CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 2 décembre 2021, n° 20/04626
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
BNP Paribas (SA), Association Confédération nationale du Crédit Mutuel, Crédit Agricole (SA), Crédit Lyonnais (SA), Crédit du Nord (SA), HSBC Continental Europe (SA), La Banque Postale (SA), Société Générale (SA), BPCE (SA), Crédit Industriel et Commercial (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maitrepierre
Conseillers :
Mme Schmidt, Mme Brun-Lallemand
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me De Juvigny, Me Bardusco, Me Tayar, Me Plankensteiner, Me Parleani, Me Sorinas, Me Calvet, Me Trifounovitch, Me Boubacir, Me Guibert, Me Choffel
Vu la décision de l’Autorité de la concurrence n° 10-D-28 du 20 septembre 2010 relative aux tarifs et aux conditions liées appliqués par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d’encaissement ;
Vu les déclarations de saisine, après cassation de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 décembre 2017, aux fins d’annulation ou de la réformation de cette décision, déposées au greffe les 13 mars 2020 par les sociétés La Banque Postale, BNP Paribas, BPCE, Le Crédit industriel et commercial, Crédit du Nord, HSBC France, Le Crédit lyonnais, Crédit agricole et Société générale ainsi que par la Confédération nationale du Crédit mutuel ;
Vu les mémoires déposés au greffe les 28 septembre 2020 et 23 février 2021 par la société La Banque postale ;
Vu les mémoires déposés au greffe les 28 septembre 2020 et 23 février 2021 par la société BNP Paribas ;
Vu les mémoires déposés au greffe les 29 septembre 2020 et 23 février 2021 par la société BPCE ;
Vu les mémoires déposés au greffe les 28 septembre et 23 février 2021 par la société Le Crédit industriel et commercial ;
Vu les mémoires déposés au greffe les 28 septembre 2020 et 23 février 2021 par la société Le Crédit du Nord ;
Vu les mémoires déposés au greffe les 28 septembre 2020 et 23 février 2021 par la société HSBC France ,
Vu les mémoires déposés au greffe les 28 septembre 2020 et 23 février 2021 par les sociétés Le Crédit lyonnais et Crédit agricole ;
Vu les mémoires déposés au greffe les 28 septembre 2020 et 23 février 2021 par la Société générale ;
Vu les mémoires déposés au greffe les 28 septembre 2020 et 23 février 2021 par la Confédération nationale du Crédit mutuel
Vu les mémoires déposés au greffe les 28 septembre 2020 et 23 février 2021 par la société HSBC France ;
Vu les mémoires déposés au greffe les 28 septembre 2020 et 23 février 2021 par la société Crédit du Nord ;
Vu les observations déposées au greffe le 5 janvier 2021 par l’Autorité de la concurrence ;
Vu les observations du ministre chargé de l’économie déposées au greffe le 7 janvier 2021 ;
Le ministère public ayant reçu l’ensemble des pièces de la procédure ;
Après avoir entendu à l’audience publique du 18 mars 2021 les conseils des sociétés La Banque Postale, BNP Paribas, BPCE, Le Crédit industriel et commercial, Crédit du Nord, HSBC France, Le Crédit lyonnais, Crédit agricole et Société générale ainsi que de la Confédération nationale du Crédit mutuel, les représentants de l’Autorité de la concurrence et le ministre chargé de l’économie.
FAITS ET PROCÉDURE
1.La Cour est saisie des recours formés par les sociétés Crédit agricole, Le Crédit lyonnais, BNP Paribas, BPCE, Crédit du Nord, Société générale, La Banque postale, Le Crédit industriel et commercial, HSBC France et la Confédération nationale du Crédit mutuel (ci-après « les Banques ») contre la décision de l’Autorité de la concurrence n° 10-D-28 du 20 septembre 2010 relative aux tarifs et aux conditions liées appliquées par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d’encaissement.
2. Par cette décision, l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») leur a infligé, ainsi qu’à la Banque de France qui n’a pas formé de recours, des sanctions pécuniaires pour s’être entendues, en violation des articles L.420-1 du code de commerce et 81 du Traité instituant la Communauté Européenne (ci-après « CE »), devenu l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après le « TFUE »), en instaurant et percevant une commission interbancaire pour l’échange d’images-chèques (ci-après « la CEIC ») et des commissions interbancaires pour services connexes sur annulation d’opérations compensées à tort (ci-après « les commissions AOCT »).
Le secteur concerné
3. Le secteur concerné est celui du chèque. Cet instrument de paiement scriptural qui relève du monopole bancaire, était encore très utilisé en France (37% des paiements en 2000) même si son usage connaissait un net recul au profit de la carte bancaire. En 2007, plus de 3,6 milliards de chèques ont été échangés, ce qui représente, en volume, 23,6 % des paiements scripturaux réalisés en France.
4. Le marché du chèque met en présence quatre opérateurs : l’emetteur du chèque (la banque tirée), l’utilisateur du chèque (le tireur), le bénéficiaire du chèque et la banque de ce dernier, laquelle remet le chèque en paiement à la banque tirée.
5. Ce marché connaît deux sous-marchés, distincts l’un de l’autre et interdépendants : un marché de l’émission des chèques qui met en rapport la banque tirée et son client, le tireur, et un marché de la remise des chèques qui met en rapport la banque remettante et son client, le bénéficiaire du chèque. Les banques sont présentes sur les deux faces du marché pour être à la fois banques tirées et banques remettantes. Certaines d’entre elles, en raison de la structure leur clientèle, sont majoritairement tirées tandis que d’autres sont majoritairement remettantes.
6. Le marché de l’émission du chèque est fortement réglementé. La remise de formules de chèque à titre gratuit est une obligation pour les banques à l’égard des clients auxquels elle consent l’usage de ce moyen de paiement. Les frais bancaires en cas d’incident de paiement sont encadrés (art. L.131-71 et D.312-5 du code monétaire et financier).
7. En revanche, la liberté contractuelle caractérise le marché de la remise. Les banques opèrent une distinction parmi leurs clients remettants, entre ceux qui remettent des chèques régulièrement et en grand nombre et ceux qui en remettent de manière épisodique et en faibles quantités. Ainsi, les consommateurs ne sont pas facturés directement tandis que les « grands remettants » le sont, soit sur la base d’un prix global ou forfaitaire (cas des petits et moyens commerçants, soit à l’acte (cas des très grands remettants comme les entreprises de la grande distribution qui manipulent, au niveau national, des volumes de chèques allant de quelques millions à près de 100 millions de chèques par an).
8. À cette rémunération directe s’ajoutent d’autres modes de rémunération que sont :
– d’une part, le « float », qui correspond au produit du placement par la banque et pour son propre compte des sommes disponibles au crédit des comptes courants lesquels ne sont normalement pas rémunérés. Participe à cette forme de rémunération la pratique des dates ou jours de valeurs, qui consistait à décaler la date de débit ou de crédit du compte du client par rapport à la date effective à laquelle la banque est elle-même débitée ou payée ;
– d’autre part, les commissions de mouvement, appliquées à une clientèle professionnelle, qui correspondent à un prélèvement sur chaque opération au débit réalisée par l’entreprise ou les commissions de recette, plus rares, qui consistent en un prélèvement sur chaque opération au crédit.
9. Il convient ici de préciser que, de manière générale, les banques recherchent la rentabilité globale des services qu’elles proposent à chacun de leurs clients et non service par service.
10. Dans le cadre de cette relation globale, tous les flux de paiement (cartes bancaires, chèques, espèces etc...), les crédits, les placements ou encore la gestion du compte peuvent être pris en compte par la banque afin de déterminer le prix des services bancaires qui seront effectivement facturés à un client donné.
11. La rapidité d’un système de paiement influe sur le niveau de la rémunération des banques par le float : un système lent, caractérisé par un délai important entre l’émission de l’ordre de paiement et le débit du compte du client, avantage la banque de l’émetteur du chèque (la banque tirée), qui bénéficie plus longtemps des sommes disponibles au crédit du compte de son client afin de les placer à son profit. À l’inverse, un système de paiement rapide avantage la banque du bénéficiaire du paiement (la banque remettante).
Le système de compensation des chèques interbancaires
12.Lorsque la banque tirée n’est pas la même que la banque remettante, le chèque est dit « interbancaire » (on parle de chèque « intrabancaire » lorsque les banques tirée et remettante sont les mêmes). Les créances respectives des banques nées du paiement par chèque interbancaire doivent alors être compensées dans le cadre d’un système de règlement interbancaire.
13. Ce système est organisé et prévu par :
– d’une part, l’article L.330-1 du code monétaire et financier qui dispose que : « Un système de règlements interbancaires (…) s’entend d’une procédure nationale ou internationale organisant les relations entre deux parties au moins, permettant l’exécution à titre habituel, par compensation ou non, de paiements (...). Le système doit soit avoir été institué par une autorité publique, soit être régi par une convention-cadre respectant les principes généraux d’une convention-cadre de place ou par une convention type. » ;
– d’autre part, le règlement n° 2001-04 du 29 octobre 2001 du Comité de la réglementation bancaire et financière (CRBF) relatif à la compensation des chèques qui énonce que « tout établissement assujetti tiré de chèques est tenu de participer, directement ou par l’intermédiaire d’un mandataire, aux opérations de compensation de chèques dans le cadre d’un système de règlement interbancaire au sens de l’article L.330-1 du code monétaire et financier ».
14. À l’époque des faits, il existait en France trois systèmes interbancaires de paiement : deux systèmes réservés aux montants élevés, TBF (Transferts Banque de France) et PNS (Paris Net Settlement), et un troisième, spécifique aux paiements de détail, plus particulièrement concerné par la présente affaire, le Système Interbancaire de Télécompensation (SIT).
15. Le SIT (progressivement remplacé au cours de l’année 2008 par le Compensation Retail-Core FR), est constitué d’un réseau de télétransmission décentralisé permettant un échange en continu, directement entre les centres informatiques des banques. À cette fonction d’échange des ordres de paiement s’ajoute une fonction de compensation multilatérale des règlements interbancaires.
16. La gestion du SIT a été confiée à un groupement d’intérêt économique : le Groupement d’intérêt économique pour un système interbancaire de télécompensation (G-SIT), constitué de treize établissements de crédit et de la Banque de France. En 2007, le SIT a échangé et compensé 12 439 milliards d’opérations interbancaires, dont 24 % de paiements par chèques, pour un montant de 5 206,95 milliards d’euros.
17. Si l’instrument de paiement qu’est le chèque relève du monopole bancaire, l’article 7 du réglement CRBF précité renvoie à une convention professionnelle le soin de préciser les procédures de présentation au paiement de chèque sous forme dématérialisée. Cette convention, signé le 9 juillet 2003, autorise les établissements « à recourir à des sous-traitants directs n’ayant pas la qualité d’établissement de crédit. Ceux-ci doivent être agréés par eux (...). les sous-traitants agissent sous la responsabilité pleine et entière de ces établissements ». Dans son avis n° 03-A-15 en date du 25 juillet 2003 relatif à l’acquisition de la société Atos Investissement par la société Experian Holding France, le Conseil de la concurrence a estimé (chiffres 2002) que, sur les 4,5 milliards de chèques, 1,2 milliards avaient été traités en direct par les banques et que le marché de la sous-traitance portait donc alors sur 3,3 milliards de chèques.
Faits à l’origine de la saisine du Conseil de la concurrence
18. Cette affaire trouve son origine dans la dématérialisation de la compensation interbancaire des chèques opérée, à partir de 2002, par la mise en place d’un système d’échange d’image-chèques (EIC) dans le SIT.
19. Jusqu’alors, la compensation des chèques reposait sur l’échange physique, quotidien, sous format papier, de vignettes de chèques dans les 104 chambres de compensation installées à titre gracieux dans des succursales de la Banque de France.
20. Les banques avaient tenté à deux reprises, en 1988 et 1991, de remplacer ce système d’échange manuel et physique, jugé archaïque et source d’importants coûts administratifs, par un échange dématérialisé reposant sur la création d’une « image » du chèque lors de sa mise en encaissement à la banque remettante. Un traitement dématérialisé des chèques avait déjà été mis en oeuvre edans 9 centres régionaux d’échanges images chèques pour le recouvrement des chèques de petits montants (300 millions de chèques échangés par images chèques dans ces centres régionaux, tandis que les chambres de compensation traitaient 3,6 milliards de chèques, chiffres contemporains de la généralisation de l’EIC à tous les chèques interbancaires).
21. Ces tentatives ont échoué l’une et l’autre, pour des raisons d’ordre, principalement, financier, mais aussi social.
22. En effet, l’accélération des échanges résultant de la dématérialisation a pour effet d’entraîner une modification des équilibres de trésorerie entre banques majoritairement tirées et banques majoritairement remettantes, les premières étant débitées plus rapidement et perdant donc plus tôt la disposition des fonds que jusqu’alors elles plaçaient à leur profit, et les secondes étant au contraire créditées plus rapidement et pouvant donc placer plus vite ces mêmes fonds à leur profit. Les difficultés d’ordre social étaient, quant à elles, liées à la disparition des emplois affectés à la compensation manuelle.
23. Une troisième tentative de dématérialisation, qui aboutira en 2002 à la mise en place généralisée de l’EIC, a été engagée à partir de 1999, dans un contexte plus favorable, puisque l’arrivée prochaine de l’euro au 1er janvier 2002 imposait, en tout état de cause, d’organiser un circuit d’échange spécifique pour les chèques en euros, la Banque de France cherchait à réduire son réseau de succursales pour faire des économies et les difficultés d’ordre social paraissaient surmontées.
24. Les négociations qui ont conduit à l’adoption du nouveau système ont été menées au sein de deux commissions réunissant les principales banques et la Banque de France : le comité français d’organisation et de normalisation bancaires (CFONB), à compétence essentiellement technique, et la commission inter-réseaux (CIR), au sein de laquelle ont été négociées les conditions interbancaires du nouveau système.
