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Décisions

CJUE, 3e ch., 25 novembre 2021, n° C-102/20

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

StWL Städtische Werke Lauf a.d. Pegnitz GmbH

Défendeur :

eprimo GmbH, Interactive Media CCSP GmbH

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Prechal

Juges :

M. J. Passer, M. F. Biltgen, Mme Rossi, M. Wahl

Avocat général :

M. Richard de la Tour

Avocat :

Me Hall

CJUE n° C-102/20

25 novembre 2021

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, second alinéa, sous h), et de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques) (JO 2002, L 201, p. 37), telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009 (JO 2009, L 337, p. 11, ci-après la « directive 2002/58 »), ainsi que de l’annexe I, point 26, de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales ») (JO 2005, L 149, p. 22).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre de deux litiges opposant StWL Städtische Werke Lauf a.d. Pegnitz GmbH (ci-après « StWL ») à eprimo GmbH, deux sociétés qui fournissent de l’électricité à des clients finaux, au sujet d’une activité publicitaire menée par Interactive Media CCSP GmbH, à la demande de eprimo, consistant dans l’affichage de messages publicitaires dans la boîte de réception des utilisateurs du service de messagerie électronique gratuit « T-Online ».

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3 Le considérants 4 et 40 de la directive 2002/58 sont ainsi libellés :

« (4) La directive 97/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des télécommunications [JO 1998, L 24, p. 1] a traduit les principes définis dans la directive 95/46/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO 1995, L 281, p. 31)] en règles spécifiques applicables au secteur des télécommunications. La directive 97/66/CE doit être adaptée à l’évolution des marchés et des technologies des services de communications électroniques afin de garantir un niveau égal de protection des données à caractère personnel et de la vie privée aux utilisateurs de services de communications électroniques accessibles au public, indépendamment des technologies utilisées. Il convient, par conséquent, que ladite directive soit abrogée et remplacée par la présente directive.

[...]

(40) Il importe de protéger les abonnés contre toute violation de leur vie privée par des communications non sollicitées effectuées à des fins de prospection directe, en particulier au moyen d’automates d’appel, de télécopies et de courriers électroniques, y compris les messages courts (SMS). Si ces formes de communications commerciales non sollicitées peuvent être relativement faciles et peu onéreuses à envoyer, elles peuvent, en revanche imposer une charge et/ou un coût à leur destinataire. En outre, dans certains cas, leur volume peut poser un problème pour les réseaux de communications électroniques et les équipements terminaux. S’agissant de ces formes de communications non sollicitées effectuées à des fins de prospection directe, il est justifié d’exiger de l’expéditeur qu’il ait obtenu le consentement préalable du destinataire avant de les lui envoyer. Le marché unique exige une approche harmonisée à cet égard afin que les entreprises comme les utilisateurs disposent de règles simples s’appliquant à l’échelle de [l’Union européenne]. »

4 L’article 1er, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« 1. La présente directive prévoit l’harmonisation des dispositions nationales nécessaires pour assurer un niveau équivalent de protection des droits et libertés fondamentaux, et en particulier du droit à la vie privée et à la confidentialité, en ce qui concerne le traitement des données à caractère personnel dans le secteur des communications électroniques, ainsi que la libre circulation de ces données et des équipements et services de communications électroniques dans [l’Union européenne]. »

5 Aux termes de l’article 2, second alinéa, sous d), f), et h), de ladite directive, intitulé « Définitions » :

« Les définitions suivantes sont aussi applicables :

d) “communication” : toute information échangée ou acheminée entre un nombre fini de parties au moyen d’un service de communications électroniques accessible au public. Cela ne comprend pas les informations qui sont acheminées dans le cadre d’un service de radiodiffusion au public par l’intermédiaire d’un réseau de communications électroniques, sauf dans la mesure où un lien peut être établi entre l’information et l’abonné ou utilisateur identifiable qui la reçoit ;

[...]

f) le “consentement” d’un utilisateur ou d’un abonné correspond au “consentement de la personne concernée” figurant dans la directive 95/46/CE ;

[...]

h) “courrier électronique” : tout message sous forme de texte, de voix, de son ou d’image envoyé par un réseau public de communications qui peut être stocké dans le réseau ou dans l’équipement terminal du destinataire jusqu’à ce que ce dernier le récupère ».

6 L’article 13, paragraphe 1, de la même directive, intitulé « Communications non sollicitées », dispose :

« L’utilisation de systèmes automatisés d’appel et de communication sans intervention humaine (automates d’appel), de télécopieurs ou de courrier électronique à des fins de prospection directe ne peut être autorisée que si elle vise des abonnés ou des utilisateurs ayant donné leur consentement préalable. »

7 Le considérant 67 de la directive 2009/136 énonce :

« Les garanties apportées aux abonnés contre les atteintes à leur vie privée par des communications non sollicitées à des fins de prospection directe au moyen du courrier électronique devraient aussi s’appliquer aux SMS, [messages multimédias (MMS)] et autres applications de nature semblable. »

8 L’article 2, sous h), de la directive 95/46/CE dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

h) “consentement de la personne concernée”: toute manifestation de volonté, libre, spécifique et informée par laquelle la personne concernée accepte que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement. »

9 L’article 94, paragraphe 2, du règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (JO 2016, L 119, p. 1, et rectificatif JO 2018, L 127, p. 2), intitulé « Abrogation de la directive 95/46/CE », prévoit :

« Les références faites à la directive abrogée s’entendent comme faites au présent règlement. [...] »

10 L’article 4, point 11, de ce règlement est ainsi libellé :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

11) “consentement” de la personne concernée, toute manifestation de volonté, libre, spécifique, éclairée et univoque par laquelle la personne concernée accepte, par une déclaration ou par un acte positif clair, que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement ».

