CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 26 novembre 2021, n° 21/05934
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Domalane (SAS)
Défendeur :
ITM Entreprises (SAS), ITM Alimentaires Centre Est (SAS), Stime (SAS), SCA Pétrole et Dérives (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lagemi
Conseillers :
M. Chazalette, Mme Le Cotty
La société ITM Entreprises conduit et anime la politique du Groupement des Mousquetaires, qui opère dans le secteur de la grande distribution, notamment sous l'enseigne Intermarché.
Elle est liée aux sociétés d'exploitation par un contrat d'enseigne qui définit les droits et obligations de chacune des parties.
La société ITM Alimentaire Centre Est est une filiale régionale de la société ITM Entreprises qui relaie la politique du Groupement des Mousquetaires et facture les livraisons de marchandises commandées par les points de vente.
L'Union des Mousquetaires est une association qui a pour objet la promotion de l'image du Groupement des Mousquetaires et l'organisation des relations entre les adhérents.
La société STIME est la filiale d'ingénierie informatique du Groupement des Mousquetaires. Elle fournit aux points de vente l'ensemble des matériels et logiciels informatiques.
La société SCA Pétrole et Dérivés est la structure du Groupement des Mousquetaires assurant l'approvisionnement en carburants des stations-service exploitées par les points de vente.
Le 31 janvier 2005, la société Domalane a conclu avec la société ITM Entreprises un contrat d'enseigne d'une durée de 15 ans pour l'exploitation d'un magasin sous l'enseigne Intermarché situé sur la commune de Revel-Tourdan (38).
Le contrat n'a pas été renouvelé au terme de ces 15 années et il a donc pris fin le 1er février 2020. Depuis lors, la société Domalane exploite son magasin sous l'enseigne Super U.
Le 19 juin 2020, après des mises en demeure et sommations de payer infructueuses, les sociétés ITM Entreprises, ITM Alimentaire Centre Est, STIME et SCA Pétrole et Dérivés et l'association Union des Mousquetaires ont assigné la société Domalane devant le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon, sur le fondement de l'article 873 du code procédure civile, pour obtenir diverses provisions au titre de cotisations, marchandises et livraisons de carburants impayés.
Par ordonnance du 9 novembre 2020, le juge des référés a :
• condamné à titre provisionnel la société Domalane à payer :
• à la société ITM Entreprises une provision de 20.510,26 euros ;
o à la société ITM Alimentaire Centre Est une provision de 102.949,29 euros, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
o à la société SCA Pétrole et Dérivés une provision de 204.035,04 euros, outre intérêts au taux de 6% l'an à compter de la date d'échéance de chaque facture ;
• condamné la société STIME à remettre à la société Domalane, pour la période courant à compter du 1er novembre 2019, l'historique de la comptabilité et de la gestion des paies de la société Domalane, sur support dématérialisé, dans un délai de 15 jours à compter de la signification de l'ordonnance, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard ;
• rejeté toutes les autres demandes ;
• condamné la société Domalane sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à payer à la société ITM Entreprises la somme de 900 euros, à la société ITM Alimentaire Centre Est la somme de 900 euros et à la société SCA Pétrole et Dérivés la somme de 600 euros ;
• condamné la société Domalane aux entiers dépens.