25. Les travaux du CFONB ont abouti à la définition des modalités techniques du projet. Il a été ainsi décidé, notamment, de supprimer la circulation physique de 98 % des chèques, et de bloquer la quasi-totalité des chèques au niveau de la banque remettante qui en assurera le traitement administratif.
26. Les travaux de la CIR, laquelle a réuni la Confédération nationale du Crédit mutuel, les sociétés Crédit agricole, BNP Paribas, Société générale, Le Crédit lyonnais, les Banques Populaires, La Banque postale, les Caisses d’Epargne, le Crédit Commercial de France (CCF), le Crédit industriel et commercial (CIC), Crédit du Nord ainsi que la Banque de France, ont été suivis, par ailleurs, par le G-SIT, par l’Office de coordination bancaire et financière (OCBF) et par l’Association française des banques (AFB).
27. Les négociations, au sein de cette commission, ont porté sur les points suivants :
– l’heure d’échange des chèques, remplacée par l’heure d’arrêté de la journée d’échange (l’HAJE), les échanges devant désormais se faire en continu ;
– l’écart entre la date d’échange des chèques (DE) et la date de règlement interbancaire (DRI) ;
– le sens, le montant et les modalités de calcul d’une commission interbancaire ;
– les conditions applicables aux opérations connexes.
28. La CIR a constitué en son sein un groupe de travail restreint, composé de représentants des sociétés Banques Populaires, Crédit agricole, Le Crédit lyonnais, BNP Paribas, de La Banque postale, des Caisses d’Epargne, de la Société générale, de la Confédération nationale du Crédit mutuel, de la Banque de France et du CCF, et l’a chargé de lui « présenter des solutions en matière de conditions entre banques susceptibles de recueillir un accord au sein de la profession ».
29. S’agissant de la modification des équilibres de trésorerie résultant de l’accélération des échanges de chèques induite par la réduction du temps de traitement des opérations de compensation interbancaire, le groupe de travail restreint a, dans un rapport qu’il a remis le 22 juin 1999, proposé d’instaurer une commission à la transaction, d’un montant fixe par chèque tiré, versée par la banque remettante à la banque tirée.
30. S’agissant du traitement des opérations connexes, qui recouvrent l’acheminement des vignettes circulantes, les rejets, l’établissement des avis de rejet ou attestation de non-paiement, les demandes et la fourniture des renseignements, les demandes et la fourniture de reproduction des vignettes, les annulations d’opérations compensées à tort (AOCT) avec leurs éventuels rejets, l’archivage des vignettes ou leur reproduction, le groupe de travail restreint a, dans un rapport du 28 décembre 1999, proposé de créer huit commissions interbancaires destinées à compenser les transferts de charges qui avaient été identifiés.
31. Lors de la réunion de la CIR du 3 février 2000, les banques sont parvenues à un accord qui a été acté, aux termes duquel il a été décidé :
– de fixer l’écart entre date d’échange et date de règlement interbancaire à un jour (J+1) pour tous les chèques et l’HAJE à 18h ;
– de créer, d’une part, une commission d’échange image-chèque (CEIC) d’un montant maximum de 4,3 centimes d’euro, versée par la banque remettante à la banque tirée pour chaque échange de chèque et, d’autre part, huit commissions interbancaires, versées à l’occasion d’opérations connexes (commissions pour services connexes — CSC).
32. Il a, par ailleurs, été convenu que ces conditions seraient mises en oeuvre eà partir du 1er janvier 2002, pour une durée de trois années, et que la CIR se réunirait à l’automne 2004 pour fixer les conditions qui seraient applicables à partir du 1er janvier 2005. Il est constant que cette clause de « rendez-vous » n’a pas eu de suite.
La procédure devant le Conseil de la concurrence, puis l’Autorité de la concurrence
33. Par une décision n° 03-SO-01 du 29 avril 2003, le Conseil de la concurrence s’est saisi d’office de la situation de la concurrence concernant les tarifs et les conditions liées appliqués par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d’encaissement.
34. Saisie par le rapporteur général du Conseil de la concurrence le 26 novembre 2004, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (la DGCCRF) lui a remis son rapport d’enquête le 7 octobre 2005.
35. Au cours de l’instruction, le gouverneur de la Banque de France a, par une lettre du 20 juillet 2007, fait savoir au président de la Fédération Bancaire Française qu’il considérait que les commissions temporaires tarifant les échanges d’image-chèque ne lui paraissaient plus justifiées et qu’il devait y être mis fin. La CEIC a été supprimée, avec effet rétroactif au 1er juillet 2007, par une décision, en date du 4 octobre 2007, de la Banque de France, la Banque Fédérale des Banques Populaires, BNP Paribas, la Caisse Nationale des Caisses d’Épargne, la Confédération nationale du Crédit mutuel, la société Crédit agricole, HSBC France (ex-CCF), La Banque postale et la Société générale.
36. Par ailleurs, le groupe de travail restreint de la CIR a, lors de sa réunion du 27 novembre 2007, révisé comme suit le montant des CSC : le montant de la commission sur image-chèque circulante a été ramené de 0,15 à 0,12 euros ; les commissions sur demande de télécopie recto, de 2,7 euros, et recto/verso, de 3 euros, ont été réunies en une seule commission de 1 euro et le montant de la commission sur demande de télécopie avec original a été ramené de 7 à 4,12 euros.
37. Fin 2007, le rapporteur, désigné le 1er février 2006 pour instruire l’affaire, a adressé à sept cents entreprises, choisies en raison de leur importance sur le marché, un questionnaire portant sur leurs conditions bancaires en matière de remise de chèques tant en volumes qu’en montants, sur une période couvrant les années 2000 à 2006, en vue d’établir une statistique générale. Les données issues de ce sondage (le « sondage de prix ») ont fait l’objet de la décision n° 08-DSA-39 du 10 mars 2008, par laquelle le président du Conseil de la concurrence a classé en annexe confidentielle les réponses des entreprises sondées.
38. Le 14 mars 2008, le rapporteur général a notifié deux griefs à la Confédération nationale du Crédit mutuel, aux sociétés Crédit agricole, BNP Paribas, Société générale, Banque Fédérale des Banques Populaires, La Banque postale, La Caisse Nationale des Caisses d’Épargne, Le Crédit lyonnais, HSBC France (ex-CCF), Le Crédit industriel et commercial, et Crédit du Nord ainsi qu’à la Banque de France :
– le premier « pour s’être entendus dans le cadre de la Commission Inter-Réseaux pour créer une commission d’échange image-chèque et en fixer en commun le montant à 0,043 euro par chèque non-circulant » ;
– le second « pour s’être entendus dans le cadre de la Commission Inter-Réseaux pour créer des commissions interbancaires représentatives de services rendus et en fixer en commun le montant, dans les conditions suivantes :
– une commission de 0,15 euro pour chèque circulant ;
– une commission de 3 euros pour rejet d’image chèque ;
– une commission de 0,61 euro pour annulation d’image chèque ;
– une commission de 0,61 euro pour annulation de rejet d’image chèque ;
– une commission de 2,7 euros pour demande de télécopie (recto) ;
– une commission de 3 euros pour demande de télécopie (recto/verso) ;
– une commission de 7 euros pour demande de télécopie (recto + original) ;
– une commission pour archivage venue en déduction de la commission pour chèque non-circulant (montant inconnu en l’état mais qui devrait être de 0,003 euro) ».
39. Cette notification de griefs, accompagnée de la décision de saisine du Conseil de la concurrence, a été communiquée, en application de l’article L.511-4 du code monétaire et financier, à la Commission bancaire, présidée par le gouverneur de la Banque de France.
Aux termes de son avis remis le 22 mai 2008, la Commission bancaire a considéré que le Conseil de la concurrence « s’il envisageait de suivre la notification des griefs, devrait (...) prendre en compte :
– d’une part, les progrès très nets, du point de vue de la supervision bancaire, permis par la mise en place de l’EIC, notamment pour l’efficacité du processus de recouvrement dont bénéficient les utilisateurs de chèques, ainsi que pour la maîtrise du risque opérationnel et la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ;
– et d’autre part, le caractère interbancaire de l’organisation de la circulation des chèques, dont la dématérialisation a été soutenue par les pouvoirs publics et qui a rendu nécessaire, selon les pouvoirs publics qui ont accompagné cette évolution, la fixation temporaire des commissions visées par la notification. ».
40. Après que les parties eurent transmis leurs observations, les rapporteurs ont, le 14 août 2008, remis leur rapport, dans lequel ils ont conclu au maintien de l’intégralité des griefs notifiés.
41. Ce rapport a été communiqué pour avis à la Commission bancaire. Cette dernière a transmis son avis aux termes duquel elle note que :
« (...) Les rapporteurs, refusant de suivre l’avis de la Commission, et sans produire d’éléments justifiant que le témoignage des pouvoirs publics soit écarté, maintiennent l’intégralité des griefs notifiés. (...)
Les rapporteurs auraient dû prendre en compte le fait que la Banque de France est chargée par le législateur de s’assurer de la sécurité des moyens de paiement et de veiller au bon fonctionnement et à la sécurité des systèmes de paiement (article L. 141-4 du Code monétaire et financier) et, qu’à ce titre, elle est pleinement habilitée à juger de la nécessité qu’il y avait à promouvoir, à l’occasion de l’entrée en vigueur de l’euro, les conditions de l’interbancarité de l’EIC. Elle relève notamment que le rapport analyse l’approche des banques individuellement au regard des commissions interbancaires, alors que, s’agissant d’un projet interbancaire, il était nécessaire de parvenir à un accord global.
En conséquence, la Commission tient à souligner à nouveau que les pouvoirs publics avaient estimé à l’époque que la mise en place des commissions interbancaires, dont la commission d’échange image chèque, était nécessaire à la réussite du projet de passage à l’EIC. ».
42. La suite de la procédure devant le Conseil de la concurrence a été marquée par la nécessité de concilier la protection de la confidentialité des données sensibles issues du sondage des prix et le respect des droits de la défense des banques mises en cause exigeant qu’elles puissent avoir accès à ces données sur lesquelles les rapporteurs se sont fondés pour identifier et mesurer la hausse tarifaire qu’ils ont imputée à la CEIC dans le cadre de l’appréciation du dommage à l’économie.
43. Plusieurs décisions ont été prises pour tenter de résoudre cette difficulté :
– les 16 décembre 2008 et 17 février 2009, le rapporteur général a désigné un expert avec, pour mission, de vérifier la validité des calculs effectués par les rapporteurs pour évaluer les hausses tarifaires, la deuxième décision précisant la méthodologie à suivre. L’expert a rendu un pré-rapport le 20 février 2009 et un rapport définitif le 11 août 2009 avec des données anonymisées.
– le 17 février 2009, le président du Conseil de la concurrence a autorisé les conseils des parties à consulter dans les locaux du Conseil l’intégralité des données issues du sondage des prix, sous leur forme confidentielle, selon des modalités excluant d’en prendre copie, et sous réserve d’un engagement comportant l’interdiction de révéler, y compris à leurs clients, les noms des clients des banques dont ils pourraient prendre connaissance (décision n° 09-DEC-01). Ces consultations se sont tenues à deux reprises, du 2 au 24 avril 2009 et du 13 au 20 juillet 2009.
44. Les rapporteurs ont adressé aux parties, le 19 août 2009, un rapport prenant en compte les résultats de l’expertise, afin de compléter le rapport du 14 août 2008 sur l’évaluation de l’incidence sur l’économie des pratiques reprochées.
45. L’accès aux données relatives aux volumes et aux montants des chèques émis et remis par chacune des banques a été accordé par décision n° 09-DEC-22 du 20 octobre 2009, selon des modalités similaires à celles qui avaient été arrêtées par la décision n° 09-DEC-01 précitée, s’agissant des résultats du sondage de prix.
46. Le rapport complémentaire a été transmis à la Commission bancaire laquelle, aux termes de son avis transmis à l’Autorité le 23 octobre 2009, a réaffirmé la position qu’elle avait exprimée dans ses précédents avis.
47. L’affaire a été débattue devant l’Autorité le 24 novembre 2009. Au cours de cette séance, les banques ont réclamé un accès sans restriction aux données du sondage de prix et à celles relatives aux volumes et montants des chèques émis et remis par les banques, renonçant ainsi à la protection de la confidentialité de leurs données.
48. L’Autorité de la concurrence a alors renvoyé le dossier à l’instruction afin de permettre aux parties, d’une part, d’accéder à l’intégralité des données en cause et, d’autre part, de produire d’ultimes observations écrites (décision n° 09-S-04 du 11 décembre 2009).
49. Par un courrier du 5 janvier 2010, la rapporteure générale a transmis aux parties les données relatives au sondage de prix et aux volumes et montants des chèques émis. Les parties ont déposé leurs observations, dans le délai de deux mois suivant cette transmission.
50. Une nouvelle séance devant l’Autorité a eu lieu le 13 avril 2010 à l’issue de laquelle la décision attaquée a été adoptée.
La décision attaquée
51. Par la décision n° 10-D-28 du 20 septembre 2010 relative aux tarifs et aux conditions liées appliquées par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d’encaissement (ci-après la décision attaquée), l’Autorité a considéré qu’étaient établis le premier et le second grief (art.1 et 2 de la décision attaquée), mais, s’agissant de celui-ci, seulement en ce qui concerne les commissions pour annulation d’image chèque et d’annulation de rejet d’image chèque (commissions sur AOCT). Pour les autres CSC, l’Autorité a retenu qu’elles étaient exemptables (art.3 de la décision attaquée).
52. Elle a, en conséquence, infligé aux mises en cause des sanctions pécuniaires au titre des deux griefs (art.4 de la décision attaquée).
53. En outre, elle leur a enjoint de procéder à la révision du montant des commissions AOCT dans un délai de six mois et leur a ordonné de faire publier dans les journaux Le Monde et Les Échos un résumé, dont elle a donné le texte, de sa décision (art.5 de la décision attaquée).
54. Elle a ordonné la publication par les banques sanctionnées du texte figurant au point 795 de sa décision (art.6 de la décision attaquée).
