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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 19 novembre 2021, n° 18/04720

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pressario (SARL)

Défendeur :

LG Electronics France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme L'Eleu de la Simone, Mme Primevert

T. com. Paris, du 22 janv. 2018, n° 2015…

22 janvier 2018

FAITS ET PROCEDURE

Le 16 janvier 2012, la SAS LG Electronics France (société LGEFS), qui commercialise des produits électroménagers, électroniques grand public, informatiques, de téléphonie mobile et de climatisation/chauffage, et l'EURL Pressario (société Pressario), agence spécialisée dans les relations de presse, ont conclu un contrat de prestation de services à durée déterminée avec effet au 1er janvier 2012 pour une durée d'un an sans tacite reconduction.

La société LGEFS souhaitait en effet développer la notoriété de ses produits sur le territoire français.

Les parties ont signé un deuxième contrat du même type à effet au 1er janvier 2013 puis un troisième contrat à effet au 1er janvier 2014 pour une durée de six mois soit jusqu'au 30 juin 2014.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 juin 2014, la société LGEFS a indiqué à la société Pressario que leurs relations commerciales prendraient fin à l'issue d'un délai de préavis de six mois, soit au 31 décembre 2014, et qu'un appel d'offres serait mis en place.

La société Pressario n'ayant pas été retenue à l'issue de la procédure d'appel d'offres et soutenant que leurs relations commerciales avaient débuté dès 2005 et qu'elle était donc victime d'une rupture brutale de la relation commerciale établie, elle a, suivant exploit du 2 novembre 2015, fait assigner la société LG Electronics France en indemnisation devant le tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 22 janvier 2018, le tribunal de commerce de Paris :

- dit que la relation commerciale, nouée entre les parties, n'est pas établie au sens de l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce,

- débouté la société Pressario de sa demande au titre de la rupture brutale de relations commerciales,

- dit n'y avoir lieu à examiner la demande de la société Pressario au titre du préjudice moral et d'image,

- débouté la société LGEFS de sa demande pour procédure abusive,

- condamné la société Pressario à payer à la société LGEF la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Pressario aux dépens.

La société Pressario a formé appel de ce jugement par déclaration du 2 mars 2018 enregistrée le 8 mars 2018.

Suivant ses dernières conclusions signifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 10 mars 2021, la société Pressario demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris,

Et, statuant de nouveau :

- de condamner la société LGEFS à verser à la société Pressario la somme de 173.815,48 euros au titre de son préjudice commercial et financier, avec intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir et capitalisation,

- de condamner la société LGEFS à verser à la société Pressario la somme de 100.000 euros au titre de son préjudice financier, avec intérêt au taux légal à compter de la décision à intervenir et capitalisation,

Subsidiairement :

- de désigner tel expert qu'il plaira à la Cour avec pour mission :

- de convoquer les parties, au besoin par télécopie ou par courrier électronique avec demande d'avis de réception, en adressant copie par lettre simple aux avocats des parties ;

- de se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission ;

- de fournir dans son rapport définitif, tous éléments techniques ou de fait de nature à permettre à la juridiction du fond, éventuellement saisie, de se prononcer sur le préjudice subi par la société Pressario ;

- de mettre, en temps utile, au terme des opérations d'expertise, les parties en mesure de faire valoir leurs observations, qui seront annexées au rapport,

- de fixer à tel montant qu'il plaira à la Cour, le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, qui sera versé par la société [Aupera] entre les mains du régisseur d'avances et de recettes de la Cour de céans,

En tout état de cause :

- de débouter la société LGEFS de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- de condamner la société LGEFS à verser à la société Pressario la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

- de condamner la société LGEFS aux entiers dépens lesquels seront recouvrés par Maître Jean-Philippe A. conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, en ce compris les frais d'expertise.

Suivant ses dernières conclusions signifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 11 février 2020, la société LGEFS demande à la cour, au visa des articles L. 442-6-I 5° du code de commerce, 1240 du code civil, 564, 700, 771 5° et 914 du code de procédure civile :

- de confirmer le jugement entrepris du tribunal de Commerce de Paris du 22 janvier 2018, sauf en ce qu'il a débouté LGEFS de sa demande pour procédure abusive ;

- de condamner Pressario à verser à LGEFS la somme de 5.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- de dire et juger que la nouvelle demande formée par Pressario en cause d'appel sur le fondement d'un « abus dans la rupture des pourparlers » est aussi irrecevable que mal fondée ;

- de dire et juger que la demande subsidiaire de désignation d'expert formée par Pressario dans ses -conclusions n° 2 est aussi irrecevable que mal fondée ;

- de condamner Pressario au paiement d'une somme complémentaire de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles exposés par LGEFS en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance d'appel ;

- de débouter Pressario de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

La clôture a été prononcée suivant ordonnance en date du 3 juin 2021.

SUR CE, LA COUR,

Sur l'irrecevabilité des demandes nouvelles

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile : « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. ».

L'intimée soutient que, pour la première fois dans ses conclusions d'appel, la société Pressario soulève un argument nouveau tiré d'un abus allégué dans la rupture de pourparlers.

