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Décisions

Cass. com., 8 janvier 2002, n° 99-10.318

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Défendeur :

Procureur général près la cour d'appel de Versailles

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Besançon

Avocat général :

M. Jobard

Avocats :

SCP Waquet, Farge et Hazan, Me Le Prado, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez

Versailles, 13e ch. civ., du 10 sept. 19…

10 septembre 1998

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 17 septembre 1998) que, par jugements du 2 mai 1994, le Tribunal a arrêté le plan de cession de la société Financière Daniel Boulogne au profit de la société FLGC en cours de constitution ; que le 27 octobre 1994 M. Y a été nommé président du conseil d'administration de la société FLGC dont la société de droit belge Associés et entreprises, qu'il dirigeait, détenait la majorité du capital ; que la société FLGC a confié l'exploitation de ses fonds de commerce à huit filiales ; que, sur déclarations de cessation des paiements de la société FLGC et de six autres sociétés du groupe, le Tribunal a, par jugement du 25 avril 1996, ouvert une procédure de redressement judiciaire à leur égard, prononcé la confusion de leurs patrimoines, fixé au 30 juin 1995 la date commune de cessation des paiements et ordonné une expertise par application des dispositions du nouveau Code de procédure civile ; que le juge-commissaire a établi le 13 juin 1997 un rapport relevant des faits prévus par les articles 180 et suivants de la loi du 25 janvier 1985 ; qu'au vu de ce rapport le président du Tribunal a fait citer M. Y et quatre autres dirigeants en vue de l'application éventuelle de sanctions pécuniaires et personnelles ; que le Tribunal a retenu que le rapport de l'expert, M. Z, "était contesté mais néanmoins utilisé par les parties, que les défendeurs se reprochaient mutuellement certains des griefs relevés par l'expert", que les fautes de gestion étaient établies et que M. Y et M. B étaient responsables de leurs conséquences financières ; que la cour d'appel a annulé le rapport de M. Z, expert, et a confirmé le jugement en ce qu'il avait condamné solidairement ces deux dirigeants à payer 10 000 000 francs entre les mains du représentant des créanciers de la société FLGC et prononcé leur faillite personnelle pour une durée de vingt ans ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :

Attendu que M. Y fait grief à l'arrêt de n'avoir prononcé que la nullité du rapport de l'expert, M. Z, sans qu'il puisse être retenu à titre de renseignements, mais d'avoir retenu le rapport du juge-commissaire, M. A, alors, selon le moyen :

1°) qu'il faisait valoir dans ses conclusions d'appel que le rapport de l'expert étant nul et devant être écarté des débats, le rapport du juge-commissaire, M. A, qui ne faisait que reprendre les conclusions et constatations du rapport d'expertise devait être également écarté des débats ; que l'arrêt qui ne répond nulle part à ce moyen est privé de motif en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

2°) que l'arrêt, qui constate lui-même que le rapport d'expertise de M. Z avait été établi en violation du principe fondamental du contradictoire, ne pouvait laisser subsister aux débats le rapport du juge-commissaire établi sur la base de celui de M. Z et procédant dès lors de la même violation ; qu'il a ainsi violé l'article 16 du nouveau Code de procédure civile ;

3°) que l'arrêt qui, après avoir annulé le rapport d'expertise sur lequel étaient fondées les demandes dirigées contre lui, statue néanmoins au fond pour faire droit à ces demandes en procédant par voie d'affirmation sur les fautes retenues à son encontre et sans préciser sur quels éléments la cour d'appel s'est fondée, est privé de toute base légale au regard des articles 180, 182, 188 et 184 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu, en premier lieu, que le rapport du juge-commissaire n'est pas fondé "exclusivement" sur les conclusions du rapport d'expertise, mais également sur les constatations de l'administrateur judiciaire ;

Attendu, en second lieu, que la cour d'appel, qui a répondu en les écartant aux conclusions invoquées, a statué en se fondant sur les éléments qui étaient soumis à la libre discussion des parties ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur les deuxième, troisième et quatrième moyens réunis, pris en leurs diverses branches :

Attendu que M. Y fait en outre grief à l'arrêt de l'avoir condamné solidairement à payer 10 000 000 francs en application de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 et d'avoir prononcé à son encontre la sanction de la faillite personnelle, alors, selon le moyen :

1°) que lorsque les juges du fond se prononcent sur les sanctions encourues par les dirigeants d'une personne morale, ils ne sont pas tenus par la date de cessation des paiements fixée par le jugement d'ouverture ; que l'existence de l'état de cessation des paiements ne se déduit pas de la seule constatation de l'existence d'une perte d'exploitation ou de dettes impayées mais de l'impossibilité pour le débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible ; que dès lors, l'arrêt, qui se borne à mentionner la date du 30 juin 1995 fixée par le jugement d'ouverture de la procédure, tout en se référant aux pertes constatées ultérieurement au 30 octobre 1995 et à de simples factures impayées, sans constater quel était l'actif disponible au regard de ces pertes et factures impayées, est dépourvu de toute base légale au regard des articles 180 et 189 de la loi du 25 janvier 1985 ;

