CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 24 novembre 2021, n° 20/04265
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Cora (SAS), Supermarchés Match (SAS)
Défendeur :
Eurial Ultra frais (Sasu), Groupe Lactalis (SA), Lactalis beurres & crèmes (SNC), Lactalis Nestlé Ultra frais MDD (SNC), Novandie (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Depelley, Mme Lignières
Avocats :
Me Hardouin, Me Boccon Gibod, Me Saint Esteben, Me Teytaud, Me Calvet, Me Chevalier
La société Cora est une entreprise de distribution alimentaire de grande et moyenne surface (ci-après « GMS »).
La société Supermarchés Match (ci-après « Match ») est également une entreprise de distribution alimentaire de GMS.
La société Groupe Lactalis a pour activité le commerce de gros (commerce interentreprise) de produits laitiers, oeufs, huiles et matières grasses comestibles.
La société Lactalis Beurres & Crèmes (ci-après « Lactalis B&C ») est détenue à 99,99 % par la société Groupe Lactalis, elle gère le segment des corps gras, c'est-à-dire « le beurre, la margarine, les crèmes (les crèmes fraîches, les crèmes UHT, les aides culinaires), les aérosols (bombes chantilly) ».
La société Lactalis Nestle Ultra-frais MDD (ci-après « LNUF MDD ») est issue de la filiale commune créée par Lactalis et Nestlé (Lactalis Neslé Produits Frais dite « LNPF »), elle commercialise les produits ultra frais sous marque de distributeur (ci-après « MDD »).
La société Novandie est une filiale du groupe Andros spécialisée dans la fabrication de produits laitiers frais (crèmes, dessert, mousses) à destination des GMS.
La société Eurial Ultra frais (ci-après « Eurial »), anciennement Senagral, est spécialisée dans la fabrication de produits laitiers frais (yaourts, fromage blanc, crème fraîche et desserts lactés frais).
Ce sont toutes des entreprises qui interviennent sur le marché dit des « Produits Laitiers » c'est à dire des produits laitiers frais tels que des yaourts, des fromages frais, des crèmes fraiches et des desserts lactés.
La décision de l'Autorité de la concurrence:
Par une décision 15-D-03 du 11 mars 2015 (ci-après « la Décision »), l'Autorité de la concurrence a dit que des entreprises fabriquant des produits laitiers (comprenant notamment les sociétés intimées au présent litige) s'étaient concertées, par échanges d'informations et conclusions d'accords portant sur les prix et les volumes dans le secteur des produits laitiers frais vendus sous MDD, enfreignant ainsi les dispositions de l'article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) et de l'article L. 420-1 du code de commerce pour une durée, variable selon les entreprises, comprise entre le 6 décembre 2006 et le 9 février 2012.
Cette Décision a fait l'objet d'un recours devant la cour d'appel de Paris qui, dans son arrêt du 23 mai 2017, l'a confirmée sauf sur le quantum de certaines des amendes et en ce qu'elle avait retenu la société Senagral Holding comme auteur des pratiques illicites.
L'arrêt de la cour d'appel de Paris a fait l'objet d'un pourvoi que la Cour de cassation a rejeté.
L'objet du présent litige :
Les sociétés Cora et Match demandent réparation du préjudice qu'elles estiment avoir subi du fait des pratiques identifiées par la Décision.
La procédure:
Par actes des 21, 22, 23, 27 et 29 mars 2017, remis à personne se déclarant habilitées, les sociétés Cora, Supermarchés Match et la SAS Provera France ont assigné les sociétés Groupe Lactalis, Lactalis Nestle Ultra-frais MDD (LNUPF MDD), Lactalis Beurres&Crèmes, Novandie, la SNC Andros, Eurial, Senagral Holding, General Mills Holding France et les sociétés Yoplait France et Yoplait devant le tribunal de commerce de Paris afin de les voir condamner solidairement à leur payer la somme de 14,8 millions d'euros en réparation du préjudice qu'elles estiment avoir subi du fait que ces sociétés ont agi comme un cartel de prix et de répartition des marchés de certains produits laitiers vendus aux GMS sous MDD.
Par jugement du 20 février 2020, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes:
« DÉCLARE la SAS PROVERA FRANCE irrecevable en ses demandes ;
DÉBOUTE la SAS PROVERA FRANCE de l'ensemble de ses demandes ;
DONNE acte aux SAS Cora et Supermarchés Match de leur désistement à l'encontre de la SNC Andros et des SAS Senagral Holding et General Mills Holding France, qui l'acceptent;
PRONONCE le dessaisissement du tribunal à l'encontre de la SNC Andros et des SAS Senagral Holding et General Mills Holding France ;
DÉBOUTE les SAS Cora et Supermarchés Match de l'ensemble de leurs demandes;
CONDAMNE in solidum les SAS Cora et Supermarchés Match à verser, au titre de l'article 700 du CPC, les sommes de :
- 10.000 € à la SA GROUPE LACTALIS ;
- 15.000 € à la SAS LACTALIS NESTLE ULTRA-FRAIS ;
- 15.000 € à la SNC LACTALIS BEURRES & CREMES ;
- 40.000 € à la SNC NOVANDIE ;
- 40.000 € à la SAS EURIAL ULTRA FRAIS anciennement dénommée SENAGRAL ;
- 15.000 € à la SAS YOPLAIT ;
- 15.000 € à la SAS YOPLAIT FRANCE ;
- 10.000 € à la SAS GENERAL MILLS HOLDING FRANCE ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
CONDAMNE in solidum les SAS Provera France, Cora et Supermarchés Match aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 390,93 € dont 64,73 € de TVA ».
Par acte du 26 février 2020, les sociétés Cora et Match ont interjeté appel du jugement rendu le 20 février 2020 par le tribunal de commerce de Paris.
Par conclusions du 15 mars 2021, les appelantes se sont désistées de leurs demandes à l'égard des sociétés Yoplait France et Yoplait SAS, lesquelles ont accepté le désistement.
Par les dernières conclusions des sociétés Cora et Supermarchés Match déposées et notifiées le 31 mai 2021, il est demandé à la cour d'appel de Paris de
Vu les articles 538 à 570 et 699 du code de procédure civile,
Vu l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
Vu l'article L. 420-1 du code de commerce,
Vu la Directive européenne n° 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014,
Vu les articles 4, 1240, 1343-2 et 1353 du code civil,
Vu les articles L. 481-1, L. 481-2, L. 481-4, L. 481-7, L. 481-8 et L. 481-9 du code de commerce,
Vu les articles 695, 696 et 700 du code de procédure civile
A TITRE PRINCIPAL,
D'INFIRMER le jugement du Tribunal de commerce de Paris n° 2017021571 du 20 février 2020, en ce qu'il a débouté les sociétés Cora et Supermarchés Match de toutes leurs demandes à l'encontre des sociétés Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra Frais MDD, Lactalis Beurres & Crèmes, Novandie SNC, Eurial Ultra Frais (anciennement Senagral), et les a condamnées à verser à ces dernières la somme de 120 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, décomposée comme suit :
- 10 000 euros à la SA Groupe Lactalis ;
- 15 000 euros à la SAS Lactalis Nestlé Ultra-Frais ;
- 15 000 euros à la SNC Lactalis Beurres et Crèmes ;
- 40 000 euros à la SNC Novandie ; et
- 40 000 euros à la SAS Eurial Ultra-Frais, anciennement dénommée Senagral.
