Cass. com., 1 décembre 2021, n° 20-16.849
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Akka technologies (SAS), Akka I&S (SAS), Akka services (SAS), Akka ingénierie produit (SAS), Akka informatique et systèmes (SAS)
Défendeur :
Présidente de l'Autorité de la concurrence, Ministre chargé de l'Économie, Brenntag (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 mai 2020), l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) s'est saisie d'office de pratiques mises en oeuvre dans les secteurs de l'ingénierie et du conseil en technologies, ainsi que des services informatiques. Lors des opérations de visite et de saisie diligentées dans le cadre de cette saisine, notamment dans les locaux de la société Akka technologies et de l'ensemble des sociétés du même groupe sises aux mêmes adresses, deux incidents ont été constatés, le premier, consistant en un bris de scellé sur un site visité, le second, correspondant à une altération de la réception de courriels sur la messagerie électronique d'un ordinateur portable en cours d'examen sur un autre site.
2. Par une décision du 22 mai 2019, l'Autorité a retenu que les sociétés Akka I&S, Akka ingénierie produit, Akka informatique et systèmes et Akka technologies, en tant qu'auteurs de l'infraction, et la société Akka technologies, en sa qualité de société mère des sociétés Akka I&S, Akka ingénierie produit et Akka informatique et systèmes, avaient enfreint l'alinéa 2 du V de l'article L. 464-2 du code de commerce en faisant obstruction à ces opérations et a infligé solidairement à ces sociétés (les sociétés Akka) une sanction pécuniaire.
3. Les sociétés Akka ont formé un recours contre cette décision.
4. Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité posée à l'occasion du présent pourvoi, le Conseil constitutionnel, par une décision du 26 mars 2021, a décidé que la répression administrative prévue par les dispositions précitées et la répression pénale organisée par l'article L. 450-8 du code de commerce relevaient de corps de règles identiques protégeant les mêmes intérêts sociaux aux fins de sanctions de même nature et en a déduit que les dispositions contestées méconnaissaient le principe de nécessité et de proportionnalité et devaient être déclarées contraires à la Constitution. Il a également décidé qu'afin de faire cesser l'inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de sa décision, il y avait lieu de juger que, dans les procédures en cours fondées sur les dispositions contestées, la déclaration d'inconstitutionnalité pouvait être invoquée lorsque l'entreprise poursuivie avait préalablement fait l'objet de poursuites sur le fondement de l'article L. 450-8 du code de commerce.
5. Il est constant que les sociétés Akka n'ont pas préalablement fait l'objet de poursuites sur le fondement de l'article L. 450-8 du code de commerce. La déclaration d'inconstitutionnalité précitée ne leur est donc pas applicable.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches, ci-après annexé
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Et sur le premier moyen, pris en ses quatrième, cinquième et sixième branches, et le second moyen, réunis
Enoncé des moyens
7. Par le premier moyen, les sociétés Akka font grief à l'arrêt de dire établi que les sociétés Akka I&S, Akka ingénierie produit, Akka informatique et systèmes et Akka technologies en tant qu'auteurs de l'infraction, et la société Akka technologies, en qualité de société mère de ces sociétés, ont fait obstruction aux opérations de visite et saisie et de leur infliger solidairement, au titre de cette infraction, une sanction pécuniaire de 900 000 euros aux sociétés Akka technologies et Akka I&S, les sociétés Akka ingénierie produit et Akka informatique et systèmes étant solidairement tenues du paiement de cette somme à hauteur de 700 000 euros, alors :
« 4°) que selon l'article L. 464-2, V, alinéa 2 du code de commerce " lorsqu'une entreprise a fait obstruction à l'investigation ou à l'instruction, notamment en fournissant des renseignements incomplets ou inexacts, ou en communiquant des pièces incomplètes ou dénaturées, l'Autorité peut, à la demande du rapporteur général, et après avoir entendu l'entreprise en cause et le commissaire du gouvernement, décider de lui infliger une sanction pécuniaire " ; qu'en jugeant que des actes matériels spontanés de salariés de l'entreprise visitée, agissant hors de leurs fonctions et en contradiction avec les instructions reçues des représentants de ladite entreprise, pouvaient être qualifiés d'obstruction à l'investigation imputable à l'entreprise, la cour d'appel a violé le texte précité, ensemble les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
5°) qu'en se déterminant par un motif d'ordre général en référence à une jurisprudence constante relative aux pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du code de commerce pour statuer sur la qualification et l'imputabilité des faits susceptibles d'être, en l'espèce, qualifiés d'obstruction au sens de l'article L. 462-4 du code de commerce, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 462-4 du code de commerce ;
6°) que la cour d'appel, qui retient que l'article L. 464-2 du code de commerce s'applique à tous les comportements de l'entreprise qui tendent, de propos délibéré ou par négligence, à faire obstacle aux actes d'investigation ou d'instruction, n'a pas caractérisé une action délibérée ou une négligence de l'entreprise destinée à faire obstacle aux actes d'investigation, privant ainsi sa décision de base légale au regard du texte précité. »