11 Aux termes du considérant 17 de la directive 2005/29 :

« (17) Afin d’apporter une plus grande sécurité juridique, il est souhaitable d’identifier les pratiques commerciales qui sont, en toutes circonstances, déloyales. L’annexe I contient donc la liste complète de toutes ces pratiques. Il s’agit des seules pratiques commerciales qui peuvent être considérées comme déloyales sans une évaluation au cas par cas au titre des dispositions des articles 5 à 9. Cette liste ne peut être modifiée que par une révision de la directive. »

12 L’article 5 de cette directive dispose :

« 1. Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.

2. Une pratique commerciale est déloyale si :

a) elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle,

et

b) elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu’elle touche ou auquel elle s’adresse, ou du membre moyen du groupe lorsqu’une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateurs.

[...]

4. En particulier, sont déloyales les pratiques commerciales qui sont :

a) trompeuses au sens des articles 6 et 7,

ou

b) agressives au sens des articles 8 et 9.

5. L’annexe I contient la liste des pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances. Cette liste unique s’applique dans tous les États membres et ne peut être modifiée qu’au travers d’une révision de la présente directive. »

13 L’article 8 de ladite directive énonce :

« Une pratique commerciale est réputée agressive si, dans son contexte factuel, compte tenu de toutes ses caractéristiques et des circonstances, elle altère ou est susceptible d’altérer de manière significative, du fait du harcèlement, de la contrainte, y compris le recours à la force physique, ou d’une influence injustifiée, la liberté de choix ou de conduite du consommateur moyen à l’égard d’un produit, et, par conséquent, l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement. »

14 Le point 26 de l’annexe I de la même directive, qui contient la liste des pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances, prévoit :

« Pratiques commerciales agressives

[...]

(26) Se livrer à des sollicitations répétées et non souhaitées par téléphone, télécopieur, courrier électronique ou tout autre outil de communication à distance, sauf si et dans la mesure où la législation nationale l’autorise pour assurer l’exécution d’une obligation contractuelle. Cette disposition s’entend sans préjudice [...] des directives 95/46/CE et [2002/58]. »

 Le droit allemand

15 L’article 3, paragraphes 1 et 2, du Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb (loi contre la concurrence déloyale, du 3 juillet 2004, BGBl. 2004 I, p. 1414, ci-après l’ « UWG »), dans sa version applicable au litige au principal, est ainsi libellé :

« (1) Les pratiques commerciales déloyales sont illicites.

(2) Les pratiques commerciales qui s’adressent aux consommateurs ou atteignent ces derniers sont déloyales lorsqu’elles ne sont pas conformes à la diligence à laquelle les entrepreneurs sont tenus et qu’elles sont de nature à influencer substantiellement le comportement économique du consommateur. »

16 Aux termes de l’article 5a, paragraphe 6, de l’UWG, intitulé « Tromperie par omission » :

« Commet [...] un acte de concurrence déloyale quiconque n’indique pas la véritable intention commerciale d’une pratique, dès lors que celle–ci ne ressort pas déjà du contexte et que l’absence d’indication est susceptible d’amener le consommateur à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement. »

17 L’article 7 de l’UWG dispose :

« (1) Les pratiques commerciales qui causent une gêne inacceptable à un acteur du marché sont illicites. Tel est en particulier le cas de la publicité s’il apparaît de manière manifeste que l’acteur du marché visé ne la souhaite pas.

(2) Une gêne inacceptable doit toujours être présumée :

1. en cas de publicité, impliquant l’utilisation d’un moyen de communication commerciale à distance non mentionné aux points 2 et 3, qui sollicite de manière répétée le consommateur alors qu’il ne le souhaite manifestement pas ;

[...]

3. en cas de publicité impliquant l’utilisation d’un automate d’appel, d’un télécopieur ou du courrier électronique, sans le consentement exprès préalable du destinataire, ou

4. en cas de publicité sous la forme d’un message

a) émis en camouflant ou en dissimulant l’identité de l’émetteur au nom duquel la communication est faite [...]

[...] »

18 L’article 8 de l’UWG énonce :

« (1) Quiconque se livre à une pratique commerciale illicite au regard de l’article 3 ou de l’article 7 peut faire l’objet d’une action en suppression de l’état de fait illicite et, en cas de risque de récidive, en cessation. Le droit d’agir en cessation existe dès lors qu’une telle pratique contraire à l’article 3 ou à l’article 7 menace d’apparaître.

[...]

(3) Sont titulaires des droits conférés par le paragraphe 1 :

1. tout concurrent ;

[...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

19 Il ressort de la décision de renvoi que StWL et eprimo sont deux fournisseurs d’électricité concurrents. À la demande d’eprimo, Interactive Media CCSP, une agence de publicité, a diffusé des annonces publicitaires dans les boîtes à lettres électroniques d’utilisateurs du service de messagerie électronique T-Online. Ce service est financé par la publicité payée par les annonceurs et fourni gratuitement aux utilisateurs.