Cependant, en vertu de l'article 563 du même code : « Pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves. ».

La société Pressario ne forme pas de demande chiffrée distincte de celles déjà émises devant les premiers juges. L'article 563 précité autorise les moyens nouveaux, de sorte que l'appelante, en invoquant à titre subsidiaire une rupture brutale des relations commerciales au sens de l'article 1147 ancien du code civil puis la mauvaise foi dans la conduite des pourparlers et dans l'exécution du contrat, ne fait qu'user de cette faculté.

La société LGEFS sera déboutée de sa demande tendant à voir déclarer irrecevable la demande de la société Pressario sur le fondement d'un « abus dans la rupture des pourparlers ».

Sur la rupture brutale de la relation commerciale établie

Aux termes de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :

« I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. (...) ; ».

Le champ d'application de ce texte est celui des relations commerciales établies, c'est-à-dire les cas où la relation commerciale entre les parties revêtait avant la rupture un caractère suivi, stable et habituel et où la partie victime de l'interruption pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis, lequel doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Il convient de procéder à une appréciation in concreto des conditions de déroulement et de la spécificité de la relation.

La société Pressario soutient que les relations commerciales avec LGEFS ont commencé en novembre 2005 alors que l'intimée fait valoir qu'elles n'ont débuté que le 1er janvier 2012 et que les relations nouées successivement avec la société Pléon puis la société Ogilvy France au cours des années 2005 à 2011 ne peuvent être comptabilisées dans le calcul de la durée des relations LGEFS/Pressario.

Il est constant qu'une relation commerciale établie s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties.

La société Pressario verse aux débats les factures qu'elle a émises au nom de la société Pléon en 2005, 2006, 2007, 2008 et 2009, au nom de la société LG-One en 2010 et jusqu'au 2 novembre 2011, au nom de la société LG Electronics France à compter du 14 décembre 2011 et jusqu'au 1er décembre 2014, date de la dernière facture produite.

Les factures au nom de la société Pléon indiquent leur objet comme étant « Opérations de Relations presse pour le compte LG Electronics » ou « Frais techniques pour le compte de LG Electronics ».

La société Pressario expose que la société Pléon lui avait demandé d'intervenir à ses côtés pour une mission de relations presse afin de suppléer diverses absences d'attachées de presse dédiées au compte LG Electronics France et que divers bons de commandes pour des missions ont été régularisés. Elle a également accompagné en 2006, 2007, 2008 et 2009 un voyage presse pour des journalistes français pour le compte de LG Electronics France en Corée du Sud. La société Pressario fait valoir que la société LGEFS lui a expressément demandé, à l'été 2006, de poursuivre ses prestations en prenant en charge la partie « corporate », les honoraires mensuels étant toujours facturés à la société Pléon. Lorsque le contrat de la société Pléon n'a pas été reconduit par la société LG Electronics France, la société LG France a demandé à la société Pressario de continuer ses prestations sur la partie « corporate » et la société Ogilvy France, membre du réseau WPP, a été chargée de la partie produits. La société Pressario précise que les prestations ont alors été facturées à la société Ogilvy France. Fin 2011, mécontente des prestations de la société Ogilvy France, la société LG Electronics France a demandé à la société Pressario de reprendre toutes ses relations presse à compter du 1er janvier 2012.

Si elle ne verse pas aux débats de factures au nom de la société Ogilvy, elle produit des relevés de compte attestant que cette dernière a effectué des virements en sa faveur en 2010 et 2011.

C'est à compter de 2012 qu'un contrat a été signé entre les sociétés LGEFS et Pressario.

En effet, le 16 janvier 2012 les sociétés LGEFS et Pressario ont conclu un contrat de prestation de services à durée déterminée avec effet au 1er janvier 2012 pour une durée d'un an sans tacite reconduction.

Les parties ont signé un deuxième contrat de prestation de services à durée déterminée sans tacite reconduction pour une nouvelle durée d'un an à effet au 1er janvier 2013.

Elles ont enfin signé un troisième contrat de prestation de services à effet au 1er janvier 2014, pour une durée de six mois, soit jusqu'au 30 juin 2014.

Ainsi, bien qu'ayant indirectement accompli des missions pour le groupe LG avant 2012, la société Pressario, qui n'était contractuellement liée qu'avec les sociétés Pléon puis Ogilvy avant cette date, ne saurait en tirer argument pour exciper d'une relation commerciale établie avec la société LGEFS.