Par le second moyen, les sociétés Akka font le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°) qu'elles soutenaient dans leurs écritures que les agents présents sur le site de Boulogne-Billancourt avaient refusé la fermeture à clé des portes des bureaux sur lesquelles étaient apposés les scellés, ce qui n'était pas contesté par l'Autorité, si bien qu'en se bornant à relever que " la circonstance que les enquêteurs n'aient pas exigé la fermeture à clés du bureau qui a fait l'objet du bris de scellé n'est pas de nature à exonérer les occupants du site de toute responsabilité", la cour d'appel a méconnu les termes du litige et, par-là, n'a pas répondu au moyen dont elle était saisie, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) qu'il résulte des que les opérations de visite sont effectuées en présence de l'occupant des lieux, ou de son représentant, qui peut prendre connaissance des pièces et documents avant leur saisie, être auditionné par les agents de l'Autorité de la concurrence, signe le procès-verbal dont un exemplaire lui est remis et a vocation à recevoir la restitution des pièces saisies, si bien qu'en retenant, dans le cas de locaux partagés par plusieurs sociétés distinctes qu'elles avaient chacune la qualité d'occupant des lieux tenu des obligations corrélatives, la cour d'appel a violé les textes précités ;
3°) qu'elles faisaient valoir, dans leurs écritures, que dès lors que M. [U] [O] qui n'était pas personnellement visé par les recherches et avait été autorisé à conserver et utiliser son ordinateur pendant les opérations (§ 11 de la Décision), il ne lui était pas interdit de supprimer ou de rédiger des emails comme bon lui semblait, si bien qu'en retenant l'existence d'une obstruction découlant de l'activité de M. [U] [O] sur sa messagerie, sans s'expliquer sur ce moyen, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 464-2 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
8. Après avoir exactement énoncé que l'article L. 464-2, V, alinéa 2, du code de commerce s'applique à tous les comportements de l'entreprise qui tendent, de propos délibéré ou par négligence, à faire obstacle aux actes d'investigation ou d'instruction, l'arrêt relève qu'à l'instar de l'article L. 464-2, I, du code de commerce, qui dote l'Autorité du pouvoir d'infliger une sanction pécuniaire à l'entreprise qui s'est livrée à des pratiques anticoncurrentielles, ce même article, en son V, alinéa 2, dote l'Autorité du pouvoir d'infliger une sanction pécuniaire à l'entreprise qui a fait obstruction à l'investigation ou à l'instruction qui la concerne. Il observe que ces dispositions se réfèrent, l'une et l'autre, à la notion d'« entreprise », laquelle doit être comprise au sens du droit de la concurrence, et retient qu'il y a donc lieu, pour des raisons de cohérence, d'interpréter cette notion de la même manière, qu'il s'agisse de sanctionner une infraction aux règles de fond ou de réprimer une obstruction à une enquête destinée à rechercher une telle infraction, et d'appliquer, en conséquence, les mêmes règles d'imputabilité à ces deux types d'infraction. Il en déduit que la responsabilité de l'entreprise à raison d'actes d'obstruction commis par un ou plusieurs de ses salariés est engagée dans les mêmes conditions que sa responsabilité à raison de pratiques anticoncurrentielles commises par ses salariés et rappelle que l'imputation à une entreprise d'une infraction à l'article L. 420-1 du code de commerce ne suppose pas une action ou même une connaissance de cette infraction par les associés ou des gérants principaux de l'entreprise concernée, mais l'action d'une personne qui est autorisée à agir pour le compte de l'entreprise. L'arrêt retient que s'agissant de l'altération des conditions de réception de courriels, il n'est pas contesté qu'elle a été commise par M. [C.], "business unit manager" au sein de la société Akka I&S, à la demande de M. [B.], son supérieur hiérarchique, directeur régional au sein de la même société, dont la messagerie était en cours d'investigation, et que M. [C.] a, en outre, entrepris de supprimer des courriels de sa messagerie professionnelle. Après avoir relevé que M. [D.], à qui avait été notifiée l'ordonnance du juge des libertés et de la détention en qualité d'occupant des lieux, est vice-président commercial France du groupe Akka, l'arrêt constate qu'il n'est pas contesté qu'il est intervenu en cette qualité pour le compte de toutes les sociétés du groupe implantées sur le site concerné par les visites. Il retient qu'est invoqué en vain, s'agissant du bris de scellés attribué à M. [A], directeur commercial au sein de la société Akka services, le fait que ce dernier serait entré dans le bureau sans aucune délégation de pouvoir ou instruction écrite de sa direction.
9. En l'état de ces énonciations, constatations et appréciations, faisant ressortir que la survenance des faits en cause ne pouvait que résulter, à tout le moins, d'une négligence, laquelle, eût-elle été celle de salariés, devait être imputée à l'entreprise, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la deuxième branche du second moyen, la cour d'appel, qui n'avait pas à s'expliquer sur le moyen pris de l'opposition des enquêteurs à la fermeture à clés du bureau placé sous scellés, inopérant dès lors que cette circonstance, à la supposer établie, ne privait pas le bris des scellés de son caractère fautif, ni sur celui, également inopérant, pris de l'autorisation donnée à un salarié de conserver pendant les opérations l'usage de son ordinateur et de sa messagerie, ce qui ne l'autorisait pas à les utiliser pour faire obstacle à celles-ci, a pu retenir que les faits relevés, dont la matérialité n'était pas contestée, caractérisaient des comportements qui tendaient à faire obstacle au bon déroulement des opérations de visite et saisie en cours, engageant ainsi la responsabilité des sociétés Akka.
10. En conséquence, pour partie inopérant, le moyen n'est pas fondé pour le surplus.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.