A TITRE SUBSIDIAIRE,
DE SURSOIR A STATUER ET RENVOYER à la Cour de Justice de l'Union européenne les questions préjudicielles suivantes en application de l'article 267 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union européenne :
Premièrement, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, où le fait générateur de responsabilité est antérieur à la date d'entrée en vigueur des dispositions de transposition de la Directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des états membres et de l'Union européenne, une juridiction nationale saisie d'une action en dommages et intérêts faisant suite à une condamnation par l'Autorité de la concurrence tant sur le fondement de l'article 101 du TFUE qu'en application du droit national peut-elle, sans contrevenir au principe d'effectivité du droit européen et priver d'effet utile l'article 101 du TFUE, refuser, en invoquant le principe de non-rétroactivité, de faire une application anticipée des présomptions prévues par la directive précitée, en particulier celles relatives (i) au lien de causalité entre entente et préjudice (article 17) et (ii) à l'absence de répercussion des surcoûts par la victime directe (article 13)
Deuxièmement, dans l'affirmative, une juridiction nationale peut-elle, sans contrevenir au principe d'effectivité du droit européen et au principe de proportionnalité, écarter des débats certaines des données produites par la victime au motif que celles-ci, alors qu'elles sont les seules disponibles, ne seraient pas suffisamment représentatives
Troisièmement, dans des circonstances telles que celle de l'affaire au principal, où les pratiques à l'origine du dommage invoqué par le demandeur à l'action en réparation ont été sanctionnées tant sur le fondement de l'article 101 du TFUE qu'en application du droit national, une juridiction nationale peut-elle, sans rendre excessivement difficile l'exercice du droit à réparation et priver d'effet utile les règles issues du droit européen, tenir pour responsable l'entreprise victime de son propre dommage, en se fondant sur ses déclarations relativement à sa politique de prix alors même que cette dernière, au moment de fixer ses prix, ignorait tout de l'existence d'un cartel et du surcoût en résultant
Quatrièmement, lorsque le demandeur à l'action en dommages et intérêts produit au soutien de sa démonstration sur le « pass-on » une analyse économique détaillée montrant, à partir d'une comparaison de ses prix d'achat et de ses prix de vente, que la répercussion du surcoût à ses propres clients n'a été que partielle, une juridiction nationale peut-elle, sans rendre manifestement impossible l'exercice par la victime de son droit à réparation, en méconnaissance du principe d'effectivité du droit européen, écarter ces résultats au profit d'éléments généraux et subjectifs sur le taux de répercussion généralement observé dans le secteur en question
EN CONSEQUENCE, STATUANT À NOUVEAU, de :
DONNER ACTE aux sociétés Cora et Supermarchés Match de ce que leurs demandes intègrent le préjudice causé par l'ensemble des sociétés visées au dispositif de la décision n° 15-D-03 du 11 mars 2015, à l'exclusion des sociétés Yoplait France, Yoplait SAS et Général Mills avec lesquelles elles ont transigé ;
DECLARER les sociétés Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra-frais MDD, Lactalis Beurres & Crèmes, Novandie SNC et Eurial Ultra-Frais (anciennement Senagral) responsables in solidum du préjudice subi par les sociétés Cora et Supermarchés Match du fait du surprix payé sur leurs achats de produits laitiers MDD, tout au long de la période infractionnelle retenue par la Décision Produits Laitiers mais également jusqu'à décembre 2015 ;
CONDAMNER, in solidum, les sociétés Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra-Frais MDD, Lactalis Beurres & Crèmes, Novandie SNC et Eurial Ultra Frais (anciennement Senagral), à verser aux sociétés Cora et Supermarchés Match la somme de 7,1 millions d'euros minimum, à parfaire, dont :
- la somme minimum de 6,1 millions d'euros, à parfaire, correspondant au préjudice qu'elles ont subi, du fait des pratiques sanctionnées par la Décision Produits Laitiers, intégrant le pass-on et l'effet-volume, et
- la somme minimum de 1 million d'euros, à parfaire, liée à la perte de clientèle pour les sociétés Cora et Supermarchés Match ;
En tout état de cause,
ACTUALISER la somme qui sera octroyée à Cora et Supermarchés Match en réparation du préjudice subi en tenant compte du coût moyen pondéré du capital des sociétés Cora et Supermarchés Match ou, alternativement, du taux de financement marginal des sociétés Cora et Supermarchés Match, pour toute la période pendant laquelle elles ont subi un préjudice et jusqu'à complet paiement des sommes correspondantes par les sociétés Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra Frais MDD, Lactalis Beurres & Crèmes, Novandie SNC et Eurial Ultra Frais (anciennement Senagral) ;
CONDAMNER solidairement, les sociétés Groupe Lactalis, Lactalis Nestlé Ultra Frais MDD, Lactalis Beurres & Crèmes, Novandie SNC et Eurial Ultra Frais (anciennement Senagral) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, à payer aux sociétés Cora et Supermarchés Match la somme de 1.000.000 euros au titre des frais qu'elles ont exposés, outre les dépens dont distraction pour ceux-là concernant en la personne de Maître Patricia Hardouin SELARL 2H Avocats et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par les dernières conclusions de la société Eurial déposées et notifiées le 30 août 2021, il est demandé à la cour d'appel de Paris de :
Vu l'article 1240 du code civil,
- Confirmer dans son intégralité, le cas échéant au moyen de substitution de motifs, le Jugement ;
- Débouter les Appelantes de leur demande tendant à ce que soit prononcé un sursis à statuer et à ce qu'il soit renvoyé à la CJUE des questions préjudicielles ;
- Condamner les Appelantes à verser à Eurial la somme de 161.417 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner les Appelantes aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES.
Par les dernières conclusions (n° 2) de la société Groupe Lactalis déposées et notifiées le 30 août 2021, il est demandé à la cour d'appel de Paris de :
Vu l'article 1240 du Code civil,
Vu l'article 700 du Code de procédure civile.
DE CONFIRMER dans toutes ses dispositions le Jugement du Tribunal de commerce de Paris n° 2017021571 du 20 février 2020, et, y ajoutant, de déclarer que la responsabilité de la société GROUPE LACTALIS ne peut pas être engagée dès lors qu'elle n'a pas été sanctionnée par la Décision comme auteure des pratiques ;
DE CONDAMNER in solidum les sociétés Cora et Supermarchés Match à verser à la société GROUPE LACTALIS la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, en sus des sommes déjà octroyées par le Jugement du Tribunal de commerce de Paris ;
DE CONDAMNER in solidum les sociétés Cora et Supermarchés Match aux entiers dépens.
