CA Paris, Pôle 4 ch. 13, 19 octobre 2021, n° 19/09052
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Accademia Fine Art (SARL)
Défendeur :
Raspail Investissement 8 (Sasu), Northern International Investment Limited (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cochet
Conseillers :
Mme d'Ardailhon Miramon, Mme Moreau
Faits et procédure :
Selon une vente de gré à gré du 23 avril 2014, la société Northern International Investment Limited (ci-après, la société Northern) a acquis auprès de la société Raspail Investissement 8 (ci-après, la société Raspail), société de courtage en œuvres d'art, au prix de 175 000 euros HT, deux dessins présentés l'un comme étant de Keith Haring et l'autre de Jean-Michel B., accompagnés de leurs certificats d'authenticité et dont elle avait fait l'acquisition auprès de la société Accademia Fine Art (ci-après, la société Accadémia), société de commissaire-priseur, au prix de 150 000 euros.
Le 29 juin 2015, la société Northern a confié les dessins à la société Sotheby's, opérateur de ventes volontaires, afin qu'ils soient proposés dans l'une de ses prochaines ventes aux enchères publiques.
La société Sotheby's a indiqué à la société Northern, par courrier électronique du 11 novembre 2015, que selon les fondations des deux artistes qu'elle avait consultées, ni les dessins, ni les certificats joints n'étaient authentiques et a refusé en conséquence de les mettre en vente aux enchères.
La société Northern a alors réclamé à la société Raspail le remboursement du prix de vente, par courriel du même jour, ce que la société Raspail a refusé le 26 novembre 2015, en l'absence d'avis écrits des deux fondations.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception de son conseil du 11 décembre 2015, la société Northern a mis la société Raspail en demeure de lui restituer le prix de vente en faisant valoir la nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue.
Par courriel du 22 décembre 2015, le conseil de la société Raspail a répondu qu'il ne serait pas procédé à l'annulation de la vente sur la seule base d'un avis, non motivé, de la société Sotheby's.
Se prévalant d'avis écrits obtenus le 14 avril 2016 de la Keith Haring Foundation puis le 3 mai 2016 de l'Estate of Jean Michel B., concluant chacun à l'inauthenticité des certificats, la société Northern a, par lettre officielle de son avocat du 2 juin 2016, sollicité à nouveau l'annulation amiable de la vente et le remboursement des frais exposés, demande à laquelle s'est opposé le conseil de la société Raspail par lettre du 25 juillet 2016.
Par acte du 17 novembre 2016, la société Northern a alors assigné la société Raspail devant le tribunal de grande instance de Paris en annulation de la vente et en restitution du prix.
Par acte du 13 décembre 2016, la société Raspail a assigné en intervention forcée et en garantie la société Accademia Fine Art auprès de laquelle elle avait acquis les dessins en cause, laquelle société a alors attrait en la cause la société Allianz Iard en qualité d'assureur de M. G., vendeur initial des dessins, par assignation en date du 21 juillet 2017.
Les affaires ont été jointes par ordonnances du juge de la mise en état prononcées le 7 février 2017 (RG17/00156 avec RG 16/16418) et le 9 janvier 2018 (RG17/11706 avec RG 16/16418).
Par jugement du 8 janvier 2019, le tribunal a :
- rejeté comme tardive la demande en nullité de l'assignation,
- mis hors de cause la société Allianz Iard,
- prononcé l'annulation pour erreur sur les qualités substantielles de la vente intervenue le 23 avril 2014 entre la société Raspail et la société Northern, portant sur deux dessins présentés l'un comme étant de Keith Haring et l'autre de Jean-Michel B., accompagnés de faux certificats d'authenticité,
- condamné la société Raspail à restituer à la société Northern le prix de vente soit la somme de 175 000 euros HT en contrepartie de la restitution des oeuvres acquises,
- débouté la société Northern de sa demande au titre de la perte de chance,
- condamné la société Raspail à payer à la société Northern la somme de 3 720 euros en réparation du préjudice matériel pour les frais de transport et d'entreposage,
- condamné la société Raspail à payer à la société Northern la somme de 4 500 euros en réparation de son préjudice moral,
- prononcé l'annulation de la vente intervenue entre la société Accademia et la société Raspail portant sur deux dessins présentés l'un comme étant de Keith Haring et l'autre de Jean-Michel B., accompagnés de faux certificats d'authenticité,
- condamné la société Accademia à restituer à la société Raspail la somme de 150 000 euros HT au titre du prix de vente et à lui payer la somme de 25000 euros HT en indemnisation de la commission perdue,
- condamné la société Accademia à relever et garantir la société Raspail des condamnations prononcées à concurrence de la somme de 175 000 euros HT,
- débouté la société Raspail du surplus de ses demandes,
- condamné la société Raspail à verser à la société Northern Limited la somme de 4 500 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Accademia à verser à la société Allianz Iard la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- fait masse des dépens et dit qu'ils seront pris en charge par moitié par la société Raspail et la société Accademia,
- accordé à Me Jean A., avocat, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile en ce qui concerne les dépens.
