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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 25 novembre 2021, n° 18/10319

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Défendeur :

AZ Atelier (SARL), SCP BTSG (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Renard , Mme Soudry

T. com. Paris, du 22 mai 2018, n° 201703…

22 mai 2018

Faits et procédure :

La société [...] (« AZ Atelier ») est une société artisanale spécialisée dans la fabrication de skis réalisés en matériaux composites incorporant un savoir-faire technologique. Elle est gérée par Monsieur X qui a travaillé pendant 23 ans au service Recherche et Développement de la société A pour laquelle il a déposé de nombreux brevets.

La société Y, créée en 1993 par Z, ancien joueur de tennis de renom, a pour activité la conception, la création, la fabrication et le négoce de tous vêtements, souliers, accessoires de mode et produits dans le domaine du sport et des loisirs.

En 2010, la société Y, souhaitant développer la fabrication d'une nouvelle raquette de tennis de très haut de gamme à l'instar des skis « haute couture », s'est rapprochée de la société AZ Atelier. Les parties ont ainsi collaboré sur la conception d'une raquette appelée « R. L12 » puis « T. L12 », à compter du mois de juillet 2010.

Le 20 avril 2011, la société Y a déposé un brevet d'invention français n° 1153422 désignant comme co-inventeur son salarié M. W et M. X

La première phase de développement a été facturée 17.660 euros H.T par la société AZ Atelier.

Le 20 mai 2011, un premier prototype fabriqué en cinq exemplaires a été présenté lors des Internationaux de France de tennis de Roland Garros 2011.

La phase de développement et de mise au point allant de juin 2011 à fin septembre 2013 a donné lieu à une facturation globale de 91.381 euros HT.

Le 23 juillet 2013, la société AZ Atelier a transmis à la société Y un document descriptif du projet R. L12, assorti d'une « proposition économique » intitulée « accord économique », énonçant les propositions d'une mise en production, tarifs, lieux de fabrication, quantités commandées qui prévoyait un contrat de production de 5 ans à raison de 2.000 raquettes par an ou 10.000 raquettes au total avec une commande initiale de 2.000 raquettes.

Par courrier du 3 septembre 2013, la société Y a indiqué que son comité exécutif avait validé le principe de la poursuite du projet dont les modalités seraient définies dans un projet de contrat de fabrication.

Le 12 décembre 2013, M. X et la société Y ont signé un contrat de cession de droits du brevet au profit de la société Y, en contrepartie duquel X et la société AZ Atelier se voyaient accorder à titre exclusif pour une durée de deux ans le droit d'utiliser la marque Y, les modèles et le brevet pour la fabrication des raquettes commandées par la société Y

Le 13 décembre 2013, les parties ont signé un contrat de fabrication et de fourniture d'une durée de deux ans.

En définitive, la société Y n'a procédé qu'à une seule commande de 650 pièces.

Lors d'une réunion téléphonique du 30 septembre 2015, la société Y a fait connaître à la société AZ Atelier sa décision de ne pas poursuivre le projet et de ne procéder à aucun réassort, ce qui a été confirmé par courriel du 2 octobre 2015.

Par jugement du 5 avril 2016, le tribunal de commerce de Chambéry a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société AZ Atelier et a désigné la SCP BTSG, représentée par Maître A, en qualité de mandataire judiciaire.

A la suite d'une tentative de médiation infructueuse et par actes des 22 et 24 mai 2017, la société AZ Atelier, la SCP BTSG, qualité de mandataire judiciaire de celle-ci et Monsieur X ont assigné la société Y devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamnée à les indemniser des préjudices subis au titre de la rupture de brutale des relations commerciales établies et, subsidiairement, d'un manque de loyauté contractuelle.

Par jugement du 16 octobre 2017, le tribunal de commerce de Chambéry a arrêté le plan de redressement de la société AZ Atelier et a nommé la SCP BTSG, représentée par Maître A, en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Par jugement du 22 mai 2018, le tribunal de commerce de Paris :

S'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Paris pour statuer sur les demandes indemnitaires formulées par Monsieur X au titre de la cession du brevet n° 1153422 ;

A disjoint les instances ;

A renvoyé au tribunal de grande instance de Paris Monsieur X pour statuer sur les demandes relatives au contrat de cession de brevet du 12 décembre 2013 ;

A dit que le greffe procédera à la notification de la présente décision par lettre recommandée avec accusé de réception adressée exclusivement aux parties ;

A dit qu'en application de l'article 84 du code de procédure civile, la voie de l'appel est ouverte contre la présente décision dans le délai de quinze jours à compter de ladite notification ;

A dit qu'à défaut d'appel dans ce délai, le dossier sera transmis à la juridiction susvisée dans les conditions de l'article 82 du code de procédure civile ;

S'est déclaré compétent pour statuer sur toutes les autres demandes ;

A dit que la SA Y ne s'est pas rendue coupable de rupture brutale de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce ;

A dit que la SA Y n'a pas contracté ni exécuté de bonne foi les accords passés avec la SARL AZ Atelier ([...]) et a engagé sa responsabilité ;

