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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. civ., 17 novembre 2021, n° 19/00256

BORDEAUX

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Anca (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pignon

Conseillers :

Mme Fabry, Mme Goumilloux

Avocats :

Me Trassard, Me Ficamos Van Ruymbeke

T. com. Libourne, du 23 nov. 2018, n° 20…

23 novembre 2018

EXPOSE DU LITIGE :

La société Anca a pour activité la vente et l'installation de piscines.

A compter de décembre 2012, M. Y a travaillé pour le compte de la société Anca sans qu'aucun contrat ne soit formalisé. Il était convenu entre les parties qu'il percevrait une commission de 1 000 euros Ht pour chaque piscine qu'il vendrait.

Un différend est apparu entre les parties en septembre 2013, Monsieur X, le gérant de la société Anca, reprochant à Monsieur Y, qui le contestait, d'avoir détourné des fonds qu'il s'était fait remettre en espèce par les clients.

Le 5 décembre 2013, M. Y a saisi le conseil des prud'hommes de Libourne aux fins de voir reconnaître sa qualité de salarié de la société Anca. Par jugement du 27 mai 2016, le conseil des prud'hommes a jugé que le contrat liant les parties était un contrat d'agent commercial et s'est déclaré incompétent. Cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 27 septembre 2017.

Par acte du 8 décembre 2014, la société Anca a fait assigner M. Y devant le tribunal d'instance de Bordeaux aux fins de voir condamner ce dernier à lui restituer les sommes détournées. Par décision du 23 novembre 2016, le tribunal d'instance de Bordeaux constatait le désistement d'instance de la société Anca.

Par acte d'huissier en date du 16 avril 2018, M. Y a fait assigner la société Anca devant le tribunal de commerce de Libourne aux fins de voir juger que la cessation de son contrat d'agent commercial était imputable à la société Anca et de voir condamner celle-ci à l'indemniser des conséquences de cette rupture.

Par jugement contradictoire du 23 novembre 2018, le tribunal de commerce de Libourne a :

- déclaré M. Y recevable en ses demandes ;

- constaté que le contrat d'agent commercial de M. Y n'était pas rompu ;

- débouté M. Y de ses demandes en paiement de 73 178,88 euros au titre de la rupture du contrat et de 3 049,12 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- condamné la société Anca à payer à M. Y la somme de 1 196 euros en règlement de ses commissions, outre une indemnité de 40 euros au titre de l'article L. 441-6 du code de commerce, assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la demande par lettre recommandée du 17 septembre 2013, avec intérêts capitalisés sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil ;

- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- condamné la société Anca aux entiers dépens, y compris le coût du présent jugement liquidé à la somme de 77,08 euros.

Par déclaration du 14 janvier 2019, M. Y a interjeté appel de cette décision intimant la société Anca dans des conditions de forme et de fond qui ne sont pas contestées.

Le 14 février 2019, une mesure de médiation judiciaire a été proposée aux parties, qui a été refusée par celles-ci.

PRETENTIONS ET MOYENS :

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 10 octobre 2019, auxquelles la cour se réfère expressément, M. Y demande à la cour de :

- juger recevable l'appel formé par Monsieur Y,

- le dire bien fondé,

- débouter purement et simplement la Sarl Anca de l'ensemble de ses demandes et prétentions,

- confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Libourne en ce qu'il a :

- constaté l'existence d'un contrat d'agent commercial,

- condamné la Sarl Anca à payer la somme de 1196 euros au titre de la facture n° 0039 du 28 août 2013, outre une indemnité de 40 euros au titre de l'article L. 441-6 du code de commerce, assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la demande, à savoir le 17 septembre 2013, intérêts capitalisés sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil,

- infirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Libourne en ce qu'il a :

- jugé que le contrat d'agence commercial entre la Sarl Anca et Monsieur Y n'avait pas été rompu,

- débouté Monsieur Y de ses demandes indemnitaires à hauteur de 73 178,88 euros en réparation du préjudice subi par Monsieur Y au sens des dispositions de l'article et 3 049,12 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- dispensé la Sarl Anca d'une condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- et statuant à nouveau,

- dire et juger que la rupture du contrat d'agence commercial incombe à la Sarl Anca qui l'a provoquée de manière détournée,

- condamner la Sarl Anca au paiement des sommes suivantes :

- 73 178,88 euros en réparation du préjudice subi par Monsieur Y ;

- 3 049,12 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- condamner la SARL ANCA au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure de première instance,

- condamner la SARL ANCA au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,

- la condamner aux entiers dépens de l'instance.

M. Y fait notamment valoir que sa qualité d'agent commercial est incontestable ; que la rupture du contrat d'agent en date du 11 septembre 2013 est imputable à la société Anca qui a provoqué la rupture du contrat de façon détournée; que celle-ci ne justifie pas en outre que cette rupture était justifiée; que la société Anca s'est en effet désistée de l'instance qu'elle avait initiée aux fins de recouvrer les prétendus fonds détournés en espèces ; que la société Anca n'a pas réglé l'intégralité de ses factures à son égard ; que la rupture du contrat justifie son indemnisation correspondant à 24 mois de commissions, outre la somme de 3 049,12 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par RPVA le 10 juillet 2019, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Anca demande à la cour de :

- à titre principal :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- débouter Monsieur A de toutes ses demandes plus amples et contraires ;

- subsidiairement, si la cour considérait le contrat d'agent commercial rompu :

- dire et juger que la rupture est intervenue à l'initiative de Monsieur A ;

- à défaut, dire et juger que Monsieur A a perdu tout droit à réparation faute d'avoir notifié à la Sarl Anca dans le délai d'un an qu'il entendait faire valoir ses droits tirés de la rupture du contrat

- à défaut, dire et juger que Monsieur A a commis une faute grave le privant ainsi de son droit à réparation ;

- à défaut, minorer la réparation accordée à Monsieur A ;

- débouter Monsieur A de toutes ses demandes plus amples et contraires ;

- en toute hypothèse :

- condamner Monsieur A à payer à la Société Anca la somme de 3 000 euros d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux entiers dépens d'appel.

