CJUE, 9e ch., 25 novembre 2021, n° C-25/20
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
NK
Défendeur :
Alpine BAU GmbH, Salzbourg – succursale de Celje
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Jürimäe
Juges :
M. Rodin, M. Piçarra
Avocats :
Me Štruc, Me Sodja
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 32, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO 2000, L 160, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure engagée par NK, en sa qualité de syndic de la procédure d’insolvabilité principale ouverte à l’égard d’Alpine BAU GmbH, société établie en Autriche, contre l’ordonnance de l’Okrožno sodišče v Celju (tribunal régional de Celje, Slovénie) ayant rejeté, pour cause de tardiveté, sa demande de production de créances en Slovénie, à la suite de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité secondaire dans cet autre État membre.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 6 et 19 à 23 du règlement no 1346/2000 énoncent :
« (6) Conformément au principe de proportionnalité, le présent règlement devrait se limiter à des dispositions qui règlent la compétence pour l’ouverture de procédures d’insolvabilité et la prise des décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement. Le présent règlement devrait, en outre, contenir des dispositions relatives à la reconnaissance de ces décisions et au droit applicable, qui satisfont également à ce principe.
[...]
(19) Hormis la protection des intérêts locaux, les procédures d’insolvabilité secondaires peuvent poursuivre d’autres objectifs. Ce pourrait être le cas lorsque le patrimoine du débiteur est trop complexe pour être administré en bloc, ou lorsque les différences entre les systèmes juridiques concernés sont à ce point importantes que des difficultés peuvent résulter de l’extension des effets de la loi de l’État d’ouverture aux autres États où se trouvent les actifs. Pour cette raison, le syndic de la procédure principale peut demander l’ouverture d’une procédure secondaire dans l’intérêt d’une administration efficace du patrimoine.
(20) Les procédures principales et les procédures secondaires ne peuvent, toutefois, contribuer à une réalisation efficace de la masse que si toutes les procédures parallèles en cours sont coordonnées. La condition principale ici est une coopération étroite entre les différents syndics qui doit notamment comprendre un échange d’informations suffisant. Pour garantir le rôle prédominant de la procédure principale, le syndic de cette procédure devrait se voir conférer plusieurs possibilités d’influer sur les procédures secondaires en cours. Il devrait pouvoir, par exemple, proposer un plan de redressement ou un concordat ou demander la suspension de la liquidation de la masse dans la procédure secondaire.
(21) Tout créancier, ayant sa résidence habituelle, son domicile ou son siège dans la Communauté, devrait avoir le droit de déclarer ses créances dans toute procédure d’insolvabilité pendante dans la Communauté en ce qui concerne les biens du débiteur. Cela devrait s’appliquer également aux autorités fiscales et aux organismes de sécurité sociale. Aux fins de l’égalité de traitement des créanciers, il faut, toutefois, coordonner la répartition du produit de la réalisation. Chaque créancier devrait pouvoir effectivement conserver ce qu’il a obtenu dans une procédure d’insolvabilité, mais il ne devrait pouvoir participer à la répartition de la masse effectuée dans une autre procédure tant que les créanciers du même rang n’auront pas obtenu, en pourcentage, un dividende équivalent.
(22) Le présent règlement devrait prévoir la reconnaissance immédiate des décisions relatives à l’ouverture, au déroulement et à la clôture d’une procédure d’insolvabilité qui relève de son champ d’application, ainsi que des décisions qui ont un lien direct avec cette procédure d’insolvabilité. La reconnaissance automatique devrait entraîner dès lors l’extension à tous les autres États membres des effets attribués à cette procédure par la loi de l’État d’ouverture de la procédure. La reconnaissance des décisions rendues par les juridictions des États membres devrait reposer sur le principe de la confiance mutuelle. À cet égard, les motifs de non-reconnaissance devraient être réduits au minimum nécessaire. Il convient également de régler conformément à ce principe tout conflit qui existe lorsque les juridictions de deux États membres se considèrent comme compétentes pour ouvrir une procédure principale. La décision de la juridiction qui ouvre la première la procédure devrait être reconnue dans tous les autres États membres, sans que ceux-ci aient la faculté de soumettre la décision de cette juridiction à un contrôle.