Les recours entrepris
55. Les banques sanctionnées ont, à l’exception de la Banque de France, formé contre cette décision un recours en annulation et subsidiairement en réformation.
56. L’association Union fédérale des consommateurs-Que choisir (ci-après l’association UFC-Que choisir), l’Association pour la défense des utilisateurs des moyens de paiement européens (ci-après l’ADUMPE) et la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (ci-après la FCD) sont intervenues volontairement à l’instance, estimant que la mise en place des commissions interbancaires avaient porté atteinte aux intérêts de leurs adhérents et des consommateurs.
57. Par un arrêt du 23 février 2012, la Cour a jugé qu’il n’était pas établi que les banques avaient enfreint les dispositions des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L.420-1 du code de commerce et que, par suite de cette mise hors de cause, les interventions volontaires étaient sans objet.
58. Statuant sur le pourvoi du président de l’Autorité de la concurrence et les pourvois incidents de l’ADUMPE et de l’association UFC-Que choisir, la Cour de cassation (Chambre commerciale financière et économique, pourvoi n° 12- 15.971) a, par un arrêt du 14 avril 2015, cassé en toutes ses dispositions l’arrêt de la Cour au motif que les intervenants volontaires avaient été privés du droit d’être entendus, en violation des articles 544 du code de procédure civile et 6 § 1 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « CSDH »), et a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Paris autrement composée.
59. L’instance a été reprise.
60. Les Banques ont présenté des moyens d’annulation de la procédure suivie devant l’Autorité, et des moyens de fond contestant notamment l’objet anticoncurrentiel de la CEIC et des CSC et, partant l’existence d’une infraction par objet retenue par la décision attaquée.
61. Par leurs conclusions du 10 mars 2016, l’association UFC-Que choisir et l’ADUMPE ont déclaré intervenir volontairement à l’instance, la première à titre principal et la seconde à titre accessoire, et fonder leurs interventions sur les articles 328 à 330 du code de procédure civile.
62. Par un arrêt du 21 décembre 2017, la cour d’appel de renvoi, après avoir déclaré recevable l’intervention volontaire accessoire de l’UFC-Que Choisir, a déclaré irrecevable la demande de cette dernière tendant à la réformation de l’article 6 de la décision attaquée.
63. Elle a déclaré irrecevable l’intervention volontaire de l’ADUMPE.
64. Elle a rejeté l’ensemble des moyens de procédure tendant à l’annulation de la décision attaquée.
65. Sur le fond, elle a considéré que l’accord instaurant la CEIC doit, au regard des effets potentiels d’augmentation des prix et d’affaiblissement de l’offre dont il est porteur, être qualifié de particulièrement nocif pour le jeu de la concurrence.
66. Elle a ainsi retenu que l’instauration de la CEIC avait introduit un coût artificiel qui, du fait de la spécificité du financement du mode de paiement par chèque, lequel s’opère par subventions croisées, était fortement susceptible d’avoir eu un impact sur les prix des services des banques concernées, mais aussi sur la structure du marché, puisqu’elle visait à la maintenir telle qu’elle était au moment où a été mise en place la dématérialisation de l’encaissement des chèques. Cette pratique est donc particulièrement nocive au regard de son impact sur le jeu de la concurrence (§ 238 de l’arrêt).
67. Elle a également considéré que l’expérience permettait de justifier la présomption des effets attendus de telles pratiques et la haute probabilité qu’ils se produisent sur le jeu de la concurrence, en ce qu’elles conduisent nécessairement à une augmentation des prix finaux, mais aussi en ce qu’elles étaient de nature à figer, ne serait-ce que temporairement et partiellement, la structure du marché (§ 241 de l’arrêt).
68. S’agissant des commissions sur AOCT, elle a validé l’analyse de l’Autorité selon laquelle « le montant de chacune de ces commissions a été fixé d’un commun accord à un niveau unique, identique d’une banque à l’autre, donc sans tenir compte des coûts propres de chaque banque, sauf à considérer que toutes les banques avaient le même profil de coûts, ce qui n’est pas établi. La création des commissions AOCT, notamment, a substitué à des profils de coûts diversifiés une charge financière uniforme, commune à toutes les banques, pour ces services connexes. L’accord litigieux a donc, sur ce point, limité la liberté des banques de déterminer de manière indépendante et individuelle le niveau de la commission en fonction de leurs coûts et, indirectement, les prix et autres conditions des services fournis à leurs clients. » (§ 251 de l’arrêt).
69. Elle a en déduit qu’une telle pratique avait un objet anticoncurrentiel pour les mêmes motifs que ceux développés pour la CEIC et considéré que les effets potentiels de ces commissions étaient identiques à ceux qu’elle avait identifiés pour la CEIC.
70. Elle a néanmoins réfomé la décision attaquée sur le montant de sanctions infligées, montant qu’elle a ramené à la baisse.
71. Elle a rejeté les recours pour le surplus et toutes autres demandes des parties.
72. Les sociétés Banque postale, BNP Paribas, BPCE (venant aux droits de la Banque fédérale des banques populaires et de la Caisse nationale des caisses d’épargne à la suite d’une opération de fusion), Crédit industriel et commercial, Société générale, Le Crédit agricole, HSBC France, Le Crédit du Nord, Le Crédit Lyonnais ainsi que la Confédération nationale du crédit mutuel ont formé un pourvoi en cassation contre cette décision (pourvois n° 18-10.967 et 18-11.001).
73. Par un arrêt du 29 janvier 2020, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 décembre 2017 mais seulement en ce qu’il avait ramené à la baisse le montant des sanctions pécuniaires infligées par la décision attaquée et rejeté les recours pour le surplus et toutes autres demandes des parties, et sur ces points, renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Paris autrement composée.
74. La cassation a été prononcée, au visa des articles 101, §1 du TFUE et L.420-1 du code de commerce.
75. La Haute Cour, qui s’est notamment fondée sur l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE du 26 novembre 2015, aff. Sia Maxima Latvija, C-345/14, point 18), a jugé :
– d’une part, qu’« en se fondant sur la présomption, contestée, d’une répercussion nécessaire des commissions litigieuses sur les prix finaux, prise du financement du service de chèque par subventions croisées et d’un principe général de répercussion par tout opérateur économique de tout élément de coût sur les prix finaux, la cour d’appel qui, en l’absence d’expérience acquise pour ce type de commissions interbancaires, a méconnu le principe d’interprétation restrictive de la notion de restriction de concurrence par objet, a violé les textes susvisés » ;
– d’autre part, que la cour d’appel avait privé sa décision de base légale pour ne pas avoir précisé « les éléments sur lesquels elle se fondait pour affirmer que la recherche du maintien des équilibres financiers entre les banques conduisait à la cristallisation de la structure de marché ».
76. L’instance a été reprise à l’initiative des Banques.
77. Elles demandent à la Cour de juger , à titre principal, que la CEIC et les commissions AOCT ne sont pas des restrictions de concurrence par objet, et de reformer/annuler la décision attaquée.
78. Elles contestent tout pouvoir de la Cour de statuer sur une éventuelle infraction par ses effets, et font valoir qu’il impliquerait l’obligation pour la Cour d’annuler la décision attaquée et que, dans une telle hypothèse, les pratiques étaient prescrites.
79. À titre subsidiaire, elles concluent à l’absence d’effets anticoncurrentiels des commissions en cause.
80. À titre encore plus subsidaire, elles demandent à la Cour de juger que ces commissions constituent des restrictions de concurrence accessoires et qu’en tout état de cause, elles doivent bénéficier de l’exemption prévue aux article 101, paragraphe 3 du TFUE et L. 420-4, I, 2° du code de commerce.
81. À titre encore plus subsidiaire, elles concluent à la réformation de la décision attaquée tant sur le principe que sur le montant des sanctions prononcées.
MOTIVATION
I. SUR L’EXISTENCE D’UNE INFRACTION PAR OBJET
82. Par la décision attaquée, pour décider, comme elle l’a fait, que l’instauration et l’application de la CEIC constituaient une pratique prohibée par les articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce, l’Autorité a d’abord considéré que la CEIC était une commission interbancaire fixe et uniforme qui ne rémunère pas un service rendu mais opère un transfert de revenus d’une banque à une autre afin de partager les conséquences financières de l’accélération de l’échange des chèques permise par la dématérialisation du système.
83. Elle a, ensuite, retenu qu’une telle commission était une restriction de concurrence par son objet lequel était de restreindre la liberté de chaque banque de définir individuellement sa politique tarifaire et de faire obstacle à la libre fixation des prix sur le marché du chèque, en favorisant artificiellement leur hausse du côté de la remise et leur baisse du côté de l’émission dès lors que :
– sur le marché de la remise du chèque, la création de la CEIC avait introduit un élément de coût uniforme pour les banques remettantes qui n’existait pas dans l’ancien système de compensation, de sorte que, les banques devant nécessairement couvrir leur coût comme tout opérateur économique, elles avaient subi une hausse artificielle de leurs charges d’exploitation affectant le bilan de chaque opération de remise et qu’il avait lieu de présumer que cette hausse était susceptible, d’une part, de limiter l’offre sur le marché de la remise en raison de la moindre rentabilité de l’opération de traitement des chèques, et d’autre part, de conduire à une augmentation des prix finaux pratiqués par les banques à l’égard de leurs clients ;
– sur le marché de l’émission du chèque, la CEIC avait généré une hausse de revenu artificielle pour les banques tirées, puisqu’elles ont perçu un revenu qui ne leur était pas attribué par le marché, mais par un accord interbancaire, et ce afin de compenser les pertes de trésorerie qu’elles estimaient subir du fait de l’accélération du règlement interbancaire des chèques ;
– si l’objectif, tel qu’allégué par les parties, avait été de préserver les équilibres existants, un tel objectif contribuait en réalité à « figer » le marché du chèque.
Du côté de l’émission de chèques, un tel objectif visait à pérenniser par le biais d’une commission uniforme, créée artificiellement hors des mécanismes du libre jeu du marché, une partie des flux de recettes que les banques tiraient auparavant du float, c’est-à-dire à garantir aux banques tirées un niveau de rémunération minimal par chèque tiré. Symétriquement, du côté de la remise de chèques, cet objectif avait pour conséquence la neutralisation des bénéfices attendus de l’accélération des échanges pour les banques remettantes.
84. Enfin, elle a relevé que la CEIC poursuivait l’objectif de régulation de l’utilisation des différents moyens de paiement, les membres de la CIR ayant souhaité éviter que le passage à l’EIC ne favorise l’utilisation du chèque au détriment d’autres moyens de paiement moins chers en termes de coût de traitement et plus sécurisés, et que le principe d’une régulation commune reposant sur la conclusion d’un accord multilatéral de nature tarifaire comportait une restriction de concurrence par objet.
85. Analysant le contexte économique et juridique marqué par la nécessaire coordination des banques pour l’organisation des systèmes de paiement et par la gratuité de la délivrance des formules de chèque, elle a considéré qu’un tel contexte n’est pas de nature à exclure toute possibilité de concurrence efficace aux motifs :
– d’une part, que l’universalité d’un moyen de paiement n’impliquait pas que l’ensemble des banques concluent des accords de nature tarifaire, chaque banque pouvant rester libre de définir individuellement sa politique de tarification sur la face du marché sur laquelle elle est active. S’agissant du secteur du chèque, elle a constaté qu’il fonctionnait jusqu’en 2002 selon un pur schéma d’interopérabilité, sans relations tarifaires directes entre les banques ;
– d’autre part, que la gratuité de l’émission des chèques, qui n’a pas été évoquée lors des négociations de l’accord, n’était pas de nature à contraindre les banques à mettre en place des commissions interbancaires, les banques étant autorisées par ailleurs à disposer des dépôts à vue effectués par leurs client et partant, de placer ces sommes à leur profit, et étant rémunérées par la facturation de la remise de chèque, le float et/ou la commission de mouvement payée par certaines entreprises. Elle a relevé que le passage à l’EIC avait également permis d’alléger certaines charges administratives pesant sur les banques tirées, allégement qui selon elle, compensait au moins en partie les pertes de trésorerie subies par les banques tirées.
86. S’agissant des CSC, elle a considéré que leur création avait substitué à des profils de coûts diversifiés une charge financière uniforme, commune à toutes les banques, pour chaque service connexe et que l’accord multilatéral en cause avait donc limité la liberté des banques de déterminer de manière indépendante et individuelle le niveau des CSC en fonction de leurs coûts et, indirectement, les prix et autres conditions des services fournis à leurs clients.
87. Elle a toutefois retenu que ces commissions pouvaient bénéficier de l’exemption prévue les articles 81, § 3 CE et L.420-4 du code de commerce, à l’exception des commissions AOCT faute pour les banques de démontrer que leur montant était proportionné à la réalisation des gains d’efficacité.
88. Les Banques concluent à l’absence de restriction de concurrence par objet et, en conséquence à la réformation de la décision attaquée, à l’exception de la société BNP Paribas qui conclut à son annulation.
89. Elles exposent toutes, à titre liminaire, que le système de compensation des chèques interbancaires relevant d’un domaine de coopération obligée entre les banques, l’instauration de l’EIC était subordonnée à l’accord unanime de ces dernières, lequel accord n’avait pas pu émerger lors des deux précédentes tentatives de dématérialisation en raison de l’opposition d’intérêts entre les banques majoritairement tirées et celles majoritairement remettantes, née de la perte par les premières de la trésorerie et revenus issus du float au profit des secondes et induite par l’accélération du traitement des chèques. Elles soutiennent que sans la mise en place de la CEIC, dont elles soulignent toutes le caractère compensatoire et transitoire, la réforme n’aurait pas été acceptée, de sorte que la CEIC, qui est le fruit d’un compromis auquel la Banque de France a activement oeuvré, était une condition préalable nécessaire à l’instauration de l’EIC, comme l’a souligné la Commission bancaire dans ses avis transmis aux services de l’Autorité. Le Crédit Agricole et la Banque Postale exposent avoir fait la démonstration qu’elles auraient subi des pertes du fait du passage à l’EIC sans mécanisme compensatoire tel que la CEIC.
