Livv
Décisions

Cass. com., 20 octobre 2021, n° 19-24.796

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Hibyrd (SAS)

Défendeur :

NBB Lease France 1 (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rémery

Rapporteur :

Mme Barbot

Avocats :

SCP Célice,Texidor, Périer, SCP Gatineau Fattaccini et Rebeyrol

Paris, pôle 5 ch. 10, du 1er juill. 2019

1 juillet 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er juillet 2019), le 30 juin 2016, la société Delta SI (la société Delta), devenue la société Hibyrd, a souscrit auprès de la société Infotech Network (la société Infotech) un bon de commande de matériel de communication numérique, ainsi qu'un contrat de prestation de services prévoyant, notamment, la maintenance de ce matériel.

2. Le même jour, la société Delta a souscrit auprès de la société Nbb Lease France 1 (la société Nbb) un contrat de location financière portant sur le matériel fourni par la société Infotech, d'une durée de 21 trimestres, prévoyant le versement de loyers trimestriels.

3. Le matériel commandé a été livré à la société Delta le 8 juillet 2016.

4. Le 3 août 2016, la société Delta a dénoncé à la société Infotech la mauvaise exécution des prestations de services.

5. Le 20 septembre 2016, la société Infotech a été mise en liquidation judiciaire. Par une lettre du 3 octobre 2016, la société Nbb a informé la société Delta de cette mise en liquidation judiciaire et de ce que, en application d'une clause du contrat de location financière, la locataire pouvait prendre contact avec une société tierce susceptible d'assurer la continuité de la maintenance.

6. La société Delta ayant, le 17 novembre 2016, mis en demeure le liquidateur de se prononcer sur la poursuite du contrat de prestation de services en cours conclu avec la société Infotech, en application de l'article L. 641-11-1, III, 1° du code de commerce, le liquidateur l'a informée, par une lettre du 25 novembre 2016, de sa décision de résilier ce contrat.

7. Par une lettre du 15 décembre 2016, la société Delta s'est prévalue auprès de la société Nbb de la caducité du contrat de location financière au 25 novembre 2016, du fait de la résiliation du contrat de prestation de services décidée par le liquidateur, et a dénoncé la clause de « divisibilité et indépendance » des conditions générales du contrat de location financière.

8. Après la vaine délivrance d'une mise en demeure de payer les loyers échus entre les 1er janvier et 31 mars 2017, la société Nbb a assigné la société Delta en prononcé de la résiliation du contrat de location financière au 16 février 2017, conformément à la clause résolutoire stipulée à ce contrat, et en paiement des loyers impayés et d'une indemnité de résiliation égale à la totalité des loyers restant à courir jusqu'à la fin du contrat, majorée de 10 %.

9. La société Delta s'est opposée à ces demandes, en se prévalant de l'interdépendance des contrats en cause et de ce que la résiliation du contrat de prestation de services, prononcée par le liquidateur le 25 novembre 2016, avait entraîné la caducité du contrat de location financière à la même date.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

10. La société Delta, devenue la société Hibyrd, fait grief à l'arrêt de dire que le contrat de location financière a été résilié le 16 février 2017 et de la condamner à payer à la société Nbb la somme de 13 296,89 euros, correspondant aux loyers impayés et à l'indemnité de résiliation, alors « que les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants ; que doivent être réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance ; que la résiliation d'un contrat de vente de matériel assortie d'une prestation de maintenance entraine par voie de conséquence la caducité de plein droit du contrat de location financière destiné à financer cette opération, sans qu'il soit besoin que cette résiliation soit notifiée au loueur ; que la clause du contrat de location prévoyant que le loueur pourra, en cas de défaillance du prestataire, proposer au locataire la substitution d'une autre entreprise dans l'exécution du contrat de maintenance, ne saurait faire échec à la caducité du contrat de location en cas de refus du locataire de poursuivre ce contrat avec un autre prestataire, sa décision de ne pas donner suite à cette proposition étant discrétionnaire et n'ayant pas à être motivée ; qu'en l'espèce, l'arrêt constate que le contrat de maintenance conclu avec la société Infotech Network a été résilié par décision du liquidateur de cette société le 25 novembre 2016 ; qu'en jugeant que cette résiliation n'avait pas entrainé la caducité, à cette date, du contrat de location conclu entre la société Delta SI et la société Nbb Lease, aux motifs que cette résiliation n'avait pas été notifiée à cette dernière, et que la société Delta SI avait refusé de donner suite à la proposition de poursuite de son contrat avec une autre entreprise substituant la société Infotech Network, sans établir que la maintenance du matériel par un nouveau prestataire aurait été impossible, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, ensemble l'article 1722 du même  code. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