(23) Le présent règlement, dans les matières visées par celui-ci, devrait établir des règles de conflit de lois uniformes qui remplacent – dans le cadre de leur champ d’application – les règles nationales du droit international privé ; sauf disposition contraire, la loi de l’État membre d’ouverture de la procédure devrait être applicable (lex concursus). Cette règle de conflit de lois devrait s’appliquer tant à la procédure principale qu’aux procédures locales. La lexconcursus détermine tous les effets de la procédure d’insolvabilité, qu’ils soient procéduraux ou substantiels, sur les personnes et les rapports juridiques concernés. Cette loi régit toutes les conditions de l’ouverture, du déroulement et de la clôture de la procédure d’insolvabilité. »
4 L’article 3 de ce règlement, intitulé « Compétence internationale », dispose :
« 1. Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire.
2. Lorsque le centre des intérêts principaux du débiteur est situé sur le territoire d’un État membre, les juridictions d’un autre État membre ne sont compétentes pour ouvrir une procédure d’insolvabilité à l’égard de ce débiteur que si celui-ci possède un établissement sur le territoire de cet autre État membre. Les effets de cette procédure sont limités aux biens du débiteur se trouvant sur ce dernier territoire.
3. Lorsqu’une procédure d’insolvabilité est ouverte en application du paragraphe 1, toute procédure d’insolvabilité ouverte ultérieurement en application du paragraphe 2 est une procédure secondaire. Cette procédure doit être une procédure de liquidation.
4. Une procédure territoriale d’insolvabilité visée au paragraphe 2 ne peut être ouverte avant l’ouverture d’une procédure principale d’insolvabilité en application du paragraphe 1 que :
a) si une procédure d’insolvabilité ne peut pas être ouverte en application du paragraphe 1 en raison des conditions établies par la loi de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur
ou
b) si l’ouverture de la procédure territoriale d’insolvabilité est demandée par un créancier dont le domicile, la résidence habituelle ou le siège se trouve dans l’État membre sur le territoire duquel est situé l’établissement concerné, ou dont la créance a son origine dans l’exploitation de cet établissement. »
5 Aux termes de l’article 4 dudit règlement, intitulé « Loi applicable » :
« 1. Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est celle de l’État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte, ci-après dénommé “État d’ouverture”.
2. La loi de l’État d’ouverture détermine les conditions d’ouverture, le déroulement et la clôture de la procédure d’insolvabilité. Elle détermine notamment :
[...]
g) les créances à produire au passif du débiteur et le sort des créances nées après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité ;
h) les règles concernant la production, la vérification et l’admission des créances ;
[...] »
6 L’article 28 du même règlement, portant sur la loi applicable aux procédures secondaires d’insolvabilité, dispose :
« Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à la procédure secondaire est celle de l’État membre sur le territoire duquel la procédure secondaire est ouverte. »
7 L’article 31 du règlement no 1346/2000, intitulé « Devoir de coopération et d’information », prévoit :
« 1. Sous réserve des règles limitant la communication de renseignements, le syndic de la procédure principale et les syndics des procédures secondaires sont tenus d’un devoir d’information réciproque. Ils doivent communiquer sans délai tout renseignement qui peut être utile à l’autre procédure, notamment l’état de la production et de la vérification des créances et les mesures visant à mettre fin à la procédure.
2. Sous réserve des règles applicables à chacune des procédures, le syndic de la procédure principale et les syndics des procédures secondaires sont tenus d’un devoir de coopération réciproque.
3. Le syndic d’une procédure secondaire doit en temps utile permettre au syndic de la procédure principale de présenter des propositions relatives à la liquidation ou à toute utilisation des actifs de la procédure secondaire. »
8 L’article 32 de ce règlement, intitulé « Exercice des droits des créanciers », est libellé comme suit :
« 1. Tout créancier peut produire sa créance à la procédure principale et à toute procédure secondaire.
2. Les syndics de la procédure principale et des procédures secondaires produisent dans les autres procédures les créances déjà produites dans la procédure pour laquelle ils ont été désignés, dans la mesure où cette production est utile aux créanciers de la procédure pour laquelle ils ont été désignés et sous réserve du droit de ceux-ci de s’y opposer ou de retirer leur production, lorsque la loi applicable le prévoit.
