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Décisions

CA Metz, ch. des urgences, 18 novembre 2021, n° 20/02179

METZ

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mazda Automobiles France (SAS)

Défendeur :

Delta Car Trade (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Flores

Conseillers :

Mme Bironneau, Mme Devignot

Avocats :

Me Roulleaux, Me Missakian, Me Monchamps, Me Mihailov

TGI Metz, prés., du 6 mai 2019

6 mai 2019

EXPOSE DU LITIGE

La SAS Mazda Automobiles France (ci-après dénommée la société Mazda) importe en France les véhicules de la marque Mazda qu'elle distribue au travers d'un réseau de revendeurs agréés, dont les membres ont l'interdiction de vendre des véhicules neufs à des revendeurs hors réseau.

La société anonyme de droit suisse Delta Car Trade (ci-après dénommée la société Delta Car Trade) est un intermédiaire de l'automobile, à savoir une entreprise qui acquiert des véhicules dans différents États membres de l'Union européenne en vertu des mandats qui lui sont délivrés par les utilisateurs finaux. Elle a notamment pour partenaire la SARL Est Autos, garagiste indépendant situé à Talange en Moselle.

Par requête déposée au greffe le 25 mars 2019 sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la société Mazda a demandé au président de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz l'autorisation d'effectuer un constat au sein des locaux du garage Est Autos afin notamment, d'identifier grâce à leurs numéros de châssis tous les véhicules de marque Mazda présents, de prendre copie de toutes les factures d'achat des véhicules de cette marque et copie des éventuels mandats.

S'appuyant sur un procès-verbal de constat du 8 mars 2019 portant sur trois sites internet édités par la société Delta Car Trade, la société Mazda faisait en effet grief à cette dernière de pratiquer une concurrence déloyale et de se livrer à des actes constitutifs de tierce complicité de l'interdiction de revente hors réseau qui pèse sur les distributeurs agréés.

Le 26 mars 2019, la juridiction a demandé à la société Mazda de produire un extrait K bis de la société Delta Car Trade, établissement de Talange.

La société Mazda a remis au greffe les extraits K bis de la société Delta Car Trade et de la SARL Est Auto.

Par ordonnance sur requête du 6 mai 2019, le président de la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz a :

- désigné la SELARL Acta Pierson et associés, huissiers de justice, <adresse>, avec pour mission de se rendre sur place au garage de la SARL Est Autos, <adresse>, procéder sur place, audit garage de la SARL Est Autos, au relevé des numéros de châssis, des numéros d'immatriculation éventuels ainsi qu'au relevé du kilométrage exact de tous les véhicules de la marque Mazda présents, constater, décrire et photographier tous les supports d'identification se rapportant à et/ou reproduisant le logo ou le nom Mazda, qu'ils soient à l'intérieur ou à l'extérieur des locaux, prendre une copie de toutes les factures d'achat par la société de droit suisse Delta Car Trade et/ou le garage de la SARL Est Autos de tous les véhicules de marque Mazda et copie de toutes factures de vente éventuelles de véhicules de marque Mazda par leurs soins à des clients (personnes physiques ou morales) intermédiaires ou finaux, prendre une copie des mandats d'achat régularisés le cas échéant par des clients finaux de la société de droit suisse Delta Car Trade et/ou du garage de la SARL Est Autos relatifs à la recherche en vue de l'achat de véhicules neufs de marque Mazda,

- autorisé l'huissier instrumentaire à se faire assister pour l'aider dans sa description par tout homme de l'art et/ou expert, notamment informatique, dont il enregistrera les explications en distinguant nettement dans les énonciations du procès-verbal, celles résultant de ses constatations et celles qui sont dictées par l'homme de l'art et/ou expert qui l'assiste,

- autorisé l'huissier instrumentaire à consigner les déclarations des répondants et toutes paroles prononcées au cours des opérations, mais en s'abstenant de toute interpellation autre que celles nécessaires à l'accomplissement de sa mission,

- autorisé l'huissier instrumentaire à décrire et au besoin à copier, photocopier, tous documents et prendre tous clichés démontrant la réalité de la commercialisation par la société la société de droit suisse Delta Car Trade de véhicules Mazda neufs,

- dit que la présente ordonnance sera signifiée aux tiers le jour où la mesure sera pratiquée,

- dit qu'il lui en sera référé en cas de difficulté.

Le procès-verbal de constat a été dressé par Maître Joseph Tallarico, huissier de justice, le 29 mai 2019.

Par courrier du 3 juillet 2019, la société Mazda a mis en en demeure la société Delta Car Trade de lui fournir toutes explications et justificatifs utiles concernant le véhicule de marque Mazda acquis par M. A selon facture du 19 décembre 2017 et mentionné par Maître Tallarico dans son procès-verbal de constat.