Par déclaration du 24 avril 2019, la société Accademia a interjeté appel de cette décision.
Prétentions des parties :
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 2 décembre 2019, la société Accademia Fine Art (la société Accademia) demande à la cour de :
- la recevoir en son appel et l'y déclarer bien fondée,
- lui donner acte des sommations de communiquer en date des 27 mars 2017 et 21 septembre 2017, qu'elle renouvelle expressément devant la cour à l'encontre de la société Northern,
- dire qu'à défaut de déférer aux dites sommations, la cour devra en tirer les conclusions qui s'imposent et la preuve du caractère contrefait des oeuvres et des certificats n'est pas rapportée,
- dans ces conditions, débouter les intimées des demandes formulées à son encontre,
subsidiairement,
- ordonner une expertise des oeuvres contestées de Keith Haring et de Jean-Michel B., ainsi que des certificats d'authenticité qui les accompagnaient et des certificats de dénégation produits par la société Northern,
- dire que les certificats de dénégation et les oeuvres contestées devront être remis à un séquestre en attendant qu'il soit statué sur leur sort,
- nommer tels experts qu'il plaira à la cour de désigner afin d'examiner les certificats d'authenticité, les certificats de dénégation et les oeuvres contestées,
- mettre les dépens d'instance et d'appel à la charge de la société Northern et la condamner à 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 3 juillet 2019, la société Raspail Investissement 8 (la société Raspail) demande à la cour de :
A titre principal,
- annuler l'assignation introductive d'instance délivrée à la requête de la société Northern,
- dire et juger que l'assignation encourt la nullité,
En conséquence,
- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté comme tardive la demande en nullité de l'assignation,
subsidiairement,
- débouter la société Northern et la société Accademia de toutes leurs demandes, fins et conclusions, et notamment :
- dire et juger que la vente intervenue entre elle et la société Northern n'encourt pas l'annulation,
- dire et juger qu'elle n'a pas commis de faute,
- dire et juger que la société (sic) ne rapporte pas la preuve d'un préjudice direct et indemnisable,
en conséquence,
- infirmer le jugement en ce qu'il a :
- prononcé l'annulation pour erreur sur les qualités substantielles de la vente intervenue le 23 avril entre elle et la société Northern des deux dessins litigieux,
- l'a condamnée à restituer à la société Northern le prix de vente soit 175 000 euros en contrepartie de la restitution des oeuvres,
- l'a condamnée à payer à la société Northern une somme de 3 720 euros correspondant au préjudice matériel lié aux frais d'entreposage et de transport et 4 500 euros en réparation de son préjudice moral,
- prononcé l'annulation de la vente intervenue entre la société Accademia et elle portant sur les deux dessins litigieux accompagnés de faux certificats d'authenticité,
- condamné Accademia à lui restituer la somme de 150 000 euros au titre du prix de vente et 25 000 euros en indemnisation de la commission perdue,
- condamné la société Accademia à la relever et garantir des condamnations prononcées à concurrence de 175 000 euros HT,
- l'a condamnée à verser à la société Northern la somme de 4 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- fait masse des dépens et dit qu'ils seraient pris en charge par moitié par elle et la société Accademia,
très subsidiairement, et alternativement, dans le cas où la cour viendrait à prononcer l'annulation pour erreur sur les qualités substantielles de la vente intervenue le 23 avril 2014 entre elle et la société Northern,
- condamner la société Accademia à la garantir et relever indemne de toute condamnation susceptible d'être prononcée contre elle au titre de l'annulation de la vente des dessins litigieux ou en raison de l'inauthenticité des certificats correspondants,
- annuler la vente intervenue entre elle et la société Accademia et condamner celle-ci à lui restituer la somme de 150 000 euros moyennant restitution des dessins litigieux,
- condamner la société Accademia à lui verser :
- une somme de 25 000 euros correspondant à son préjudice pécuniaire, soit la commission qu'elle avait réalisée et dont elle se trouverait privée du fait de l'annulation de la vente,
- une somme de 4 000 euros à titre de préjudice moral correspondant aux tracas et à la nuisance apportée à sa réputation,
en conséquence,
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
- prononcé l'annulation de la vente intervenue entre la société Accademia et elle portant sur les deux dessins litigieux accompagnés de faux certificats d'authenticité,