3. Le syndic d’une procédure principale ou secondaire est habilité à participer, au même titre que tout créancier, à une autre procédure, notamment en prenant part à une assemblée de créanciers. »
9 Aux termes de l’article 33 dudit règlement, intitulé « Suspension de la liquidation » :
« 1. La juridiction qui a ouvert la procédure secondaire suspend en tout ou en partie les opérations de liquidation, sur la demande du syndic de la procédure principale, sous réserve de la faculté d’exiger en ce cas du syndic de la procédure principale toute mesure adéquate pour garantir les intérêts des créanciers de la procédure secondaire et de certains groupes de créanciers. La demande du syndic de la procédure principale ne peut être rejetée que si elle est manifestement sans intérêt pour les créanciers de la procédure principale. La suspension de la liquidation peut être ordonnée pour une durée maximale de trois mois. Elle peut être prolongée ou renouvelée pour des périodes de même durée.
2. La juridiction visée au paragraphe 1 met fin à la suspension des opérations de liquidation :
– à la demande du syndic de la procédure principale,
– d’office, à la demande d’un créancier ou à la demande du syndic de la procédure secondaire, si cette mesure n’apparaît plus justifiée, notamment par l’intérêt des créanciers de la procédure principale ou de ceux de la procédure secondaire. »
10 L’article 34 du même règlement, portant sur les « Mesures mettant fin à la procédure secondaire d’insolvabilité », dispose :
« 1. Lorsque la loi applicable à la procédure secondaire prévoit la possibilité de clôturer cette procédure sans liquidation par un plan de redressement, un concordat ou une mesure comparable, une telle mesure peut être proposée par le syndic de la procédure principale.
La clôture de la procédure secondaire par une mesure visée au premier alinéa ne devient définitive qu’avec l’accord du syndic de la procédure principale, ou, à défaut de son accord, lorsque la mesure proposée n’affecte pas les intérêts financiers des créanciers de la procédure principale.
2. Toute limitation des droits des créanciers, tels qu’un sursis de paiement ou une remise de dette, découlant d’une mesure visée au paragraphe 1 et proposée dans une procédure secondaire ne peut produire ses effets sur les biens du débiteur qui ne sont pas visés par cette procédure qu’avec l’accord de tous les créanciers intéressés.
3. Durant la suspension des opérations de liquidation ordonnée en vertu de l’article 33, seul le syndic de la procédure principale, ou le débiteur avec son accord, peut proposer dans la procédure secondaire des mesures prévues au paragraphe 1 du présent article ; aucune autre proposition visant une telle mesure ne peut être soumise au vote ni homologuée. »
11 Le règlement no 1346/2000 a été abrogé par le règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO 2015, L 141, p. 19). Toutefois, en vertu de l’article 84, paragraphe 2, de ce dernier règlement, le règlement no 1346/2000 demeure applicable ratione temporis aux procédures d’insolvabilité en cause au principal.
Le droit national
Le droit slovène
12 L’article 59, paragraphe 2, du Zakon o finančnem poslovanju, postopkih zaradi insolventnosti in prisilnem prenehanju (loi relative aux transactions financières, aux procédures d’insolvabilité et à la liquidation forcée, Uradni list RS, no 126/2007), dans sa version applicable à l’affaire au principal (ci-après le « ZFPPIPP »), prévoit que le créancier doit produire, au passif de la faillite, ses créances à l’égard du débiteur failli dans un délai de trois mois à compter de la publication de l’annonce de l’ouverture de cette procédure, sauf disposition contraire prévue aux paragraphes 3 et 4 de cet article.
13 En vertu de l’article 298, paragraphe 1, du ZFPPIPP, si la créance est garantie par un droit de préférence, le créancier doit également déclarer son droit de préférence au passif de la faillite, dans le délai de production de la créance garantie, sauf disposition contraire prévue à l’article 281, paragraphe 1, ou à l’article 282, paragraphe 2, du ZFPPIPP.