Par acte d'huissier du 26 août 2019, remis à personne habilitée, la société Delta Car Trade a assigné la société Mazda devant le président de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Metz statuant en référé, aux fins de faire rétracter l'ordonnance prononcée le 6 mai 2019, faire ordonner la destruction des documents saisis dans le cadre des opérations de constat et faire interdiction à la société Mazda de faire quelque usage que ce soit des informations ainsi recueillies ou de s'en prévaloir de quelque façon que ce soit et faire condamner la société Mazda au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens.

Par conclusions du 11 février 2020, la société Mazda a principalement demandé à la juridiction de première instance de prononcer l'irrecevabilité des demandes de la société Delta Car Trade pour défaut de qualité à agir et subsidiairement au fond, de débouter la société Delta Car Trade de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'égard de la société Mazda.

Par conclusions du 10 mars 2020, la société Delta Car Trade a maintenu ses demandes initiales et a demandé à la juridiction de débouter la société Mazda de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Par ordonnance de référé du 17 novembre 2020, le président de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Metz a :

- déclaré recevable la demande formulée par la société de droit suisse Delta Car Trade,

- ordonné la rétractation de l'ordonnance sur requête du 6 mai 2019,

- ordonné la destruction des documents saisis dans le cadre des opérations de constat et fait interdiction à la SAS Mazda Automobiles France de faire quelque usage que ce soit des informations ainsi recueillies ou de s'en prévaloir de quelque façon que ce soit,

- condamné la SAS Mazda Automobiles France au paiement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS Mazda Automobiles France aux dépens.

Pour se déterminer ainsi, la juridiction a considéré que la société Delta Car Trade a qualité à agir selon les articles 122 et 496 alinéa 2 du code de procédure civile, en ce que sa responsabilité était susceptible d'être mise en cause au fond.

Sur le fond et au visa notamment du constat d'huissier du 8 mars 2019 produit à l'appui de la requête, le juge des référés a considéré que la société Mazda ne justifiait pas à l'époque de la saisine du juge des requêtes et ne justifie toujours pas dans le cadre de la demande de rétractation d'un intérêt légitime à obtenir la désignation d'un huissier aux fins de procéder aux constatations énoncées dans l'ordonnance du 9 mai 2019.

Par déclaration au greffe de la cour d'appel de Metz du 27 novembre 2020, la société Mazda a interjeté appel de cette décision aux fins d'annulation et subsidiairement d'infirmation de l'ordonnance de référé du 17 novembre 2020 en ce qu'elle a :

- dit que la SAS Mazda Automobiles France ne justifie pas d'un intérêt ni d'un motif légitime pour avoir sollicité la requête à fin de constat,

- déclaré bien fondée la demande de la société de droit suisse Delta Car Trade,

- ordonné en conséquence la rétractation de l'ordonnance sur requête du 6 mai 2019,

- ordonné la destruction des documents saisis dans le cadre des opérations de constat et fait interdiction à la SAS Mazda Automobiles France de faire quelque usage que ce soit des informations ainsi recueillies ou de s'en prévaloir de quelque façon que ce soit,

- condamné la SAS Mazda Automobiles France au paiement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens,

- débouté la SAS Mazda Automobiles France de sa demande tendant à la condamnation de la société de droit suisse Delta Car Trade aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions du 20 septembre 2021, la SAS Mazda Automobiles France demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance de référé du 17 novembre 2020 en particulier en ce qu'elle a ordonné la rétractation de l'ordonnance sur requête du 6 mai 2019 et la destruction des documents saisis dans le cadre des opérations de constat, ainsi qu'en ce qu'elle a fait interdiction à la SAS Mazda Automobiles France de faire quelque usage que ce soit des informations ainsi recueillies ou de s'en prévaloir de quelque façon que ce soit, en ce qu'elle a condamné la SAS Mazda Automobiles France à payer à la société de droit suisse Delta Car Trade la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'elle a condamné la SAS Mazda Automobiles France aux entiers dépens ;

Statuant à nouveau,

- dire et juger que la SAS Mazda Automobiles France justifie d'un motif légitime pour avoir sollicité la requête à fin de constat ;

- dire et juger que la SAS Mazda Automobiles France a justifié de la dérogation au principe de la contradiction ;

- dire et juger que les mesures d'instruction sollicitées dans l'ordonnance du 6 mai 2019 sont légalement admissibles ;

- débouter la société de droit suisse Delta Car Trade de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'égard de la SAS Mazda Automobiles France ;

- condamner la société de droit suisse Delta Car Trade à verser à la SAS Mazda Automobiles France la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société de droit suisse Delta Car Trade aux entiers dépens.