- condamné Accademia à lui restituer la somme de 150 000 euros au titre du prix de vente et 25 000 euros en indemnisation de la commission perdue,
- condamné la société Accademia à la relever et garantir des condamnations prononcées à concurrence de 175 000 euros HT,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de réparation à l'encontre de la société Accademia au titre de la réparation de son préjudice moral d'un montant de 4 000 euros,
en tout état de cause,
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident à l'égard de la société Northern afin qu'elle la relève indemne de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre,
en toutes hypothèses,
- rejeter l'ensemble des demandes dirigées à son encontre,
- condamner la société Northern à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Northern aux entiers dépens dont distraction au profit de la selarl Recamier avocats associés prise en la personne de Me Benoit H., avocat au barreau de Paris, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 3 octobre 2019, la société Northern International Investment Limited (la société Northern) demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
- rejeté comme tardive la demande de nullité de l'assignation ou, subsidiairement, juger que l'assignation n'encourait pas la nullité et débouter la société Raspail de sa demande à ce titre,
- prononcé la nullité de la vente du 23 avril 2014,
Et en conséquence :
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Raspail à lui payer la somme de 175 000 euros HT en remboursement du prix de vente,
- infirmer partiellement le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de la perte de chance,
- condamner la société Raspail à lui payer les sommes de :
- 172 440, 86 euros en réparation de son préjudice pécuniaire résultant de la perte de chance de revendre comme authentique l'oeuvre présentée comme celle de Jean-Michel B.,
- 152 203,28 euros en réparation de son préjudice pécuniaire résultant de la perte de chance de revendre comme authentique l'oeuvre présentée comme celle de Keith Haring,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Raspail Investissement 8 à lui payer :
- la somme de 3 720 euros en réparation de son préjudice pécuniaire résultant des frais avancés dans le cadre de la revente des oeuvres,
- la somme de 4 500 euros en réparation de son préjudice moral,
A titre subsidiaire,
- désigner tel expert qu'il lui plaira avec pour mission de :
- dire si l'encre sur papier présentée comme un dessin de Keith Haring, d'une part, et le pastel gras sur papier présenté comme un dessin de Jean-Michel B., d'autre part, sont authentiques,
- pour ce faire, se faire remettre les deux dessins litigieux, vendus le 23 avril 2014, ainsi que les certificats les accompagnants,
- examiner lesdits dessins par tous moyens utiles ou nécessaires à l'accomplissement de sa mission, et notamment tous moyens techniques,
- effectuer toutes recherches utiles,
- prendre connaissance de tous documents utiles,
- entendre toutes personnes susceptibles de lui apporter des informations utiles à sa mission,
- dire que l'expert désigné pourra se faire assister de toute personne de son choix dans l'accomplissement de sa mission,
En tout état de cause :
- condamner in solidum les sociétés Raspail et Accademia :
- aux entiers dépens dont distraction au profit de la Me Jean A., avocat au barreau de Paris, conformément à l'article 699 du code de procédure civile,
- à lui payer la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE
Sur la demande en nullité de l'assignation
Pour rejeter cette exception de nullité, le tribunal retient que la société Raspail n'ayant pas saisi le juge de la mise en état, seul compétent pour connaître des exceptions de procédure, l'incident aux fins de nullité de l'assignation soulevé devant le tribunal est tardif et ne peut prospérer.
La société Raspail fait valoir la nullité de l'assignation délivrée par la société Northern à défaut de contenir l'exposé des moyens en droit conformément aux prescriptions de l'article 56 du code de procédure civile, en ce qu'il n'est pas précisé si sa responsabilité est recherchée au plan contractuel ou délictuel.
La société Northern soutient que :
- la cour d'appel n'est pas compétente pour statuer sur la validité de l'assignation, cette question relevant, jusqu'à son dessaisissement, de la compétence exclusive du juge de la mise en état, que la société Raspail n'a pas saisi,
- au surplus l'assignation n'encourt pas la nullité, l'objet des demandes de la société Northern ayant, dès l'origine, été parfaitement clair et détaillé en fait comme en droit.