14 Conformément à l’article 296, paragraphe 5, du ZFPPIPP, si le créancier ne respecte pas le délai de production de sa créance, celle‑ci s’éteint à l’égard du débiteur failli et la juridiction compétente rejette la production de la créance comme étant tardive. De même, il ressort de l’article 298, paragraphe 5, du ZFPPIPP que, si le créancier ne respecte pas le délai de production du droit de préférence, celui‑ci s’éteint.
Le droit autrichien
15 L’article 107, paragraphe 1, de l’Insolvenzordnung (loi relative à l’insolvabilité) prévoit qu’une audience spéciale relative aux preuves de l’existence des dettes est fixée pour les créances qui ont été produites après l’expiration du délai de production des créances et qui n’ont pas été examinées lors de l’audience générale relative aux preuves de l’existence des dettes. Les créances produites moins de quatorze jours avant l’audience relative à l’examen du compte final ne sont pas prises en considération.
Le litige au principal et la question préjudicielle
16 Par décision du Handelsgericht Wien (tribunal de commerce de Vienne, Autriche), du 19 juin 2013, une procédure d’insolvabilité a été ouverte à l’égard d’Alpine BAU et NK a été désigné en qualité de syndic de celle-ci. Ainsi qu’il ressort de la décision de cette juridiction du 5 juillet 2013, il s’agit d’une procédure d’insolvabilité principale, au sens de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000.
17 Sur requête de NK, l’Okrožno sodišče v Celju (tribunal régional de Celje) a, par décision du 9 août 2013, ouvert une procédure d’insolvabilité secondaire à l’égard d’Alpine BAU GmbH, Salzbourg – succursale de Celje (ci-après « Alpine BAU Slovénie »).
18 Par une annonce publiée le même jour sur le site Internet de l’Agencija Republike Slovenije za javnopravne evidence in storitve (Agence de la République de Slovénie pour les registres et services publics), l’Okrožno sodišče v Celju (tribunal régional de Celje) a informé les créanciers et les syndics des autres procédures d’insolvabilité liées que, conformément à l’article 32 du règlement no 1346/2000, ils avaient le droit de produire, à la procédure secondaire ouverte en Slovénie, les créances de la procédure principale et des autres procédures secondaires et a fixé, à cet effet, un délai de trois mois à compter de la publication de cette annonce, lequel a expiré le 11 novembre 2013.
19 À l’occasion de cette publication, ladite juridiction a également attiré l’attention des créanciers et des syndics sur le fait que, s’ils ne produisaient pas leurs créances avant cette date, celles-ci s’éteindraient à l’égard du débiteur insolvable dans cette procédure secondaire et qu’elle rejetterait leur production de créances, conformément à l’article 296, paragraphe 5, ou à l’article 298, paragraphe 5, du ZFPPIPP.
20 Le 30 janvier 2018, NK a saisi l’Okrožno sodišče v Celju (tribunal régional de Celje) d’une demande de production de créances de la procédure principale dans la procédure d’insolvabilité secondaire, conformément à l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 1346/2000. Par ordonnance du 5 juillet 2019, cette juridiction a, sur le fondement de l’article 296, paragraphe 5, du ZFPPIPP, rejeté ladite production de créances comme étant tardive.
21 NK a fait appel de cette ordonnance devant la juridiction de renvoi, le Višje sodišče v Ljubljani (cour d’appel de Ljubljana, Slovénie). Il estime que l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 1346/2000 instaure un « droit spécial » en faveur du syndic de la procédure d’insolvabilité principale qui est inconnu en droit slovène. Ce droit spécial l’autoriserait à produire des créances de la procédure principale dans n’importe quelle procédure d’insolvabilité secondaire, sans qu’aucun délai lui soit imparti pour ce faire. Selon NK, l’application d’un tel délai aurait pour conséquence de le priver, dans les faits, du droit prévu à l’article 32, paragraphe 2, de ce règlement, dans la mesure où il lui a été impossible de produire, dans le délai de trois mois visé par la législation slovène, des créances qui n’étaient pas encore déclarées ou reconnues dans un autre État membre.