A condamné la SA Y à verser à la SARL AZ Atelier ([...]) la somme de 300.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé à la SARL AZ Atelier ([...]), toutes causes confondues ;

A condamné la SA Y à verser à Monsieur X la somme de 75.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé à Monsieur X, toutes causes confondues ;

A débouté des demandes plus amples, autres et contraires ;

A condamné la SA Y à payer les sommes suivantes au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

7.000 euros à la SARL AZ Atelier ([...]) ;

2.000 euros à la SCP BTSG représentée par Maître A, mandataire judiciaire de la société AZ Atelier ;

3.000 euros à Monsieur X ;

A ordonné l'exécution provisoire sur la totalité des condamnations avec, cependant, faculté pour la SA Y d'opter partiellement pour le séquestre desdites sommes :

A hauteur de 150.000 euros, sur le compte CARPA du conseil de la SARL AZ Atelier ([...]) en vue de couvrir partiellement l'exigibilité et le remboursement éventuel des condamnations se rapportant aux dommages et intérêts alloués à la SARL AZ Atelier ([...]), outre les intérêts pouvant avoir couru sur ces sommes ;

A hauteur de 45.000 euros, sur le compte CARPA du conseil de Monsieur X AZ, en vue de couvrir partiellement l'exigibilité et le remboursement éventuel des condamnations se rapportant aux dommages et intérêts alloués à Monsieur X, outre les intérêts pouvant avoir couru sur ces sommes ;

A condamné la SA Y aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 149,77 euros dont 24,75 euros de TVA.

Par déclaration du 29 mai 2018, la société Y a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

Dit que la société Y n'a pas contracté ni exécuté de bonne foi les accords passés avec la SARL AZ Atelier ([...]) et a engagé sa responsabilité ;

Condamné la société Y à verser à la SARL AZ Atelier ([...]) la somme de 300.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé à la SARL AZ Atelier ([...]), toutes causes confondues ;

Condamné la société Y à verser à Monsieur X la somme de 75.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé à Monsieur X, toutes causes confondues ;

Débouté des demandes plus amples, autres et contraires ;

Condamné la société Y à payer les sommes suivantes au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

7.000 euros à la SARL AZ Atelier ([...]) ;

2.000 euros à SCP BTSG représentée par Maître A, mandataire judiciaire de la SARL AZ Atelier ;

3.000 euros à Monsieur X ;

Ordonné l'exécution provisoire sur la totalité des condamnations avec, cependant, faculté pour la société Y d'opter partiellement pour le séquestre desdites sommes :

A hauteur de 150.000 euros, sur le compte CARPA du conseil de la SARL AZ Atelier ([...]) en vue de couvrir partiellement l'exigibilité et le remboursement éventuel des condamnations se rapportant aux dommages et intérêts alloués à la SARL AZ Atelier ([...]), outre les intérêts pouvant avoir couru sur ces sommes ;

A hauteur de 45.000 euros, sur le compte CARPA du conseil de Monsieur X, en vue de couvrir partiellement l'exigibilité et le remboursement éventuel des condamnations se rapportant aux dommages et intérêts alloués à Monsieur X, outre les intérêts pouvant avoir couru sur ces sommes ;

Condamné la société Y aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 149,77 euros dont 24,75 euros de TVA.

Par acte du 7 août 2018, la société Y a fait assigner en intervention forcée la SCP BTSG, représentée par Maître A, ès-qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société AZ Atelier, à la présente instance.

Par jugement du 14 octobre 2019 , le tribunal de commerce de Chambéry a constaté l'exécution du plan de redressement.

Dans ses dernières conclusions notifiées par le RPVA le 29 juin 2020, la société Y demande à la cour de :

Vu les articles L. 442-6, I, 5° du code de commerce,

Vu les articles L. 442-6, I, 2 et 3° du code de commerce,

Vu l'article 1134 du code civil,

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société SA Y ne s'est pas rendue coupable de ruptures brutales des relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce ;

L'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau ;

A titre principal,

Débouter la société AZ Atelier, la SCP BTSG représentée par Monsieur A tant en qualité de mandataire judiciaire que de commissaire à l'exécution du plan et Monsieur X de l'intégralité de leurs demandes.

A titre subsidiaire,

Ramener les condamnations de la société Y à de plus justes proportions ;

Les condamner solidairement ou l'un ou les uns à défaut de l'autre ou des autres à payer à la société Y la somme de 30.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.

Dans leurs dernières conclusions notifiées par le RPVA le 27 avril 2020, la société AZ Atelier, Monsieur X et la SCP BTSG, représentée par Maître A, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société AZ Atelier, demandent à la cour de :

Infirmer le jugement, en ce qu'il a jugé que l'existence d'une relation commerciale établie n'était pas caractérisée ;

Dire et juger que Y S.A. a rompu brutalement ses relations commerciales avec AZ Atelier, concernant le projet de la raquette LT 12.

En conséquence,

Condamner Y S.A. à payer à AZ Atelier la somme totale de 120.150,50 euros en réparation des préjudices subis, se décomposant comme suit :

Marge brute sur la durée du préavis 35.666 euros ;

Remboursement des investissements 84.484,50 euros.

Confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que Y S.A. a fait preuve d'une particulière déloyauté dans ses rapports avec AZ Atelier et Monsieur X et n'a pas respecté les obligations mises à sa charge en vertu des accords passés entre les parties ;

Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Y S.A. à réparer les préjudices subis par les requérants découlant de ses manquements réitérés et de son manque évident de loyauté.

Statuant à nouveau sur le montant des préjudices,

Allouer à AZ Atelier la somme forfaitaire de 1.000.000 euros à titre de dommages et intérêts, au titre de son préjudice économique, outre 30.000 euros en réparation de son préjudice moral ;

Allouer à Monsieur X la somme totale de 280.000 euros à titre de dommages et intérêts se décomposant comme suit :

Indemnisation du temps consacré au développement et à la mise point de la LT 12 : 160.000 euros ;

Remboursement du premier abandon de compte courant : 120.000 euros avant l'ouverture du redressement judiciaire.

Débouter Y SA de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

Confirmer les sommes allouées en première instance au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Autoriser la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans deux journaux au choix des requérants et ce aux frais de Y S. A., sans que le coût de cette publication ne soit supérieur à la somme globale de 10.000 euros ;

Condamner Y S. A à payer à AZ Atelier la somme de 7.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Y S. A à payer à Monsieur X la somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Y S. A à payer à la SCP BTSG, représentée par Maître W ès-qualités de Commissaire à l'exécution du plan, la somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner Y S.A aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de Maître B, sur ses affirmations de droit.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 17 juin 2021.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

À titre liminaire, il sera fait observer que l'appel ne porte pas sur la disposition du jugement aux termes de laquelle le tribunal de commerce se déclare incompétent au profit du tribunal de grande instance de Paris pour statuer sur les demandes indemnitaires formulées par Monsieur X, au titre de la cession du brevet numéro 1153422. Il ne sera pas statué sur cette disposition du jugement.

Sur la demande au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies la société Y soutient que le seul critère retenu par la jurisprudence pour qualifier une « relation commerciale établie » au sens de l'article 442-6, I, 5° du code de commerce est celui d'une relation stable et habituelle laissant légitimement anticiper aux parties une certaine pérennité, que le contrat signé en 2013 ne s'inscrivait à aucun moment dans le cadre d'une relation établie et d'une continuité du flux d'affaires, dès lors que les volumes et le terme étaient initialement prévus et fixés d'un commun accord et que toute poursuite de la relation nécessitait une nouvelle négociation et un nouvel accord, qu'aucun préavis de rupture n'était donc légalement dû.

Les intimés répliquent que l'intensité des relations est amplement caractérisée de même que la situation de dépendance économique dans laquelle se trouvait AZ Atelier à l'égard de la société Y, que la société AZ Atelier pouvait avoir la croyance légitime que ses relations commerciales avec la société Y étaient basées sur un partenariat stable et durable, en application de l'accord du 23 juillet 2013, de sorte que la rupture de leurs relations commerciales a été brutale.

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

En 2010, souhaitant développer la fabrication d'une nouvelle raquette de tennis de prestige en bois et matériaux composites initialement appelée « R. L12 » puis « L. T12 », la société Y s'est rapprochée de la société AZ ATELIER pour étudier la faisabilité du projet et procéder à la conception de prototypes, et à des épreuves de tests ce qui a abouti au dépôt le 20 avril 2011 d'un brevet d'invention n° 1153422 par la société Y, les inventeurs étant Mrs W, salarié de la société Y à cette date et X, gérant de la société AZ Atelier.

Pour la conception et la fabrication d'un prototype en 2011 et 2012, la société AZ Atelier a facturé à la société Y des prestations.

La société AZ Atelier a élaboré un document daté du 23 juillet 2013 décrivant ses activités propres et le concept de la raquette RL12, et contenant une « proposition économique » qui a été acceptée par la société Y par courrier du 3 septembre 2013, validant la poursuite du projet.

Le 13 décembre 2013, la société Y et la société AZ Atelier ont signé un contrat de fabrication et de fourniture d'une durée de deux ans. Il est mentionné à l'article 8 de la convention que : « le présent Contrat ne sera pas tacitement renouvelable à son échéance. Dans la mesure où les Parties se mettraient d'accord quant aux conditions d'une continuation de leurs relations commerciales après l'échéance du Contrat, cette continuation serait en tout état de cause sujette à la signature d'un nouveau contrat de fabrication et de fourniture ».

Le contrat stipulait en annexe VIII « 650 pièces livrables avant fin décembre 2014. 50 pièces le 15 septembre 2014 au plus tard, puis 200 pièces par mois sur le dernier trimestre 2014. »

« Réassort : si accord des Parties le prix mentionné à l'Annexe VIII ci-dessus s'appliquant dans la limite de 2000 pièces commandées par Y en vertu du présent Contrat ou, le cas échéant, de tout nouveau contrat de fabrication et de fourniture qui pourrait être conclu par les Parties après expiration du présent Contrat. »

Il résulte de ces éléments que les parties ont entendu limiter dans un premier temps leur partenariat dans la durée et le volume de pièces commandées. S'agissant d'un premier contrat qui n'a pas été renouvelé pour un produit nouveau, il s'avère que le temps écoulé depuis le début de la collaboration a été consacré à l'élaboration de la raquette et à sa commercialisation. Aucun courant d'affaires n'a pu s'installer entre les parties dès lors que postérieurement à la première commande de 650 raquettes, aucune autre commande n'a été passée, le contrat prévoyant que le prix s'appliquait dans la limite de 2000 pièces commandées par la société Y en vertu du contrat signé, sans aucune prévisibilité de poursuite du courant d'affaires pour l'avenir.