Selon l'article 771 du code de procédure civile dans sa version applicable aux faits, « Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal pour statuer sur les exceptions de procédure, les demande formées en application de l'article 47 et sur les incidents mettant fin à l'instance ; les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions et incidents ultérieurement à moins qu'ils ne surviennent ou soient révélés postérieurement au dessaisissement du juge ».
L'exception de nullité de l'assignation, soulevée devant le tribunal alors que seul le juge de la mise en état avait compétence à en connaître, est irrecevable, en confirmation du jugement entrepris.
Sur la demande d'annulation de la vente conclue entre les sociétés Raspail et Northen :
Le tribunal retient que :
- la facture du 23 avril 2014 et les certificats des 22 février 1999 et 19 mars 1999, documents qui sont entrés dans le champ contractuel avant la vente et qui ont été remis à la société Northern lors de celle-ci, n'ont pu que renforcer sa conviction et sa détermination à acquérir les biens litigieux présentés comme des oeuvres authentiques,
- par deux lettres du 14 avril 2016 et 3 mai 2016, la Fondation Keith Haring et le comité Jean-Michel B. ont indiqué ne pas avoir émis ces certificats,
- la société Raspail ne rapporte pas la preuve que ces certificats argués de faux seraient de vrais certificats, puisqu'elle ne démontre ni même n'allègue avoir pris la précaution de vérifier l'authenticité des oeuvres auprès des organismes habilités avant de les céder à la société Northern,
- l'argument selon lequel l'inauthenticité des certificats n'affecte pas l'authenticité des oeuvres est inopérant, étant donné que les mentions de la facture de vente garantissant la paternité de l'oeuvre à Keith Haring, d'une part, et à Jean-Michel B., d'autre part, n'ont été confortées que par la remise à l'acquéreur de ces faux certificats spécifiant que les oeuvres étaient authentiques,
- le consentement de la société Northern a été vicié pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue et sa seule qualité de professionnel, même averti, ne rend pas son erreur inexcusable,
- dès lors, le doute affectant l'authenticité des dessins apparaît suffisamment sérieux au vu de ces éléments, et cette incertitude est de nature à justifier la nullité de la vente sur le fondement des dispositions de l'article 1109 du code civil.
La société Raspail soutient que :
- l'analyse des fautes et responsabilité éventuelles, tributaire de l'appréciation portée sur l'authenticité des certificats et dessins, doit être identique dans les deux ventes,
- le doute est subjectif et ne suffit pas à établir l'inauthenticité des oeuvres,
- la société Sotheby's a vendu l'oeuvre de Keith Haring dix ans plus tôt 'accompagnée d'un certificat d'authenticité avec le timbre de l'Estate of Keith Haring,
- les lettres versées au débat, émanant prétendument de la Fondation Keith Haring et de l'Estate de Jean-Michel B., sont sujettes à caution, ces deux fondations ayant dissous leur comité d'authentification en 2012, soit quatre ans avant les dites lettres, et les sommations auxquelles a procédé la société Accademia étant demeurées sans effet,
- ces lettres se prononcent uniquement sur les certificats et non sur les oeuvres, alors que seule l'inauthenticité des oeuvres est de nature à justifier l'annulation de la vente.
La société Accademia critique également la valeur probante des « attestations de dénégation » ou 'certificats de dénégation' de la Fondation Keith Haring et de l'Estate of Jean-Michel B. en ce que :
- leur signataire n'est pas identifiable et les comités d'authentification étaient dissous depuis 2012,
- la société Northern n'a pas répondu aux sommations de communiquer les pièces de nature à démontrer l'existence juridique des comités d'authentification à la date de la signature de ces documents, ainsi que les pouvoirs, la capacité et les compétences artistiques des signataires de ceux-ci.
Elle ajoute que la vigilance de professionnels avertis, spécialistes de ce genre de transaction, n'a pu être surprise.