90. Les Banques font valoir ensuite, que l’analyse de l’Autorité dans la décision attaquée, qui a consisté à rechercher les effets anti-concurrentiels potentiels de la CEIC et des CSC tout en relevant son caractère atypique et inédit, est contraire à la jurisprudence européenne dont il résulte que l’existence d’une restriction de concurrence par objet exige la démonstration que l’accord présente en lui même un degré suffisant de nocivité au regard de l’expérience acquise pour ce type d’accord, et que cette notion est d’interprétation stricte. Elles soulignent que l’expérience des autorités de concurrence en matière de commissions multilatérales interbancaires, à la date de la décision attaquée et à ce jour, ne permettent pas de qualifier de restriction de concurrence par objet un mécanisme de commission de nature compensatoire tel que la CEIC, les seules commissions interbancaires multilatérales qui ont pu être qualifiées de restriction par objet à l’époque de la décision attaquée étant, d’une part, les commissions interbancaires dont le principe de la répercussion sur les commerçants est décidé d’un commun accord par les banques et, d’autre part, celles qui ont indubitablement pour effet de fixer un prix plancher pour la tarification au client, et que tel n’était pas le cas de la CEIC.
91. Elles ajoutent que contrairement à ce que soutient l’Autorité dans ses observations devant la Cour, l’existence de précédents concernant des pratiques présentant un effet similaire ne permet pas d’écarter l’objection tiré du caractère inédit de l’accord en cause, la présomption de nocivité fondée sur l’expérience solide et fiable visant exclusivement l’expérience à l’égard « d’un accord tel que celui en cause au principal » (CJUE, 2 avril 2020, Budapest Bank, C-228-18, pt.79) sauf à méconnaître le principe d’interprétation stricte de la notion de restriction de concurrence par objet récemment rappelé par la CJUE. Elles soulignent que la CEIC n’a rien de commun avec l’accord qui était en cause dans l’affaire Beef Industry (CJUE, 20 novembre 2008, C-209/07) invoquée par l’Autorité.
92. L’Autorité répond, s’agissant du caractère nécessaire de la CEIC au passage à l’EIC, qu’il n’est pas démontré qu’au moins une des banques aurait subi effectivement des pertes en dépit de gains liés à la mise en place de l’EIC et qu’en réalité, à la date de l’accord litigieux, les banques ne savaient pas si elles subiraient de telles pertes ni dans quelle mesure. Elle ajoute que l’instauration d’une commission fixe par transaction n’était pas de nature à compenser le coût du transfert de float des banques majoritairement tirées au profit des banques majoritairement remettantes dès lors que ce coût dépendait uniquement de la valeur globale des chèques émis et remis par chaque établissement et non du nombre de transactions par chèques auxquelles il participe. Enfin, elle constate que depuis 2007, le système de l’EIC continue à fonctionner en dépit de la suppression de la CEIC.
93. S’agissant de la notion d’infraction par objet telle qu’interprétée par la jurisprudence tant interne qu’européenne, elle soutient que l’objection tirée du caractère inédit de la pratique en cause doit être écartée en présence de précédents significatifs prohibant de manière générale des pratiques ayant des effets similaires (CJUE, 13 décembre 2013, Telefonica C/ Commission, C-487/16P, points 47 à 49 et 62). Elle fait valoir que si l’expérience acquise justifie la facilité probatoire associée à la restriction par objet, elle ne peut remplacer l’examen individuel de l’accord en cause au regard de sa teneur, de son objectif et de son contexte juridique et économique.
94. S’agissant de l’objet anticoncurrentiel de la CEIC apprécié, en premier lieu, à la lumière de la teneur de l’accord du 3 février 2000, elle considère que les banques ont décidé, de manière concertée, d’introduire dans les charges des banques remettantes et dans les recettes des banques tirées un élément artificiel de coût, qui n’existait pas dans l’ancien système de compensation, et dont elles ont fixé le montant. Elle soutient qu’il en résulte nécessairement une augmentation des charges de certaines banques, sans corrélation avec leurs coûts propres de traitement des chèques, et une source de revenus pour d’autres, sans lien avec les pertes attendues du fait du passage à l’EIC. Cet accord tarifaire collectif est donc, selon elle, de nature à restreindre la liberté commerciale de chaque banque de choisir de facturer, ou non, une commission interbancaire associée au traitement des chèques, et de définir individuellement le niveau de cette éventuelle commission en fonction de ses coûts propres de traitement des chèques et des pertes attendues du fait du passage à l’EIC.
95. Or, selon elle, de tels comportements, consistant pour les opérateurs d’un marché à se concerter et à fixer ensemble un élément de leurs coûts, sont considérés par la jurisprudence comme particulièrement nocifs pour le jeu de la concurrence et relèvent des pratiques expressément prohibées par l’article 101, paragraphe 1, TFUE dès lors que comme la Cour de justice l’a relevé, « ce type d’accords se heurte de manière patente à la conception inhérente aux dispositions du traité CE relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché. L’article 81, paragraphe 1, CE vise en effet à interdire toute forme de coordination qui substitue sciemment une coopération pratique entre entreprises aux risques de la concurrence. (CJUE, 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society Ltd, C-209/17, points 33 et 34).
96. En deuxième lieu, elle expose que le double objectif poursuivi par l’accord du3 février 2000, consistant, d’une part, à compenser la baisse de rémunération par le float des banques majoritairement tirées induite par le traitement dématérialisé accéléré de la compensation des chèques et, d’autre part, à éviter que l’innovation liée au traitement dématérialisé ne rende le chèque moins couteux, et donc plus attractif, que d’autres moyens de paiement automatisés, ne peut légitimer cet accord dès lors que :
– il n’est pas démontré qu’à la date à laquelle elles ont négocié et se sont accordéessur la CEIC, les banques savaient qu’elles subiraient effectivement des pertes, aucune d’entre elles n’ayant effectué une évaluation de la perte de trésorerie subie pour chaque chèque tiré en la mettant en regard avec les gains de trésorerie pourchaque chèque remis et des gains d’efficacité retirés du fait du passage à l’EIC ;
– réguler l’usage des moyens de paiement sur le marché, en modifiant les préférences des acteurs économiques par le biais d’une commission interbancaire fixée multilatéralement, fait encore obstacle au libre jeu de la concurrence, et alors, de surcroît, que la crainte des banques de voir l’usage du chèque se développer, en l’absence de commission interbancaire destinée à alourdir le coût de chaque remise de chèque, au détriment des autres modes de paiement, était infondée.
97. Elle ajoute que la circonstance que la CEIC, d’une part, soit une commission interbancaire, et non un prix directement facturé aux consommateurs finaux, et d’autre part, ne conduise pas à la fixation d’un « prix plancher », n’est pas de nature à écarter toute qualification de restriction de concurrence par objet dès lors que :
– l’article 101, § 1 du TFUE interdit les pratiques qui consistent « à fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction » et, en tout état de cause, que cet article vise à protéger « à l’instar des autres règles de concurrence énoncées dans le traité, (…) non pas uniquement les intérêts des concurrents ou des consommateurs, mais la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle » comme l’a jugé la CJUE (Arrêts du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands, C-8/08, points 36 à 39 et du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services/Commission, C-501/06, points 62 à 64, et plus récemment arrêt du 19 mars 2015, Dole Food Company Inc., C-286/13 P, points 123 à 125) ;
– la démonstration que la CEIC a eu pour conséquence pratique la fixation d’un prix plancher revient à faire une constatation découlant de l’examen des effets alors que c’est précisément ce que reproche la Cour de cassation à l’arrêt de la cour d’appel du 21 décembre 2017.
98. En troisième lieu, s’agissant du contexte économique tel que rappelé dans la décision attaquée, elle considère que contrairement à ce que soutiennent a posteriori les banques, elles n’étaient pas contraintes, du fait de la gratuité de la délivrance du chèque ou encore de la nécessité de compenser de potentielles pertes liées au passage à l’EIC, de mettre en place des commissions interbancaires afin de rémunérer les services liés à l’émission des chèques.
99. S’agissant des CSC, elle reprend les motifs de la décision attaquée, précédemment exposés. 100. Le ministre chargé de l’économie estime que les commissions litigieuses ne peuvent caractériser une restriction de concurrence par objet.
101. Il considère, en premier lieu, que l’accord ayant instauré ces commissions ne peut être assimilé à une entente tarifaire secrète, ni à une entente de répartition de marché, ni à aucun autre cas connu des restrictions par objet, et souligne l’absence de toute pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence ou de la Commission européenne en matière de commissions bancaires multilatérales de ce type. Il estime que l’accord instaurant les commissions litigieuses ne présente pas un degré suffisant de nocivité et de gravité sur la concurrence en ce qu’il avait pour objectif de compenser les déséquilibres de trésorerie qu’entraînait l’instauration de l’EIC au détriment des banques majoritairement tirées qui perdaient leur rémunération issue du float, laquelle compensait déjà partiellement la délivrance gratuite des formules de chèques.
102. Il considère, en second lieu, que l’analyse du contexte économique et juridique tant de la CEIC que des AOCT doit conduire à exclure la qualification de restriction par objet. Il fait valoir que dans un contexte marqué par l’opposition d’intérêts des banques majoritairement tirées et celles majoritairement remettantes, la CEIC était un des enjeux essentiels de l’adhésion à l’EIC : sans cette commission, les banques tirées n’aurait pas souscrit à l’EIC tandis qu’en présence d’une CEIC trop élevée, ce sont les banques remettantes qui auraient refusé l’EIC. La CEIC résulte ainsi d’un compromis qui a été difficile à trouver et ne concernait que les rapports interbancaires. Elle présentait ainsi un caractère compensatoire, transitoire, et était strictement nécessaire au passage à l’EIC. Il n’était pas prévu que son coût soit répercuté sur les clients finaux et constituait au demeurant un montant maximum et non un montant plancher.
103. S’agissant des commissions sur AOCT, il souligne qu’il n’est pas démontré que ces commissions, générées uniquement en cas de dysfonctionnement et ayant vocation à compenser les coûts engagés par un banque à raison d’une opération initiée par une autre, aient pu être restrictives de concurrence par objet. Il fait valoir que ces commissions impliquaient que leur montant soit déterminé de manière telle qu’ils conduisent les banques à l’origine des dysfonctionnements à organiser un système préventif, et qu’il n’était pas prévu qu’elles soient répercutées sur les clients. Il ajoute que le lancement du système EIC dans de bonnes conditions de fonctionnement, il n’était pas anormal, dans ce contexte économique et juridique, que les banques prenant part aux opérations de compensation s’accordent sur les modalités de répartition des frais ou de compensation de services rendus par l’une d’entre elles à un autre.
Sur ce, la Cour,
104. Il résulte des termes des articles 81 du CE, devenu 101 du TFUE et L.420-1 du code de commerce que sont prohibés tous accords entre entreprises ayant pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence.
10. Il ressort de la jurisprudence de la CJUE que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être qualifiés de restriction par objet et relever ainsi de l’interdiction précitée, de sorte que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire. Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu de la concurrence (arrêts du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C-382/12 P, points 184 et 185, ainsi que du 20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission, C-373/14 P, point 26).
106. La CJUE juge ainsi qu’il est acquis que certains comportements collusoires, tels que ceux conduisant à la fixation horizontale des prix par des cartels, peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu’il peut être considéré inutile, aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché, l’expérience montrant que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment notamment des consommateurs (arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C-67/13 P, point 51, et du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C-345/14, point 19).
107. Aux termes de cette jurisprudence, le critère juridique essentiel pour déterminer si un accord comporte une restriction de concurrence par objet réside donc dans la constatation qu’un tel accord présente, en lui-même, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour considérer qu’il n’y a pas lieu d’en rechercher les effets (CJUE, 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C-345/14, point 20 et jurisprudence citée).
108. La CJUE a jugé qu’il convient de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (arrêt CB/Commission, précité, point 53 et jurisprudence citée).
109. Enfin, la CJUE a rappelé que la notion de restriction de concurrence par objet doit être interprétée de manière restrictive. Sous peine de dispenser l’autorité de concurrence de l’obligation de prouver les effets concrets sur le marché d’accords dont il n’est en rien établi qu’ils sont, par leur nature même, nuisibles au bon fonctionnement du jeu de la concurrence, la notion de restriction de concurrence par objet ne peut être appliquée qu’à certains types de coordination entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire. La circonstance que les types d’accords envisagés à l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne forment pas une liste exhaustive de collusions prohibées est, à cet égard, sans pertinence (CB/Commission, précité, point 58 et jurisprudence citée).
110. En l’espèce, il résulte des motifs de la décision attaquée, rappelés aux paragraphes 82 à 87 du présent arrêt que l’Autorité a retenu, s’agissant en premier lieu de la CEIC, que celle-ci constituait une restriction de concurrence par son objet, consistant à restreindre la liberté de chaque banque de définir individuellement sa politique tarifaire et à faire obstacle à la libre fixation des prix sur le marché du chèque, en favorisant artificiellement leur hausse du côté de la remise et leur baisse du côté de l’émission. Pour parvenir à une telle qualification, l’Autorité a considéré qu’en instaurant cette commission, l’accord du 3 février 2000 avait introduit un élément de coût artificiel et uniforme pour les banques majoritairement remettantes et, présumant que ce coût avait vocation à être répercuté sur les prix, elle a considéré que l’accord était susceptible de produire deux types d’effets anticoncurrentiels qu’elle a identifiés comme étant, sur le marché de la remise du chèque, une raréfaction de l’offre et une augmentation des prix finaux, et sur le marché de l’émission, une hausse artificielle des revenus des banques majoritairement tirées.
111. S’agissant en second lieu des CSC, elle a retenu que l’accord multilatéral en cause avait limité la liberté des banques de déterminer de manière indépendante et individuelle le niveau des CSC en fonction de leurs coûts et, indirectement, les prix et autres conditions des services fournis à leurs clients.