En conséquence, les intimés ne rapportant pas la preuve de l'existence d'une relation commerciale établie entre la société AZ Atelier et la société Y, seront déboutés de leur demande d'indemnisation sur le fondement de l'article L. 442-6 I, 5°.

Sur la demande d'indemnisation au titre des manquements contractuels de la société Y

Sur l'interprétation et l'équilibre du contrat du 13 décembre 2013 la société Y soutient que le contrat signé est dépourvu d'ambiguïté de sorte qu'il fait la Loi des parties et ne saurait être interprété. Elle allègue donc que c'est à tort que le tribunal a interprété le contrat en estimant que la volonté de ladite société avait toujours été dissimulée à son cocontractant et avait consisté à se servir de la Raquette LT 12 « comme un support de communication évènementielle sans jamais avoir cherché à produire cette raquette à une fin. » Elle affirme que le fait que la première série ait été une série limitée avec 650 raquettes numérotées mises en vente ne constitue en rien la preuve d'une quelconque mauvaise foi de la société Y qui aurait laissé entrevoir une possibilité de réassort tout en sachant qu'elle n'aurait pas lieu, que les parties se sont entendues pour poursuivre la fabrication des raquettes LT 12 au-delà de la première série de 650 pièces en cas de succès commercial et d'un nouvel accord entre celles-ci.

La société Y fait valoir sur le fondement de l'article L. 442-6, I alinéas 2 et 3 du code de commerce, qu'il n'existe pas le moindre déséquilibre significatif entre les parties dont les obligations sont équilibrées et réciproques dès lors que le contrat prévoyait des dispositions sur les quantités, l'approvisionnement, le partage des investissements, que le tarif négocié pour la tranche de 1 à 2000 raquettes ne saurait donc caractériser un déséquilibre significatif.

Les intimés répliquent que les équipes techniques commerciales et juridiques de la société Y ont usé et abusé de la situation de dépendance de la société AZ Atelier, partie économiquement la plus faible, que sous le couvert d'un partenariat de conception et de fabrication d'un produit innovant, la société Y a de fait dissimulé une opération de pure communication, dont les bases économiques sont totalement différentes et radicalement contraires à l'accord économique de juillet 2013 qui a permis la mise en production puis la livraison des 650 raquettes numérotées, que si la société AZ Atelier avait connu les véritables intentions de la société Y, elle n'aurait pas contracté en raison des fonds qu'elles a perdus dans la fabrication des raquettes.

Les intimés écrivent page 45 de leurs conclusions que depuis l'origine toute la relation est basée (à tout le moins en apparence) sur la mise en place d'un partenariat devant déboucher sur la production d'un volume important de raquettes pour rendre le projet économiquement viable pour le concepteur et le fabricant de la LT 12.

Si la société Y est plus puissante économiquement que la société AZ Atelier, celle-ci n'est pas un néophyte en la matière puisque ses activités portent sur l'étude et la fabrication de skis sur-mesure et suivant une technologie brevetée ainsi que sur l'étude, le développement et la fabrication de produits mettant en oeuvre des matériaux composites et assimilés. Les deux partenaires avaient pour mission de concevoir la raquette de tennis, la société AZ Atelier de la fabriquer et la société Y de la commercialiser, chaque partie ayant pour but de rechercher le profit légitime résultant de ses investissements.

L'élaboration du partenariat, le rôle dévolu à chacun en fonction de ses compétences, la signature d'un contrat de fabrication limité dans le temps et le volume produit afin de vérifier le succès du produit sur la base d'un projet économique plus ambitieux proposé plusieurs mois auparavant, le rôle primordial de M. X dans la construction du projet excluent que la société Y ait eu la volonté de soumettre ou de tenter de soumettre son partenaire lors de la signature du contrat. M. X n'allègue pas le fait que la société Y l'ait contraint à céder ses droits d'invention, cette cession intervenant dans l'équilibre du projet.

La société AZ Atelier indique que pour réaliser ce projet, elle a délaissé l'activité « Ski » devenant économiquement dépendante de la société Y. Cependant, elle ne démontre pas que cette dernière l'ait contrainte à abandonner ses activités précédentes ni qu'elle ait abusé de cette situation.

Le contrat de fabrication comporte en annexe des volumes de production à atteindre et un prix du produit fixé en fonction de celui-ci ; il est fondé en partie sur le projet économique qui a été élaboré entre les parties et qui mentionne une évolution dans la production dont les modalités ont été rappelées ci-dessus.