20 Ces annonces publicitaires sont apparues dans la boîte de réception des boîtes à lettres électroniques privées de ces utilisateurs, à savoir dans la rubrique dans laquelle les courriels reçus figurent sous la forme d’une liste, en étant insérées entre des courriels reçus.

21 Ces utilisateurs ont ainsi reçu, le 12 décembre 2016, le 13 janvier 2017 et le 15 janvier 2017, des messages publicitaires dans leurs boîtes de réception. Sont apparues dans celles-ci des entrées qui ne se distinguaient visuellement de la liste des autres courriels de l’utilisateur du compte que par le fait que la date était remplacée par la mention « Anzeige » (annonce), qu’aucun expéditeur n’était mentionné et que le texte apparaissait sur un fond gris. La rubrique « Objet » correspondant à cette entrée de liste contenait un texte destiné à la promotion de prix avantageux pour les services d’électricité et le gaz.

22 D’un point de vue technique, un code JavaScript d’un serveur publicitaire (TAG) est associé à l’endroit en question de la boîte de réception sur la page Internet consultée par l’utilisateur d’une telle boîte à lettres électronique. De ce fait, lorsque l’utilisateur ouvre la page Internet, une demande (Adrequest) est envoyée au serveur publicitaire afin qu’il sélectionne une bannière publicitaire de manière aléatoire dans un panier constitué par les annonceurs et la transmette de telle sorte qu’elle s’affiche dans la boîte de réception de l’utilisateur. Si l’utilisateur clique sur la publicité affichée, la saisie est transmise au serveur publicitaire qui enregistre le clic et qui redirige le navigateur vers le site de l’annonceur.

23 La fonctionnalité du service de messagerie électronique T-Online traite l’entrée du message publicitaire en question dans la boîte de réception des utilisateurs de cette messagerie différemment des courriels ordinaires : ce message publicitaire, qui apparaît sous la forme d’un courriel, peut être supprimé de la liste, mais ne peut être ni archivé, ni modifié, ni transféré et il n’est pas possible d’y répondre. Enfin, ledit message publicitaire n’est pas comptabilisé dans le nombre total de courriels figurant dans la boîte de réception et n’y occupe pas non plus d’espace de stockage.

24 StWL a considéré que cette pratique publicitaire impliquant l’utilisation de courrier électronique sans le consentement exprès préalable du destinataire était contraire aux règles en matière de concurrence déloyale en ce qu’elle constituait une « gêne inacceptable », au sens de l’article 7, paragraphe 2, point 3, de l’UWG, et qu’elle était trompeuse, au sens de l’article 5a, paragraphe 6, de l’UWG. Pour cette raison, StWL a intenté une action en cessation contre eprimo devant le Landgericht Nürnberg-Fürth (tribunal régional de Nuremberg-Fürth, Allemagne). Cette juridiction a fait droit à la demande de StWL et a ordonné à eprimo, sous peine d’astreinte, de cesser de diffuser, à des consommateurs finaux, une telle publicité en lien avec la distribution d’électricité sur le compte de messagerie électronique de T-online.de.

25 À la suite de l’appel interjeté par eprimo devant l’Oberlandesgericht Nürnberg (cour supérieure régionale de Nuremberg, Allemagne), cette juridiction a considéré que le placement contesté de la publicité dans la boîte de réception des boîtes à lettres électroniques privées T-Online n’était pas, au regard du droit de la concurrence, une pratique commerciale illicite.

26 En particulier, selon ladite juridiction, d’une part, la publicité de la défenderesse ne constituait pas une gêne inacceptable impliquant l’utilisation de « courrier électronique », au sens de l’article 7, paragraphe 2, point 3, de l’UWG, puisque cette publicité ne pouvait pas être considérée comme un « courrier électronique », au sens de cette disposition. En tout état de cause, la publicité litigieuse n’entraînait pas, pour l’utilisateur du service de messagerie électronique T-Online, des charges ou des coûts qui iraient au-delà de la gêne « normale » occasionnée par toute publicité et ne causait donc pas une « gêne inacceptable », au sens de la disposition générale de l’article 7, paragraphe 1, première phrase, de l’UWG, notamment eu égard à la gratuité de ce service de messagerie électronique.

27 D’autre part, cette même juridiction a considéré que la publicité en question n’était pas illicite en application de l’article 7, paragraphe 2, point 4, sous a), de l’UWG, car il ne s’agissait pas d’une publicité sous la forme de messages. L’article 7, paragraphe 2, point 1, de l’UWG n’était pas non plus applicable, car il présuppose une « sollicitation », au sens d’un « comportement importunant » un consommateur, laquelle ferait défaut en l’espèce. Par ailleurs, les annonces de la défenderesse ne dissimulant pas leur caractère publicitaire, elles ne pouvaient pas être considérées comme étant déloyales au motif qu’elles étaient trompeuses, au sens de l’article 5a, paragraphe 6, de l’UWG.