2°) qu'il faisait valoir dans ses conclusions d'appel que le commissaire aux comptes avait renoncé à la procédure d'alerte déclenchée le 8 juin 1995, après l'augmentation de capital décidée et effectuée par le conseil d'administration ; que l'arrêt qui n'a pas recherché si cette augmentation de capital n'avait pas permis de faire face au passif exigible, a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des articles 180 et 184 de la loi du 25 janvier 1985 ;

3°) que le juge ne peut fonder sa décision sur des éléments qui ne sont pas dans les débats ; qu'en déduisant l'état de cessation des paiements de factures impayées depuis décembre 1994 (MGP), septembre 1994 (PROTEBAT), juin 1995 (DARTAU) et mai 1994 (LEASEPLAN), faits qui ne résultaient ni des conclusions d'appel, ni du jugement de première instance, ni d'aucun autre élément versé aux débats, l'arrêt a violé les articles 417 et 16 du nouveau Code de procédure civile ;

4°) que dans ses conclusions d'appel, il faisait valoir, sans être contredit sur ce point par M. C, qu'il n'avait cessé au cours des exercices 1994, 1995 et 1996 d'apporter des fonds propres à la société FLGC soit en compte courant, soit par augmentation de capital ; que dès lors, l'arrêt, qui affirme que la poursuite de l'exploitation avait contribué à augmenter le passif, dans l'intérêt des dirigeants sans s'expliquer sur les sommes considérables qu'il avait apportées pour pallier aux difficultés de trésorerie de la société, a omis de répondre à ces conclusions qui étaient de nature à exclure la faute en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

5°) que ni le rapport du juge-commissaire ni les conclusions de M. C ne soutenaient que le capital social n'aurait pas été entièrement libèré, tandis qu'il soutenait dans ses conclusions qu'il avait constamment apporté des fonds propres pour remédier au problème de trésorerie de l'entreprise, contestant par là même que ces fonds n'auraient pas été utilisés pour le fonctionnement des sociétés du groupe ;

que l'arrêt procède donc d'une méconnaissance des termes du litige et d'une violation des articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ;

6°) que seul le caractère prétendument excessif des honoraires facturés par la société Associés et Entreprises avait été dénoncé par le juge commissaire et M. C qui ne contestaient pas la réalité des prestations effectuées ; que l'arrêt attaqué a ici encore violé les articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ;

7°) qu'il faisait valoir dans ses conclusions d'appel que le paiement d'une grande partie des prestations facturées n'avait jamais été réclamé par la société Associés et Entreprises ; que l'arrêt ne pouvait s'abstenir de répondre à ce moyen de nature à démontrer qu'à supposer qu'il y ait eu une faute, elle n'avait pu aggraver le passif ; qu'il a ainsi violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé que le jugement de redressement judiciaire du 25 avril 1996 avait fixé au 30 juin 1995 la date de cessation des paiements de la société FLGC, et fait ainsi ressortir qu'à cette date la débitrice était dans l'impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible et que les pertes constatées au mois d'octobre 1995 atteignaient 8 000 000 francs, l'arrêt retient qu'il était inexact de prétendre que le maintien du crédit bancaire permettait de régler le passif exigible et que la déclaration de cessation des paiements n'avait pas été effectuée tardivement ; que, répondant aux conclusions prétendument délaissées et sans méconnaître les termes du litige, l'arrêt, après avoir relevé encore que les fonds versés n'avaient pas été utilisés pour le fonctionnement des sociétés du groupe, qu'il existait entre la société FLGC et la société Associés et Entreprises dirigée par M. Y une convention portant sur la fourniture de prestations administratives et financières permettant à cette dernière de percevoir des honoraires annuels de l'ordre de 1 900 000 francs, que le versement de ces redevances était un avantage fait sans contrepartie à ce dernier puisque les sociétés du groupe avaient des services administratifs, financiers et comptables, et que les honoraires, les frais de voyages et les salaires avaient été maintenus à un niveau incompatible avec les possibilités financières du groupe ; que l'arrêt en déduit que la poursuite de l'exploitation, alors que les dirigeants avaient conscience de la situation gravement obérée de l'entreprise, était constitutive d'une faute qui avait contribué à augmenter le montant du passif dans l'intérêt de ceux-ci ;

qu'en l'état de ces constatations et appréciations, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la troisième branche, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Et sur le cinquième moyen, pris en ses deux branches :

Attendu que M. Y fait enfin le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°) que seules les fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif justifient légalement la condamnation du dirigeant à combler le passif ; que l'arrêt, qui ne relève pas en quoi les fautes qu'il lui impute ont contribué à l'insuffisance d'actif, est dépourvu de toute base légale au regard de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ;

2°) qu'aucune de ces fautes prétendues ne caractérise l'un des actes prévus à l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985 justifiant le prononcé de la faillite personnelle des dirigeants ; que l'arrêt est encore dépourvu de base légale au regard des articles 182, 188 et 189 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu, d'une part, que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel a retenu, par une décision motivée, que les fautes de gestion commises par M. Y avaient contribué à l'insuffisance d'actif de la société FLGC ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant retenu à l'encontre de M. Y l'absence de déclaration de l'état de cessation des paiements de la société FLGC dans le délai légal, la cour d'appel a légalement justifié sa décision au regard de l'article 189 de la loi du 25 janvier 1985 devenu l'article L. 625-5 du Code de commerce ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.