Sur l'existence d'un motif légitime justifiant sa requête à fin de constat déposée le 25 mars 2019, la société Mazda rappelle qu'un litige potentiel entre les parties ne pouvait être exclu, dans la mesure où à la date de cette requête, il existait un doute quant à la violation par la société Delta Car Trade de l'interdiction de la revente hors réseau ainsi que du principe de la concurrence loyale, consacrés par les articles L. 442-2 du code de commerce et 1240 du code civil ainsi que par le règlement (UE) n° 461/2010 de la Commission du 27 mai 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile.

Elle relève qu'au regard de ces normes, l'activité de mandataire est légale, mais aussi cumulable avec une activité de négociant, de sorte qu'il incombait à la société Delta Car Trade de prouver qu'elle exerçait son activité de mandataire de manière habituelle. Elle soutient que cette dernière n'a ni rapporté explicitement la preuve de sa qualité d'intermédiaire à l'appui de contrats de mandat, ni justifié de l'origine licite des véhicules neufs de la marque Mazda proposés à la vente sur son site internet. Elle souligne que la description de l'activité de la société Delta Car Trade évoquée dans son extrait K Bis, soit une « activité de distribution de véhicules neufs et d'occasion » était équivoque, de sorte qu'il existait une ambivalence concrète sur la nature de son activité réelle et de sa licéité. En outre, elle ajoute que les copies d'écran du site internet « multimarque.fr », invoquées par la société Delta Car Trade corroborent ce doute, en ce qu'elles font l'objet de nombreuses mentions contradictoires et équivoques telles que « vente par mandat », « vente de véhicules », « stock » et font défaut de date certaine.

En parallèle, la société Mazda note que le lien d'approvisionnement entre la société Delta Car Trade et sa filiale la SAS Delta Automotive Europe est équivoque, en ce que cette dernière posséderait un stock de véhicules neufs de la marque Mazda, qu'elle revendrait à la société Delta Car Trade sous couvert de mandats, celle-ci n'ayant finalement pas la qualité de mandataire mais de mandant de la SARL Est Autos, comme l'expose la facture d'achat recueillie à l'occasion du procès-verbal de constat du 29 mai 2019. Elle souligne également que les mentions du s i te internet « www.estautos/multimarque. fr » n'expliquaient pas clairement le lien juridique existant entre la société Delta Car Trade et la SARL Est Autos.

Par ailleurs, la société Mazda affirme que la société Delta Car Trade ne rapporte pas la preuve qu'elle ne possédait ni d'entrepôt ou de local commercial aux fins de stockage de véhicules.

Sur l'absence de violation du principe du contradictoire, la société Mazda soutient que la mesure d'instruction dirigée à l'encontre de la SARL Est Autos était nécessaire et proportionnée, en ce qu'elle a permis de pallier le risque de dépérissement de potentielles preuves de l'activité de revente hors réseau de la société Delta Car Trade, car celle-ci aurait pu déplacer ses stocks ou ses documents administratifs et comptables. De surcroît, elle rappelle que la procédure de rétractation de l'ordonnance tend justement au rétablissement du principe du contradictoire, car le juge apprécie le motif légitime de la mesure d'instruction au jour du dépôt de la requête initiale à fin de constat, et ce à la lumière des éléments de preuve produits à son appui et de ceux produits ultérieurement.

Sur l'admissibilité de la mesure d'instruction sollicitée, la société Mazda relève qu'au vu du doute concernant la qualité de mandataire de la société Delta Car Trade et du caractère équivoque de ses relations avec les autres sociétés intervenantes, il aurait été complexe de prouver l'illicéité du fonctionnement de la structure d'approvisionnement sans le constat. Dès lors, la mesure d'instruction diligentée contre la SARL Est Autos était nécessaire, en ce qu'elle a permis de découvrir qu'il s'agissait d'une entité juridique propre. L'appelante soutient qu'en tout état de cause, il y avait lieu de déterminer si des reventes hors réseau avaient été opérées grâce à son aide par la société Delta Car Trade. De ce fait, elle souligne que l'atteinte au respect de la vie privée de la SARL Est Autos par l'obtention de ses factures était proportionnée au vu des enjeux concurrentiels susceptibles d'impacter la société Mazda et son réseau de distribution agréé.

Par conclusions du 17 mai 2021, la société Delta Car Trade demande à la cour de :

- débouter la SAS Mazda Automobiles France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 17 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Metz,

- condamner la SAS Mazda Automobiles France au paiement d'une somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens de première instance et d'appel.