La société Anca fait notamment valoir qu'aucune des parties n'a pris l'initiative de rompre le contrat et qu'il n'est pas rompu ; qu'à titre subsidiaire, si le contrat est considéré comme ayant été rompu, cette rupture doit être imputée à l'appelant qui a de son propre chef cessé de travailler avec elle ; que M. Y doit en tout état de cause être déchu de son droit à réparation par application des dispositions de l'article L. 134-12 du code de commerce à défaut d'avoir notifié au mandant dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat qu'il entend faire valoir ses droits.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 septembre 2021 et le dossier a été fixé à l'audience du 13 octobre 2021.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il Y lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

Aux termes des articles L. 134-1 du code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.

Chaque partie a le droit, sur sa demande, d'obtenir de l'autre partie un écrit signé mentionnant le contenu du contrat d'agence, y compris celui de ses avenants.

Le juge de première instance a jugé que la rupture du contrat d'agent commercial ne pouvait se présumer et que le seul courrier adressé par la société Anca le 11 septembre 2013 à M. Y l'accusant de détournement « fixait le cadre d'un litige entre les parties mais ne faisait pas obstacle à la poursuite des relations contractuelles. »

Il ressort des pièces produites aux débats que la société Anca a adressé un second courrier le 13 octobre 2013 à M. Y aux termes duquel elle maintenait ses accusations de détournement malgré les dénégations de son mandataire et refusait de lui régler sa dernière facture de commission.

Même si la société Anca, qui s'est toujours refusée à signer un contrat avec son mandataire, n'écrit pas explicitement que leur contrat oral est résolu, il sera jugé que ce second courrier exprime bien la volonté implicite du mandant de cesser ses relations avec le mandataire et ainsi de résilier le contrat les liant à cette date.

Le jugement de première instance sera infirmé de ce chef.

En vertu de l'article L. 134-12 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.

M. Y n'ayant pas notifié à son mandant qu'il entendait faire valoir ses droits dans le délai d'un an susvisé est déchu de son droit à demander indemnisation

Il conserve cependant le droit de solliciter le paiement de d'une indemnité compensatrice de préavis et de sa dernière commission restée impayée.

En vertu des dispositions de l'article L 134-11 du code de commerce, lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis. Les dispositions du présent article sont applicables au contrat à durée déterminée transformé en contrat à durée indéterminée. Dans ce cas, le calcul de la durée du préavis tient compte de la période à durée déterminée qui précède. La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. En l'absence de convention contraire, la fin du délai de préavis coïncide avec la fin d'un mois civil. Les parties ne peuvent convenir de délais de préavis plus courts. Si elles conviennent de délais plus longs, le délai de préavis prévu pour le mandant ne doit pas être plus court que celui qui est prévu pour l'agent. Ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties ou de la survenance d'un cas de force majeure.

Il n'est pas établi que M. Y a commis une faute grave. Il aurait donc dû bénéficier d'un préavis d'un mois.

M. Y justifie avoir facturé 25 commissions, ce que la société Anca ne conteste pas, 24 à 1000 euros hors taxe et une à 1409,73 euros HT, soit un total de 25 409,73 euros.

Monsieur A calculé l'indemnité de préavis qui lui est due en incluant la TVA à 19,6 % ce qui est fondé.

Le montant total des commissions versées est donc de 30 390,04 euros (et non 30491,67 euros), soit 3090 euros par mois.

Le conseil de M. Y forme une demande à hauteur de 3 049,12 euros. Ce montant sera retenu.

La société Anca sera ainsi condamnée à verser la somme de 3049,12 euros à M. Y au titre de l'indemnité compensatrice de préavis.

Il conviendra enfin de confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la société Anca à verser la somme de 1196 euros au titre de la dernière facture de commission impayée et la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire.

La société Anca sera condamnée à verser la somme de 2 500 euros à Monsieur Y au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,

Infirme la décision rendue par le tribunal de commerce de Libourne le 23 novembre 2018 sauf en que qu'elle a :

- condamné la société Anca à payer à M. Y la somme de 1 196 euros en règlement de ses commissions, outre une indemnité de 40 euros au titre de l'article L. 441-6 du code de commerce, assortie des intérêts au taux légal à compter du jour de la demande par lettre recommandée du 17 septembre 2013, avec intérêts capitalisés sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil ;

et statuant à nouveau :

- constate que le contrat d'agent commercial conclu entre la société Anca et M. Marquez Garcia a été résilié le 13 octobre 2013 par la société Anca,

- dit que M. Y est déchu de son droit à demander indemnisation par application des dispositions de l'article L. 134-12 du code de commerce,

- déboute M. Y de sa demande d'indemnisation de son préjudice causé par la rupture du contrat,

- condamne la société Anca à verser la somme de 3 049,12 euros à M. Y au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- confirme la décision de première instance pour le surplus,

- condamne la société Anca verser la somme de 2 500 euros à Monsieur Y au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

- condamne la société Anca aux dépens de première instance et d'appel.