Par les dernières conclusions des sociétés LNUF MDD et Lactalis B&C déposées et notifiées le 30 août 2021, il est demandé à la cour d'appel de Paris de :
Vu l'article 1240 du Code civil,
Vu l'article 700 du Code de procédure civile.
A TITRE PRINCIPAL,
DE CONFIRMER dans toutes ses dispositions le Jugement du Tribunal de commerce de Paris n° 2017021571 du 20 février 2020 ;
DE CONDAMNER in solidum les sociétés Cora et Supermarchés Match à verser à chacune des sociétés LNUF MDD et Lactalis B&C la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, en sus des sommes déjà octroyées par le Jugement du Tribunal de commerce de Paris ;
DE CONDAMNER in solidum les sociétés Cora et Supermarchés Match aux entiers dépens.
A TITRE TRES SUBSIDIAIRE,
DE REJETER les demandes des sociétés Cora et Supermarchés Match de sursis à statuer et de renvoi à la Cour de Justice de l'Union européenne de quatre questions préjudicielles,
DE REJETER la demande d'actualisation des intérêts (à 5,2 ou 2,5 millions d'euros) des sociétés Cora et Supermarchés Match en ce qu'elle repose sur l'utilisation, non justifiée, du taux moyen pondéré du capital (WACC) ou du taux marginal auquel les ressources de financement sont obtenues,
DE REJETER la demande de condamnation in solidum des sociétés LNUF MDD et Lactalis B&C à leur verser, au titre des frais irrépétibles, la somme exorbitante de 1.000.000 euros.
Par des dernières conclusions de la société Novandie déposées et notifiées le 19 août 2021, il est demandé à la cour d'appel de Paris de :
Vu les articles 2 et 1240 du Code civil ;
Vu l'article 700 du Code de procédure civile ;
A titre principal,
DIRE et JUGER mal fondé l'appel formé par Cora et Supermarchés Match ;
CONFIRMER l'intégralité du Jugement du Tribunal de commerce du 20 février 2020 ;
REJETER toutes les demandes de Cora et Supermarchés Match formulées en appel ;
REJETER la demande formulée à titre subsidiaire par Cora et Supermarchés Match visant à saisir la Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles
A titre infiniment subsidiaire,
REJETER les demandes des Appelantes visant à obtenir l'actualisation de tout éventuel préjudice en tenant compte du coût moyen pondéré du capital ou du taux de financement marginale et ORDONNER l'actualisation au taux d'intérêt légal
REJETER les demandes des Appelantes visant à obtenir la condamnation solidaire des Intimées
En toute hypothèse,
CONDAMNER in solidum les Appelantes aux entiers dépens, dont distraction, et à la somme de 250.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La clôture a été prononcée en date du 31 août 2021.
MOTIFS
Sur la procédure
Par conclusions de procédure du 10 septembre 2021, les sociétés Cora et Supermarchés Match ont sollicité de la cour qu'elle déclare irrecevables les dernières conclusions au fond signifiées le 30 août 2021 par les sociétés du groupe Lactalis et par la société Eurial comme tardives au regard du principe de la contradiction et que soient écartées les pièces nouvelles jointes, plus particulièrement la pièce 20 jointe aux dernières conclusions des sociétés LNUF MDD et Lactalis B&C.
Cependant, comme le relèvent à bon escient les sociétés du groupe Lactalis et la société Eurial, ces conclusions du 30 août 2021 interviennent alors que les intimées n'ont disposé que de trois mois pour conclure un jeu n° 2 après que les appelantes aient conclu plus de six mois après la date de fixation de la date de clôture et de plaidoiries par un jeu n° 2 en mars 2021 puis par de nouvelles conclusions n° 3 en mai 2021 ajoutant des demandes subsidiaires relatives à des questions préjudicielles à la CJUE. Les intimées dans leurs conclusions n° 2 du 30 août 2021 n'ont fait que répliquer aux dernières conclusions au fond des appelantes sans ajouter de moyens nouveaux et la pièce 20 des sociétés LNUF MDD et Lactalis B&C ne constitue qu'une réponse à la présentation économique produite par les appelantes dont la dernière version date du 11 mars 2021. Enfin, la cour relève que les appelantes n'ont pas demandé le rabat de clôture aux fins de déposer un dernier jeu de conclusions au fond avant la date des plaidoiries.
Par conséquent, il n'est pas démontré une atteinte au principe de la contradiction posé par l'article 16 du code de procédure civile qui justifierait le rejet des conclusions n° 2 des sociétés du groupe Lactalis et de la société Eurial du 30 août 2021 pour tardiveté ainsi que des pièces afférentes, cette demande sera rejetée.
Enfin, la Cour constate qu'il n'a pas été relevé appel du chef de dispositif déclarant la SAS PROVERA FRANCE irrecevable en ses demandes.
Sur les demandes d'indemnisation
Les appelantes reprochent essentiellement au jugement attaqué le fait de ne pas avoir procédé à la vérification permettant de savoir si les trois conditions de la responsabilité étaient remplies en sautant l'étape du raisonnement relative à l'existence du lien de causalité entre la faute et le préjudice, et ainsi d'avoir confondu la question de l'existence du préjudice avec celle de sa quantification. Il est également reproché aux premiers juges d'avoir limité leur appréhension économique du dossier à l'analyse d'un seul graphique, ignorant ainsi les analyses économétriques réalisées par le cabinet RBB.
Selon les appelantes, le jugement se méprend en niant l'existence de tout préjudice alors que la Décision a indiqué (Section1§6) que les pratiques "ont concouru à la fixation concertée de prix supérieurs à ceux qui auraient résulté d'une situation de concurrence non faussée" et que des courriers de hausse de prix envoyés pendant la période de cartel ont été versés au dossier. Les appelantes critiquent le jugement attaqué en ce qu'il n'aurait pas suivi les lignes directrices du "Guide pratique" établi par la Commission selon lequel les juridictions doivent s'intéresser aux éléments de preuve figurant dans les décisions des autorités.
Les appelantes contestent la pertinence de l'argumentation développée par la société Novandie tendant à dire que les pratiques retenues par la Décision sont des infractions par objet et non des infractions par effet, en soutenant que justement certains comportements collusoires tels que la fixation horizontale des prix par les cartels peuvent être considérés comme tellement susceptibles d'avoir des effets négatifs en particulier le prix qu'il peut être considéré comme inutile de démontrer qu'ils ont des effets concrets sur le marché. Les appelantes relèvent que l'Autorité de la Concurrence a pu dans sa Décision quantifier un surprix lié aux pratiques compris entre 6 à 10 % (§322, pièce 2) et en déduisent que le préjudice n'est pas seulement plausible mais certain.
Sur le taux de "pass on" pratiqué par les appelantes, celles-ci soutiennent qu'en refusant d'appliquer l'article 1240 du code civil à la lumière de la loi nouvelle (soit la Directive "Dommages" de 2014 transposée à l'article L. 481-4 du code de commerce qui pose une présomption de non-répercussion du surcoût) le tribunal a rendu plus difficile l'exercice de leur droit à réparation et a donc porté atteinte au principe de l'efficacité du droit européen.