28 Saisi d’un recours en Revision par StWL, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) estime que le succès de ce recours dépend de l’interprétation de l’article 2, second alinéa, sous d) et h), et de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/58 ainsi que de l’annexe I, point 26, de la directive 2005/29.

29 En effet, selon la juridiction de renvoi, le comportement reproché à eprimo pourrait être illicite au titre de l’article 7, paragraphe 2, point 3, de l’UWG, qui transpose l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/58. Elle indique qu’il est également envisageable que la publicité soit illicite en vertu de l’article 7, paragraphe 2, point 1, de l’UWG, qui transpose l’annexe I, point 26, de la directive 2005/29.

30 À cet égard, la juridiction de renvoi souhaite obtenir de la Cour des éclaircissements sur les critères régissant la notion de « courrier électronique », au sens de l’article 2, second alinéa, sous h), de la directive 2002/58, et sur la notion d’« utilisation » de ce dernier à des fins de prospection directe, au sens de l’article 13, paragraphe 1, de celle-ci. En outre, cette juridiction demande à la Cour de préciser les critères de la « sollicitation », au sens de l’annexe I, point 26, de la directive 2005/29.

31 Dans ce contexte, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les critères de la notion d’“envoi”, au sens de l’article 2, deuxième alinéa, sous h), de la directive 2002/58 sont-ils remplis lorsqu’un message n’est pas transmis par un utilisateur d’un service de communications électroniques à un autre utilisateur, par l’intermédiaire d’une entreprise de services, à l’“adresse” électronique du second utilisateur, mais est affiché de manière automatisée, par des serveurs publicitaires, à la suite de l’ouverture de la page Internet, protégée par un mot de passe, correspondant à un compte de messagerie électronique, dans certains espaces, prévus à cet effet, de la boîte de réception électronique d’un utilisateur sélectionné de manière aléatoire (publicité dans la boîte de réception) ?

2) La récupération d’un message, au sens de l’article 2, deuxième alinéa, sous h), de la directive 2002/58 suppose-t-elle que le destinataire, après avoir pris connaissance de la présence d’un message, déclenche, par une demande de récupération volontaire, une transmission des données du message en vertu d’un programme préétabli ou suffit-il que l’apparition du message dans la boîte de réception d’un compte de messagerie électronique soit déclenchée par le fait que l’utilisateur ouvre la page Internet, protégée par un mot de passe, correspondant à son compte de messagerie électronique ?

3) Un message qui n’est pas envoyé à un destinataire individuel déjà concrètement défini avant la transmission, mais qui est inséré dans la boîte de réception d’un utilisateur sélectionné de manière aléatoire  constitue-t-il également un courrier électronique, au sens de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/58 ?

4) L’utilisation d’un courrier électronique à des fins de prospection directe, au sens de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/58, n’est-elle caractérisée que lorsqu’il est constaté que la charge imposée à l’utilisateur va au-delà d’une gêne qui lui serait causée ?

5) La publicité individuelle satisfaisant aux critères de la “sollicitation”, au sens du point 26, première phrase, de l’annexe I de la directive 2005/29 n’est-elle caractérisée que lorsqu’un client est contacté au moyen d’un outil traditionnel de communication individuelle entre un expéditeur et un destinataire ou suffit-il que, comme dans le cas de la publicité en cause en l’espèce, le lien avec un individu soit établi par l’affichage de la publicité dans la boîte de réception d’un compte de messagerie électronique privé et donc dans une rubrique où le client s’attend à recevoir des messages qui lui sont individuellement adressés ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première à quatrième questions

32 Par ses première à quatrième questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance, d’une part, si l’article 2, sous h), et l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/58 doivent être interprétés en ce sens que les critères de la notion de « courrier électronique », au sens de ces dispositions, sont remplis lorsqu’un message publicitaire est affiché à la suite de l’ouverture de la page Internet, protégée par un mot de passe, correspondant à un compte de messagerie électronique, dans certains espaces, prévus à cet effet, de la boîte de réception électronique d’un utilisateur sélectionné de manière aléatoire, et, d’autre part, si l’article 13, paragraphe 1, de cette directive doit être interprété en ce sens qu’une telle démarche publicitaire relève de la notion d’« utilisation […] de courrier électronique à des fins de prospection directe », au sens de cette disposition, celle-ci exigeant que l’utilisateur de la messagerie électronique concernée a donné son consentement préalable à une telle démarche, seulement s’il est constaté que la charge imposée à l’utilisateur va au-delà d’une gêne qui lui serait causée.

33 Afin de répondre à ces questions, il importe de rappeler que, aux termes de son article 1er, paragraphe 1, la directive 2002/58 prévoit, notamment, l’harmonisation des dispositions nationales nécessaires pour assurer un niveau équivalent de protection des droits et des libertés fondamentaux, et en particulier du droit à la vie privée et à la confidentialité, en ce qui concerne le traitement des données à caractère personnel dans le secteur des communications électroniques.

34 Ainsi que l’énonce le considérant 40 de cette directive, celle-ci vise notamment à protéger les abonnés contre toute violation de leur vie privée par des communications non sollicitées effectuées à des fins de prospection directe, en particulier au moyen d’automates d’appel, de télécopies et de courriers électroniques, y compris les SMS.