La société Northern fait valoir que :
- la facture de vente des œuvres, qui ne comporte aucune réserve, et les certificats d'authenticité entrés dans le champ contractuel lui ont garanti l'authenticité des oeuvres,
- la Fondation Keith Haring et l'Estate de Jean-Michel B. ont confirmé l'inauthenticité des certificats, et il importe peu de savoir qui a procédé à la vérification et si les comités d'authentification existent toujours,
- il ressort d'une comparaison avec le dessin original de B. reproduit dans le catalogue de la galerie Enrico N. que le dessin prétendument de B. n'est qu'une imitation de l'original, que le faux certificat a servi à authentifier,
- il existe un doute sérieux sur l'authenticité des dessins litigieux,
- elle a donc, du fait de son vendeur, commis une erreur sur les qualités substantielles des dessins vendus et sur l'existence de certificats d'authenticité valides, qui a vicié son consentement et justifie l'annulation de la vente du 23 avril 2014,
- elle n'a pas la qualité professionnelle du marché de l'art et des oeuvres des artistes concernés, et une telle qualité de l'acheteur est, en soi, sans incidence sur l'erreur qu'il peut commettre dans le cadre d'une vente.
Selon l'article 1109 du code civil dans sa version applicable aux faits, « Il n'y a point de consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol ».
L'article 1110 du code civil dans sa version applicable aux faits précise que « L'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet (...) ».
La facture du 23 avril 2014 dressée par la société Raspail mentionne une oeuvre de Keith Haring « Intitled 1989 Ink on paper 26 3/4 x 28 1/4 inches » signée et datée au verso accompagnée d'un certificat délivré par Estate of Keith Haring du 22 février 1999, ainsi qu'une oeuvre de Jean-Michel B. « Untiled 1982 Oilstick on the paper 21 6/10 x 16 ¼ » à laquelle est joint un certificat du Committee of the Estate de Jean-Michel B. datée du 19 mars 1999, lesdits certificats, joints aux débats, attestant de l'authenticité des oeuvres.
La facture de vente des oeuvres, qui ne comporte aucune réserve sur l'authenticité de celles-ci et vise expressément les certificats d'authenticité, et la remise desdits certificats à la société Northem lui ont donné la conviction qu'elle acquérait des oeuvres authentiques, la société Raspail reconnaissant d'ailleurs que « dès lors que les oeuvres étaient accompagnées de certificat, il n'y avait aucune raison de douter de leur authenticité (...) » et que « c'est, d'ailleurs, la raison d'être d'un certificat que d'authentifier une oeuvre sans qu'il soit nécessaire de la soumettre (ou de soumettre le certificat) systématiquement à la fondation qui l'a émis ».
La certitude de l'authenticité des oeuvres acquises constituait une qualité substantielle de la vente et une condition déterminante du consentement de la société Northem.
Par lettre du 14 avril 2016, la fondation The Keith Haring, en la personne de son directeur exécutif Julia G., a indiqué au conseil de la société Northen « Le certificat que vous nous avez adressé est incontestablement un faux. Le numéro du certificat que vous nous avez adressé ne correspond pas à nos registres et sa forme est totalement incohérente par rapport aux certificats authentiques émis à cette époque. Nous avons aussi passé en revue nos archives relatives aux demandes d'authentification et n'avons trouvé aucune trace d'une demande d'un certain David G. ».
Pour sa part, The Estate of Jean-Michel B. a indiqué au conseil de la société Northem, par courrier du 3 mai 2016, que « les documents que vous nous avez adressés n'ont pas été émis par l'Estate de Jean-Michel B.. Par ailleurs, l'Estate a dissous son comité d'authentification en 2012 et ne peut, dès lors, émettre d'avis sur l'authenticité de quelque oeuvre que ce soit ».
La valeur probante de ces documents n'est pas utilement discutée par la société Raspail et la société Accademia dès lors qu'ils sont datés et signés, portent l'entête et l'adresse de fondation dont l'existence n'est pas contestée et dotées de la personnalité juridique, que leur contenu ne fait que confirmer les informations obtenues verbalement auprès desdites fondations par la société Sotheby's dans le cadre des vérifications préalables à la remise en vente des oeuvres ainsi qu'il ressort de ses courriers des 11 novembre 2015 et 4 février 2016, et qu'il n'est produit aux débats aucune pièce de nature à remettre en cause la validité de ces documents.
Il importe peu que les comités d'authentification, qui ne constituent qu'une émanation de ces entités, aient été dissous. L'absence de réponse aux sommations de communiquer, en particulier le défaut de production des statuts à jour de ces fondations et de justification de l'identité exacte, des pouvoirs, du curriculum vitae et des capacités artistiques des signataires de ces courriers sont tout aussi inopérants dès lors que ces écrits, émanant de préposés de The Estate of Jean-Michel B. et de la fondation The Keith Haring, engagent ces fondations vis-à-vis des tiers.
