CA Bordeaux, 2e ch. civ., 25 novembre 2021, n° 21/02332
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Sofruileg (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Poirel
Conseillers :
Mme Leques, Mme Louwerse
EXPOSE DU LITIGE
La SA Sofruileg, spécialisée dans la recherche, le développement et la protection d'obtentions végétales, centralise les relations avec d'une part les obtenteurs, qui lui consentent des licences sur les obtentions végétales qu'ils ont développées, et d'autre part les producteurs auxquels, avec l'accord des obtenteurs, elle consent des sous-licences de certificats d'obtentions végétales pour la production des fruits concernés, lesquels s'engagent à céder leur récolte à des opérateurs commerciaux agréés par elle.
Par contrat de concession du 9 mars 2013, la SA Sofruileg a consenti à M. X, producteur de kiwis résidant au Portugal, une sous-licence de certificats d'obtention végétale de bébés kiwis Nergi ® portant sur 1 008 plants. Le 16 mars 2015, un nouveau contrat a été conclu, portant sur 346 plants.
M. X a dénoncé ces contrats par courrier du 1er juillet 2016.
Reprochant à M. X de ne pas avoir respecté les clauses des contrats de concession et d'avoir commercialisé les fruits auprès d'opérateurs commerciaux non agréés, la SA Sofruileg l'a assigné devant le tribunal de grande instance de Bordeaux par acte du 25 novembre 2016, aux fins d'application des clauses pénales insérées aux contrats.
Par ordonnance du 10 avril 2018, le juge de la mise en état a, par application des dispositions du Règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, et de la clause attributive de compétence au profit du tribunal de grande instance de Bordeaux insérée aux contrats litigieux, rejeté la demande de sursis à statuer présentée par M. X dans l'attente de la décision de la juridiction portugaise préalablement saisie par lui d'un litige l'opposant à la SA Sofruileg.
Par jugement rendu le 11 février 2021, le tribunal de grande instance de Bordeaux :
- a écarté des débats les conclusions notifiées le 21 octobre 2020 par M. X et dit n'y avoir lieu d'ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture,
- s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande de la SA Sofruileg tendant à voir condamner M. X au paiement d'une indemnité de 100 000 euros au titre d'actes de contrefaçon,
- s'est déclaré incompétent pour statuer sur le surplus, au profit du tribunal de commerce de Bordeaux,
- dit qu'à l'expiration du délai d'appel, le greffe transmettra le dossier et la copie de la présente décision au greffe du tribunal de commerce de Bordeaux,
- rappelé que l'instance est suspendue devant le présent tribunal jusqu'à l'expiration du délai d'appel et, en cas d'appel, jusqu'à ce que la cour d'appel ait rendu sa décision,
- dit qu'à l'expiration du délai d'appel, l'affaire sera rappelée à l'audience pour statuer sur la demande de la SA Sofruileg tendant à voir condamner M. X au paiement de la somme de 100 000 euros au titre d'actes de contrefaçon, sauf à ce qu'une partie fasse connaître l'existence d'un appel, l'affaire étant alors rappelée à l'audience lorsque la partie la plus diligente aura fait connaître la décision rendue par la cour d'appel,
- dit que le greffe procédera à la notification du présent jugement aux parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ainsi qu'à leurs avocats,
- réservé les dépens.
Par deux déclarations électroniques du 1er mars 2021 (RG n° 21/01252 et RG n° 21/01266), la SA Sofruileg a relevé appel de cette décision sauf en ce qu'elle a écarté des débats les conclusions notifiées le 21 octobre 2020 par M. X et dit n'y avoir lieu d'ordonner la révocation de l'ordonnance de clôture et en ce qu'elle s'est déclaré compétente pour statuer sur la demande de la SA Sofruileg tendant à voir condamner M. X au paiement d'une indemnité de 100 000 euros au titre d'actes de contrefaçon.
Par requête du 2 mars 2021, la SA Sofruileg a demandé à Mme la Présidente de Chambre l'autorisation d'assigner à jour fixe M. X sur le fondement des articles 84 alinéa 2 et 85 alinéa 2 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 3 mars 2021, Mme la Présidente de la deuxième Chambre civile de la cour d'appel de Bordeaux a autorisé la société Solfruileg a assigner à jour fixe à l'audience du 12 octobre 2021 à 14 heures.
Par actes d'huissier du 13 avril 2014 portant acte de transmission de la demande de signification dans un autre Etat Membre en application du Règlement (CE) 1393/2007 du 13 novembre 2007, la SA Solfruileg a assigné à jour fixe M. X devant la cour d'appel de Bordeaux à l'audience du 12 octobre 2021 à 14 heures.
Par avis du 2 mars 2021 cocnernant les affaires RG n° 21/01266 et RG n° 21/01252 et par avis du 20 avril 2021concernant les affaires RG n° 21/01252 et RG n° 21/02332, ces différentes procédures ont été jointes.
Aux termes de ses dernières conclusions du 9 mars 2021, la SA Sofruileg demande à la cour, de:
- juger recevable et bien fondé en son appel.