La société AZ Atelier produit plusieurs extraits d'articles de presse (pièce 27, 28, 29) illustrant la campagne publicitaire lancée autour de la raquette de tennis LT 12 tels que :

« C'est du jamais vu. La semaine dernière, Y a dévoilé en grande pompe à PARIS sa nouvelle raquette nommée LT 12 seulement 650 exemplaires seront mis en vente à partir du mois d'avril prochain au prix de 550 € la LT 12 est entièrement fabriquée à la main en FRANCE et seulement 650 exemplaires (tous numérotés seront mis en vente) pour rappel, Y avait dévoilé en 1961 une raquette métallique. A la fin des années 80 l'équidjet révolutionne le tennis grâce à sa forme et son maillage innovant » (Pièce n° 28 article SO TENNIS)

Si à plusieurs reprises dans des articles de presse, la société Y a émis l'hypothèse que seules 650 exemplaires numérotés seraient commercialisés, outre que cette déclaration est de nature à favoriser la vente du produit en le présentant comme une édition limitée, cela correspondait au choix des parties de vérifier par une première vente le succès de la raquette de tennis.

Cependant, dans un compte rendu du 15/11/2013, la société Y indique : « nous ne deviendrons pas un vendeur de raquette et précise dans quel cadre s'inscrit le projet: la raquette est un support/prétexte pour vendre textile maroquinerie + APL et asseoir la promesse de la marque. »

Il résulte de ces éléments que si la société AZ Atelier a présenté une proposition économique correspondant à un véritable projet de partenariat, sans espérer aucune autre retombée commerciale, indiquant avoir délaissé ses autres activités, la société Y a envisagé le projet qui lui a été a été soumis comme support marketing de ses autres activités, fabrication de vêtements, souliers et accessoires.

La société Y, faisant suite à un entretien téléphonique le 30 septembre 2015 avec M. X, gérant de la société AZ Atelier, échangeait entre collaborateurs le mail suivant le 1er octobre 2015 avant de le soumettre à l'approbation de celui-ci:

Bilan de l'opération Y T12 pour Y :

Malgré les problèmes de qualité au tout début de notre collaboration et retards de livraisons rencontrés impliquant des répercussions pour Y en termes de vente, de surcoûts engagés et frustrations clients / Distributeurs, le projet est une belle réussite et a répondu pleinement à nos attentes quant à notre stratégie de communication et notre positionnement premium.

Concernant la gestion de la fin du contrat et notamment la production de raquettes, nous avons convenu ensemble que nous ne ferons pas de réassort au-delà des 650 raquettes livrées, notre stratégie de communication étant traduite par la production d'une série limitée à 650 exemplaires uniquement.

Bilan de l'opération L. T12 pour AZ Atelier :

Tout d'abord nous regrettons cette perte d'exploitation de 144 K euros pour ton entreprise, mais comme tu nous as très justement exprimé lors de notre debrief c'est une réussite en terme d'image pour ton entreprise et un rayonnement mondial de ton « savoir-faire » notamment par les nombreuses retombées presse et la communication virale lors de nos événements.

Il résulte de ces échanges de courriels entre le 1er et le 3 octobre 2015 que M. X, qui n'a pas rédigé le compte-rendu formalisant la rupture du contrat, n'est pas l'initiateur de cette rupture.

Sur l'exécution par les parties de leurs obligations contractuelles la société Y prétend que l'accord économique du 23 juillet 2013, intitulé « proposition économique », mentionnant les volumes n'a aucune valeur contractuelle et que seul le contrat signé le 13 décembre 2013 comportant uniquement une obligation de commander 650 raquettes engage les parties, que la société AZ ATELIER n'a pas respecté ses obligations essentielles concernant tant les délais impératifs de livraison que la qualité attendue des raquettes L. T12 dont elle était le garant, que c'est la raison pour laquelle les deux parties ont décidé au mois d'octobre 2015 de s'abstenir de tout réassort.

Les intimés répliquent que l'accord économique du 23 juillet 2013 a une valeur contractuelle en ce qu'il pose les bases d'un partenariat durable, définissant notamment clairement des quotas de commande minimum permettant d'établir un seuil de rentabilité pour le futur fabricant, concepteur de la L. T12, et qu'il a été validé par le comité exécutif de la société Y Les intimés ajoutent que le non-respect de ces délais est lié au manque de coopération de la société Y voire à son attitude clairement contre-productive, que la société Y n'apporte pas la preuve d'un défaut de qualité, d'autant qu'elle n'a jamais fourni un cahier des charges précis, témoignant ainsi de son peu d'intérêt pour la qualité technique du produit.

En application de l'article 1134 code civil, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve de l'obligation, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Les intimés reprochent à la société Y :

- de ne pas avoir respecté les quotas prévus au contrat

- d'avoir mis fin au contrat de manière unilatérale en présentant la rupture comme issue d'un commun accord

- la livraison tardive de la machine de topographie

La proposition économique du 23 juillet 2013 comportait plusieurs options et les conditions suivantes : il était prévu en contrepartie de la cession du brevet et de ses extensions notamment aux USA, un contrat de production d'une durée de cinq ans à raison de 2000 raquettes par an ou 10 000 raquettes au total sur la base d'une commande annuelle qui la première année devrait produire 2000 pièces.