35 L’article 2, sous d), de la directive 2002/58 prévoit une définition large de la notion de « communication » qui inclut toute information échangée ou acheminée entre un nombre fini de parties au moyen d’un service de communications électroniques accessible au public.

36 À cet égard, l’article 13, paragraphe 1, de cette directive, intitulé « Communications non sollicitées », autorise l’utilisation de différents types de communication, à savoir les systèmes automatisés d’appel sans intervention humaine (automates d’appel), les télécopieurs ou le courrier électronique, à des fins de prospection directe à condition qu’elle vise des abonnés ou des utilisateurs ayant donné leur consentement préalable.

37 Aux fins de l’application de cette disposition, il convient donc de vérifier, en premier lieu, si le type de communication utilisée à des fins de prospection directe figure parmi celles visées par ladite disposition ; en deuxième lieu, si une telle communication a pour finalité la prospection directe, et, en troisième lieu, si l’exigence d’obtenir un consentement préalable de la part de l’utilisateur a été respectée.

38 S’agissant, en premier lieu, des moyens de communication électronique par lesquels sont effectuées des démarches de prospection directe, il importe de relever, à titre liminaire, ainsi que l’a observé M. l’avocat général, au point 53 de ses conclusions, que la liste des moyens de communication mentionnés au considérant 40 et à l’article 13, paragraphe 1, de cette directive n’a pas un caractère exhaustif.

39 En effet, d’une part, la directive 2009/136, qui a modifié la directive 2002/58, fait référence, à son considérant 67, à des formes de communications autres que celles mentionnées dans la directive 2002/58 lorsque celui-ci énonce que les garanties apportées aux abonnés contre les atteintes à leur vie privée par des communications non sollicitées à des fins de prospection directe au moyen du courrier électronique « devraient aussi s’appliquer aux SMS, MMS et autres applications de nature semblables ». D’autre part, ainsi que le précise le considérant 4 de la directive 2002/58, l’objectif visant à assurer un niveau égal de protection des données à caractère personnel et de la vie privée aux utilisateurs des services de communications électroniques accessibles au public doit être garanti « indépendamment des technologies utilisées », ce qui confirme qu’il y a lieu de retenir une conception large et évolutive d’un point de vue technologique du type de communications visées par cette directive.

40 Cela étant relevé, il y a lieu de constater que, en l’occurrence, le message publicitaire en cause au principal a été diffusé aux personnes concernées en utilisant un des moyens de communication visés expressément à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/58, à savoir le courrier électronique.

41 À cet égard, en effet, du point de vue du destinataire, ledit message publicitaire est affiché dans la boîte de réception de l’utilisateur de la messagerie électronique, à savoir dans un espace normalement réservé aux courriels privés. L’utilisateur ne peut libérer cet espace pour obtenir une vue d’ensemble de ses courriers électroniques exclusivement privés qu’après avoir vérifié le contenu de ce même message publicitaire et seulement après l’avoir supprimé activement. Si l’utilisateur clique sur un message publicitaire tel que celui en cause au principal, il est redirigé vers un site Internet contenant la publicité en question, au lieu de poursuivre la lecture de ses courriels privés.

42 Ainsi, contrairement aux bannières publicitaires ou aux fenêtres contextuelles, qui apparaissent en marge de la liste des messages privés ou séparément de ceux-ci, l’apparition des messages publicitaires en cause au principal dans la liste des courriers électroniques privés de l’utilisateur entrave l’accès à ces courriers d’une manière analogue à celle utilisée pour les courriels non sollicités (appelés également « spam ») dans la mesure où une telle démarche requiert la même prise de décision de la part de l’abonné en ce qui concerne le traitement de ces messages.

43 Par ailleurs, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général, au point 55 de ses conclusions, dans la mesure où les messages publicitaires occupent des lignes de la boîte de réception qui sont normalement réservées aux courriels privés et en raison de leur ressemblance avec ces derniers, il existe un risque de confusion entre ces deux catégories de messages pouvant conduire l’utilisateur qui cliquerait sur la ligne correspondant au message publicitaire à être redirigé contre sa volonté vers un site Internet présentant la publicité en cause, au lieu de continuer la consultation de ses courriels privés.

44 Or, ainsi que l’a observé la Commission, si des entrées publicitaires de quelque nature que ce soit apparaissent dans la boîte de réception de la messagerie Internet, à savoir dans la rubrique dans laquelle l’ensemble des courriers électroniques adressés à l’utilisateur s’affichent, il y a lieu de considérer que cette boîte de réception constitue le moyen par lequel les messages publicitaires concernés sont communiqués à cet utilisateur, ce qui implique l’utilisation de son courrier électronique à des fins de prospection directe, au sens de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/58. En d’autres termes, la défenderesse et l’intervenante au principal ainsi que le fournisseur de messagerie électronique impliqués utilisent l’existence de la liste des courriers électroniques privés, en tenant compte de l’intérêt et de la confiance particuliers de l’abonné au regard de cette liste, pour placer leur publicité directe en donnant à celle-ci l’aspect d’un véritable courrier électronique.

45 Une telle manière de procéder constitue une utilisation de courrier électronique, au sens de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/58, susceptible de porter atteinte à l’objectif, poursuivi par cette disposition, de protection des utilisateurs contre toute violation de leur vie privée par des communications non sollicitées effectuées à des fins de prospection directe.

