activités, elle avait reconnu qu'une partie de celles-ci s'effectuait en dehors des lieux loués.

9. Au regard de ces énonciations, la cour d'appel, qui n'était tenue ni de suivre la preneuse dans le détail de son argumentation ni de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a, sans inverser la charge de la preuve et abstraction faite de motifs surabondants, retenu souverainement qu'en dépit de la perte d'un lieu fixe d'expositions au coeur d'un quartier parisien où étaient implantées d'autres galeries d'art, le fonds de commerce exploité dans les lieux loués, étroitement lié à la personnalité de M. [Q] [L], mondialement connu dans le domaine de l'art, n'avait pas disparu avec l'éviction mais avait été transféré, de sorte que l'indemnité d'éviction devait être calculée par rapport à la valeur du droit au bail.

10. Elle a donc légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.