La société Y a donné son accord sur cette « proposition économique» par courrier du 3 septembre 2013, selon la seconde option (moulage en France, décoration en Chine, finition / montage /emballage en France) en la conditionnant à la signature d'un contrat concomitant à la cession par M. X, gérant de la société AZ Atelier à la société Y des droits sur le brevet français d'invention.

Un contrat a été signé le 13 décembre 2013 limitant sa durée à deux ans et reprenant dans ses annexes la production de 2000 raquettes avec une première commande de 650 raquettes, le réassort étant soumis à l'accord des parties. Il sera ajouté que le prix de la raquette versé à la société AZ Atelier par la société Y a été fixé à la somme de 296,84 euros pour une quantité produite de 2000 raquettes.

Pour justifier l'absence de réassort à l'issue de la commande de 650 raquettes de tennis, la société Y a opposé l'existence de retards de livraison et de difficultés techniques lors de la réalisation des raquettes.

Par courriel du 16 décembre 2014, la société Y indiquait à sa cocontractante que seules 145 raquettes sur 650 avaient été fabriquées et livrées le 15 décembre 2014, et demandait si la livraison du reliquat pouvait intervenir entre le 1er janvier et la fin du mois de mars 2015.

Or, il était stipulé à l'annexe IX du contrat du 13 décembre 2013 les modalités suivantes :

« 650 pièces livrables avant fin décembre 2014, 50 pièces le 15 septembre 2014 au plus tard, puis 200 pièces par mois sur le dernier trimestre 2014 ».

La société Y verse aux débats plusieurs courriels des mois de mars et mai 2015 (pièce 8) faisant état de commandes de raquettes à laquelle elle ne pouvait répondre, n'ayant pas de produits disponibles. La société Y indique avoir reçu 378 raquettes au cours du premier semestre 2015 puis 126 raquettes le 14 septembre 2015.

Aux termes de courriels en date des 6 mars et 6 mai 2015, la société Y, s'inquiétant du retard de livraison des raquettes, la société AZ Atelier invoquait un défaut de puissance électrique de l'atelier, l'insuffisance ou l'absence de personnel, « un taux de rebut énorme» et « une mise en production plus complexe que prévu ».

L'article 3.2 du contrat de fabrication stipule que « le fournisseur qui a été sélectionné par Y en raison de, et est réputée mondialement pour, son niveau de technicité et son expertise, s'engage à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que la raquette Y soit de la plus haute qualité et technicité, d'un niveau élevé de finition et approprié à une clientèle désirant le plus haut standard commercial ».

S'agissant d'un produit innovant, se reposant sur les performances de la société AZ Atelier, la société Y n'a procédé à une campagne de tests mécaniques qu'un an après le démarrage de la production de la raquette alors même qu'un devis avait été établi en ce sens le 17 juillet 2012 par la société ESP Consulting.

La société Y verse aux débats un article de presse du magazine GQ, en date du mois d'avril 2015 qui rapporte « la marque au crocodile revient avec la L. T12, une élégante raquette composée à 70 % de bois (noyer, balsa, tilleul) pour absorber les vibrations et 30 % de graphite «pour une grande vitesse de balle. » Les bres de graphite sont tricotées comme de la laine et liées au cadre avec de la résine. GQ l'a testée et elle offre un joli confort de jeu. Son manque de peps oblige à décomposer chaque coup, comme jadis à l'école de tennis, an de faire sortir la balle proprement de la raquette. Parfaite pour taper des balles ou s'échauffer avant de matcher ».

Il résulte d'un rapport d'étude de la société ESP Research en date du 26 novembre 2015 que parmi les cinq raquettes LT 12 testées, une seule raquette (n° 530) obtenait des bons résultats de performances mécaniques après un vieillissement en condition de jeu équivalent à 4 matchs et demi de tennis, puisqu'elle augmentait son niveau de restitution d'énergie et son confort à l'impact. Deux raquettes (n° 538 et n° 557) obtenaient des résultats moindres, puisqu'elles amélioraient leur confort à l'impact mais perdaient en restitution d'énergie. Enfin, deux raquettes (n° 531 et n° 552) ont présenté des mauvais résultats en performances mécaniques, liés à l'apparition d'altérations physiques sur le cadre entourant le tamis en moins de 2 matchs de tennis simulés (écaillement du vernis et probables modifications structurelles internes). Ces altérations entraînaient une détérioration du confort de la raquette d'environ 10%, pour un niveau de restitution d'énergie inférieur ou équivalent.

Les intimées opposent à cette étude tardive celle réalisée le 16 janvier 2015 concluant ainsi: « l'analyse des performances mécaniques à l'impact permet ici de mettre en évidence que les qualités d'absorption des forces d'impact du cadre L. LT12 sont relativement bonnes, même supérieures à la moyenne du marché concurrentiel. En revanche, le cadre L. LT 12 présente moins d'élasticité à l'impact que les cadres Babolat, Wilson et Head, et offre ainsi une restitution d'énergie plus limitée. En situation de jeu, le cadre L. LT 12 se distingue du cadre Babolat par son confort amélioré et sa vitesse de jeu plus élevée, mais ne se démarque pas du cadre Wilson. En revanche, le cadre L. LT 12 est le moins bien évalué par les joueurs au niveau du ressenti subjectif, bien que son design semble le plus apprécié. Pour finir, le cadre L. LT 12 semble parfaitement conserver ses propriétés de restitution d'énergie à usage, même si des modifications importantes de sa raideur laissent suggérer des changements structurels sous l'effet des frappes. »

En conséquence, l'étude du 26 novembre 2015 est intervenue postérieurement à la rupture du contrat. L'étude communiquée le 16 janvier 2015 conforte la position favorable de la raquette LT 12 par rapport à la concurrence. La société Y ne justifie pas de l'existence de plaintes de clients résultant de la qualité du produit.