112. Elle a considéré que le montant de ces commissions avait été fixé d’un commun accord à un niveau unique, identique d’une banque à l’autre, sans tenir compte des coûts propres de chaque banque, qu’elles a présumés comme étant très diversifiés.
113. De telles analyses, fondées sur de simples présomptions conduisant l’Autorité à assimiler l’accord du 3 février 2000 portant sur des commissions interbancaires à un accord sur les prix de la remise des chèques, n’est pas conforme aux principes applicables tels qu’issus de la jurisprudence européenne précitée et dont il résulte que le critère essentiel pour déterminer si un accord comporte une restriction de concurrence par objet réside dans la constatation qu’un tel accord présente par sa nature même, au regard de l’expérience acquise, un degré de nocivité suffisante à l’égard de la concurrence de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’en rechercher les effets.
114.En application de ces principes, il y a lieu d’examiner la teneur de l’accord instaurant la CEIC et les commissions sur AOCT, les objectifs qu’il poursuivait, ainsi que le contexte juridique dans lequel il s’insérait, pour déterminer si, au regard de l’expérience acquise, cet accord présentait un degré de nocivité suffisante à l’égard de la concurrence et constituait ainsi une restriction de concurrence par objet en ce qu’il visait, comme le soutient l’Autorité, à restreindre la liberté de chaque banque de définir individuellement sa politique tarifaire.
A. Sur la CEIC
115. S’agissant, en premier lieu, de la teneur de l’accord conclu le 3 février 2000 (cote 942), les membres de la CIR ont décidé d’une part, de fixer à 18h l’heure d’arrêté d’échange des images chèques et à J+1 la date de règlement interbancaire des chèques, et d’autre part, que chaque échange de chèque donnera lieu au versement par le banquier remettant au banquier tiré d’une commission d’un montant maximum de 0,043 euro (0,26 F).
116. Le compte rendu de réunion du groupe de travail restreint de la CIR du 22 juin 1999 (cotes 911 et s.), préparatoire à l’accord litigieux, indique que « l’EIC permettant à la banque du remettant d’échanger plus tôt, si elle veut ne pas perturber les équilibres interbancaires, la profession aura à choisir entre :
– une anticipation significative de la date de règlement interbancaire moyenne assortie d’une commission fixe versée par le banquier remettant ;
– un maintien de la date de règlement interbancaire moyenne par l’augmentation de l’écart entre l’échange et le règlement. ».
117. Ainsi, la fixation d’une commission était liée à la réduction du délai de règlement interbancaire des chèques, ces deux points étant interdépendants : une anticipation significative de la date de règlement interbancaire moyenne devait être accompagnée d’une commission fixe à la charge du banquier remettant, et à l’inverse, un maintien de la date de règlement interbancaire moyenne existante avant la réforme, qui conduisait à éviter tout risque de rupture des équilibres de trésorerie existants entre les banques, excluait de fixer une telle commission.
118. Sur le premier point, l’accord litigieux fixe le délai dans lequel la banque tirée paie le chèque à la banque remettante, une fois l’image chèque transmise via le SIT, par le jeu de la compensation dématérialisée des créances réciproques banques tirées/banques remettantes. Il ne contient aucune clause fixant le délai de paiement par la banque remettante à son client, bénéficiaire du chèque, lequel relevait de la politique commerciale individuelle de chaque banque.
119. Il est constant, ainsi que l’observe la décision attaquée en son point 401, que l’instauration d’une chambre de compensation unique dématérialisée a entraîné la disparition de la catégorie des chèques dits « hors place » (chèques tirés sur une banque dépendant d’une chambre de compensation différente de celle de la banque remettante), dont le délai de règlement interbancaire était de trois jours ouvrés après la date d’échange, soit deux jours de plus que celui des chèques « sur place » (chèques tirés sur une banque dépendant de la même chambre de compensation que la banque remettante), et que la fixation du délai de règlement interbancaire à J+1 et de l’HAJE à 18 heures décidée par les banques a réduit l’écart entre la date de leur remise à la banque et la date de leur échange. Par l’accord litigieux, les banques ont ainsi accepté de tirer entre elles les conséquences de l’accélération induite par la dématérialisation du système de compensation.
120. Sur le second point, il résulte du compte rendu de réunion précité que le montant de la CEIC fixé à 0,04 euros dans l’accord du 3 février 2000 correspond à la moitié de celui initialement proposé par ce groupe de travail dans l’hypothèse où le principe de cette commission devait être admis, somme qui avait été déterminée à partir du montant moyen des chèques (3000 francs), du taux d’intérêts auquel la banque peut placer les fonds dont elle a la disposition (3%) et de l’accélération attendue des échanges par l’effet de la dématérialisation telle qu’évaluée par le groupe de travail.
121. Le compte rendu de réunion du 1er juillet 1999 (cote 932) établit que ce montant de 0,04 euro correspondait à une solution de compromis, proposée par le représentant de la Banque de France afin d’inciter les banques à accepter le passage à l’EIC. Ainsi, au cours de cette réunion, ce dernier a indiqué que la Banque de France était opposée au principe de l’instauration d’une commission mais, soulignant l’importance que le projet d’EIC aboutisse, a considéré qu’ « une voie de compromis serait soit de réduire le montant de 0,50 F envisagé soit de réduire la durée de vie de cette commission ».
122. L’accord du 3 février 2000 avait également prévu que cette commission serait applicable à partir du 1er janvier 2002, qu’elle était valable pour 3 ans, c’est à dire jusqu’au 31 décembre 2004 et que la CIR devait se réunir à l’automne 2004 « pour fixer les conditions qui seront applicables à partir du 1/1/2005 sur la base d’un bilan des 3 ans écoulés et de l’évolution constatée des équilibres par rapport aux équilibres actuels ». L’accord précise que cette clause de révision à 3 ans était « une règle générale de l’interbancaire » et qu’en outre, elle faisait partie « des conditions nécessaires à l’obtention du consensus » (cote 942). Ainsi, cette commission n’avait pas vocation, lorsqu’elle a été mise en place, à être appliquée au delà de trois années mais constituait un mécanisme de transition appelé à faire l’objet d’un bilan. Condition nécessaire à l’obtention d’un consensus sur l’instauration d’une commission interbancaire, la circonstance que cette clause de révision n’a pas été mise en oeuvre eà la date prévue et que la CEIC n’a été supprimée qu’au cours de l’instruction, trois ans plus tard, avant la notification des griefs, n’est pas de nature, dans un tel contexte, à remettre en cause le fait que cette commission a été conçue, à l’origine, comme devant être transitoire.
123. La Cour observe ensuite que l’accord litigieux ne contient aucune clause stipulant l’obligation pour les banques de répercuter la commission sur leur clientèle. Si, au cours des négociations et travaux menés par le groupe restreint de la CIR, les banques en faveur de l’instauration de la commission ont pu répondre à celles qui s’y opposaient que la commission pouvait être répercutée, une telle répercussion n’était envisagée que comme une faculté et non comme une obligation. Les banques restaient ainsi libres de déterminer, dans le cadre de leur relation commerciale avec leur clientèle, s’il y avait lieu de pratiquer une telle répercussion et dans quelle mesure, étant rappelé que les banques recherchent, de manière générale, la rentabilité globale des services qu’elles proposent à chacun de leurs clients et non service par service.
124. La Cour observe encore que l’accord litigieux n’interdit pas aux banques de négocier en bilatéral le principe et le montant de la commission, comme en atteste le procès-verbal d’audition du représentant de la Fédération française des banques du 28 juin 2005 (cote n° 879), ainsi que la lettre adressée par le président de la CIR au G-SIT lui transmettant les termes de l’accord conclu le 3 février 2000 (cote n° 970). Les banques restaient ainsi libres de déterminer, dans le cadre d’une relation bilatérale, d’autres conditions interbancaires que celles prévues par l’accord litigieux.
125. Pour assimiler l’accord litigieux à un accord collectif tarifaire, l’Autorité soutient que l’introduction de la CEIC a nécessairement entraîné une augmentation des charges de certaines banques, sans corrélation avec leurs coûts propres de traitement des chèques, et une source de revenus pour d’autres, sans lien avec les pertes attendues du fait du passage à l’EIC. Toutefois, une telle analyse ne tient pas compte du lien opéré par l’accord litigieux entre la CEIC et l’anticipation du règlement interbancaire à l’origine d’un transfert de float, transfert que la CEIC avait vocation à compenser. Or, il n’est pas démontré que le montant de la commission excédait manifestement pour chaque banque individuellement le gain ou la perte de float. En outre, il n’est pas établi que l’ensemble des banques, appelées à être à la fois débitrices et créancières de la CEIC, avait décidé individuellement de répercuter systématiquement et automatiquement cette commission à leur client.
126. Dès lors que l’accord n’interdisait pas aux banques de déterminer, dans le cadre d’une relation bilatérale, d’autres conditions interbancaires que celles prévues par l’accord litigieux, il ne peut être davantage soutenu que cet accord, en lui même, était de nature à restreindre la liberté commerciale de chaque banque de choisir de facturer, ou non, une commission interbancaire associée au traitement des chèques, et de définir individuellement le niveau de cette éventuelle commission en fonction de ses coûts propres de traitement des chèques et des pertes attendues du fait du passage à l’EIC.
127. C’est en vain que l’Autorité invoque l’affaire dite Beef Industry (CJUE, 20 novembre 2008, Beef Industry Development Society Ltd, C-209/07) pour soutenir que les comportements consistant pour les opérateurs d’un marché à se concerter et à fixer ensemble un élément de leurs coûts sont considérés par la jurisprudence comme particulièrement nocifs pour le jeu de la concurrence.
128. En effet, dans cette affaire, des opérateurs d’un marché monoface de transformation de viande bovine se sont entendus pour favoriser la sortie de certains d’entre eux du marché tout en les indemnisant via un fonds alimenté par les opérateurs restants par une contribution de deux euros par tête de bétail à concurrence de leur volume habituel de transformation et de onze euros, au-delà de ce volume. La CJUE a retenu que ce type d’accord se heurtait « de manière patente à la conception inhérente aux dispositions du traité CE relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché », en ce qu’il visait essentiellement « à permettre à plusieurs entreprises de mettre en oeuvre eune politique commune ayant pour objet de favoriser la sortie du marché de certaines d’entre elles et de réduire, par voie de conséquence, les surcapacités qui affectent leur rentabilité en les empêchant de réaliser des économies d’échelle ». Elle a également retenu que les moyens mis en oeuvre epour atteindre cet objectif comportaient également des restrictions ayant un objet anticoncurrentiel, et en particulier, la contribution de 11 euros par tête par de bétail abattue au-delà du volume de production habituel de chacun des restants qu’elle a analysée comme constituant « un obstacle au développement naturel des parts de marché à l’égard de certains des restants qui, du fait du caractère dissuasif de cette contribution, sont incités à ne pas dépasser leur volume habituel de production. Cette mesure risque donc de conduire certains opérateurs à geler leur production ».
129. Ce n’est donc pas la fixation d’un élément de coût commun aux opérateurs restants (une contribution de 2 euros par tête de bétail) qui a fondé la qualification de restriction par objet mais la fixation du coût supplémentaire dû en cas d’abattement de tête de bétail au-delà du volume habituel de production, en ce qu’il était de nature à limiter le développement des parts de marché des opérateurs restants (points 33 à 37).
130. Cette référence jurisprudentielle n’est donc pas pertinente pour l’analyse de la CEIC dont il n’est pas contesté, au demeurant, qu’elle ne tendait pas à favoriser la sortie d’une ou plusieurs banques du marché.
131.C’est également sans pertinence que l’Autorité se prévaut de la communication de la Commission européenne relative à l’application des règles de concurrence de la Communauté européenne aux systèmes de virements transfrontaliers selon laquelle « tout accord sur une commission interbancaire multilatérale est une restriction de concurrence relevant de l’article 85 paragraphe 1, car il limite de manière importante la liberté des banques d’établir individuellement leur politique de tarification » (point 40 de la communication). La Cour observe en effet qu’une telle position de principe, dont l’Autorité semble déduire que toute commission interbancaire multilatérale comporte un objet anticoncurrentiel, n’a pas été confortée par la CJUE.
132. Ainsi, dans l’affaire dite « Groupement des cartes bancaires » (arrêt précité), la CJUE a écarté la qualification de restriction de concurrence par objet d’un accord instaurant des commissions interbancaires multilatérales dans le secteur du système de paiement et de retrait par carte bancaire en rappelant que le critère juridique essentiel pour déterminer si une coordination entre entreprises comporte une telle restriction de concurrence par objet réside dans la constatation qu’une telle coordination présente, en elle-même, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence. Elle a ainsi annulé la décision du TUE, lequel avait retenu que « les mesures en cause ont pour objet de restreindre la concurrence (...) , en ce que, en substance, elles entravent la concurrence des nouveaux entrants sur le marché de l’émission des cartes de paiement en France », la CJUE ayant considéré qu’ « ayant admis que les formules retenues par ces mesures visaient à établir un certain rapport entre les activités d’émission et les activités d’acquisition des membres du Groupement, le Tribunal pouvait tout au plus en déduire que lesdites mesures avaient pour objet d’imposer une contribution financière aux membres du Groupement qui bénéficient des efforts déployés par d’autres membres aux fins du développement des activités d’acquisition du système. Or, un tel objet ne saurait être considéré comme étant, par sa nature même, nuisible au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (...) » (point 74 de l’arrêt de la CJUE).
133. Dans l’affaire dite « Budapest bank », répondant à la question préjudicielle de savoir « si l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’un accord interbancaire qui fixe à un même montant la commission d’interchange revenant, lorsqu’une opération de paiement par carte est effectuée, aux banques d’émission de telles cartes proposées par les sociétés de services de paiement par carte actives sur le marché national concerné peut être qualifié d’accord ayant “pour objet” d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de cette disposition », elle a dit pour droit « qu’un accord interbancaire qui fixe à un même montant la commission d’interchange, revenant, lorsqu’une opération par carte est effectuée, aux banques d’émission, (..) ne saurait être qualifié d’accord ayant pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de cette disposition, à moins que cet accord, eu égard à ses termes, à ses objectifs et à son contexte, ne puisse être considéré comme présentant le degré de nocivité suffisant à l’égard de la concurrence pour être ainsi qualifié, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier. » (CJUE, 2 avril 2020, Budapest Bank, C-228/18).