Par déclaration du 26 mars 2021, la société Domalane a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 15 octobre 2021, elle demande à la cour de :
• infirmer l'ordonnance entreprise ;
A titre liminaire,
• juger qu'elle invoque des préjudices au titre de pratiques anticoncurrentielles commises par les sociétés du Groupement des Mousquetaires ;
En conséquence,
• juger que la cour d'appel de Paris est compétente pour statuer sur le présent appel ;
• déclarer recevable l'appel formé devant la cour d'appel de Paris ;
A titre principal,
• juger que la compétence du juge des référés en présence d'une convention d'arbitrage est subordonnée au constat de l'urgence ;
• juger qu'aucune urgence ne justifie le recours au juge des référés ;
En conséquence,
• dire incompétent le juge des référés ;
• débouter les sociétés ITM Entreprises, ITM Alimentaire Centre Est, STIME et SCA Pétrole et Dérivés de l'ensemble de leurs demandes ;
A titre subsidiaire,
• juger que l'exception de compensation rend sérieusement contestables les créances alléguées par les sociétés ITM Entreprises, ITM Alimentaire Centre Est et SCA Pétrole et Dérivés ;
• juger qu'elle est bien fondée à se prévaloir de l'exception d'inexécution à l'encontre des sociétés ITM Entreprises, ITM Alimentaire Centre Est et SCA Pétrole et Dérivés ;
• juger que les créances des sociétés ITM Entreprises, ITM Alimentaire Centre Est et SCA Pétrole et Dérivés sont sérieusement contestables ;
En conséquence,
• dire n'y avoir lieu à référé ;
• débouter les sociétés ITM Entreprises, ITM Alimentaire Centre Est et SCA Pétrole et Dérivés de leurs demandes ;
A titre reconventionnel,
• condamner la société STIME à lui remettre l'historique de sa comptabilité et de la gestion des paies couvrant la période du 1er février 2017 au 1er février 2020 ;
En tout état de cause,
• ordonner le remboursement de la somme de 348.711,46 euros correspondant au montant de la saisie réalisée sur ses comptes comprenant le montant de la somme en principal, intérêts et frais;
• renvoyer les sociétés ITM Entreprises, ITM Alimentaire Centre Est et SCA Pétrole et Dérivés à mieux se pourvoir ;
• condamner solidairement les sociétés ITM Entreprises, ITM Alimentaire Centre Est, STIME et SCA Pétrole et Dérivés à lui payer solidairement la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 et à l'intégralité des dépens.
Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 5 octobre 2021, les sociétés ITM Entreprises, ITM Alimentaire Centre Est, STIME et SCA Pétrole et Dérivés demandent à la cour de :
• déclarer irrecevable la demande de renvoi de l'affaire devant la juridiction étatique statuant au fond en raison de la clause compromissoire stipulée au contrat ;
A titre principal,
• infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a limité les provisions allouées et condamné la société STIME à remettre à la société Domalane l'historique de sa comptabilité et de sa gestion des paies ;
• confirmer l'ordonnance en ses autres dispositions ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
• condamner à titre provisionnel la société Domalane à payer les sommes suivantes :
o 35.560,10 euros à la société ITM Entreprises à raison des cotisations impayées outre intérêts égaux à trois fois le taux légal à compter de la date d'échéance de chacune des factures ;
o 102.949,29 euros à la société ITM Alimentaire Centre Est à raison des marchandises livrées impayées outre intérêts au taux de 6% à compter de la date d'échéance de chaque facture jusqu'à la date de son règlement conformément aux conditions générales de vente ;
o 255.955,20 euros à la société SCA Pétrole et Dérivés à raison des livraisons de carburants impayées outre intérêts au taux de 6% à compter de la date d'échéance de chaque facture conformément aux conditions générales de vente ;
o 417,10 euros à la société STIME ;
• débouter la société Domalane de l'ensemble de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
• confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
En tout état de cause,
• condamner la société Domalane à payer, par application de l'article 700 du code de procédure civile, à la société ITM Entreprises la somme de 1.500 euros, à la société ITM Alimentaire Centre Est la somme de 6.000 euros, à la société SCA Pétrole et Dérivés la somme de 1.500 euros et à la société STIME la somme de 1.000 euros ;
• condamner la même aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 6 octobre 2021.
Par conclusions du 15 octobre 2021, la société Domalane a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture au motif qu'elle avait reçu les conclusions des intimées ainsi que deux nouvelles pièces le 5 octobre 2021 au soir, veille de la clôture, ce qui ne lui avait pas permis de répliquer. Invoquant le principe de la contradiction, elle a reconclu au fond le même jour.