Ces écrits des fondations des auteurs contestant la validité des certificats d'authenticité des oeuvres sont de nature à faire naître un doute sérieux sur l'authenticité des oeuvres qu'ils garantissaient.
La vente ayant été conclue dans la conviction erronée de l'acquéreur qu'il s'agissait d'oeuvres authentiques, exclusive de tout aléa à ce titre, c'est par une exacte appréciation que le tribunal a jugé que la vente conclue entre la société Raspail et la société Northem était affectée d'une erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue.
La qualité de professionnel de la société Northem ne suffit pas à caractériser une erreur inexcusable, le caractère apocryphe des certificats d'authenticité n'étant pas en soi décelable.
L'erreur sur les qualités substantielles justifie la nullité de la vente, indépendamment de l'appréciation de la faute du vendeur et sans qu'il soit besoin de démontrer le défaut d'authenticité des oeuvres, la demande d'expertise étant de ce chef infondée.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a annulé la vente et condamné la société Raspail à restituer le prix de vente à la société Northem en contrepartie de la restitution des oeuvres.
Sur la responsabilité de la société Raspail :
Le tribunal retient que :
- la responsabilité professionnelle de la société Raspail est engagée en sa qualité de courtier en oeuvres d'art, dès lors qu'elle n'a pas vérifié la provenance et surtout l'authenticité des oeuvres et qu'elle a fait figurer une mention erronée sur la facture délivrée à l'occasion de la vente garantissant la paternité des oeuvres en se contentant seulement de certificats apocryphes, sans prendre la peine de vérifier qu'ils étaient eux-même authentiques tant auprès de la Keith Haring Foundation que de l'Estate of Jean Michel B.,
- l'indemnisation de la société Northern ne peut être refusée au seul motif que les dessins qu'elle croyait authentiques et souhaitait revendre ne l'étaient pas,
- compte tenu du peu de temps écoulé entre l'achat et la décision de la société Northen de vendre les dessins, de l'état du marché déjà très haut en 2014, et de l'absence de qualités particulières d'exécution de ces oeuvres par rapport à celles dont elle fait état à titre de comparaison, la société Northern ne justifie pas d'une perte de chance certaine de réaliser une plus-value à leur revente,
- les frais avancés à fonds perdus dans le cadre de la revente avortée des oeuvres pour leur transport et entreposage sont justifiés à hauteur de 3 720 euros,
- la société Northern a en outre subi un préjudice moral, évalué à 4 500 euros, en pensant avoir acheté des dessins d'artistes célèbres et cotés alors qu'il s'agissait d'imitations.
La société Raspail prétend que :
- elle n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité, en ce que préalablement à la vente, elle a effectué des recherches sur de précédentes ventes de Keith Haring, dont celle à laquelle a procédé la société Sotheby's le 21 octobre 2004 avec un certificat d'authenticité, qu'elle a interrogé son vendeur sur la provenance des oeuvres, a reçu un document établissant la provenance du dessin de B. de la galerie Toselli, a exigé les originaux des certificats et a examiné en présence de M. B., mandataire de la société Northern et professionnel de la vente d'oeuvres d'art, les dessins qui étaient à Monaco chez un transitaire,
- il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir contacté la fondation Haring ou l'Estate de Jean-Michel B. puisque les comités d'authentification étaient dissous depuis quatre ans et que les fondations refusaient de se prononcer sur l'authenticité des œuvres, que les oeuvres étant accompagnées de certificat, il n'y avait pas lieu de douter de leur authenticité, étant relevé que la société Northerm ne justifie pas de la vérification préalable de l'authenticité du certificat lors de la mise en vente du dessin de B. en mars 2015,
- elle n'a commis aucune faute postérieurement à la vente, n'ayant jamais laissé entendre qu'elle accepterait d'annuler amiablement la vente et ayant suggéré à la société Northem de se procurer des avis sur l'authencité des oeuvres et non pas des certificats,
- la société Northern n'établit pas qu'elle se trouverait privée de la possibilité de vendre les dessins comme des œuvres authentiques, l'inauthenticité des dessins n'étant pas établie,
- sa prétendue faute pour n'avoir pas interrogé les fondations n'a pas privé la société Northern d'une chance de réaliser une plus-value mais d'une chance de ne pas acheter les oeuvres,
- les préjudices matériel et moral allégués ne sont pas justifiés.