134. S’agissant, en deuxième lieu, des objectifs poursuivis par l’accord litigieux, il résulte des termes du compte rendu de la réunion du groupe de travail restreint de la CIR du 22 juin 1999 précité, que la CEIC poursuivait un double objectif, à savoir :
– d’une part, compenser les modifications de trésorerie interbancaire qui pourraient résulter du choix de l’HAJE et de l’écart entre échange et règlement, et ce, afin d’éviter que la dématérialisation « ne profite qu’aux remettants au détriment de l’ensemble de la profession » ;
– d’autre part, assurer une cohérence du chèque avec EIC et des autres moyens de paiement.
135. S’agissant du premier objectif, il est constant que l’accélération du traitement des chèques, induite par la dématérialisation, avait pour conséquence immédiate un transfert de float des banques tirées vers les banques remettantes. L’EIC était donc susceptible de modifier les équilibres de trésorerie entre les banques (procès-verbal d’audition de la Fédération française bancaire, cotes 2880 et suivants) et d’avoir une incidence directe sur la répartition du coût du système chèque du système du paiement par chèque. En effet, comme le soulignent les Banques, la gratuité du chèque pèse davantage sur les banques majoritairement tirées dont la clientèle est composée principalement de particuliers émettant des chèques, que sur les banques majoritairement remettantes dont les clients sont principalement de grandes entreprises remettant des chèques. Les banques majoritairement tirées compensaient, au moins partiellement, la charge pesant sur elles liée à la gratuité du chèque en disposant du float, c’est-à-dire en plaçant la trésorerie disponible au crédit des comptes courants de leurs clients, grâce aux délais d’encaissement et aux dates de valeurs qui leur étaient liées.
136. Cet effet mécanique de transfert de float, qui n’est pas contesté par l’Autorité et qu’elle décrit au point 89 de la décision attaquée, ne correspondait ni aux mérites des banques majoritairement remettantes, ni à une moindre efficacité de celles majoritairement tirées, mais était au contraire susceptible de créer au profit des premières un effet d’aubaine étranger à toute concurrence par les mérites.
137. La circonstance qu’à la date de l’accord, les banques étaient dans l’incertitude de leur bilan individuel du passage à l’EIC sans commission, faute d’avoir réalisé une évaluation de la perte de trésorerie subie pour chaque chèque tiré en la mettant en regard avec les gains de trésorerie pour chaque chèque remis et des gains d’efficacité retirés du fait du passage à l’EIC, n’est pas de nature à remettre en cause ni la finalité objective de la CEIC, ni la légitimité de l’objectif poursuivi, sauf à démontrer que la CEIC excédait à l’évidence ce qui était nécessaire pour éviter que le transfert de float ne vienne modifier les équilibres de trésorerie entre les banques, démonstration qui ne résulte ni de la décision attaquée, ni des observations de l’Autorité.
138. Il n’entrait d’ailleurs pas dans le champ de la mission de la CIR, laquelle était limitée à la recherche d’un consensus de place sur les conditions interbancaires du passage à l’EIC, de déterminer ces conditions à partir des évaluations individuelles des effets du passage à l’EIC pour chaque banque, ce qui au demeurant aurait exigé des échanges d’informations sensibles que le droit de la concurrence prohibe.
139. L’objectif de préservation des équilibres de trésorerie interbancaire, qui participait de l’équilibre des deux faces du marché du chèque (émission et remise), ne pouvait être considéré, dans ces circonstances, comme illégitime au regard du jeu normal de la concurrence entre les banques.
140. S’agissant du second objectif poursuivi, il résulte du compte rendu de réunion précité que les Banques ont souhaité éviter que le passage à l’EIC ne favorise l’usage du chèque au détriment d’autres moyens de paiement plus efficients et moins coûteux que sont la carte bancaire ou le titre interbancaire de paiement (TIP). Un tel objectif, tenant à la recherche d’une cohérence entre les différents instruments de paiements, n’est pas, en soi, illégitime, ce qu’au demeurant l’Autorité admet au point 383 de sa décision.
141. À ce stade de l’analyse, il convient d’observer que ni la teneur de l’accord, ni les objectifs poursuivis tels qu’ils viennent d’être exposés, ne permettent de retenir que la CEIC avait pour objet de neutraliser un élément essentiel de la concurrence entre les banques sur le marché du chèque, de nature à influer sur les prix des services du chèque et/ou la structure du marché de cet instrument de paiement, et de restreindre la liberté des banques de déterminer de manière autonome leur politique tarifaire.
142. S’agissant en troisième lieu, du contexte juridique et économique, ne sont pas de nature à remettre en cause l’absence d’objet anticoncurrentiel des commissions litigieuses les éléments de contexte évoqués aux paragraphes 3 à 8 et 19 à 23 du présent arrêt, tenant :
– à la nature du service concerné — le paiement par chèque — qui met en présence quatre opérateurs ;
– au caractère biface du marché du chèque, l’une de ces faces étant marquée par la gratuité du service et l’autre par la liberté tarifaire, étant rappelé qu’une même banque est présente sur les deux faces, pour être à la fois remettante et émettrice de chèques ;
– à l’échec des deux précédentes tentatives de dématérialisation de la compensation des chèques interbancaires, la première en 1988 et la seconde en 1991, notamment en raison de la résistance de certaines banques à la perspective d’une perte de recettes de trésorerie, étant souligné que ces précédentes tentatives avaient été faites en pure interopérabilité sans condition financière interbancaire ;
– l’arrivée prochaine de l’euro au 1 janvier 2 er 002 qui imposait d’organiser un circuit d’échange spécifique pour les chèques en euros et constituait donc l’occasion de remplacer un système d’échanges manuels des chèques jugé de manière unanime comme archaïque et coûteux, la Banque de France cherchant par ailleurs à réduire son réseau de succursales, qui accueillait les chambres de compensation, pour faire des économies.
143. Il convient, en outre, de relever qu’un nouveau système de compensation des chèques interbancaires ne pouvait qu’être « institué par une autorité publique » ou « être régi par une convention-cadre respectant les principes généraux d’une convention-cadre de place ou par une convention type », conformément aux dispositions de l’article L. 330-l du code monétaire et financier dans sa rédaction applicable à l’époque.
144. Au surplus, l’ancien système de compensation, reposant sur l’échange physiques des vignettes dans les chambres de compensation, ayant été organisé par une convention-cadre de place, il était cohérent que la dématérialisation de ce système d’échange soit également organisée dans le cadre d’une telle convention.
145. Il en ressort que le passage à l’EIC, et partant ses conditions techniques et financières, ne pouvait être décidé qu’à l’unanimité des banques participant au circuit de traitement des chèques, comme le souligne la Commission bancaire dans son avis du 22 mai 2008 : « Un tel projet, nécessairement interbancaire, devait recueillir l’accord de 1'ensemble de la place pour être mené à bien ».
146. Comme l’observe d’ailleurs l’Autorité au point 426 de sa décision, si un système de compensation dématérialisé n’impliquant qu’une partie des établissements bancaires était théoriquement envisageable, la coexistence d’un tel système avec l’ancien système manuel de compensation aurait manifestement engendré des coûts de fonctionnement très élevés, rendant peu probable la conclusion d’un accord pour mettre en oeuvre ecette solution de consensus. Il en résulte que, comme le constate d’ailleurs l’Autorité au point 427 de la décision attaquée, à la date des négociations de la CIR, les banques étaient fortement incitées à s’accorder sur les conditions de la mise en place du système dématérialisé de compensation interbancaire des chèques, et la possibilité, en cas de blocage des négociations, d’instituer l’EIC par la voie d’un texte réglementaire d’origine gouvernementale, option qui n’était pas exclue par le code monétaire et financier, n’avait cependant pas été formellement envisagée. Les pouvoirs publics n’avaient d’ailleurs pas choisi de la mettre en oeuvre à la suite des échecs des deux précédentes tentatives de dématérialisation du système de compensation des chèques.
147. Dans un tel contexte, l’instauration d’une commission interbancaire multilatérale visant à compenser, de manière transitoire, un déséquilibre de trésorerie induit par la dématérialisation d’un système de compensation interbancaire, ne relève d’aucun accord ou pratique dont le caractère nocif est avéré et facilement décelable au vu de l’expérience acquise telle qu’elle ressort de la pratique décisionnelle des autorités de concurrence confortée par la jurisprudence. L’Autorité a constaté d’ailleurs, au point 348 de la décision attaquée, que les autorités de concurrence nationales et communautaire ne s’étaient encore jamais prononcées sur une commission d’une telle nature. À ce jour, ce constat demeure.
148. L’assimilation de l’accord litigieux à un accord tarifaire prohibé par nature, comme l’a fait l’Autorité dans la décision attaquée, en se fondant sur la nécessaire répercussion de tout élément de coût sur les prix finaux, ou comme elle fait dans ses observations devant la Cour en analysant la CEIC comme un élément de coût ayant restreint la liberté des banques de déterminer de manière autonome leur comportement sur le marché, doit dès lors être écartée par la Cour en l’absence d’expérience acquise pour ce type de commission purement interbancaire, compensatoire et conçue comme devant être transitoire, sauf à méconnaître le principe d’interprétation restrictive de la notion de restriction de concurrence par objet.
B. Sur les commissions sur « AOCT »
149. L’accord du 3 février 2000 instaure deux types de commission correspondant à deux opérations distinctes : l’annulation d’une image chèque compensée à tort par la banque remettante, et l’annulation d’une image chèque rejetée à tort par la banque tirée. L’accord prévoit que ces commissions sont dues par la banque à l’origine de l’opération réalisée à tort : la banque remettante dans le premier cas, la banque tirée dans le second cas. Les opérations ainsi visées, qui correspondent à des erreurs d’écritures, constituaient donc une minorité des opérations de compensation de chèques interbancaires.
150. Le rapport du groupe de travail de la CIR du 28 décembre 1999, préparatoire à l’accord du 3 février, précise que ces commissions ont été fixées au même niveau que celui des commissions sur AOCT relatives aux autres moyens de paiement traités dans le SIT, soit 0,61 euros. Aucun élément du dossier ne permet d’établir que le montant de cette commission excédait le coût réellement exposé. Au contraire, l’étude des coûts du 18 avril 2011 réalisée à la demande des banques en vue de la révision de ces commissions sur AOCT, afin de se conformer à l’injonction prononcée par l’Autorité à l’article 5 de sa décision, conclut que le montant de ces commissions, évalué sur la base de coût de traitement de la banque la plus efficace, devrait se situer entre 0,87 et 1,48 euros.
151. En outre, il ne ressort ni de l’accord du 3 février 2000, ni des rapports du groupe de travail restreint de la CIR préparatoires à cet accord, que ces commissions devaient être répercutées sur les prix finaux, ni même que cette répercussion avait été envisagée par certains établissements.
152. De l’analyse de la teneur de l’accord en cause il ne peut être déduit, comme l’a fait l’Autorité, que ce dernier peut être assimilé à un accord tarifaire en lui-même prohibé.
153. S’agissant des objectifs poursuivis, le groupe de travail restreint de la CIR, dans son rapport du 22 juin 1999 indiquait, s’agissant des CSC prises dans leur ensemble, que chaque fois que l’opération « relève du choix d’un établissement et que la charge de traitement de cette opération incombe à une autre, il faut prévoir une commission couvrant au minimum le coût de revient de l’opération demandée pour inciter à la limitation au strict nécessaire des opérations représentant une charge administrative ». Le rapport de synthèse précise que ces commissions avaient pour objectif de tenir compte du transfert de charges entre établissements.
154. Le rapport du groupe de travail restreint de la CIR du 28 décembre 1999, consacré aux CSC précise, s’agissant des AOCT, qu’il s’agit « d’opérations dont le nombre peut être réduit par un contrôle approfondi des opérations avant leur émission. Il est donc normal que l’établissement qui émet ces opérations qui donnent une charge de travail significative à celui qui les reçoit, paie une commission par AOCT émise » (cote 1433).
155. Il résulte des éléments précités que ces commissions sur AOCT, qui ne concernaient que les rapports interbancaires, avaient pour objectif non seulement de compenser le transfert de charge, générée par une banque qui a effectué une opération à tort, au détriment d’une autre, mais également d’inciter les établissements à plus de vigilance dans les opérations de paiement des chèques afin d’éviter les erreurs ou incidents générateurs de coût. L’objet de ces commissions n’était donc ni artificiel, ni illégitime.
156. Il s’en déduit que la circonstance que ces commissions AOCT ont été fixées à un niveau uniforme, identique d’une banque à l’autre, sans considération des coûts propres de chaque établissement ne permet pas de considérer, au regard des objectifs poursuivis et des circonstances dans lesquelles elles ont été instaurées, qu’elles ont pour objet de neutraliser un élément de concurrence entre les banques et en particulier, de limiter la liberté des banques dans la détermination de leur prix et conditions appliqués à leurs clients. Les écarts de coût invoqués par la décision attaquée à la date de conclusion de l’accord ne constituent qu’une hypothèse et, en tout état de cause, ne peuvent être présumés.
157. Les éléments de contexte juridique et économique ne sont pas de nature à remettre en cause cette analyse. Ces éléments sont communs à ceux exposés aux paragraphes 142 à 146 du présent arrêt, les commissions sur AOCT, ayant été décidées, comme la CEIC, dans l’accord du 3 février 2000. Comme le soulignent les Banques, les commissions pour services connexes, dont la commission AOCT, et comme en témoigne les termes des rapports du groupe de travail restreint de la CIR des 22 juin 1999 et 28 décembre 1999, sont inhérentes à un système accéléré et informatisé de paiement.
158. Dès lors, il n’est pas permis de considérer, en l’absence d’expérience acquise pour ce type de commissions de nature compensatoire et dissuasive, que par leur nature même, elles présentent un dégré de nocivité suffisante à l’égard de la concurrence pour être qualifiées de restriction de concurrence par objet.