22 NK précise que la faillite d’Alpine BAU constitue l’une des plus importantes de celles qui ont eu lieu en Autriche et que la procédure de liquidation s’est étendue sur plusieurs années, la dernière audience ayant eu lieu le 2 octobre 2018. Or, aux fins de son application efficace, l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 1346/2000 nécessiterait que le syndic d’une procédure d’insolvabilité principale d’une telle ampleur ne soit pas soumis à un délai strict pour la production de créances sur le fondement de la seule législation de l’État membre dans lequel la procédure secondaire a été ouverte. Ainsi, aux fins d’assurer la primauté du règlement no 1346/2000, il conviendrait d’écarter le ZFPPIPP.
23 Alpine BAU Slovénie soutient, en revanche, que, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000, le droit de l’État membre sur le territoire duquel une procédure d’insolvabilité a été ouverte s’applique dans tous les cas, sauf si le règlement no 1346/2000 en dispose autrement. Or, celui-ci ne contiendrait aucune disposition écartant l’application du droit national en ce qui concerne le délai imparti dans une procédure d’insolvabilité secondaire pour la production des créances par le syndic de la procédure d’insolvabilité principale. En outre, l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 1346/2000 ne prévoirait aucun « droit spécial » en faveur du syndic de la procédure d’insolvabilité principale, cette disposition se limitant à permettre audit syndic de produire les créances en tant que représentant légal des créanciers de la masse. L’interprétation selon laquelle les créanciers slovènes seraient liés par un délai strict pour la production de créances dans la procédure d’insolvabilité secondaire, tandis que les créanciers d’autres États membres représentés par un syndic ne le seraient pas, créerait une inégalité de traitement entre ces deux catégories de créanciers. Au demeurant, Alpine BAU Slovénie allègue que le libellé de l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 1346/2000 n’exige pas que les créances produites par le syndic de la procédure principale et celles des autres procédures secondaires soient préalablement vérifiées et admises dans ces procédures.
24 C’est dans ces conditions que le Višje sodišče v Ljubljani (cour d’appel de Ljubljana) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 32, paragraphe 2, du règlement no 1346/2000 doit-il être interprété en ce sens que la production des créances du syndic de la procédure principale d’insolvabilité dans une procédure secondaire est soumise aux dispositions relatives aux délais de production des créances et aux conséquences des productions tardives, prévues par le droit de l’État dans lequel la procédure secondaire est menée ? »
Sur la question préjudicielle
25 À titre liminaire, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante de la Cour, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité ses questions à l’interprétation de certains aspects du droit de l’Union, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de ses questions (arrêt du 9 juillet 2020, Santen, C‑673/18, EU:C:2020:531, point 35 et jurisprudence citée).
26 Ainsi, il convient d’entendre que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 1346/2000, lu en combinaison avec les articles 4 et 28 de ce règlement, doit être interprété en ce sens que la production, dans une procédure d’insolvabilité secondaire, de créances déjà produites dans la procédure d’insolvabilité principale, par le syndic de cette dernière procédure, est soumise aux dispositions relatives aux délais de production des créances et aux conséquences des productions tardives, prévues par la loi de l’État d’ouverture de cette procédure secondaire.
27 L’article 32, paragraphe 2, du règlement no 1346/2000 prévoit que les syndics de la procédure principale et des procédures secondaires produisent dans les autres procédures les créances déjà produites dans la procédure pour laquelle ils ont été désignés, dans la mesure où cette production est utile aux créanciers de la procédure pour laquelle ils ont été désignés et sous réserve du droit de ceux-ci de s’y opposer ou de retirer leur production, lorsque la loi applicable le prévoit.
28 Ainsi qu’il ressort de son libellé, cette disposition établit une obligation de principe, pour un syndic, de produire les créances déjà produites dans la procédure d’insolvabilité pour laquelle il a été désigné dans les autres procédures d’insolvabilité liées. En revanche, ladite disposition, pas plus que les autres dispositions du règlement no 1346/2000, n’apportent de précisions quant aux délais régissant une telle production de créances et aux conséquences d’une éventuelle production tardive.