En réplique, les intimées demandent toutes la confirmation du jugement attaqué en ce qu'il a considéré que l'existence d'un préjudice certain lié à l'entente n'avait pas été établi par les sociétés Cora et Supermarchés Match. Chacune des intimées s'appuie sur des contre études: rapport Deloitte pour la société Eurial, rapport Compass Lexecon pour LNUF-Lactalis et rapport CRA pour Novandie qui concluent notamment à un surcoût lié à l'entente subi par les appelantes nul ou non significatif sur les périodes concernées.
- l'application du droit commun de la responsabilité civile
La disposition de la directive de 2014/104 (article 17 paragraphe 2) selon laquelle il est présumé que les infractions commises dans le cadre d'une entente causent un préjudice (transposé en droit français par l'ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 introduisant dans le code du commerce les dispositions de l'article L. 481-4) est de nature substantielle car elle affecte directement la situation juridique de l'auteur de l'infraction concernée.
En effet, en attribuant la charge de la preuve à l'auteur de l'infraction et en dispensant la victime de l'obligation de prouver l'existence d'un préjudice subi en raison de la pratique anticoncurrentielle ou d'un lien de causalité entre ce préjudice et cette pratique, cette présomption, n'a pas une finalité purement probatoire, mais est directement liée à l'attribution de la responsabilité civile extracontractuelle à l'auteur de l'infraction concernée et, en conséquence, affecte directement sa situation juridique. Aussi, en considération de sa nature substantielle, l'article 22 paragraphe 1 de la directive s'oppose à ce que cette présomption établie par l'article 17 paragraphe 2 s'applique rétroactivement, c'est à dire s'oppose à ce qu'elle s'applique aux infractions commises avant l'entrée en vigueur de la norme nationale de transposition.
Toutefois, les juges nationaux doivent vérifier la compatibilité de la norme nationale applicable avec le principe de l'efficacité du droit européen. Or, l'article 101 TFUE a un effet direct et les principes de la responsabilité extra-contractuelle en droit français permettent à la personne lésée de demander réparation intégrale du préjudice subi et laisse aux juges nationaux une appréciation souveraine du préjudice. Il en résulte que l'exercice du droit à réparation garanti par le traité [FUE] selon les principes de la responsabilité civile de droit commun n'est pas excessivement difficile ou pratiquement impossible.
Ainsi les pratiques illicites en cause ayant été commises entre décembre 2006 et février 2012, soit avant la date de transposition de la directive de 2014, il ne peut être fait application dans le cadre du présent litige des présomptions légales insérées depuis 2017 à l'article L. 481-4 du code de commerce, l'affaire sera donc examinée au regard du droit commun de la responsabilité civile.
Vu l'article 1240 du code civil,
La responsabilité civile ne peut être engagée que s'il est démontré l'existence d'une faute (le fait générateur), d'un dommage et d'un lien de causalité entre le fait générateur et le dommage.
- la faute
En l'espèce, les faits tels qu'il sont établis par la Décision, confirmée sur ce point par l'arrêt de la présente cour d'appel du 23 mai 2017, c'est à dire une entente par échanges d'informations et conclusions d'accords portant sur les prix et les volumes dans le secteur des produits laitiers frais sous MDD en violation des articles 101 du TFUE et L420-1 du code de commerce, constituent une faute au sens de l'article 1240 du code civil. L'existence d'une faute n'est d'ailleurs pas contestée par les intimées, à l'exception de la société Groupe Lactalis.
En effet, la société Groupe Lactalis conteste l'existence même de la faute qui lui est imputée. Cependant, il ressort du point 260 de la Décision que la responsabilité de la société Groupe Lactalis est établie en raison de sa qualité de société-mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de sa filiale Lactalis B&C détenue à 99,99 %, laquelle n'a pas contesté être l'auteur des pratiques anticoncurrentielles pendant la période de commission des pratiques. La société Groupe Lactalis ne peut donc légitimement arguer du fait qu'elle n'a pas contribué par son attitude fautive à la commission des infractions reprochées dans le présent litige.
- le dommage induit par le fait générateur
Dans une première étape, il conviendra d'analyser si la pratique anticoncurrentielle a induit une perturbation sur la situation des entreprises qui demandent réparation et leur a causé un préjudice certain.
La seconde étape consiste à évaluer le montant de ce préjudice.
- L'existence d'un préjudice certain
Conformément aux dispositions de l'article 9 du code civil, les appelantes, en leur qualité de distributeurs sur le marché des produits laitiers frais vendus sous MDD, marché ayant subi un dommage du fait des pratiques concertées illicites, doivent démontrer avoir elles-mêmes subi le préjudice allégué dû à un surcoût (ou surprix) lié à l'entente et à une diminution des volumes des ventes de ce type de produits.
- le "surcoût" :
Lorsqu'une entreprise est victime d'une augmentation anticoncurrentielle de prix due à une entente, la première composante de son préjudice est liée à l'augmentation de ses coûts, appelé "l'effet surcoût". Le surcoût subi par l'entreprise victime d'une hausse de prix de ses intrants doit ensuite être ajusté pour tenir compte de la possible répercussion de cette augmentation de coûts dans ses propres prix, appelé " l'effet passing-on". La répercussion du surcoût tend à diminuer le préjudice subi par l'entreprise victime. Les montants correspondants doivent donc être déduits de ceux liés aux surcoûts. La répercussion d'une hausse de coût dans les prix est généralement incomplète mais il ne peut pas être exclu qu'elle puisse dépasser 100 % dans certains cas.
En l'espèce, les appelantes s'appuient sur les analyses du cabinet RBB qui procède à partir de données empiriques sur les supermarchés Cora et Match à une comparaison sur une période considérée comme affectée par l'entente soit d'octobre 2007 à décembre 2015 incluant la quasi-totalité des produits MDD achetés par elles, avec des périodes de référence considérées comme concurrentielles soit de janvier 2007 à septembre 2007 puis de janvier 2016 à octobre 2016. Il s'en dégage un surcoût dans leurs prix d'achat aux fabricants (rapport récapitulatif RBB : pièce 5 de Cora et Match, tableau en page 51 sur les résultats des analyses économétriques), comme suit:
- de 7,3 % pour Cora et 8,3 % pour Match : d'octobre 2007 à aout 2009, et d’octobre 2010 à février 2012 (1re et 2nde phases entente)
- de 5,3 % pour Cora et de 7,2 % pour Match : de septembre 2009 à septembre 2010 ("guerre des prix")
- de 4,8 % pour Cora et de 4,3 % pour Match : de février 2012 à décembre 2015 (période d'inertie post-cartel)
Le choix des dates effectuées par le cabinet RBB pour les périodes dites "affectées" par le cartel et celles "de référence" (c'est à dire concurrentielles) sont contestées par les intimées qui font valoir essentiellement que:
- les périodes choisies ne correspondent pas à celles retenues par la Décision,
- la période dite de "guerre des prix" par la Décision ne peut être retenue comme une "période affectée" car elle correspond à une période où la société Novandie (faisant partie de l'entente) a initié une politique de prix très agressive à l'égard de ses concurrents sur le marché concerné, ce qui a troublé l'entente,
- la période d'inertie fixée de février 2012 jusqu'en décembre 2015 n'est pas crédible car trop longue.