II. SUR LA PORTÉE DE L’EFFET DÉVOLUTIF DU RECOURS
159. À titre liminaire, la Cour rappelle qu’elle n’est pas tenue de répondre aux moyens présentés par HSBC, BPCE et Société générale au soutien de l’irrecevabilité des « demandes » de l’Autorité et à ceux présentés par HSBC au soutien de la prescription des pratiques dès lors que ces prétentions n’ont pas été reprises dans le dispositif de leurs conclusions.
160. Banque Postale, BPCE, CIC, Crédit Mutuel, Crédit Agricole et Crédit Lyonnais font valoir que l’examen par la Cour des effets anticoncurrentiels des pratiques implique l’annulation préalable de la décision attaquée aux motifs que :
– la décision attaquée n’ayant ni recherché ni qualifié l’existence d’effets anticoncurrentiels, ce n’est qu’en annulant celle-ci que la Cour pourrait envisager de rejuger l’entier dossier en fait et en droit en vertu de l’effet dévolutif du recours ;
– une simple réformation est incompatible avec un réexamen intégral de l’affaire sous un angle totalement nouveau, les effets de l’accord n’ayant été à aucun moment examinés par la décision pour qualifier l’entente ;
– le moyen mettant en cause, comme au cas présent, l’existence même d’une restriction par objet, qui est au premier chef l’élément constitutif d’une entente, est de nature à entraîner l’annulation de la décision attaquée ;
– que le pouvoir de la Cour de substituer ses propres motifs à ceux de la décision suppose que l’Autorité se soit prononcée dans la décision sur le point que la Cour est appelée à trancher : ceci n’est pas le cas de l’existence ou non, en l’espèce, d’une restriction de concurrence par les effets.
161. Ces banques demandent à la Cour, en conséquence de cette annulation, avec BNP Paribas qui conclut à titre principal à l’annulation de la décision, de dire que les pratiques sont prescrites par application du délai décennal préfix prévu à l’article L. 462-7 du code de commerce.
162. Le Crédit du Nord demande à la Cour de juger irrecevable la demande de l’Autorité tendant à constater l’existence d’une infraction par effet. Il fait valoir, en premier lieu, que la Cour n’est pas saisie de la question de savoir si les pratiques peuvent être qualifiées d’infraction par effet, dès lors que cette question est exclue des débats faute d’avoir été abordée, au stade de la qualification de l’infraction, par la décision attaquée, par les cours d’appel de renvoi et par la Cour de cassation, la décision attaquée n’ayant retenu qu’une seule qualification, celle de restriction de concurrence par objet. Il ajoute que le périmètre de cassation ne couvre que l’erreur de droit commise par la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 21 décembre 2017 sur la caractérisation de cette infraction par objet. Il fait valoir, en second lieu, que par une telle demande, l’Autorité viole le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, ainsi que l’effet dévolutif en demandant à la Cour de statuer comme si elle annulait la décision alors que la Cour n’est saisie que d’un recours en réformation, et qu’elle n’est saisie que de la seule décision attaquée laquelle n’a retenu qu’une infraction par objet et non par ses effets.
163. CIC et Crédit Mutuel demandent également à la Cour de déclarer irrecevables les prétentions de l’Autorité. Ils soutiennent que la qualité de partie à l’instance conférée à l’Autorité lui permet uniquement de défendre sa décision et non de demander une nouvelle qualification d’infraction qu’elle n’avait pas retenue dans ladite décision, laquelle demande méconnaît, selon eux :
– d’une part, le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d’autrui, puisque ce faisant, elle soutient une position contraire à celle qu’elle a soutenue devant la Cour initialement saisie ainsi que dans sa décision, consistant à soutenir que les effets des pratiques reprochées ne constituaient pas un élément de qualification de l’infraction mais étaient abordés uniquement au stade de l’appréciation du dommage à l’économie ;
– d’autre part, le principe de prohibition de la refomartio in pejus qui interdit à l’Autorité de présenter une demande qui serait de nature à aggraver la situation des demandeurs au recours. Une demande portant sur les effets serait un élément nouveau, et partant nécessairement de nature à aggraver leur culpabilité puisqu’il pourrait conduire la Cour à constater une infraction sur un fondement différent de celui retenu par la décision attaquée. Il en est de même sur le plan procédural puisqu’ils doivent se défendre sur une infraction nouvelle à laquelle l’Autorité avait expressément renoncé.
164. BNP Paribas, qui conclut également à l’irrecevabilité de la demande de l’Autorité, ajoute qu’une telle demande se heurte :
– au principe jurisprudentiel selon lequel nul ne peut se prévaloir en appel d’un moyen auquel il a renoncé devant les premiers juges, l’Autorité ayant reconnu devant la première cour d’appel que la qualification de l’infraction ne réeposait pas sur l’existence d’effets sur les prix, de sorte qu’il était inutile d’analyser en détail ces effets ;
– au principe de double degré de juridiction consacré en matière pénale par l’article 2 du protocole n° 7 de la CESDH, lequel principe s’applique en l’espèce, l’Autorité agissant comme une autorité répressive.
165. Elle ajoute que le fait que des effets — d’ailleurs présentés comme potentiels — aient été évoqués dans la décision au stade de l’analyse du dommage à l’économie est inopérant car il est indéniable qu’ils n’ont pas été invoqués ni analysés au stade de la qualification de l’infraction.
166. Or, conformément au droit européen, et afin de permettre aux juges d’exercer leur contrôle, une autorité doit, si elle veut se ménager la possibilité d’invoquer une infraction par effets, non seulement les évoquer dans sa décision, mais aussi procéder à leur qualification juridique, et exposer pourquoi elle retient une infraction par effets.
167. En outre, CIC, Crédit Mutuel, BNP Paris, la Banque Postale, HSBC, LCL, Crédit Agricole et BPCE concluent au défaut de pouvoir de la Cour de rechercher par elle-même une restriction de concurrence par les effets. Elles soutiennent que l’effet dévolutif ne lui confère que le pouvoir de se prononcer sur les éléments maintenus dans le rapport, lequel a expressément souligné que le grief portait sur une restriction de concurrence par objet et non par effet, les effets des pratiques n’étant examinés non pour les qualifier mais pour apprécier le dommage à l’économie. BPCE ajoute qu’il n’est pas possible qu’un débat naisse pour la première fois devant la Cour sur les effets des pratiques comme élément de qualification de l’infraction sauf à examiner des éléments et arguments nouveaux par rapport à ceux retenus par l’instruction et la décision attaquée, et par voie de conséquence, de porter atteinte aux droits de la défense des parties mises en cause.
168. CIC et Crédit Mutuel font valoir que la Cour est dépourvue de pouvoirs inquisitoriaux qui lui permettraient de pallier l’absence d’analyse par les effets dans la décision attaquée, qu’une telle position aurait, en tout état de cause, pour conséquence d’aggraver leur situation, ce qui est proscrit par la jurisprudence. Ils estiment, ainsi qu’HSBC, qu’un renvoi de l’affaire aux services de l’instruction, comme le demande l’Autorité, est contraire aux exigences du procès équitable ainsi qu’aux principes fondamentaux qui gouvernent la charge de la preuve et l’impératif de l’égalité des armes.
169. L’Autorité répond, en premier lieu, qu’il résulte de l’application combinée des articles L. 464-8 du code de commerce et 561 et 562 du code de procédure civile, que la cour d’appel, saisie d’un recours en réformation, doit examiner le bien-fondé et la qualification des pratiques retenues dans la notification des griefs et, de surcroît en l’espèce, maintenues dans le rapport. Dans l’exercice de son pouvoir de réformation, la cour est investie du pouvoir de substituer ses propres motifs à ceux de la décision qui lui est déférée. Pour dire non établies des pratiques contraires aux dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce, la Cour ne peut se borner à constater que l’Autorité, à qui il incombait de démontrer les éléments constitutifs des pratiques poursuivies, n’aurait pas suffisamment ni sans contradiction rapporté cette preuve. Elle souligne que si la cour d’appel estime ne pas être en mesure de se prononcer sans acte d’enquête ou d’instruction complémentaire sur les effets actuels ou potentiels des commissions en cause sur la concurrence, elle devra lui renvoyer l’affaire.
170. Elle expose, en deuxième lieu, qu’en vertu de l’article R. 464-11 du code de commerce qui l’autorise, en tant que partie, à défendre ses décisions devant la juridiction de recours, et de l’article 632 du code procédure civile qui permet aux parties de présenter des moyens nouveaux devant la juridiction de renvoi après cassation, elle est recevable à invoquer tous les moyens qu’elle juge nécessaires pour permettre à la juridiction de recours de se prononcer en fait et en droit sur les pratiques dont elle est saisie dès lors que les éléments sur lesquels elle s’appuie figurent déjà au dossier.
171. Elle fait valoir, en dernier lieu, qu’il résulte des termes de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE, et de la jurisprudence de la Cour de justice, que l’objet et l’effet anticoncurrentiel d’un accord sont des conditions alternatives pour considérer qu’un tel accord soit prohibé, et que si la Cour devait considérer que l’accord n’avait pas un objet anticoncurrentiel, le dossier devrait la conduire à considérer, au vu de l’ensemble des pièces réunies par l’instruction, que les commissions avaient des effets potentiels et réels sur le marché, comme la notification des griefs et le rapport adressés aux parties par les services d’instruction mais également la décision attaquée, qui au titre du dommage à l’économie, ont identifié deux principaux effets anticoncurrentiels :
– une hausse des prix sur le marché de la remise de chèques ;
– une raréfaction de l’offre des banques remettantes.
172. Le ministre chargé de l’économie considère que rien ne s’oppose à ce que la Cour, dans l’exercice de son pouvoir d’évocation au fond, examine les effets des commissions litigieuses, dès lors que la notification des griefs visait tant l’objet que l’effet des pratiques reprochées et que plusieurs des banques mises en cause ont admis avoir présenté des observations devant le collège de l’Autorité sur les éventuels effets anticoncurrentiels des commissions litigieuses.
Sur ce, la Cour,
173. L’effet dévolutif du recours, qui résulte de l’application combinée des articles 561 et 562 du code de procédure et L. 464-8 du code de commerce, saisit la Cour de l’ensemble des points discutés devant l’Autorité et tranchés par la décision attaquée. Le recours formé contre une décision de l’Autorité, qui comme en l’espèce, s’est prononcée sur le bien fondé de griefs notifiés et dit établie une infraction aux articles 101, § 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce, investit donc la Cour du pouvoir de statuer à nouveau sur l’existence de cette infraction. Si la Cour doit se prononcer sur les moyens développés par les parties, elle peut également, si la motivation de la décision attaquée ne lui apparait pas fondée, y substituer sa propre motivation, sous réserve que celle-ci s’appuie sur des éléments d’analyse qui ont pu être discutés contradictoirement.
174. Dans ce cadre, l’Autorité, à qui l’article R. 464-11 du code de commerce confère la qualité de partie dans les conditions déterminées par les articles R. 464-12 et suivants du même code, doit pouvoir défendre sa position sur l’existence d’une infraction. À cet effet, il ne lui est pas interdit de présenter des éléments d’analyse non encore invoqués, susceptibles de conforter celle développée dans la décision attaquée, voire de s’y substituer, dès lors qu’elle n’invoque aucun élément de fait nouveau, qui ne soit pas issu de l’enquête et de l’instruction, qu’elle reste dans la limite de la qualification retenue par la notification des griefs et maintenus dans le rapport et que ces éléments complémentaires d’analyse ne sont pas de nature à aggraver la situation des entreprises mises en cause.
175. En l’espèce, dans ses observations déposées devant la Cour, l’Autorité demande de rejeter le recours des Banques au motif principal que l’accord du 3 février 2000 est une infraction aux articles 101, § 1 du TFUE et L.420-1 du code de commerce à raison de son objet, et à titre subsidiaire, qu’il caractérise cette même infraction à raison de ses effets.
176. À cet égard, s’agissant de la distinction d’infraction par objet ou par effet, il y a lieu de rappeler qu’il résulte des termes de l’article 101 du TFUE et de la jurisprudence constante de la CJUE que l’objet et l’effet anticoncurrentiel d’un accord sont des conditions alternatives pour apprécier si un tel accord relève ou non de l’interdiction énoncée à cet article et que le caractère alternatif de cette condition, marqué par la conjonction « ou », conduit à la nécessité de considérer, en premier lieu, l’objet même de l’accord, compte tenu du contexte économique dans lequel il doit être appliqué. Ce n’est qu’au cas où l’analyse de l’accord ne révélerait pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence qu’il convient alors d’en examiner les effets et, pour le frapper d’interdiction, d’exiger la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible (voir en ce sens CJUE, 6 octobre 2009, GmaxoSmithKline Service, C-501/06, pt.55 et la jurisprudence citée).
177. Il ressort également de la jurisprudence qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les effets d’un accord dès lors que l’objet anticoncurrentiel de ce dernier est établi (voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C-8/08, points 28 et 30)
178. Enfin, la CJUE a récemment dit pour droit que l’article 101, § 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un même comportement anticoncurrentiel soit considéré comme ayant à la fois pour objet et pour effet de restreindre le jeu de la concurrence, au sens de cette disposition (CJUE, 2 avril 2020, Budapest Bank, C-228/18).
179. Ainsi, la distinction entre objet et effet instaurée à l’article 101, § 1 du TFUE relève avant tout d’une question de preuve du caractère nocif de l’accord sur le jeu normal de la concurrence. Contrairement à ce que suggèrent les Banques dans leurs écritures, cette distinction ne tend pas à créer deux infractions autonomes mais renvoie à deux conditions alternatives, non exclusives l’une de l’autre, pour considérer qu’une même pratique relève de la prohibition édictée par les articles 101 du TFUE et L.420-1 du code de commerce. Dans le cas de l’infraction dite par objet, la pratique présente, par nature, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour considérer qu’elle constitue une infraction, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’en examiner les effets anticoncurrentiels. La qualification d’un accord de restriction par objet plutôt que par effet relève donc uniquement du choix des moyens mis en oeuvre e pour démontrer son caractère anticoncurrentiel.