De plus, la société AZ Atelier indique que dès la fin septembre 2014, face à la médiocre qualité des prestations du sous-traitant chinois en charge de la décoration de la raquette selon le choix de la société Y correspondant à l'option 2 de la proposition économique, cette dernière a fait réaliser cette prestation dans les ateliers de la société AZ Atelier. Il sera fait observer que la machine de tampographie destinée à la décoration des raquettes n'a été livrée qu'au mois de décembre 2015 soit postérieurement à la rupture des relations alors même que les courriels échangés entre les parties démontrent que dès la fin du mois d'octobre 2014, la commande de cette machine avait été validée. Il importe peu la société AZ Atelier ne se soit pas plainte de devoir assumer l'incidence de cette prestation non comprise à la convention.

Aux termes de son courriel de rupture en date du 15 octobre 2015, la société Y fait état de problèmes de qualité au tout début de la collaboration et de retards de livraisons mais conclut que le projet est une belle réussite et a répondu pleinement à ses attentes quant à sa stratégie de communication et son positionnement premium. Elle ne mentionne pas qu'elle interrompt le contrat en cours en cessant toute commande en raison de défauts de qualité du produit ou d'incapacité de la société AZ Atelier à produire dans le délai imparti.

Les deux parties ont invoqué le souhait de fabriquer et de commercialiser une raquette de tennis de haute technicité qu'elles ont conçue ensemble. Si la société Y a financé le projet, elle a laissé la société AZ Atelier assumer seule la fabrication de la raquette et les défauts d'un prototype sans assistance technique alors même qu'elle se présente comme coconcepteur. Si la société AZ Atelier était en mesure de concevoir une raquette innovante, elle ne pouvait pas anticiper les difficultés matérielles qu'elle a rencontrées s'agissant d'une petite structure. La société AZ Atelier a été confrontée à l'exigence de concevoir un produit de haute technicité sans pouvoir bénéficier de l'appui financier adapté de la société Y qui en avait les moyens mais a dû assumer les défaillances du sous-traitant chinois. Lorsque la société AZ Atelier a fait part des difficultés qu'elle rencontrait pour expliquer les retards dans la livraison, la société Y n'a proposé aucune aide à son partenaire alors que les clients attendaient leur livraison. En revanche, face à la défaillance du sous-traitant chinois, la société AZ Atelier a naturellement repris cette prestation sans disposer des moyens pour y procéder. La société Y invoque l'application du contrat, soulignant que la partie fabrication revenait à la société AZ Atelier, et qu'elle-même avait participé à la conception du produit, et avait apposé sa marque sur celle-ci. Pour autant, la société Y, qui finançait le projet, ne s'est pas assurée que sa partenaire était en mesure de le mener à bien.

Lorsqu'il a été mis fin au contrat, la société AZ Atelier a fait part d'une perte d'un montant de 144 000 euros, la société Y indiquant que pour elle, le succès commercial avait été total.

La société AZ Atelier estime qu'elle pouvait prétendre à la fabrication en ses ateliers de 10.000 raquettes LT 12 sur 5 ans au prix unitaire convenu de 296, 84 € H.T pour les 2000 premières unités, puis un prix dégressif à compter de 5000 unités (277, 52 euros) et enfin 266, 08 euros en cas de commandes de 10 000 unités.

Si la proposition économique prévoyait la fabrication de 10 000 raquettes sur une durée de 5 ans à raison de 2000 unités par an, force est de constater que le contrat signé entre les parties le 13 décembre 2013 l'a été pour une durée de deux ans avec toutefois une première commande de 650 raquettes dont le prix a été fixé pour une évaluation de 2000 unités à produire.

Aux termes du contrat de fabrication ferme signé entre les parties, la société AZ Atelier pouvait espérer produire 2000 raquettes sur la durée du contrat. Seules 650 raquettes ont été commercialisées sans qu'un défaut de qualité ne soit démontré durant l'exécution du contrat. Les difficultés d'approvisionnement sont insuffisantes pour justifier l'arrêt de la production en ce qu'il pouvait y être remédié par les investissements nécessaires.

Il existe un lien de causalité direct entre l'arrêt du contrat de fabrication imposé par la société Y et les pertes subies par la société AZ Atelier qui en a assumé seule les conséquences, le prix de la raquette ayant été fixé pour une production de 2000 unités.