La société Northern soutient que :
- la société Raspail, professionnel dans le domaine de l'art, a commis des fautes en ne vérifiant pas, antérieurement à la vente, la provenance et l'authenticité oeuvres, en particulier en n'interrogeant pas les fondations,
- la société Raspail ne justifie pas de recherches de traces antérieures et de la provenance des dessins, en particulier de démarche lui ayant permis de retrouver le catalogue N., référence en France sur l'oeuvre de B. présentant l'oeuvre originale, le document remis par la société Accademia sur l'oeuvre de B. étant insuffisant,
- la société Raspail a également commis des fautes depuis la vente, en laissant entendre à plusieurs reprises qu'elle était disposée à annuler amiablement la vente en cas de transmission des avis écrits des fondations, tout en refusant une telle annulation une fois les documents présentés.
Elle fait valoir, outre un préjudice au titre des frais de transport et d'entreposage des oeuvres et un préjudice moral pour avoir découvert le caractère apocryphe des oeuvres au moment de leur revente et au vu de l'espoir vainement entretenu d'une résolution amiable du litige, un préjudice matériel résultant de la perte de chance de réaliser une plus-value à la revente de dessins authentiques, soit :
- 172 440,86 euros s'agissant de l'oeuvre présentée comme étant de la main de Jean-Michel B.,
- 152 203,28 euros s'agissant du dessin présenté comme étant de Keith Haring, compte tenu de la valeur des oeuvres de ces artistes.
La société Accademia soutient que dans l'hypothèse où la vente serait annulée, la restitution du prix ne saurait excéder le montant payé, le gain espéré au titre de la spéculation envisagée ne pouvant être pris en compte, s'agissant de biens dont la valeur varie en fonction de facteurs subjectifs, impossibles à apprécier objectivement.
La société Raspail, professionnel en matière de vente d'oeuvres d'art, est tenue de s'assurer de la provenance et de l'authenticité des oeuvres vendues.
Pour justifier de recherches sur la provenance et l'authenticité des oeuvres préalablement à la vente conclue avec la société Northem, elle produit aux débats les documents remis par son propre vendeur, la société Accademia, à savoir les deux certificats d'authenticité litigieux et un certificat de la Galleria Toselli Milano, ainsi qu'un extrait d'un catalogue de vente de la société Sotheby's du 21 octobre 2004 portant sur l'oeuvre litigieuse de Keith Haring et la fiche correspondante à ce lot.
Dès lors qu'elle fait valoir être une société à associé unique en la personne de M. B. qui exerce de manière artisanale le métier de courtier en oeuvres d'art, et n'est par conséquent pas un spécialiste des oeuvres de Keith Haring et Jean-Michel B., elle aurait dû vérifier auprès des fondations des auteurs la validité des certificats d'authenticité des oeuvres objets de la vente, produits comme garantie de leur authenticité.
En outre, et ainsi que le fait valoir la société Northem, une simple comparaison entre l'oeuvre objet de la vente, prétendument de B., et celle figurant dans le catalogue de cet auteur, révèle des différences grossières visibles à l'oeil nu. La société Raspail aurait dû s'assurer de la similitude de l'oeuvre vendue avec l'oeuvre répertoriée au catalogue de l'auteur, et au vu du doute en résultant, vérifier de plus fort la validité du certificat d'authenticité auprès de la fondation Jean-Michel B..
Le seul certificat de la Galleria Toselli Milano n'était pas de nature à la dispenser de ces recherches, dès lors qu'il ne contient aucune description ni aucune reproduction du dessin de B. qu'il mentionne, permettant de le rattacher à l'oeuvre objet de la vente. La circonstance qu'elle ait examinée l'oeuvre en présence de M. B., mandataire de la société Northem et également professionnel de l'art, est tout aussi insuffisante à établir qu'elle a rempli ses obligations.
De même, il n'est pas justifié, au moment de la vente, des recherches ayant révélé la vente préalable de l'oeuvre de Keith Harring par la société Sotheby's, et aucun élément n'établit que cette vente a été effectuée avec le certificat d'authenticité litigieux, en sorte que rien ne justifiait qu'elle soit dispensée de recherches sur la validité dudit certificat.
En n'interrogeant pas les fondations quant à la validité des certificats d'authenticité, le vendeur, qui ne caractérise aucune impossibilité matérielle d'effectuer une telle démarche ni à plus forte raison son inutilité, a commis une faute engageant sa responsabilité.
La circonstance que la société Northen n'a elle-même pas procédé à ces vérifications lors de la mise en vente des oeuvres auprès de la société Sotheby's, qui pour sa part engage systématiquement ces démarches, est inopérante à exclure la faute de la société Raspail.