11. La société Nbb conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que la critique est incompatible avec les conclusions d'appel de la société Delta, qui soutenait qu'il n'y a d'interdépendance entre des contrats que lorsque l'exécution de l'un était économiquement indispensable à la survie de l'autre, ce qui n'est pas le cas lorsque les prestations de services peuvent être poursuivies avec un nouveau prestataire, cela étant sans incidence sur la possession du matériel par le client, en vertu de laquelle il paie un loyer.

12. Cependant, dans ses conclusions d'appel, la société Delta soutenait que la résiliation de plein droit du contrat de maintenance intervenue sur décision du liquidateur de la société Infotech suffisait à entraîner la caducité du contrat de location financière conclu avec la société Nbb et que c'était donc à tort que cette dernière lui opposait l'absence de preuve d'une impossibilité d'utiliser le matériel loué, ce débat étant juridiquement erroné et inutile.

13. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article L. 641-11-1, III, 1° du code de commerce :

14. Selon le premier de ces textes, les contrats concomitants ou successifs qui s'inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants, et l'anéantissement de l'un quelconque d'entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres, sans que la reconnaissance de la caducité soit conditionnée par le constat de ce que, après l'anéantissement de l'un des contrats, l'exécution des autres serait devenue objectivement impossible.

15. La décision du liquidateur qui, ayant été mis en demeure de se prononcer sur la poursuite d'un contrat en cours en application du second des textes susvisés, opte expressément pour la non-poursuite du contrat, entraîne la résiliation de plein droit de celui-ci à la date de la réception de cette décision par le cocontractant, si cette dernière intervient dans le délai d'un mois prévu par ce texte. Cette résiliation est opposable à celui contre lequel est invoquée la caducité d'un contrat, par voie de conséquence à l'anéantissement préalable d'un contrat interdépendant, et ce sans qu'il soit nécessaire que la décision de résiliation du liquidateur lui soit notifiée.

16. Pour dire que le contrat de location financière a été résilié le 16 février 2017 en application d'une clause résolutoire et condamner, en conséquence, la société Delta au paiement des loyers impayés entre les mois de janvier et mars 2017 et d'une indemnité de résiliation, l'arrêt retient, d'abord, que la résiliation du contrat de maintenance a été prononcée par le liquidateur de la société Infotech le 25 novembre 2016, mais que, faute d'avoir été notifiée au bailleur, cette résiliation ne peut produire effet. Ensuite, après avoir reproduit les termes de l'article 9 des conditions générales du contrat de location financière, stipulant que, dans le cas où le locataire constate une défaillance du prestataire dans l'exécution des services souscrits, il s'engage à en informer le loueur, ce dernier pouvant tenter d'assister le locataire pour la mise en oeuvre d'une solution permettant de contourner cette défaillance et, à ce titre, lui proposer de retenir un autre prestataire, l'arrêt retient que le 3 octobre 2016, la société Nbb a proposé à la société Delta une nouvelle société de maintenance et que, si la locataire était en droit de refuser cette proposition de substitution, elle ne démontre pas que l'utilisation du matériel aurait été impossible avec un autre prestataire. L'arrêt en déduit qu'en l'absence de notification de la décision du liquidateur prononçant la résiliation du contrat de prestation et au vu de la proposition de poursuite du contrat de maintenance, ne sont pas réunies les conditions de mise oeuvre de la caducité en raison d'une prestation rendue impossible.

17. En statuant ainsi, alors, d'abord, que les contrats en cause, concomitants et incluant une location financière, étaient interdépendants, ensuite, que le contrat de prestation avait été résilié par une décision du liquidateur de la société Infotech prise le 25 novembre 2016, après délivrance d'une mise en demeure d'opter délivrée par la société Delta en vertu de l'article L. 641-11-1, III, 1° précité, ainsi que le précisait cette société dans ses conclusions d'appel, ce dont il résultait que cette résiliation, qui avait pris effet à la date de réception de la décision du liquidateur, avait entraîné, à la même date, la caducité du contrat de location financière, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 1er juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.