L'attestation d'un ancien salarié de la société LGEFS - licencié pour faute grave -, M. X, datée du 27 décembre 2019, selon laquelle la société Pressario a travaillé dès le mois de novembre 2005 pour le compte de LG de manière très satisfaisante ne contredit pas les développements qui précèdent. Si l'interlocutrice de la société Pressario auprès de la société LGEFS a toujours donné satisfaction, les relations contractuelles n'ont été directes qu'à compter de 2012 et la conclusion de trois contrats à durée déterminée sans tacite reconduction conférait à la relation commerciale un caractère naturellement précaire.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 juin 2014, la société LGEFS a écrit à la société Pressario :

« Ainsi que nous vous l'avons indiqué lors de notre réunion du 09 juin 2014, je vous confirme qu'en raison de la redéfinition de la stratégie relation presse pour LG Electronics France, nous avons décidé de mettre fin à la relation commerciale liant LG Electronics France à votre Société. Pour mémoire, notre relation est actuellement régie par un contrat de prestation de service (...), d'une durée de 6 mois, qui expirera le 30 juin 2014. Cependant, dans le souci de respecter un préavis vous permettant de réorganiser vos activités, nous vous signifions que notre relation commerciale ne prendra fin que le 31 décembre 2014. Nous vous proposons donc de proroger le contrat du 1er juillet au 31 décembre 2014, afin que celui-ci régisse également cette période de préavis, et de nous faire connaître votre acceptation de cette prorogation en nous retournant le présent courrier contresigné. Vous devez considérer la présente comme valant cessation de toute relation commerciale pour l'ensemble des prestations réalisées par votre société au profit de LG Electronics France le 31 décembre 2014 au plus tard. Au cours des prochaines semaines, un appel d'offres, auquel votre société sera appelée à concourir, sera lancé pour choisir le prestataire chargé des prestations à compter du 1er janvier 2015. Nous vous invitons à nous indiquer au plus tôt, et dans un délai maximum de dix jours calendaires à compter du présent courrier, votre intention d'y prendre part. (...) ».

Ainsi, les termes de la lettre du 12 juin 2014 n'excluaient pas l'examen d'une proposition de la société Pressario pour la conclusion d'un nouveau contrat à compter du 1er janvier 2015 mais la mettaient en concours avec d'autres candidatures. La société Pressario, bien que regrettant la fin des relations contractuelles, a manifesté par lettre recommandée du 18 juin 2014 son intention de participer à l'appel d'offres. Par courriel du 28 novembre 2014, la société LGEFS a indiqué à la société Pressarion qu'elle n'avait pas été retenue à l'issue de l'appel d'offres.

Pendant le délai supplémentaire de six mois consenti à la société Pressario, celle-ci a poursuivi ses prestations au profit de la société LGEFS et a assuré, comme il le lui avait été demandé, la passation auprès de la nouvelle agence choisie. La société Pressario soutient aujourd'hui que l'appel d'offres était artificiel et que la nouvelle direction masquait ainsi sous une mise en concurrence le choix prédéterminé d'un candidat. Elle insiste sur les innombrables messages de félicitations ou de remerciements reçus, même postérieurement à la date de notification de la mise en concurrence, sur la qualité de son travail.

Elle n'a pourtant jamais contesté la fin de ses relations avec LGEFS et a même assuré, comme il le lui avait été demandé dans le courriel du 28 novembre 2014, la passation auprès de la nouvelle agence choisie, et ce dans les meilleures conditions comme en témoigne son courriel adressé le 22 décembre 2014 : « Concernant la passation, Clémentine et Amandine sont allées ce matin dans votre nouvelle agence afin de former l'équipe sur la press room, EPR et les reports attendus. Nous leur avons également proposé de leur donner les catalogues produits LG afin d'avoir une vue d'ensemble des anciennes gammes pour mieux s'imprégner de la marque et de ses technologies. Nous attendons leur coursier. Très bonnes fêtes et bonne continuation pour la marque LG ».

Le fait que la société Pressario n'ait pas démérité tout au long de l'exécution des contrats successifs conclus avec la société LGEFS n'est pas de nature à remettre en cause l'intégrité de la procédure d'appel d'offres.

Ce n'est que le 8 juin 2015 que la société Pressario a, par l'intermédiaire de son avocat, reproché à la société LGEFS une rupture brutale de relations commerciales établies.

Il en résulte que non seulement les contrats successifs conclus n'ont pu laisser espérer à la société Pressario une poursuite acquise des relations avec la société LGEFS, mais que les conditions de leur cessation sont, au regard de la durée cumulée de trente mois du 1er janvier 2012 au 30 juin 2014, particulièrement raisonnables avec un délai de préavis de six mois.

L'appelante ne saurait davantage soutenir l'existence d'une mauvaise foi de la part de la société LGEFS dans la non-reconduction du contrat ou d'un abus dans la rupture de pourparlers dans la mesure où aucun élément n'est apporté sur le prétendu caractère fictif de l'appel d'offres.

La société Pressario sera donc déboutée de toutes ses demandes, l'organisation d'une mesure d'expertise sollicitée à titre subsidiaire sur l'évaluation du préjudice n'ayant plus de raison d'être.

Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

La société Pressario succombant à l'action, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles et statuant de ces chefs en cause d'appel, elle sera aussi condamnée aux dépens. Il apparaît équitable de condamner la société Pressario à verser à la société LGEFS la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

DÉBOUTE la société LG Electronics France de sa demande tendant à voir déclarer irrecevable la demande de la société Pressario sur le fondement d'un « abus dans la rupture des pourparlers » CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions et y ajoutant,

CONDAMNE la société Pressario aux dépens ;

CONDAMNE la société Pressario à payer à la société LG Electronics France la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.