Sur l'absence de motif légitime justifiant la requête à fin de constat du 22 mars 2019, la société Delta Car Trade soutient qu'elle n'agit pas ès qualités de négociant, c'est-à-dire de revendeur hors réseau, mais en tant qu'intermédiaire exerçant à titre habituel l'activité d'achat de véhicules neufs de la marque Mazda pour le compte d'utilisateurs finaux. Elle assure qu'elle a toujours fait mention de sa qualité d'intermédiaire de manière explicite sur son site internet « multimarque.fr », et qu'elle ne dispose ni d'un local commercial, ni d'un stock de véhicule X, y compris au sein du garage de la SARL Est Autos, ces éléments étant pourtant nécessaires à l'exercice d'une activité de négociant. Enfin, elle précise que la SAS Delta Automotive Europe n'a également pas la qualité de négociant et que cette société s'occupe uniquement du financement des ventes.

La société Delta Car Trade détaille le cadre légal et réglementaire de son activité au regard des lignes directrices supplémentaires 2010/C 138/05 émises par la commission européenne le 28 mai 2010, disposant que les accords de distribution n'ont pas pour objet de restreindre le commerce parallèle et qu'au contraire, les activités d'intermédiaires ne font pas obstacle aux effets de l'interdiction de la revente hors réseau, et ce même si elles sont exercées par le truchement de sites internet marchands ou si elles sont organisées en structures complexes.

Sur la violation du principe du contradictoire par la société Mazda, la société Delta Car Trade relève que la société Mazda n'a pas justifié le caractère unilatéral de sa démarche et que l'ordonnance du 6 mai 2019 n'est pas motivée. D'une part, l'intimée expose l'absence de risque de déplacement de stock de véhicules, la société Delta Car Trade n'en détenant pas. D'autre part, elle relève l'absence de risque d'inaccessibilité de ses documents administratifs et comptables, ces derniers étant soumis à une obligation de conservation. Enfin, elle note que la mesure d'instruction a été diligentée seulement contre le garage de la SARL Est Autos, société pourtant indépendante de la société Delta Car Trade.

Sur la légalité de la mesure d'instruction sollicitée, la société Delta Car Trade soutient que la mesure d'instruction ordonnée à son insu contrevient aux principes du respect de la vie privée ainsi que du secret des affaires. Elle expose notamment que la société Mazda, en tant que professionnel de l'automobile, avait connaissance de la qualité d'intermédiaire de la société Delta Car Trade et par extension, de son fonctionnement sur contrat de mandat.

En parallèle, elle relève qu'en dépit de la demande d'information du président de grande instance de Metz, la société Mazda ne s'est pas suffisamment renseignée sur l'identité de la SARL Est Autos, dont la nature de société indépendante aurait pu être consultée directement sur le site « multimarque.fr » ou au registre du commerce et des sociétés. L'intimée soutient donc que la mesure d'instruction diligentée à l'encontre de la SARL Est Autos n'était pas nécessaire et qu'elle visait l'obtention d'informations protégées par le secret des affaires en vertu de l'article L. 151-1 du code de commerce, en l'espèce l'identité des fournisseurs de la société Delta Car Trade, ceci en vue de les empêcher de participer à l'exportation de véhicules au sein de l'Union européenne.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Vu les conclusions enregistrées au greffe le 20 septembre 2021 par la SAS Mazda Automobiles France, et le 17 mai 2021 par la société de droit suisse Delta Car Trade, auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens ;

Vu l'ordonnance de clôture du 12 octobre 2021 ;

I Sur le motif légitime de la SAS Mazda Automobiles France à obtenir la mesure d'instruction sollicitée

L'article 145 du code de procédure civile dispose que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Pour ordonner une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, le juge doit caractériser l'existence d'un litige potentiel susceptible d'opposer les parties.

L'existence du motif légitime s'apprécie au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant le juge.

Le secteur de la construction automobile est encadré par le règlement UE d'exemption n° 330/2010 du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertée dans tous les secteurs d'activités et par le règlement UE d'exemption n° 461/2010 de la Commission du 27 mai 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3 précité.

Par ailleurs, l'article L. 442-2 du code de commerce prohibe la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence.

Il résulte de ces dispositions communautaires et nationales que l'activité d'intermédiaire en automobile est licite, pourvu que celui qui s'en prévaut acquiert les véhicules exclusivement sur le fondement de mandats qui lui sont délivrés par les utilisateurs finaux.