46 Dans ces conditions, la question de savoir si des messages publicitaires tels que ceux en cause au principal remplissent eux-mêmes les critères permettant de les qualifier de « courrier électronique », au sens de l’article 2, sous h), de cette directive devient superflue, dans la mesure où ceux-ci ont été communiqués aux utilisateurs concernés au moyen de leur boîte à lettres électronique et, donc, de leur courrier électronique.

47 S’agissant, en deuxième lieu, de la question de savoir si les communications visées à l’article 13, paragraphe 1, de ladite directive ont pour finalité la prospection directe, il y a lieu de vérifier si une telle communication poursuit un but commercial et s’adresse directement et individuellement à un consommateur.

48 En l’occurrence, la nature même des messages publicitaires en cause au principal, qui visent la promotion de services, et le fait qu’ils sont diffusés sous la forme d’un courrier électronique, de telle sorte qu’ils apparaissent directement dans la boîte de réception de la messagerie électronique privée de l’utilisateur concerné permettent de qualifier ces messages de communications visant la prospection directe, au sens de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/58.

49 La circonstance que le destinataire de ces messages publicitaires est choisi de manière aléatoire, circonstance évoquée dans le cadre de la troisième question posée par la juridiction de renvoi, ne saurait remettre en cause une telle conclusion.

50 À cet égard, il suffit de relever, ainsi que l’a fait M. l’avocat général, au point 61 de ses conclusions, que le choix aléatoire ou prédéfini du destinataire ne constitue pas une condition de l’application de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/58. En d’autres termes, il importe peu que la publicité en cause soit adressée à un destinataire prédéterminé et individuellement identifié ou bien qu’il s’agisse d’une diffusion massive et aléatoire auprès de multiples destinataires. Ce qui importe est qu’il existe une communication à finalité commerciale qui atteint directement et individuellement un ou plusieurs utilisateurs de services de messagerie électronique en étant insérée dans la boîte de réception du compte de messagerie électronique de ces utilisateurs.

51 Or, les destinataires de tels messages publicitaires sont individualisés, notamment, en tant qu’utilisateurs d’un fournisseur de messagerie électronique particulier dans la mesure où l’utilisateur n’obtient l’accès à sa boîte de réception qu’après avoir indiqué ses données d’enregistrement et son mot de passe. Par conséquent, l’affichage intervient à l’issue de cette procédure d’authentification par l’utilisateur dans un espace privé qui lui est réservé et qui est destiné à la consultation des contenus privés prenant la forme de courriers électroniques.

52 En troisième lieu, s’agissant précisément de l’exigence d’obtenir un consentement préalable, prévue à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/58, il y a lieu de rappeler que, si une communication relève du champ d’application de cette disposition, elle est autorisée à condition que son destinataire y ait préalablement consenti.

53 À cet égard, il résulte de l’article 2, second alinéa, sous f), de la directive 2002/58, lu en combinaison avec l’article 94, paragraphe 2, du règlement 2016/679, que ce consentement doit satisfaire aux exigences résultant de l’article 2, sous h), de la directive 95/46 ou de l’article 4, point 11, de ce règlement, selon que l’une ou l’autre de ces deux normes est applicable ratione temporis aux faits en cause au principal.

54 L’article 2, sous h), de la directive 95/46 définit le terme « consentement » comme visant « toute manifestation de volonté, libre, spécifique et informée par laquelle la personne concernée accepte que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement [de données à caractère personnel] ».

55 Cette même exigence s’applique également dans le cadre du règlement 2016/679. En effet, l’article 4, point 11, de ce règlement définit le « consentement de la personne concernée » en ce sens qu’il requiert une manifestation de volonté « libre, spécifique, éclairée et univoque » de la personne concernée, prenant la forme d’une déclaration ou d’« un acte positif clair » marquant son acceptation du traitement des données à caractère personnel la concernant.

56 S’agissant d’une action en cessation d’une pratique commerciale illicite, telle que celle en cause au principal, il n’est pas exclu, ainsi que l’a observé M. l’avocat général, au point 50 de ses conclusions, que, dans l’hypothèse où la procédure introduite par StWL viserait à faire cesser le comportement d’eprimo pour l’avenir, le règlement 2016/679 soit également applicable ratione temporis dans le cadre du litige au principal, et ce bien que les faits à l’origine de ce litige soient antérieurs au 25 mai 2018, date à laquelle ce règlement est devenu applicable, la directive 95/46 ayant été abrogée par celui-ci avec effet à cette même date.

57 Il découle de ce qui précède qu’un tel consentement doit se traduire, pour le moins, dans une manifestation de volonté libre, spécifique et informée de la part de la personne concernée.

58 En l’occurrence, il ressort du dossier soumis à la Cour que, lors du processus d’enregistrement de l’adresse de messagerie électronique en cause au principal, le service de messagerie électronique T-Online est proposé aux utilisateurs sous la forme de deux catégories de services de messageries, à savoir, d’une part, un service de messagerie gratuit, financé par la publicité et, d’autre part, un service de messagerie payant, sans publicité. Ainsi, les utilisateurs qui choisissent la gratuité du service, comme dans l’affaire au principal, accepteraient de recevoir des annonces publicitaires afin de ne pas payer de contrepartie en échange de l’utilisation de ce service de messagerie électronique.