Les intimées ne s'étant pas opposées à la révocation de la clôture afin de permettre la prise en considération des dernières écritures des deux parties, la révocation a été prononcée par le président de chambre le 21 octobre 2021 et la clôture de l'instruction prononcée aussitôt après, le tout avant l'ouverture des débats.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
SUR CE, LA COUR,
Sur la recevabilité de l'appel et la compétence de la cour d'appel de Paris
Aux termes de l'article R. 312-3 du code de l'organisation judiciaire, sauf disposition particulière, la cour d'appel connaît de l'appel des jugements des juridictions situées dans son ressort.
L'appel formé contre la décision d'une juridiction située dans un ressort différent de celui de la cour d'appel est irrecevable et la cour d' appel, tenue de vérifier la régularité de sa saisine, doit relever d'office cette fin de non-recevoir, les dispositions de l'article R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire étant d'ordre public (2e Civ., 9 juillet 2009, pourvoi n° 08-40.541, Bull. n° 187 ; 2e Civ., 8 juillet 2010, pourvoi n° 09-65.256, Bull. n° 134 ; 2e Civ., 19 novembre 2020, pourvoi n° 19-22.185).
En l'espèce, l'ordonnance entreprise a été rendue par le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon.
La société Domalane soutient toutefois qu'elle a invoqué, pour s'opposer aux demandes de provision formées à son encontre, des préjudices au titre de pratiques anticoncurrentielles des sociétés du Groupement des Mousquetaires, ce qui rend la cour d'appel de Paris compétente pour statuer sur l'appel en application de l'article L. 420-7 du code de commerce.
L'article L. 420-7 du code de commerce dispose que :
« Sans préjudice des articles L. 420-6, L. 462-8, L. 463-1 à L. 463-4, L. 463-6, L. 463-7 et L. 464-1 à L. 464-8, les litiges relatifs à l'application des règles contenues dans les articles L. 420-1 à L. 420-5 ainsi que dans les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne et ceux dans lesquels ces dispositions sont invoquées sont attribués, selon le cas et sous réserve des règles de partage de compétences entre les ordres de juridiction, aux juridictions civiles ou commerciales dont le siège et le ressort sont fixés par décret en Conseil d'Etat. Ce décret détermine également le siège et le ressort de la ou des cours d'appel appelées à connaître des décisions rendues par ces juridictions. »
Il résulte de l'article R. 420-5 du code de commerce que, pour l'application de ce texte, la cour d'appel de Paris est seule compétente à hauteur d'appel (Com., 10 juillet 2018, pourvoi n° 17-16.365, Bull. 2018, IV, n° 85).
L'article L. 420-7 du code de commerce s'applique lorsque les dispositions qu'il vise sont invoquées tant en demande qu'en défense (Com., 9 novembre 2010, pourvoi n° 10-10.937, Bull. 2010, IV, n° 169) .
En l'espèce, il résulte de l'ordonnance entreprise que la société Domalane a invoqué devant le juge des référés, pour s'opposer aux demandes de provision formulées à son encontre, des pratiques anticoncurrentielles de la société ITM Entreprises et de ses filiales.
C'est dès lors à bon droit qu'elle a saisi la cour d'appel de Paris, compétente en application des textes précités, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté par les intimées.
Sur la compétence du juge des référés en présence d'une clause compromissoire
La société Domalane soutient que la compétence du juge des référés est subordonnée, en présence d'une clause compromissoire, au constat de l'urgence et qu'il n'y a en l'espèce aucune urgence justifiant le recours au juge des référés.
Les intimées répliquent, au visa des articles 872 et 1449 du code de procédure civile, que le juge des référés est compétent pour allouer une provision en présence d'une clause compromissoire.
Aux termes de l'article 1449 du code de procédure civile :
« L'existence d'une convention d'arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n'est pas constitué, à ce qu'une partie saisisse une juridiction de l'Etat aux fins d'obtenir une mesure d'instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire.