Il convient de rappeler que l'Autorité de la concurrence dans sa Décision a défini trois phases dans la période durant laquelle les pratiques anticoncurrentielles ont eu lieu :
- 1re phase de décembre 2006 à août 2009 : entente sur une augmentation des prix,
- 2e phase de septembre 2009 à juin 2010 : "guerre des prix" (conflit commercial entre Novandis et Senoble),
- 3e phase de juillet 2010 à février 2012 : entente sur les volumes et appels d'offres principalement mais aussi sur des augmentations de prix courant 2011.
Il en résulte que si les périodes dites "affectées" choisies par le cabinet RBB pour étudier les effets de l'entente sur les situations respectives des supermarchés Cora et Match ne correspondent pas exactement à la période des pratiques illicites, elles sont bien comprises dans la période dite d'entente fixée par la Décision. L'étude RBB explique son choix de reculer la date de début de la période affectée de quelques mois en relevant à bon escient que les périodes de 2007 à 2009 correspondent très probablement aux effets des réunions du cartel s'étant tenues de fin 2006 à 2009 (et notamment à partir des réunions du 8 février 2017 et du 4 juillet 2007 : notes Yoplait mentionnant les demandes de hausses de prix pour Cora : §97 et 98 de la Décision) et ayant décidé d'une augmentation des prix sur le secteur (le cartel correspondant à 90 % des fabricants de produits laitiers frais vendus sous MDD) avec un décalage dans le temps entre les réunions du cartel et les négociations tarifaires effectives.
Il ressort également de la Décision que des demandes de hausses de prix concertées ont été décidées par les cartellistes courant 2011 (notamment réunions du 4 janvier 2011 et du 22 juin 2011 mentionnant des demandes de hausses de prix pour Cora/Match: §103 et §113 de la Décision).
Cela est confirmé par les lettres de demande d'augmentation de leurs tarifs en 2010 et 2011 de la part de Novandie, Senagral (devenue Eurial) et LNUF MDD reçues par la centrale d'achat de Cora et de Match produites aux débats (pièces 11 à 15 de Cora et Match). Même s'il convient de prendre en compte comme le relèvent les sociétés Eurial et Novandie, le fait qu'une demande d'augmentation des fabricants n'est pas toujours effective du fait du fort pouvoir de négociation des distributeurs de grande surface, néanmoins, ce pouvoir de négociation se trouve affaibli en période d'entente qui lie la quasi-totalité (90 %) des fabricants du secteur concerné.
L'existence d'un surcoût lié à l'entente sur le secteur concerné n'est d'ailleurs pas démentie par la Décision (point 322) se fondant sur l'étude économétrique produite par les rapporteurs indiquant que les pratiques illicites mises en oeuvre entre décembre 2006 et août 2009 ont effectivement engendré un surprix sur le marché des produits laitiers frais vendus sous MDD, même si ce surcoût sur le marché concerné n'est pas significatif après 2009 du fait de l'épisode de la "guerre des prix" initiée par la société Novandis et jusqu'à la fin de l'entente en 2012 (point 323). L'étude des rapporteurs sur laquelle s'appuie la Décision identifie un surprix causé par les pratiques illicites de décembre 2006 à septembre 2009 allant de 5,7 à 10 % dans le cadre de la méthode "avant-après" et de 7,4 % dans le cadre de la méthode de la "double différence" (§270 de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 mai 2017), ces chiffres étant en concordance avec ceux de l'étude RBB relative au surcoût pour les entreprises Cora et Match sur cette même période. Or, selon les recommandations du Guide pratique de la Commission (doc 6 §13 de Cora et Match), les juges nationaux dans l'examen de la preuve de l'existence d'un préjudice individuel doivent notamment s'appuyer sur les éléments de la Décision ayant établi les pratiques anticoncurrentielles, même si le préjudice subi par l'entreprise qui se dit lésée ne se confond pas avec le dommage à l'économie.
Concernant le choix fait par le cabinet RBB d'intégrer la période dite de "guerre de prix" dans les périodes dites "affectées", il n'est pas incohérent d'avoir retenu l'épisode dit de "guerre des prix" entre Novandie et Senoble comme une période affectée au vu de la situation singulière des sociétés Cora et Match (la "guerre des prix" s'étant concentrée sur Carrefour et Systeme U, § 153 à 159 de la Décision), et alors que selon la Décision, cet épisode a eu pour effet de perturber le fonctionnement de l'entente sans toutefois l'interrompre (§ 160 de la Décision).
Concernant la pertinence du choix des groupes de contrôle, et plus particulièrement le groupe de produits MDF, il ne peut être légitimement reproché à l'étude RBB d'avoir, à défaut de données disponibles sur les MDF en 2007 et 2008, utilisé des données qui n'étaient pas exactement sur la même période que les données du groupe affecté alors que dans ce cas les principes de base de l'économétrie ne s'y opposent pas. (Introductory Econometrics, Woolridge, 2013 :"Fixed effect with unbalanced panels" : page 36 pièce 23 de Cora et Match).
En outre, les critiques liées au défaut de représentativité du groupe des produits MDD non affectés par les pratiques illicites ne sauraient convaincre la Cour en ce que le nombre de références n'est pas nécessairement un indicateur pertinent et qu'en l'espèce l'échantillon utilisé est représentatif en ce qu'il est composé de la quasi-totalité des produits MDD achetés par Cora et Match et qu'il se fonde sur 100 à 1500 observations par an, ce qui est conforme aux recommandations du Guide pratique de la Commission sur la quantification du préjudice(§64, doc 6 de Cora et Match).
Concernant les différentes versions de l'étude RBB, il ne peut pas lui être légitimement reproché d'avoir affiné sa méthode au vu des différentes contre-analyses produites par les intimées au cours de la procédure.
Enfin, concernant la prise en compte des importantes variations du prix du lait, l'étude RBB selon la méthode d'estimation en "double différence" telle que produite dans les dernières conclusions des appelantes (pièces 5 et 23 de Cora et Match) prend en compte de manière pertinente la variante du prix du lait, principal intrant dans le secteur, en neutralisant les effets des variations du prix du lait dans l'étude du surcoût subi par les appelantes et en tenant compte d'un léger décalage temporel pour étudier les effets de ces augmentations du prix du lait sur les prix effectivement pratiqués sur le marché des produits laitiers frais.