59 À cet égard, il appartient, toutefois, à la juridiction de renvoi de déterminer si l’utilisateur concerné, ayant opté pour la gratuité du service de messagerie électronique T-Online, a été dûment informé des modalités précises de diffusion d’une telle publicité et a effectivement consenti à recevoir des messages publicitaires tels que ceux en cause au principal. En particulier, il y a lieu de s’assurer, d’une part, que cet utilisateur a été informé de manière claire et précise notamment du fait que des messages publicitaires sont affichés au sein de la liste des courriels privés reçus et, d’autre part, qu’il a manifesté son consentement de manière spécifique et en pleine connaissance de cause à recevoir de tels messages publicitaires (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2020, Orange Romania, C‑61/19, EU:C:2020:901, point 52).

60 Il convient, enfin, de préciser, en réponse à la quatrième question, par laquelle la juridiction de renvoi demande si, afin de qualifier une démarche publicitaire telle que celle en cause au principal d’« utilisation [...] de courrier électronique à des fins de prospection directe », au sens de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/58, il importe de constater que la charge imposée à l’utilisateur va au-delà d’une gêne qui lui serait causée, que le respect d’une telle exigence n’est pas imposé par cette directive.

61 En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général, au point 62 de ses conclusions, il ressort du considérant 40 de cette directive que l’exigence d’obtenir un consentement préalable prévue à ladite disposition s’explique, notamment, par le fait que les communications non sollicitées effectuées à des fins de prospection directe peuvent « imposer une charge et/ou un coût à leur destinataire ». Dès lors que de telles communications relèvent du champ d’application de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/58, il n’est donc pas nécessaire de vérifier si la charge qui en découle ainsi pour le destinataire va au-delà d’une gêne qui lui serait causée.

62 En l’occurrence, il est d’ailleurs constant qu’une démarche publicitaire telle que celle en cause au principal impose bien une charge à l’utilisateur concerné dans la mesure où, ainsi qu’il a été relevé, au point 42 du présent arrêt, l’apparition des messages publicitaires dans la liste des courriers électroniques privés de l’utilisateur, en ce qu’elle entrave l’accès à ces courriers d’une manière analogue à celle utilisée pour les courriels non sollicités (spam), requiert la même prise de décision de la part de l’abonné en ce qui concerne le traitement de ces messages.

63 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première à quatrième questions que l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/58 doit être interprété en ce sens que constitue une « utilisation [...] de courrier électronique à des fins de prospection directe », au sens de cette disposition, l’affichage dans la boîte de réception de l’utilisateur d’un service de messagerie électronique de messages publicitaires sous une forme qui s’apparente à celle d’un véritable courrier électronique et au même emplacement que ce dernier sans que la détermination aléatoire des destinataires desdits messages ni la détermination du degré d’intensité de la charge imposée à cet utilisateur aient d’incidence à cet égard, cette utilisation n’étant autorisée qu’à condition que ledit utilisateur ait été informé de manière claire et précise des modalités de diffusion d’une telle publicité, notamment au sein de la liste des courriers électroniques privés reçus, et ait manifesté son consentement de manière spécifique et en pleine connaissance de cause à recevoir de tels messages publicitaires.

 Sur la cinquième question

64 Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’annexe I, point 26, de la directive 2005/29 doit être interprétée en ce sens qu’une démarche consistant en l’affichage dans la boîte de réception de l’utilisateur d’un service de messagerie électronique de messages publicitaires sous une forme qui s’apparente à celle d’un véritable courrier électronique et au même emplacement que ce dernier relève de la notion de « sollicitations répétées et non souhaitées » des utilisateurs de services de messagerie électronique, au sens de cette disposition.

65 L’article 5 de cette directive interdit, à son paragraphe 1, les pratiques commerciales déloyales et fixe, à son paragraphe 2, les critères permettant de déterminer si une pratique commerciale présente un caractère déloyal.

66 L’article 5, paragraphe 4, de ladite directive précise, ensuite, que sont déloyales, en particulier, les pratiques commerciales qui sont « trompeuses », au sens des articles 6 et 7 de la directive 2005/29 et celles qui sont « agressives », au sens des articles 8 et 9 de cette directive.

67 À cet égard, il convient de rappeler que la directive 2005/29 procède à une harmonisation complète à l’échelle de l’Union des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales des entreprises à l’égard des consommateurs et établit, à son annexe I, une liste exhaustive de 31 pratiques commerciales qui, conformément à l’article 5, paragraphe 5, de cette directive, sont réputées déloyales « en toutes circonstances ». Par conséquent, ainsi que le considérant 17 de ladite directive le précise expressément, il s’agit des seules pratiques commerciales qui peuvent être considérées comme étant déloyales en tant que telles, sans une évaluation au cas par cas au titre des dispositions des articles 5 à 9 de la même directive (arrêt du 2 septembre 2021, Peek & Cloppenburg, C‑371/20, EU:C:2021:674, point 34 et jurisprudence citée).