Sous réserve des dispositions régissant les saisies conservatoires et les sûretés judiciaires, la demande est portée devant le président du tribunal judiciaire ou de commerce, qui statue sur les mesures d'instruction dans les conditions prévues à l'article 145 et, en cas d'urgence, sur les mesures provisoires ou conservatoires sollicitées par les parties à la convention d'arbitrage ».
Il résulte de ce second alinéa qu'en présence d'une convention d'arbitrage, la compétence du juge des référés pour prononcer une mesure provisoire ou conservatoire est expressément subordonnée à la condition de l'urgence, confortant ainsi la jurisprudence antérieure au décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011, qui, si elle admettait le référé-provision, le réservait aux cas d'urgence afin de ne pas empiéter sur la compétence arbitrale.
En l'espèce, le contrat liant les parties comportait, en son article 14, une clause d'arbitrage aux termes de laquelle « tous les litiges auxquels le contrat pourra donner lieu au sujet de sa validité, de son interprétation, de son exécution et de sa résiliation, seront résolus par voie d'arbitrage ».
Cette clause n'est pas manifestement inapplicable au présent litige, qui porte sur l'exécution du contrat, les intimées concluant d'ailleurs à son applicabilité.
Or, l'urgence n'a jamais été invoquée par ces dernières et elle n'est nullement caractérisée, l'action ayant pour objet le paiement de cotisations et de factures de marchandises pour lesquelles le risque de non-recouvrement est inexistant.
La cour relève en effet que les intimées n'ont jamais fait état d'une quelconque fragilité économique et financière de la débitrice, qui aurait justifié une action urgente, et il résulte de la saisie-attribution qu'elles ont fait pratiquer le 7 mai 2021 que les comptes de la société Domalane, qui exploite désormais un magasin sous l'enseigne Super U, étaient créditeurs d'une somme de plus de 650.000 euros.
La demande reconventionnelle de la société Domalane tendant à ce que la société STIME soit condamnée à lui remettre l'historique de sa comptabilité et de la gestion des paies sur la période du 1er février 2017 au 1er février 2020 ne revêt pas davantage de caractère d'urgence et ce, d'autant moins que l'injonction en ce sens prononcée par le premier juge a été exécutée par l'ouverture d'un accès au logiciel en cause le 11 janvier 2021, ainsi que les intimées en justifient.
En l'absence d'urgence, il n'y a donc pas lieu à référé.
Sur la demande de renvoi devant le juge du fond
Si, dans le corps de ses conclusions, la société Domalane sollicite le renvoi devant le juge du fond, elle ne reprend pas cette demande dans le dispositif de ses conclusions.
En application des dispositions de l'article 954, 3ème alinéa, du code de procédure civile, la cour n'est donc pas saisie de cette demande.
Sur la demande de remboursement de la somme saisie en exécution de l'ordonnance entreprise
La société Domalane demande à la cour d'ordonner le remboursement de la somme de 348.711,46 euros correspondant au montant de la saisie réalisée sur ses comptes correspondant au montant en principal, intérêts et frais des condamnations prononcées par le premier juge.
Mais cette demande est sans objet dès lors que le présent arrêt infirmatif constitue le titre exécutoire permettant le recouvrement des sommes versées en vertu de la décision de première instance.
Sur les demandes accessoires
Les intimées, qui ont saisi à tort le juge étatique sans justifier de l'urgence, seront tenues aux dépens de première instance et d'appel et condamnées in solidum au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Déclare la société Domalane recevable en son appel ;
Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
Statuant à nouveau,
Dit n'y avoir lieu à référé ;
Rejette l'ensemble des demandes des parties ;
Condamne les sociétés ITM Entreprises, ITM Alimentaire Centre Est, STIME et SCA Pétrole et Dérivés in solidum aux dépens de première instance et d'appel ;
Les condamne in solidum à payer à la société Domalane la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et rejette leurs demandes fondées sur ces dispositions.