Il en résulte, contrairement aux critiques émises par les intimés qui qualifient l'analyse RBB de lacunaire ou erronée, que celle-ci, en présentant un échantillon des produits représentatif sur des périodes "affectées" en lien avec les effets probables de l'entente, tout au moins pour les périodes antérieures à décembre 2012 (l'entente prenant fin en février 2012), est suffisamment robuste pour permettre de démontrer l'existence d'un surcoût effectivement subi par les sociétés Cora et Match et directement lié à la pratique concertée sur une augmentation des prix pour les produits concernés telle qu'établie par la Décision, en tenant compte d'un décalage entre les décisions du cartel et leur mise en oeuvre, et avec une période d'inertie prenant fin à décembre 2012.
Il sera en effet accueilli l'argument des intimées concernant l'excessive longueur de la période d'inertie retenue par l'étude RBB, la date de fin décembre 2015 étant trop éloignée des pratiques anti-concurrentielles telles qu'établies par la Décision. En revanche, un délai maximum de 10 mois après la fin des pratiques fixée à février 2012 est conforme à ce qu'a retenu la Décision selon laquelle la période d'inertie relative aux effets de cette entente pouvait varier de 0 à 10 mois.(§330 de l'arrêt cour d'appel du 23 mai 2017)
Pour que le préjudice subi par les entreprises se prétendant lésées soit certain, il appartient en outre à ces dernières de démontrer qu'elles n'ont pas entièrement répercuté ces surcoûts sur leurs prix de vente aux consommateurs finaux.
- le "pass on" ou répercussion du surcoût sur le prix final
Les appelantes reprochent aux premiers juges d'avoir ignoré les analyses économétriques produites à l'appui de leurs demandes en indemnisation qui faisaient état d'un taux de "pass on" limité, au profit d'une solution aboutissant à créer une présomption irréfragable de répercussion totale du surcoût par la victime directe du cartel, contraire à la Directive de 2014/104. Cependant, il a déjà été dit que, dans le présent litige, la Cour appliquera les principes de droit commun de la responsabilité civile.
Selon ces principes, il appartient au juge du fond de rechercher si le demandeur en réparation a, en tout ou partie, effectivement répercuté les surcoûts résultant de l'infraction dont il a été victime afin d'éviter un enrichissement sans cause de la victime.
Il a été ainsi intégré dans la dernière étude RBB (pièce 5 de Cora et Match) produite en procédure d'appel par les sociétés Cora et Match le taux de répercussion estimé à 32,7 % pour Cora et de 35,4 % pour Match.
Le taux de "pass on" retenu dans l'étude RBB est critiqué par les intimées, en s'appuyant notamment sur des contre-études (Deloitte en pièce 10 de Eurial et Compass Lexecon en pièce 15 de LNUF) qui prennent en compte les niveaux de répercussion élevés habituellement observés dans le secteur des produits laitiers frais de MDD et le fait que l'entente a concerné la quasi-totalité des fabricants de produits laitiers frais sous MDD. Cette tendance générale est confirmée par les études économiques concernant ce secteur spécifique. (notamment l'étude académique de la Toulouse School of Economics "Price transmission in Food Chains: The Case of the Dairy Industry " citée dans le jugement de première instance)
Si les juges du fond ne peuvent ignorer les analyses économiques théoriques relatives au marché concerné, toutefois, ils doivent prendre en compte les éléments pratiques de politique interne de l'entreprise concernée quand ces éléments sont produits au dossier. Ainsi, conformément aux Orientations de la Commission sur la façon d'estimer la part du surcoût répercutée (§108, document 40 de Cora et Match), "les documents internes qui décrivent la politique tarifaire d'une entreprise peuvent revêtir une importance particulière" (…) "les entreprises de différents secteurs d'activités, voire au sein d'un même secteur, peuvent adopter des politiques tarifaires différentes". En l'espèce, les analyses précises et chiffrées de l'étude RBB ne se fondent pas seulement sur des considérations théoriques mais sur les données spécifiques à leur enseigne concernant les prix de gros et les prix de détails de chaque EAN (ou "European article numbering" : système européen utilisé dans les codes barres pour identifier les produits) tels que pratiqués par les supermarchés Cora et Match. En outre, le document marketing intitulé "Méthodologie de développement produits Cora " justifie que l'entreprise Cora a, dans un choix unilatéral, décidé de maintenir un écart de prix entre les produits MDD et MDF d'au moins 20 %, malgré le surprix dû à l'entente (extrait du document interne en page 76 des conclusions de Cora et Match).
Au vu de ces éléments, il est suffisamment démontré l'existence d'un préjudice direct subi par les sociétés Cora et Match, du fait d'un surcoût lié à l'entente, en tout cas pour la période jusqu'à décembre 2012 inclus, surcoût dont la répercussion sur les prix finaux n'a été que partielle.
- le préjudice ombrelle:
Les sociétés appelantes revendiquent outre le préjudice direct du fait du surprix lié au cartel, un préjudice ombrelle en s'appuyant sur des considérations générales et notamment les conclusions de l'avocat général Kokott dans l'affaire Koné (30 janvier 2014,CJUE C-557/12, document 27 des sociétés Cora et Match) selon laquelle "l'on peut parler d'effet ombrelle sur les prix lorque des entreprises, qui ne sont pas elle-mêmes parties à une entente (…), fixent, délibérément ou non dans le sillage des agissements de cette entente, leurs propres prix à un niveau plus élevé que ce que les conditions de la concurrence leur aurait permis de faire autrement". Les appelantes font valoir que cet effet ombrelle est d'autant plus probable quand il s'agit comme en l'espèce de pratiques anti-concurrentielles mises en oeuvre sur l'ensemble du territoire national par des fabricants de produits laitiers frais sous MDD qui représentent plus de 90 % du marché concerné.
En se fondant sur les prix d'achat de Cora et Match concernant les produits laitiers sous MDD non affectés par l'entente, l'étude RBB établit que ces derniers ont connu une augmentation tarifaire fin 2007 et début 2008, de moindre ampleur que ceux affectés par le cartel et quelques mois après les hausses constatées sur les produits affectés. Il en résulte une hausse pour Cora de 1,8 % (période de guerre des prix) et 2,4 % (période d'entente) et 1,6 % (période d'inertie); pour Match 2,4 % (période de guerre des prix) et 2,8 % (période d'entente) et 1,4 % (période d'inertie). (pièce 5 de Cora et Match, Annexe G,§12, Tableau 20)
Les intimées critiquent le choix du cabinet RBB des produits MDD non affectés, pourtant, ce choix est suffisament pertinent en ce qu'il s'agit de données empiriques fondées sur les achats effectifs des appelantes sur cette période.
En revanche, il sera retenu le moyen de défense selon lequel il convient d'écarter l'existence d'un "effet ombrelle" sur la période dite d'inertie de février 2012 à décembre 2015 s'agissant d'une période trop éloignée des pratiques anti-concurrentielles telles qu'établies par la Décision.
Les appelantes ont donc démontré que "l'effet ombrelle" constaté de 2009 à février 2012 est un préjudice certain subi par elles.
- l'effet volume:
Les appelantes invoquent également avoir été victimes de "l'effet volume" du fait de l'entente.