29 Cela étant, il convient d’observer, d’une part, que l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000 dispose que, sauf disposition contraire de ce règlement, la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est celle de l’État membre sur le territoire duquel la procédure a été ouverte, dénommé « État d’ouverture ». Ainsi qu’il ressort du considérant 23 de ce règlement, cette règle de conflit de lois s’applique tant à la procédure principale qu’aux procédures secondaires (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2010, MG Probud Gdynia, C‑444/07, EU:C:2010:24, point 25). L’article 28 dudit règlement dispose, en ce sens, que, sauf disposition contraire du même règlement, la loi applicable aux procédures secondaires est celle de l’État membre sur le territoire duquel la procédure secondaire est ouverte.
30 D’autre part, l’article 4, paragraphe 2, du règlement no 1346/2000, qui précise la portée du paragraphe 1 de cet article, comporte une énumération non exhaustive des différents points de la procédure qui sont régis par la loi de l’État d’ouverture, parmi lesquels figurent, notamment, au point h), les règles concernant la production, la vérification et l’admission des créances.
31 La Cour en a déduit que, pour ne pas priver ces dispositions de leur effet utile, les conséquences d’une inobservation de la loi de l’État d’ouverture concernant la production de créances, et, notamment, des délais prévus à cet égard, doivent également être appréciées sur le fondement de cette loi (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2016, ENEFI, C‑212/15, EU:C:2016:841, point 18 et jurisprudence citée).
32 Il s’ensuit que, dans la mesure où le règlement no 1346/2000 ne procède pas à une harmonisation des délais impartis pour la production des créances dans les procédures d’insolvabilité relevant de son champ d’application, il appartient à chaque État membre de les établir, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, à la condition toutefois que les règles y afférentes ne soient pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité) (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2016, ENEFI, C‑212/15, EU:C:2016:841, point 30 et jurisprudence citée).
33 Plus particulièrement, les délais relatifs à la production, dans une procédure d’insolvabilité secondaire, de créances produites, dans une procédure d’insolvabilité liée à celle-ci, ouverte dans un autre État membre, par le syndic de cette dernière procédure, en application de l’article 32, paragraphe 2, de ce règlement, sont régis par la loi de l’État d’ouverture de cette procédure secondaire, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité visés au point précédent du présent arrêt.
34 En l’occurrence, NK, syndic de la procédure d’insolvabilité principale, soutient, en substance, que cette disposition devrait être interprétée en ce sens qu’elle confère au syndic de la procédure principale un « droit spécial » de produire, dans la procédure d’insolvabilité secondaire, les créances déjà produites dans la procédure principale pour laquelle il a été désigné, sans être soumis aux délais de production prévus par la loi de l’État d’ouverture de la procédure secondaire. Ce droit spécial serait justifié par l’obligation, pour ce syndic, d’attendre la vérification et l’admission des créances dans la procédure d’insolvabilité principale avant de les produire dans une procédure secondaire.
35 Il est vrai que le syndic de la procédure d’insolvabilité principale dispose de certaines prérogatives qui lui donnent la possibilité d’influer sur la procédure d’insolvabilité secondaire, de façon à ce que cette dernière ne mette pas en péril la finalité protectrice de la procédure principale. Ainsi, en vertu de l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000, il peut demander la suspension des opérations de liquidation, pour une période certes limitée à trois mois, mais qui peut être prolongée ou renouvelée pour des périodes de même durée. Conformément à l’article 34, paragraphe 1, de ce règlement, le syndic de la procédure principale peut également proposer de clôturer la procédure secondaire par un plan de redressement, un concordat ou une mesure comparable. Pendant la période de suspension prévue à l’article 33, paragraphe 1, dudit règlement, le syndic de la procédure principale ou le débiteur avec son accord sont, en vertu dudit article 34, paragraphe 3, seuls habilités à faire cette proposition (arrêt du 22 novembre 2012, Bank Handlowy et Adamiak, C‑116/11, EU:C:2012:739, point 61).