68 Ainsi, en application de l’annexe I, point 26, de la directive 2005/29, est qualifié de « pratique commerciale déloyale en toutes circonstances », en tant que pratique commerciale agressive, le fait pour un professionnel de « [s]e livrer à des sollicitations répétées et non souhaitées par téléphone, télécopieur, courrier électronique ou tout autre outil de communication à distance, sauf si et dans la mesure où la législation nationale l’autorise pour assurer l’exécution d’une obligation contractuelle ».

69 Or, ainsi qu’il a été relevé aux points 48, 50 et 51 du présent arrêt, un message publicitaire tel que celui en cause au principal doit être considéré comme s’adressant directement et individuellement à l’utilisateur concerné dans la mesure où, étant diffusé sous la forme d’un courrier électronique, il apparaît directement dans la boîte de réception de la messagerie électronique privée de l’utilisateur concerné, dans un espace privé, protégé par un mot de passe, qui lui est réservé et où il ne s’attend à recevoir que des messages qui lui sont adressés individuellement.

70 De ce fait, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, au point 71 de ses conclusions, l’effet que produit ledit message est donc semblable à celui d’une prospection directe individualisée, que l’annonceur ait ou non individualisé ce destinataire spécifique lors de la préparation technique du message en cause et que ce message soit ou non traité différemment des courriels en termes d’espace de stockage et de fonctionnalités liées au traitement d’un véritable courrier électronique.

71 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer qu’un tel message publicitaire constitue une « sollicitation » des utilisateurs de services de messagerie électronique, au sens de l’annexe I, point 26, de la directive 2005/29.

72 Cela étant, il convient encore de vérifier si une telle sollicitation est « répétée et non souhaitée » de sorte qu’elle doit être interdite en toutes circonstances en vertu de cette disposition.

73 À cet égard, il importe de constater, d’une part, que, ainsi qu’il a été rappelé au point 21 du présent arrêt, les utilisateurs concernés ont reçu des messages publicitaires dans la boîte de réception de leurs boîtes à lettres électroniques privées à trois reprises, à savoir, respectivement le 12 décembre 2016, le 13 janvier 2017 et le 15 janvier 2017. Dans ces conditions, une telle sollicitation, compte tenu également de sa fréquence dans un temps limité, doit être considérée comme étant « répétée », au sens de l’annexe I, point 26, de la directive 2005/29, ainsi que l’a constaté la juridiction de renvoi.

74 D’autre part, s’agissant du caractère « non souhaité », au sens de ce même point 26, d’une telle démarche publicitaire, il convient de vérifier si l’affichage d’un message publicitaire tel que celui en cause au principal répond à cette condition, en tenant compte de l’existence ou non d’un consentement donné par cet utilisateur préalablement à cet affichage ainsi que de l’opposition éventuelle à un tel procédé publicitaire exprimée par ledit utilisateur. Une telle opposition est, en outre, avérée dans le litige au principal, ainsi que l’a constaté la juridiction de renvoi.

75 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la cinquième question que l’annexe I, point 26, de la directive 2005/29 doit être interprétée en ce sens qu’une démarche consistant en l’affichage dans la boîte de réception de l’utilisateur d’un service de messagerie électronique de messages publicitaires sous une forme qui s’apparente à celle d’un véritable courrier électronique et au même emplacement que ce dernier relève de la notion de « sollicitations répétées et non souhaitées » des utilisateurs de services de messagerie électronique, au sens de cette disposition si l’affichage de ces messages publicitaires, d’une part, a eu un caractère suffisamment fréquent et régulier pour pouvoir être qualifié de « sollicitations répétées » et, d’autre part, peut être qualifié de « sollicitations non souhaitées » en l’absence d’un consentement donné par cet utilisateur préalablement à cet affichage.

 Sur les dépens

76 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

1) L’article 13, paragraphe 1, de la directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques), telle que modifiée par la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, doit être interprété en ce sens que constitue une « utilisation [...] de courrier électronique à des fins de prospection directe », au sens de cette disposition, l’affichage dans la boîte de réception de l’utilisateur d’un service de messagerie électronique de messages publicitaires sous une forme qui s’apparente à celle d’un véritable courrier électronique et au même emplacement que ce dernier sans que la détermination aléatoire des destinataires desdits messages ni la détermination du degré d’intensité de la charge imposée à cet utilisateur aient d’incidence à cet égard, cette utilisation n’étant autorisée qu’à condition que ledit utilisateur ait été informé de manière claire et précise des modalités de diffusion d’une telle publicité, notamment au sein de la liste des courriers électroniques privés reçus, et ait manifesté son consentement de manière spécifique et en pleine connaissance de cause à recevoir de tels messages publicitaires.

2) L’annexe I, point 26, de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales ») doit être interprétée en ce sens qu’une démarche consistant en l’affichage dans la boîte de réception de l’utilisateur d’un service de messagerie électronique de messages publicitaires sous une forme qui s’apparente à celle d’un véritable courrier électronique et au même emplacement que ce dernier relève de la notion de « sollicitations répétées et non souhaitées » des utilisateurs de services de messagerie électronique, au sens de cette disposition, si l’affichage de ces messages publicitaires, d’une part, a eu un caractère suffisamment fréquent et régulier pour pouvoir être qualifié de « sollicitations répétées » et, d’autre part, peut être qualifié de « sollicitations non souhaitées », en l’absence d’un consentement donné par cet utilisateur préalablement à cet affichage.