Ainsi, l'augmentation des prix de l'entreprise victime liée au passing-on est susceptible d'engendrer une réduction de la demande qui lui est adressée. Cet effet volume engendre donc un profit manqué sur les ventes perdues qui doit être ajouté au surcoût corrigé de l'effet passing-on.
En l'espèce, selon l'étude RBB (pièce 5 de Cora en pages 58 à 70), la répercussion des surprix dans les prix de détail a selon toute probabilité conduit à une baisse de la demande, pour l'enseigne Cora, de respectivement 1,76 % pendant l'épisode de guerre des prix, 2,45 % pendant la période d'entente et 1,61 % pendant la période d'inertie. Ces chiffres seraient respectivement pour Match de 1,37 %, 1,58 % et 0,81 %. A l'appui de cette étude, les appelantes soutiennent que les consommateurs de produits MDD sont très sensibles au prix et qu'ils ont tendance alors à se tourner vers un produit alternatif dont le prix n'augmente pas, c'est à dire les produits MDF aux prix inchangés. L'étude RBB sur l'élasticité du marché ne se fonde donc que sur des tendances probables.
Or, les intimées font valablement remarquer en se fondant sur la doctrine économique que le marché des produits laitiers frais MDD se caractérise en ce qu'il est peu élastique : il connaît donc très peu d'effet de baisse de volume du fait d'une hausse des prix, du fait d'un écart de prix très important entre les marchés des produits sous MDD et ceux sous MDF, ainsi le client ne se reportera pas sur les produits MDF.
Cette tendance spécifique du marché concerné est confirmée en l'espèce par le fait que la politique interne des appelantes, comme elles le revendiquent elles-mêmes à propos de leur taux de "pass on", a été de maintenir un écart constant d'au moins 20 % entre les produits MDD et MDF. En outre, comme les premiers juges l'ont relevé à bon escient, les sociétés appelantes n'ont pas perdu de part de marché au profit de leurs concurrents et la consommation totale en France des produits laitiers MDD affectés par le cartel n'a pas diminué sur la période concernée.
Au vu de ces éléments, les appelantes échouent à prouver l'existence d'un préjudice certain dû à l'effet volume.
- la perte de marge liée au report d'une partie de la clientèle Cora et Match vers d'autres enseignes pour la totalité de leur panier de courses.
Le tribunal a jugé à bon droit que ce chef de demande fait en partie double emploi avec la demande sur la perte de volume et n'est pas suffisamment documenté par les sociétés Cora et Match qui se contentent de postuler arbitrairement que 0,01 % de leurs clients auraient décidé de faire leurs courses dans une autre enseigne, pendant toute la période des effets de l'entente.
Ce chef de demande sera rejeté, pour défaut de preuve.
2) l'évaluation du préjudice
Il convient de rappeler l'obligation pour le juge du fond d'évaluer le préjudice dès lors qu'il en a constaté l'existence, l'insuffisance des éléments qui lui sont soumis à l'appui de la demande d'indemnisation ne saurait le dispenser de procéder à l'évaluation. Les juges du fond disposent, sous réserve de ne pas violer le principe de la réparation intégrale, d'un pouvoir souverain d'appréciation dans leur mission d'évaluation du dommage.
Au vu des éléments précédemment exposés, il ne sera retenu pour l'évaluation du préjudice certain dû à l'entente subi par les sociétés appelantes que le surcoût entre octobre 2007 et février 2012 (y compris le préjudice direct et le préjudice ombrelle), après déduction des taux de "pass on" de 32,7 % pour Cora et de 35,4 % pour Match.
Ainsi, le tableau établi par les appelantes selon les conclusions de l'étude du cabinet RBB (page 111, pièce 8 du fascicule de plaidoirie de Cora et Match) dans l'hypothèse où la période d'inertie est fixée à décembre 2012 et "hors préjudice dû à Yoplait", indique un préjudice total, après répercussion et hors intérêts, de 2,9 millions euros. Cependant, le poste "Effet volume" étant compris ici, il convient de le déduire en ce que la Cour n'a pas retenu ce chef comme préjudice certain : il s'agit d'un peu plus de 1/6 du préjudice total subi, au vu du tableau des chefs de préjudice détaillés demandés par les appelantes produit en page 20 de leurs conclusions.
Par conséquent, après déduction de la somme de 523.000 euros (près de 1/6 de 2,9 millions), il en résulte un total à retenir de 2.377.000 euros.
Il sera précisé que dans cette hypothèse le préjudice dû au groupe Yoplait a été à bon droit retranché du fait du désistement après transaction envers ce fabricant qui n'est plus partie au présent litige.
Il conviendra ensuite de répartir le préjudice total de 2.377.000 euros au prorata du montant total de l'indemnisation demandée par les appelantes (6,1 millions pour Cora et 1 million pour Match) soit 86 % pour Cora et pour 14 % Match.
Par conséquent, l'indemnisation du préjudice sera fixée à hauteur de 2.044.220 euros (0,86 x 2.377.000) au profit de la société Cora et à hauteur de 332.780 euros (0,14 x 2.377.000) au profit de la société Match.
Sur l'actualisation du dommage
La réparation intégrale du préjudice subi doit inclure la compensation des effets négatifs résultant du temps depuis la survenance du préjudice causé par l'infraction, à savoir l'érosion monétaire et la perte de chance subie par la partie lésée du fait de l'indisponibilité du capital. Il revient à l'entreprise victime de rapporter la preuve de cette perte de chance.
- le coût moyen pondéré du capital
A titre principal, les appelantes sollicitent une actualisation du préjudice suivant le taux de capitalisation moyen pertinent dans son secteur d'activité. A cet effet, elles expliquent que l'indisponibilité des sommes perdues ont impacté la situation financière en faisant valoir que le crédit hypothécaire de la société Cora souscrit en juin 2006 pour 750 millions euros (contrat de prêt en pièce 18) aurait pu être remboursé plus tôt, que ces pertes ont fragilisé la situation financière délicate de la société Match (résultat négatif en 2007-2013), avec une baisse d'effectifs pour les deux enseignes.
Cependant, comme le relèvent à bon escient les intimées, les sociétés Cora et Match ne démontrent pas que l'indisponibilité de la somme les auraient conduites à renoncer à des projets précis et aboutis d'investissements, il ne sera donc pas retenu en l'espèce le coût moyen pondéré du capital pour l'actualisation du préjudice.
- le taux d'intérêt applicable
A titre subsidiaire, les appelantes sollicitent l'application d'un taux ad hoc spécifique à leur situation financière, en tenant compte du taux marginal de financement de chacune des enseignes, affirmant que le taux d'intérêt légal, qui correspond à un placement sans risque est peu susceptible de refléter la stratégie d'une entreprise.
Les intimées s'y opposent en faisant valoir que les demanderesses à l'actualisation ne démontrent pas que la trésorerie dont elles prétendent avoir été privées aurait été affectée à leur désendettement. Il est également soutenu le fait que le préjudice allégué au principal est résiduel par rapport à leur activité (soit 0,2 % de leur chiffre d'affaires en 2017) ce qui rend improbable que ce préjudice ait pu augmenter leur besoin en financement. Elles en déduisent que seul le taux d'intérêt légal pourrait être appliqué en l'espèce.