Au vu de ces éléments, il y a lieu de constater que la société Y a exécuté le contrat de fabrication de manière déloyale en ce qu'elle y a mis fin de son propre chef sans respecter les intérêts de sa cocontractante alors même qu'en contrepartie, elle a obtenu la cession des droits de M. X sur le brevet d'invention. La société AZ Atelier est fondée à réclamer l'indemnisation des dommages qui en sont résultés.

Sur les préjudices

Sur les demandes de la société AZ Atelier la société Y fait valoir sur le fondement des articles 1315 (ancien) et 1153 (nouveau) du code civil et de l'article 9 du code de procédure civile, que la société AZ Atelier n'a pas démontré le montant de son préjudice, la somme allouée par le tribunal étant déconnectée de la réalité économique du dossier.

La société AZ Atelier réplique que son activité a été indiscutablement perturbée, d'où des pertes d'exploitation, qui ont conduit à son placement en redressement judiciaire. Elle sollicite l'indemnisation d'un préjudice économique et d'un préjudice moral du fait des manquements et du comportement déloyal de la société Y

La société AZ Atelier a subi un préjudice économique résultant du fait qu'elle a fabriqué 650 raquettes pour un prix défini pour 2000 unités, ayant calculé ses investissements sur ces bases. La société Y devait donner à la société AZ Atelier les moyens de produire au moins 2000 raquettes sur la durée du contrat de deux ans ou l'indemniser de cette perte si elle mettait fin au projet.

La société AZ Atelier produit un tableau décomposant le coût de la raquette selon le nombre produit. Sur une base de 2000 unités par an et le prix de 296, 84€, sa marge s'élève à 38, 40 %. La société Y conteste la pertinence du document élaboré mais celui-ci est fondé sur les chiffres indiqués au contrat, la marge retenue n'étant pas excessive.

En conséquence, le préjudice économique subi par la société AZ Atelier s'élève à 2000-650 = 1350 raquettes X 296,84 € = 400 734 € X 38, 40% = 153 881, 85 euros le jugement sera infirmé sur ce point. La société Y sera condamnée à verser à la société AZ Atelier la somme de 153 881, 85 euros à titre de dommages-intérêts.

Il n'est pas démontré que la société AZ Atelier a subi un préjudice moral suite à l'échec de ce projet, son placement en redressement judiciaire étant insuffisant à le démontrer.

Sur la demande de M. X au titre de ses préjudices la société Y estime, sur le fondement de la jurisprudence selon laquelle la responsabilité civile a pour finalité de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit sans qu'il en résulte pour la victime ni perte ni profit, que Monsieur Z. n'a pas un préjudice distinct de celui de l'entreprise dont il est l'actionnaire majoritaire et le gérant, dès lors l'indemniser à titre personnel reviendrait à l'indemniser deux fois en violation du principe de la réparation intégrale.

Les intimés répliquent que la société a capté le savoir-faire et l'invention de Monsieur Z. sans aucune contrepartie, et que les sommes allouées à la société AZ Atelier par le jugement attaqué ne permettent de couvrir le préjudice distinct subi par cette société et celui de Monsieur Z.

S'agissant de l'invention, M. X a cédé ses droits sur le brevet déposé par la société Y et cet aspect relève de l'examen de la procédure renvoyée devant le tribunal judiciaire.

S'agissant du projet commun avec la société Y, le tribunal de commerce a indemnisé M. X pour le temps passé à son développement pour lequel il a perçu une rémunération largement inférieure à celle qu'il pouvait escompter en contrepartie des perspectives économiques du partenariat avec la société Y. Le tribunal de commerce a retenu que cette rémunération a été limitée à 9000 € par an dans le cadre de l'exécution du contrat et lui a alloué la somme de 75 000 € de dommages-intérêts. Compte tenu de l'investissement professionnel de M. X, le tribunal de commerce a justement apprécié le préjudice subi résultant du temps passé en vain au développement du projet et le jugement sera confirmé de ce chef.

Si l'échec de ce projet a entraîné des difficultés pour la société AZ Atelier, il a été retenu que l'abandon de la fabrication de skis résulte d'un choix personnel et non contraint ni imposé par la société Y qui n'a donc pas à assumer les conséquences du redressement judiciaire et les incidences financières qui en sont résultées pour M. X tel que l'abandon de son compte courant.

Les demandes de M. X de ce chef seront rejetées.

Sur la demande de publication de la décision la nature du litige ne justifie pas que soit ordonnée la publication de la décision.

Sur les demandes annexes les condamnations de première instance pour les frais irrépétibles et les dépens seront confirmées.

Compte tenu de l'issue du litige, chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles d'appel. La société Y qui demeure débitrice assumera les dépens de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

Dans la limite de l'appel, infirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté les demandes au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, en ce qu'il a condamné la société Y à verser à M. X la somme de 75 000 euros à titre de dommages et intérêts, sur les frais irrépétibles et les dépens, statuant à nouveau,

Condamne la société Y à payer à la société AZ Atelier la somme de 153 881,85 euros en réparation de son préjudice économique,

Rejette la demande de la société AZ Atelier en réparation de son préjudice moral,

Rejette la demande de M. X en remboursement du premier abandon de son compte courant,

Rejette la demande de publication de la décision,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, pour l'instance d'appel,

Condamne la société Y aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par Me Frédérique E., avocat.