Y faisant droit,
- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 11 février 2021 en ce qu'il:
- se déclare incompétent pour statuer sur le surplus, au profit du tribunal de commerce de Bordeaux,
- dit qu'à l'expiration du délai d'appel, le greffe transmettra le dossier et la copie de la présente décision au greffe du tribunal de commerce de Bordeaux,
- rappelle que l'instance est suspendue devant le présent tribunal jusqu'à l'expiration du délai d'appel et, en cas d'appel, jusqu'à ce que la cour d'appel ait rendu sa décision,
- dit qu'à l'expiration du délai d'appel, l'affaire sera rappelée à l'audience pour statuer sur la demande de la SA Solfruileg tendant à voir condamner M. X au paiement de la somme de 100 000 euros au titre d'actes de contrefaçon, sauf à ce qu'une partie fasse connaître l'existence d'un appel, l'affaire étant alors rappelée à l'audience lorsque la partie la plus diligente aura fait connaître la décision rendue par la cour d'appel,
- réserve les dépens.
Statuant à nouveau,
- déclarer M. X irrecevable en son exception d'incompétence ;
- déclarer le tribunal judiciaire compétent pour statuer sur les demandes suivantes :
- constater la résiliation des contrats en date 9 mars 2013 et du 16 mars 2015 aux torts de M. X ;
- constater que M. X a contrefait les certificats d'obtention végétale n°30080 et n°24925 en application de l'article L.623-25 du Code de la Propriété Intellectuelle ;
- condamner M. X à lui payer la somme de 250.000 euros et la somme de 42.300 euros à correspondant à ses inexécutions contractuelles de l'année 2016 ;
- condamner M. X à lui payer la somme de 250.000 euros et la somme de 42.300 euros correspondant à ses inexécutions contractuelles de l'année 2017 ;
- condamner M. X , sous astreinte de 3000 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir :
- à procéder à ses frais à la destruction et à l'arrachage de l'ensemble des greffons, plants et arbres faisant l'objet des deux contrats,
- à défaut d'exécution dans un délai d'un mois à compter du jugement à intervenir, autoriser la SA Solfruileg ou toute personne qu'elle se substituerait à procéder à l'arrachage et à la destruction de ces plants ou arbres et ce, aux frais M. X et au besoin avec l'assistance de la force publique.
- à lui restituer l'ensemble du matériel et autres outils de support de communication qui lui ont été mis à disposition dans le cadre des contrats.
- condamner M. X à lui payer la somme de 5.000 euros pour résistance abusive ;
- condamner M. X à lui payer la somme de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. X à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
Aux termes de ses dernières conclusions du 9 septembre 2021, M. X demande à la cour, aux visas des articles R. 420-3 et D. 442-3 du code de commerce, L. 623-31 du code de la propriété intellectuelle, L. 442-1, L. 420-1, L. 420-2, L. 420-3 du code de commerce et 101 et 102 du Traité sur le Fonctionnement de l'Union Européenne, de:
- confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 11 février 2021 sauf en ce qu'il a réservé les dépens ;
En conséquence,
- condamner la SA Sofruileg à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SA Sofruileg aux entiers dépens de première instance et d'appel.
MOTIFS DE LA DECISION.
Sur la recevabilité de l'exception d'incompétence
Le tribunal a jugé que l'exception d'incompétence soulevée au profit du tribunal de commerce en application des articles L. 420-1, L. 420-2, L. 420-7, L. 442-1 et R. 420-3 et D. 442-3 du code de commerce, dispositions d'ordre public relatives à l'interdiction des pratiques anti-concurrentielles et autres pratiques prohibées relatives à la concurrence, applicables dès lors que des moyens de défense sont fondés sur ces dispositions, y compris en présence d'une clause attributive de compétence contenue dans la convention des parties, pouvait être relevée d'office en application de l'article 76 du code de procédure civile, ce qu'il a fait en relevant que le bien-fondé de cette exception avait été débattue par les parties conformément à l'article 16 du code de procédure civile.
La SA Sofruileg soutient que par application des articles 74 et 791 du code de procédure civile, l'exception d'incompétence est une exception de procédure devant être soulevée in limine litis et simultanément avec les autres exceptions, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, M. X ayant déjà soulevé devant le juge de la mise en état une exception de procédure consistant en une demande de sursis à statuer, laquelle a été rejetée par ordonnance du 10 avril 2018 et l'exception d'incompétence n'ayant pas été soulevée devant le juge de la mise en état.
M. X conclut à la confirmation du jugement en faisant valoir que l'incompétence soulevée par lui ne constitue pas une exception de procédure mais une fin de non-recevoir laquelle peut être soulevée en tout état de cause.
M. X fonde son moyen de défense sur les dispositions des articles L. 420-1 et suivants, L. 420-7 et R.420-3 du code de commerce relatives aux pratiques anti-concurrentielles et autres pratiques prohibées relatives à la concurrence, et sur la compétence exclusive du tribunal de commerce pour statuer sur ces moyens, dès lors que la procédure concerne deux commerçants.