Sur ce ;
Le préjudice financier subi par les sociétés Cora et Match du fait des pratiques anticoncurrentielles en cause les a privées de disposer de cette somme et a nécessairement eu un impact sur la trésorerie de ces dernières, ce qui implique un accroissement de leur besoin de financement et donc de leurs frais financiers.
Aussi la Cour retiendra comme taux d'intérêt pour l'actualisation du préjudice financier, le taux marginal auquel les ressources de financement sont obtenues par chacune des entreprises victimes du cartel, tels qu'indiqués en pièce 22bis des appelantes et plus particulièrement au tableau 4 intitulé "taux d'intérêt de l'emprunt hypothécaire de Cora" et au tableau 5 intitulé "Coût de la dette de Match" (selon taux de Swap à 10 ans et Spread bancaire).
Les intérêts compensatoires du préjudice financier sont dus depuis le moment où l'entier préjudice a été constitué, soit à partir du 9 février 2012.
Au vu des tableaux de la pièce 22bis précités, les taux d'intérêts appliqués concernant la société Cora sont de : 4,16 % (en 2012), de 4,06 % (en 2013), de 3,75 % (en 2014), de 3,55 % (en 2015), de 3,63 % (en 2016), de 3,08 % (en 2017), de 3,56 % (en 2018), de 3,56 % (en 2019) et de 3,56 % (en 2020) ; et les taux d'intérêts appliqués concernant la société Match sont de: 3,85 % (en 2012), de 3,95 % (en 2013), de 2,60 % (en 2014), de 2,52 % (en 2015), de 2,17 % (en 2016), de 2,44 % (en 2017), de 2,52 % (en 2018), de 2,04 % (en 2019) et de 3,05 % (en 2020).
Il en ressort une moyenne du taux d'intérêts ad hoc concernant la société Cora de 3,65 % et de 2,79 % concernant la société Match.
Il conviendra donc d'actualiser le préjudice financier subi par les appelantes en appliquant le taux d'intérêt de 3,65 % pour la société Cora et de 2,79 % pour la société Match, à compter du 9 février 2012 et jusqu'au jour du prononcé du présent arrêt.
Sur l'imputabilité
Les appelantes sollicitent qu'il soit prononcé une condamnation in solidum des intimées à leur payer l'indemnisation de leur préjudice financier.
Néanmoins, l'espèce justifie de prendre en compte la gravité de l'implication de chacune des intimées dans les pratiques illicites en cause, au vu des niveaux d'amendes fixées par l'arrêt de la présente cour du 23 mai 2017 statuant en appel de la Décision. Ainsi, la part imputable à chacune des intimées sera la suivante :
- la société Senagral (devenue Eurial): 21 %, soit 429.286,20 euros (0,21x 2.044.220) à payer à Cora et 69.883,80 euros (0,21x 332.780) à payer à Match,
- la société Novandie : 35 %, soit 715.477 euros (0,35x 2.044.220) à payer à Cora et 116.473 euros (0,35x 332.780) à payer à Match,
- les sociétés L.N.U.F. MDD, Lactalis Nestlé Ultra-Frais et Lactalis Nestlé Produits Frais tenues in solidum : 41 %, soit 838.130,20 euros (0,41 x 2.044.220) à payer à Cora et 136.439,80 euros (0,41x 332.780) à payer à Match,
- les sociétés Lactalis Beurres & Crèmes et Groupe Lactalis tenues in solidum : 3 %, soit 61.326,60 euros (0,03x 2.044.220) à payer à Cora et 9.983,40 euros (0,03x 332.780) à payer à Match.
Sur les demandes subsidiaires
La Cour ayant reconnu l'existence d'un préjudice et ayant fait droit au moins partiellement à la demande principale en indemnisation des sociétés appelantes, il ne sera pas nécessaire d'examiner leurs demandes formulées à titre subsidiaire relatives aux questions préjudicielles.
Sur les frais et dépens
Les intimées succombant en appel, il convient d'infirmer la décision de première instance sur les frais et dépens.
L'équité commande de condamner in solidum toutes les sociétés intimées à supporter les entiers dépens et à participer aux frais irrépétibles engagés par les sociétés Cora et Match en première instance et en appel à hauteur d'une somme globale de 150.000 euros.
PAR CES MOTIFS,
La Cour,
DIT recevables les conclusions n° 2 des sociétés du groupe Lactalis et de la société Eurial Ultra Frais du 30 août 2021.
Dans les limites de l'appel,
INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les sociétés Cora et Supermarchés Match de l'ensemble de leurs demandes et les a condamnées aux dépens et à payer les frais irrépétibles, le confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
DIT que les sociétés Cora et Supermarchés Match ont subi un préjudice financier certain du fait de l'entente illicite entre fabricants de produits laitiers sur la période de décembre 2006 à février 2012,
FIXE ledit préjudice financier subi par la société Cora à la somme globale de 2.044.220 euros et celui subi par la société Supermarchés Match à la somme globale de 332.780 euros,
Au titre de l'indemnisation de ce préjudice financier,
CONDAMNE la société Eurial Ultra-Frais à payer la somme de 429.286,20 euros à la société Cora et la somme de 69.883,80 euros à la société Supermarchés Match,
CONDAMNE la société Novandie à payer la somme de 715.477 euros à la société Cora et la somme de 116.473 euros à la société Supermarchés Match,
CONDAMNE in solidum les sociétés L.N.U.F. MDD, Lactalis Nestlé Ultra-Frais et Lactalis Nestlé Produits Frais à payer la somme de 838.130,20 euros à la société Cora et la somme de 136.439,80 euros à la société Supermarchés Match,
CONDAMNE in solidum les sociétés Lactalis Beurres & Crèmes et Groupe Lactalis à payer la somme de 61.326,60 euros à la société Cora et la somme de 9983,40 euros à la société Supermarchés Match;
DIT qu'en outre le préjudice financier doit être actualisé en appliquant le taux d'intérêt de 3,65 % pour la société Cora et de 2,79 % pour la société Supermarchés Match, à compter du 9 février 2012 et jusqu'au jour du prononcé du présent arrêt,
Y ajoutant,
CONDAMNE in solidum les sociétés Eurial Ultra Frais, Novandie, L.N.U.F. MDD, Lactalis Nestlé Ultra-Frais, Lactalis Nestlé Produits Frais, Lactalis Beurres & Crèmes et Groupe Lactalis à payer aux sociétés Cora et Supermarchés Match une somme globale de 150.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et de l'appel,
CONDAMNE in solidum les sociétés Eurial Ultra Frais, Novandie, L.N.U.F. MDD, Lactalis Nestlé Ultra-Frais, Lactalis Nestlé Produits Frais, Lactalis Beurres & Crèmes et Groupe Lactalis à payer les entiers dépens de première instance et de l'appel.