36 De même, il convient d’observer que, en vertu du principe de coopération loyale inscrit à l’article 4, paragraphe 3, TUE, il incombe à la juridiction compétente pour ouvrir une procédure d’insolvabilité secondaire, lorsqu’elle applique ces dispositions, de prendre en considération les objectifs de la procédure principale et de tenir compte de l’économie du règlement no 1346/2000, lequel, ainsi qu’il ressort notamment de son considérant 20, vise à assurer un fonctionnement efficace et effectif des procédures d’insolvabilité transfrontalières par une coordination impérative des procédures principale et secondaire garantissant la primauté de la procédure principale (arrêt du 22 novembre 2012, Bank Handlowy et Adamiak, C‑116/11, EU:C:2012:739, point 62).
37 Cependant, le syndic de la procédure d’insolvabilité principale ne saurait s’affranchir, sur le fondement de l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 1346/2000, des délais de production des créances fixés par la loi de l’État d’ouverture de la procédure secondaire dans laquelle il produit les créances déjà produites dans la procédure principale pour laquelle il a été désigné.
38 En effet, il convient de rappeler que le règlement no 1346/2000 repose sur le principe d’égalité de traitement des créanciers, qui sous-tend, mutatis mutandis, toute procédure d’insolvabilité (voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 2018, Tarragó da Silveira, C‑250/17, EU:C:2018:398, point 31 et jurisprudence citée).
39 Dès lors que, dans le cadre de l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 1346/2000, les syndics agissent au nom et pour le compte des créanciers, cette disposition ne saurait être interprétée en ce sens que ces syndics peuvent s’affranchir de la loi de l’État d’ouverture régissant les délais de production de ces créances, alors même que les créanciers agissant en leur nom propre et pour leur propre compte ne le peuvent pas. Si tel devait être le cas, ces derniers créanciers seraient désavantagés par rapport à ceux dont les créances sont produites par le syndic d’une autre procédure liée.
40 Ainsi, les créanciers agissant en leur nom propre et pour leur propre compte seraient non seulement tenus de respecter les délais de production de leurs créances, mais, en cas de production tardive, devraient subir les conséquences prévues par la loi de l’État d’ouverture, tandis que les créanciers représentés par un syndic d’une autre procédure liée bénéficieraient d’une absence totale de délai de forclusion et échapperaient à toute conséquence d’une production hors délai. Une telle inégalité de traitement risquerait de conduire à une atteinte injustifiée aux droits d’une catégorie de créanciers.
41 En tout état de cause, contrairement à ce que soutient NK dans ses observations écrites, l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 1346/2000 ne saurait être interprété en ce sens que le syndic de la procédure d’insolvabilité principale doit attendre que les créances qu’il entend produire dans la procédure secondaire aient fait l’objet d’une vérification et d’une admission dans la procédure principale avant de pouvoir les produire dans la procédure secondaire. En effet, ainsi qu’il ressort des points 28 et 29 du présent arrêt, la vérification et l’admission des créances sont, conformément à l’article 4, paragraphe 2, sous h), de ce règlement, régies par la loi de l’État d’ouverture. Partant, il revient au syndic de la procédure secondaire de vérifier, au regard du droit de l’État d’ouverture de cette procédure secondaire, l’admissibilité des créances ainsi produites. Le fait que le syndic de la procédure principale ait vérifié les créances au regard du droit applicable à la procédure principale n’est a priori pas pertinent pour la vérification des mêmes créances produites dans la procédure secondaire.
42 Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent qu’il convient de répondre à la question posée que l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 1346/2000, lu en combinaison avec les articles 4 et 28 de ce règlement, doit être interprété en ce sens que la production, dans une procédure d’insolvabilité secondaire, de créances déjà produites dans la procédure d’insolvabilité principale, par le syndic de cette dernière procédure, est soumise aux dispositions relatives aux délais de production des créances et aux conséquences des productions tardives, prévues par la loi de l’État d’ouverture de cette procédure secondaire.
Sur les dépens
43 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit :
L’article 32, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité, lu en combinaison avec les articles 4 et 28 de ce règlement, doit être interprété en ce sens que la production, dans une procédure d’insolvabilité secondaire, de créances déjà produites dans la procédure d’insolvabilité principale, par le syndic de cette dernière procédure, est soumise aux dispositions relatives aux délais de production des créances et aux conséquences des productions tardives, prévues par la loi de l’État d’ouverture de cette procédure secondaire.