Dans ces conditions, pour établir un motif légitime à l'organisation de mesures d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la société Mazda devait justifier, au jour du dépôt de sa requête, d'éléments permettant de rendre vraisemblable le fait que la société Delta Car Trade et/ou la SARL Est Autos ne respectaient pas le cadre légal et réglementaire de l'activité d'intermédiaire, en achetant et vendant des véhicules sans disposer de mandats préalables des utilisateurs finaux.

A l'appui de sa requête dans laquelle elle rappelait succinctement la légalité des ventes par mandat, la société Mazda a produit quatre pièces, à savoir son propre extrait K bis, un extrait des contrats de concessionnaires Mazda, la copie de l'inscription de la société Delta Car Trade au registre du commerce du canton de Vaud et un procès-verbal de constat du 8 mars 2019. Par la suite, elle a également produit l'extrait K bis de la SARL Est Autos sollicité par le juge des requêtes.

L'objet mentionné au registre du commerce du canton de Vaud à savoir « distribution et commerce de véhicules en tout genre, neufs et d'occasion, ainsi que produits et accessoires en rapport » ne faisait pas la preuve du fait que la société Delta Car Trade n'aurait pas respecté le cadre légal et réglementaire de l'activité d'intermédiaire, dans la mesure où la définition ainsi retenue est très large.

S'agissant du constat d'huissier établi le 8 mars 2019 et portant sur les sites internet édités par la société Delta Car Trade, les pages de ces trois sites dont celui intitulé www. estautos/multimarques. fr affichant les résultats de la recherche « voitures neuves », « mazda » ou « mazda en stock » mentionnent de manière très lisible qu'il s'agit de ventes par mandat, de sorte qu'il importe peu que chaque fiche individuelle de véhicule ne comporte pas cette précision. Par ailleurs, il ressort de ce même constat d'huissier, dans la rubrique « Comment ça marche » que l'approvisionnement est réalisé exclusivement « dans les réseaux des constructeurs en Europe sur la base du mandat du client final ».

La cour observe d'ailleurs que sur les trois sites, après utilisation des critères de recherches, le stock de Mazda neuves indiqué est strictement identique (cinquante-neuf véhicules disponibles et cent dix-sept à configurer), de sorte que ce procès-verbal de constat confirmait le fait que la notion de stock ne correspond pas un stock physique au sein des garages partenaires en France, mais seulement aux véhicules disponibles auprès des fournisseurs européens.

Enfin, les extraits K Bis des sociétés Est Autos et Delta Car Trade démontraient que la SARL Est Autos est une société indépendante de la société de droit étranger Delta Car Trade avec laquelle elle n'a pas de lien juridique.

En définitive, s'agissant du grief tiré de l'éventuelle publicité mensongère sur le site www.estautos/multimarques.fr constituant une pratique commerciale trompeuse au détriment de la société Mazda, cette dernière pouvait engager une action au fond sur le seul fondement du constat d'huissier établi le 8 mars 2019, sans qu'une mesure d'instruction ne soit nécessaire.

En l'absence d'autres faits susceptibles d'étayer ses soupçons de concurrence déloyale et de violation des dispositions de l'article L. 442-2 du code de commerce sur la distribution hors réseau, la société Mazda ne démontrait pas, à la date de sa requête, l'existence d'un litige plausible.

Ainsi, il y a lieu de considérer que la société Mazda ne justifiait pas, que ce soit au jour du dépôt de sa requête initiale ou au jour du dépôt des pièces complémentaires demandées par le juge des requêtes, d'un motif légitime lui permettant d'obtenir la désignation d'un huissier afin de procéder aux constatations énoncées dans l'ordonnance du 6 mai 2019.

Par voie de conséquence, la cour confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a ordonné la rétractation de l'ordonnance sur requête du 6 mai 2019 et en ce qu'elle a ordonné la destruction des documents saisis dans le cadre des opérations de constat et fait interdiction à la SAS Mazda Automobiles France de faire quelque usage que ce soit des informations ainsi recueillies ou de s'en prévaloir de quelque façon que ce soit.

II Sur les dépens et les frais irrépétibles

La cour confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a condamné la société Mazda au paiement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'elle a condamné la société Mazda aux dépens.

La société Mazda qui succombe sera également condamnée aux dépens de l'appel.

Pour des considérations d'équité, elle devra aussi payer à la société Delta Car Trade la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Aucune considération d'équité ne justifie qu'il soit fait droit à la demande de la société Mazda en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 17 novembre 2020 par le président de la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Metz ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la SAS Mazda Automobiles France aux dépens de l'appel ;

CONDAMNE la SAS Mazda Automobiles France à payer à la société de droit suisse Delta Car Trade la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE la demande de la SAS Mazda Automobiles France sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.