Il n'est en revanche démontré par les pièces produites aux débats aucune faute de la société Raspail postérieurement à la vente, en l'absence d'engagement de sa part à annuler amiablement celle-ci.
La faute ci-dessus caractérisée de la société Raspail a fait perdre une chance à la société Northem de ne pas acquérir les oeuvres présentées comme étant authentiques, ou de les acquérir avec un aléa sur leur authenticité et à des conditions différentes.
Les ayant acquises avec la certitude de leur authenticité, la société Raspail est fondée à faire valoir un préjudice au titre de leur revente avortée en raison du caractère apocryphe des certificats d'authenticité.
La perte de chance de réaliser une plus-value à la revente n'est cependant pas caractérisée par les pièces produites aux débats ainsi que l'ont à juste titre retenu les premiers juges, la société Northem ne produisant aucun élément de comparaison pertinent quant à l'augmentation de la valeur de marché d'oeuvres similaires des auteurs entre le moment de l'acquisition des oeuvres et la date de leur revente avortée.
La société Northem justifie en revanche d'un préjudice matériel au titre des frais de transport et d'entreposage des oeuvres d'un montant de 3 720 euros, vainement engagés pour leur remise en vente, ainsi qu'un préjudice moral pour avoir découvert le caractère apocryphe des certificats d'authenticité à cette occasion, justement évalué à la somme de 4500 euros par les premiers juges, préjudices que la société Raspail doit être condamnée à réparer.
Le jugement est donc confirmé de ce chef.
Sur l'annulation de la vente conclue entre la société Raspail et la société Accademia Fine Art et ses conséquences :
Le tribunal a jugé que l'annulation de la seconde vente entre la société Northern et la société Raspail entraînait l'annulation de la première vente entre celle-ci et son propre vendeur, la société Accademia, avec obligation de restitution du prix de vente et versement de dommages et intérêts, correspondant au montant de la commission de 25000 euros que la société Raspail a perdue par sa faute dans le cadre de la revente, ainsi que la garantie de la société Accademia, et a rejeté la demande de la société Raspail au titre du préjudice moral pour tracas et nuisance apportée à sa réputation.
La société Raspail réplique que :
- à la considérer confirmée, l'annulation de la vente survenue entre elle et la société Northern justifie l'annulation de la vente qu'elle a préalablement conclue avec la société Accademia et sa garantie,
- outre les condamnations prononcées par le tribunal envers la société Accadémia, elle a subi un préjudice moral de 4000 euros au titre des tracas et de la nuisance apportée à sa réputation.
La société Accadémia fait valoir la qualité de professionnel averti de la société Raspail.
La société Accadémia a vendu à la société Raspail des oeuvres sans émettre de réserve sur leur authenticité, sur laquelle il existe un doute sérieux compte tenu du caractère apocryphe des certificats d'authenticité produits.
La seule qualité de professionnel du marché de l'art de la société Raspail n'est pas de nature à caractériser son erreur inexcusable, ladite société n'ayant pas, en sa qualité d'acheteur, l'obligation de vérifier la validité des certificats d'authenticité dont le caractère apocryphe n'était pas d'emblée décelable.
Le tribunal a donc retenu à juste titre la nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue, avec obligation pour la société Accadémia de restituer à la société Raspail le prix de vente et de lui payer la somme de 25000 euros correspondant à la perte de la commission, moyennant la restitution des dessins litigieux, le préjudice moral allégué correspondant aux tracas et à la nuisance apportée à la réputation de la société Raspail n'étant pas caractérisé. La condamnation de la société Accademia à relever et garantir la société Raspail des condamnations prononcées à son encontre à concurrence de la somme de 175000 euros HT, est également justifiée.
Le jugement est donc confirmé en son intégralité.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Outre la confirmation des dispositions du jugement de ce chef, la société Raspail et la société Accademia seront condamnées in solidum aux dépens exposés en cause d'appel, avec les modalités de recouvrement prévues à l'article 699 du code de procédure civile, et à payer à la société Northem une indemnité de procédure que l'équité commande de fixer à la somme de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne in solidum la société Raspail Investissement 8 et la société Accademia Fine Art à payer à la société Northern International Investment Limited la somme de 3 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum la société Raspail Investissement 8 et la société Accademia Fine Art aux dépens d'appel avec les modalités de recouvrement prévues à l'article 699 du code de procédure civile.