L'article L. 420-7 du code de commerce dispose que "Sans préjudice des articles L. 420-6, L. 462-8, L. 463-1 à L. 463-4, L. 463-6, L. 463-7 et L. 464-1 à L. 464-8, les litiges relatifs à l'application des règles contenues dans les articles L. 420-1 à L. 420-5 ainsi que dans les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne et ceux dans lesquels ces dispositions sont invoquées sont attribués, selon le cas et sous réserve des règles de partage de compétences entre les ordres de juridiction, aux juridictions civiles ou commerciales dont le siège et le ressort sont fixés par décret en Conseil d'Etat. Ce décret détermine également le siège et le ressort de la ou des cours d'appel appelées à connaître des décisions rendues par ces juridictions".
L'article R. 420-3 du code de commerce dispose que « Pour l'application de l'article L. 420-7, la liste des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer est fixée conformément aux tableaux de l'annexe 4-2 du présent livre. »
L'article R. 420-4 du code commerce prévoit que « Pour l'application de l'article L. 420-7, la liste des tribunaux judiciaires compétents en métropole et dans les départements d'outre-mer est fixée conformément aux tableaux de l'annexe 4-1 du présent livre ».
L'article L. 420-7 du code de commerce prévoit, s'agissant de la compétence en matière de pratiques anti-concurrentielles, une double spécialisation, celle des tribunaux judiciaires déterminés par l'article R. 420-4 du code de commerce pour les litiges entre personnes qui ne sont ni commerçants ni artisans et celle des tribunaux de commerce déterminés par l'article R. 420-3 pour les commerçants et les artisans.
Ainsi, seules les juridictions déterminées par les articles R. 420-3, R. 420-4 et R. 420-5 sont investies du pouvoir juridictionnel leur permettant de trancher les litiges en matière de pratiques anti-concurrentielles et autres pratiques prohibées relatives à la concurrence. Le défaut de pouvoir juridictionnel spécial est sanctionné par une fin de non-recevoir qui peut être soulevée à tout moment et doit être relevée d'office (Cass. com., 10 juillet 2018, n° 17-16.365).
Cependant, en l'espèce, si le tribunal de commerce de Bordeaux est exclusivement compétent sur le fondement de l'article R. 420-3 du code de commerce pour connaître, en application de l'article L. 420-7 du code de commerce des procédures applicables aux personnes qui ne sont ni commerçants ni artisans, le tribunal judiciaire de Bordeaux dispose du même pouvoir s'agissant des personnes qui ne sont ni commerçantes ni artisans.
C'est donc à juste titre que le tribunal a jugé que le moyen en litige ne concerne pas un défaut de pouvoir juridictionnel mais la détermination de la juridiction compétente et constitue ainsi une exception d'incompétence et non une fin de non-recevoir.
Aux termes de l'article 76 alinéa 1 du code de procédure civile, « Sauf application de l'article 82-1, l'incompétence peut être prononcée d'office en cas de violation d'une règle de compétence d'attribution lorsque cette règle est d'ordre public ou lorsque le défendeur ne comparaît pas. Elle ne peut l'être qu'en ces cas ».
Les articles L. 420-7 et R. 420-3 du code de commerce qui donnent compétence exclusive à certaines juridictions commerciales énumérées par l'article R. 420-3 et l'annexe 4-2 du code de commerce posent une règle de compétence d'attribution d'ordre public. Cependant, le tribunal judiciaire et le tribunal de commerce disposant du même pouvoir juridictionnel s'agissant d'une part des personnes qui ne sont ni commerçantes ni artisans et d'autre part de celles qui commerçantes ou artisans, l'appréciation de la juridiction compétente ne relève pas de l'application d'une règle d'ordre public laquelle est en tout état de cause respectée, le tribunal judiciaire et le tribunal de commerce de Bordeaux étant investis du pouvoir juridictionnel défini par les articles L. 420-7 du code de commerce, mais de la seule question de déterminer si M. X a la qualité de commerçant ou non.
L'exception d'incompétence n'entre donc pas dans le champ d'application de l'article 76 du code de procédure civile en sorte qu'elle ne pouvait pas être relevée d'office par le tribunal.
M. X devait donc respecter les dispositions des articles 74, 789 et 791 du code de procédure civile et soulever l'exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce d'une part simultanément avec les autres exceptions de procédure et avant toute défense au fond, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce, M. X ayant formé en premier lieu une demande de sursis à statuer qui a été rejetée par ordonnance du juge de la mise en état du 10 avril 2018 et d'autre part devant le juge de la mise en état en application de l'article de l'article 789 du code de procédure civile, ce qu'il n'a pas fait, l'exception d'incompétence ayant été soulevée devant le juge du fond.
Le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions et l'exception d'incompétence soulevée par M. X au profit du tribunal de commerce de Bordeaux sur le fondement de l'article L. 420-7 du code de commerce sera déclarée irrecevable.
Sur les demandes accessoires.
Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ces motifs,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Déclare irrecevable l'exception d'incompétence au profit du tribunal de commerce de Bordeaux soulevée par M. X sur le fondement de l'article L.420-7 du code de commerce,
Renvoie la présente affaire devant le tribunal judiciaire de Bordeaux, 5ème chambre civile,
Dit qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. X aux dépens.