180. Il s’en déduit, en premier lieu, que l’effet dévolutif du recours formé contre une décision qui, examinant le bien fondé des griefs notifiés, a retenu qu’un accord était une entente anticoncurrentielle au sens de l’article 101 du TFUE, saisit la Cour du bien fondé de cette qualification et lui permet, si elle juge non établi l’objet anticoncurrentiel de l’accord retenu par la décision attaquée d’examiner, au vu des éléments figurant au dossier, si ses effets anticoncurrentiels sont établis, afin de déterminer si cet accord a empêché, faussé ou restreint le jeu normal de la concurrence au sens du texte précité.
181. La Cour ayant retenu que l’objet anticoncurrentiel de l’accord n’était pas établi, il lui incombe de vérifier si cette qualification demeure applicable à raison des effets de la pratique en cause, en substituant le cas échéant ses motifs à ceux de la décision attaquée concernant l’instauration de la CEIC et de la commission AOCT. C’est donc à tort que les Banques font valoir que la Cour ne serait en mesure d’examiner les effets de l’accord qu’après avoir annulé la décision attaquée.
182. Il s’ensuit que le moyen tiré de la prescription des pratiques, invoqué par les Banques dans l’hypothèse où la Cour annulerait la décision, devient sans objet et doit donc être rejeté.
183. Par ailleurs, le choix de l’Autorité de retenir, dans la décision attaquée, que l’accord du 3 février 2000 était une restriction de concurrence par objet et de considérer ainsi, de manière implicite qu’il était inutile de rechercher s’il pouvait caractériser une restriction de concurrence par ses effets, ne saurait être interprété en ce sens que, pour elle, la restriction par effet n’était pas caractérisée. L’Autorité peut donc soumettre à la Cour des éléments d’analyse des effets anticoncurrentiels sans qu’il puisse lui être reproché de se contredire aux détriments des Banques.
184. C’est donc également en vain que certaines Banques invoquent les termes retenus par les services de l’instruction de l’Autorité au stade de la poursuite, dans la notification des griefs et des rapports, ainsi que par le rapporteur général adjoint dans sa lettre du 15 juillet 2009 qui, selon elles, démontreraient que ces services ont renoncé expressément à se prévaloir des effets de l’accord litigieux au stade de la qualification de l’infraction, pour reprocher à l’Autorité, dans ses observations au soutien de la décision adoptée par son collège, une méconnaissance du principe selon lequel nul ne peut se prévaloir en appel d’un moyen auquel il a expressément renoncé devant les premiers juges. À supposer qu’un tel principe puisse être applicable au recours formé en application de l’article L. 464-8 du code de commerce, l’Autorité n’a pas, dans la décision attaquée, renoncé expressément à se prévaloir de l’existence d’une infraction par effet.
185. L’effet dévolutif du recours, en ce qu’il conduit la Cour à apprécier les effets anticoncurrentiels de l’accord litigieux, ne méconnaît pas le principe des droits de la défense dès lors que les Banques ont été mises en mesure de discuter et contester les éléments d’analyse présentés par l’Autorité sur les effets anticoncurrentiels de la CEIC et des commissions AOCT instaurées par cet accord.
186. Il est également vain de prétendre qu’il méconnaît le principe de double juridiction, faute d’avoir pu permettre aux Banques de faire trancher la question litigieuse une première fois devant l’Autorité, dès lors qu’il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation que cette dernière est une autorité de nature non juridictionnelle, même lorsqu’elle est appelée à prononcer une sanction ayant le caractère d’une punition (Cons. const., 12 octobre 2012, n° 2012-280 QPC ; Civ2, 30 septembre 2021, n° 20-18.699). En outre, et en tout état de cause, aucune méconnaissance de l’article 2 du protocole n° 7 de la CSDH ne peut être utilement invoqué, dans la mesure où les Banques peuvent faire examiner par une juridiction supérieure la décision de la Cour qui les condamnerait, le présent arrêt étant susceptible d’un pourvoi en cassation.
187. Il convient d’observer, s’agissant du respect des droits de la défense, et en particulier du principe de la contradiction et de l’égalité des armes, que tant les griefs notifiés, que le rapport et la décision attaquée ont analysé les effets des pratiques en cause.
188. Ainsi, s’il est constant que les griefs notifiés et maintenus dans le rapport ont qualifié l’accord du 3 février 2000 d’infraction en raison de son objet — en se fondant sur les effets potentiels de cet accord qui seraient, principalement, une augmentation du prix de la remise et une raréfaction de l’offre — et que les rapporteurs ont considéré qu’il n’était pas nécessaire d’en rechercher les effets réels au stade de la qualification, il est également constant que tant les griefs notifiés que les rapports ont examiné les effets réels des pratiques qu’ils avaient identifiés lors de l’analyse de leur objet.
189. Ainsi, dans la notification des griefs, le rapporteur, après avoir analysé les commissions litigieuses et conclu au terme de son analyse que l’accord du 3 février 2000 emportait une restriction par objet et que cette qualification ne rendait pas nécessaire la recherche des effets anticoncurrentiels, a néanmoins souligné :
– s’agissant de la CEIC, que sa création avait produit des effets anticoncurrentiels nombreux et certains et, en particulier, une hausse des prix sur le marché de la remise des chèques, que les rapporteurs ont évaluée à partir des données issues du sondage des prix, et une raréfaction de l’offre sur ce même marché (§ 155 et s.) ;
– s’agissant des CSC, que les premiers relevés de prix indiquaient que les commissions pour services connexes servaient de base à la tarification de ces mêmes services aux consommateurs de services bancaires qui en sont à l’origine (surtout des commerçants), ce qui pourrait avoir comme effet anticoncurrentiel la fixation d’un prix minimum aux commerçants (§ 139).
190. Dans leur rapport du 14 août 2008, les rapporteurs ont répondu aux observations des parties sur les effets anticoncurrentiels qu’ils avaient identifiés dans la notification des griefs pour notamment conclure au § 339 qu’ils ne « peuvent que confirmer que la CEIC, a eu, entres autres conséquences, celle d’induire une hausse des tarifs de remise de chèque » et au § 377, qu’ils « maintiennent que la CEIC a eu pour effets, en augmentant artificiellement le coût de revient de l’activité de banque remettante, de contracter l’offre des banques remettantes ».
191. Leur rapport du 19 août 2009, consacré exclusivement au dommage à l’économie, développe leur analyse et leur méthode d’évaluation des effets que, selon eux, la CEIC avait produits, et en particulier, la hausse tarifaire sur le marché de la remise des chèques pour proposer un chiffrage du dommage à l’économie imputable à cette seule hausse tarifaire, « le plus important des effets anticoncurrentiels imputables à la création de la CEIC ». (§ 388)
192. La décision attaquée, qui s’est prononcée sur les griefs ainsi notifiés et maintenus dans le rapport, a également porté une appréciation sur les effets réels de la CEIC aux § 686 à 716 — en particulier la hausse tarifaire telle qu’identifiée et évaluée par les rapporteurs au moyen du sondage des prix et la raréfaction de l’offre — et sur ceux produits par les commissions AOCT, l’ensemble de ces éléments et analyses ayant été contradictoirement débattus par les Banques, qui, pour ce faire, ont eu accès aux données du sondage des prix, comme il a été rappelé aux paragraphes 48 à 49 du présent arrêt.
193. L’Autorité, dans ses observations déposées devant la Cour, reprend les éléments contenus dans la décision attaquée sur les effets réels pour soutenir que les pratiques ont faussé ou restreint le jeu normal de la concurrence et partant, caractérisent une infraction aux articles 101 du TFUE et L.420 du code de commerce. L’analyse de l’Autorité sur les effets anticoncurrentiels n’est donc fondée sur aucun fait nouveau qui n’ait pas été soumis à la discussion des parties.
194. En second lieu, il se déduit de l’analyse de la distinction infraction par objet ou par effet rappelée aux paragraphes 176 à 179 du présent arrêt que la qualification de restriction de concurrence à raison des effets de la pratique, et non plus à raison de son objet, n’est pas de nature à aggraver la situation des Banques s’agissant d’une seule et même pratique identifiée tout au long de la procédure : l’accord du 3 février 2000 ayant instauré les commissions AOCT et la CEIC. Il appartiendra en tout état de cause à la Cour, si elle devait considérer que l’infraction est constituée, de respecter le principe de non aggravation de la situation des Banques au stade de la détermination du montant de la sanction.
195. Les moyens tendant à limiter l’effet dévolutif au seul examen de l’objet anticoncurrentiel de l’accord du 3 février 2000, à déclarer irrecevable l’Autorité en ce qu’elle soutient que cet accord est une infraction à raison de ses effets, sont donc rejetés.
III. SUR L’EXISTENCE D’UNE INFRACTION PAR EFFET
196. CIC et Crédit Mutuel demandent à la Cour de juger que la décision attaquée ne fait pas la démonstration de ce que la CEIC et les CSC caractérisent une entente anticoncurrentielle par effet et enfreignent les dispositions des article L.420-1 du code de commerce et 101 § 1 du TFUE.
197. BNP Paribas, BPCE, Crédit du Nord, HSBC, Société Générale, LCL et le Crédit Agricole demandent à la Cour de juger que l’accord du 3 février 2000 n’est pas anticoncurrentiel par ses effets.
198. Les Banques contestent, en premier lieu, l’analyse de l’Autorité consistant à invoquer des effets potentiels et réels de la CEIC. Elles font valoir que l’accord du 3 février 2000 a été mis en oeuvre ede sorte qu’il appartient à l’Autorité de démontrer qu’il a effectivement produit des effets anticoncurrentiels et qu’elle ne peut se fonder sur des effets purement hypothétiques pour caractériser une entente anticoncurrentielle.
199. Elles contestent, en deuxième lieu, le contrefactuel retenu par l’Autorité, à savoir l’EIC sans la CEIC. Elles font valoir que sans la CEIC, l’EIC n’aurait pas été mise en oeuvre epar les banques. Elles soulignent que le bilan de l’EIC avec la CEIC a été largement bénéficiaire au profit des remettants en raison des gains de trésorerie tirés de l’accélération du paiement des chèques, accélération qui leur a été largement répercutée, ainsi que le démontre l’analyse économique qu’elles produisent, et ce même sur la base des hypothèses les plus défavorables aux banques. Elles en déduisent que le contrefactuel pertinent exclut tout effet anticoncurrentiel.
200. Elles font valoir, à titre surabondant, que l’Autorité n’apporte pas la preuve des effets anticoncurrentiels qu’elle allègue tenant, d’une part, à la hausse des prix et, d’autre part, à la raréfaction de l’offre.
201. S’agissant de la hausse des prix, elles soulignent d’abord que la CEIC n’a pas joué le rôle de prix plancher et rappellent que l’accord du 3 février 2000, qui ne fixait que des conditions interbancaires de l’EIC, ne prévoyait pas l’obligation pour les banques de répercuter la CEIC sur les clients remettants.
202. Elles font valoir ensuite que l’Autorité admet même qu’elle n’est pas en mesure d’évaluer l’ampleur de la répercussion de la CEIC sur les prix pratiqués à l’égard des clients remettants qui ne sont pas facturés directement pour le service de remise de chèques, c’est- à- dire les particuliers et petites et moyennes entreprises. Elles contestent l’analyse de l’Autorité selon laquelle ces deux catégories de clients ne disposant que d’un faible pouvoir de négociation et n’étant que peu informées des modalités indirectes de facturation des services bancaires, subiraient la plus forte augmentation des prix, cette analyse étant fondée selon elles sur un simple postulat, de surcroît erronné au regard de la théorie économique selon laquelle un pouvoir de négociation réduit, s’il peut se traduire par des niveaux de prix élevés, implique généralement une moindre réactivité des prix aux chocs de coûts, de sorte que rien ne permet de postuler que la CEIC aurait nécessairement eu un effet inflationniste sur les conditions tarifaires de ces catégories de clients. Le Credit Agricole fait valoir que ce postulat d’augmentation tarifaire n’est pas fondé en ce qui le concerne puisque, comme les rapporteurs l’ont admis, ses caisses régionales ont réduit leurs dates de valeurs entre 2001 et 2004 et certaines, comme celle d’Île de France, de manière significative. Société Générale et BNP Paribas font valoir, de leur côté, que les rapporteurs ont constaté qu’elles avaient chacune diminué le montant des commissions de mouvement pratiquées à l’égard des clients PME pendant la période de mise en oeuvre ede la CEIC.
203. Quant aux grands remettants qui sont facturés directement, la majorité des Banques observent que l’Autorité n’a identifié que six cas documentés de répercussion intégrale de la CEIC sur les 740 entreprises sondées, aucun autre cas n’ayant été relevé et que bien au contraire, trois très grands remettants, entreprises de la grande distribution, ont déclaré qu’ils n’avaient pas subi de répercussion. Il en ressort une absence de répercussion systématique et une hétérogénéité des pratiques des banques, attestant de leur liberté tarifaire. La banque Postale soutient ne pas avoir répercuté la CEIC même à l’égard de client important relevant des très grands remettants.
204. Les Banques soutiennent que le sondage des prix ne permet pas davantage d’établir un effet sensible de la CEIC sur les prix aux motifs :
– que les données issues du sondage des prix sont rattachées à des prestations complexes et globales effectuées par les banques de sorte qu’il est difficile d’isoler l’évolution du coût du service du chèques de celui des autres prestations ;
– que le montant de la hausse tarifaire invoquée par l’Autorité est largement surévaluée en raison de la persistance de biais méthodologiques, qui une fois corrigés, aboutissent, à une hausse de 0,012 euros à 0,0057 euros, soit très inférieure à celle retenue par l’Autorité ;
– que l’échantillon final des données servant à l’analyse de l’Autorité n’est pas suffisamment représentatif ;
– que le lien de causalité entre la hausse invoquée et la CEIC n’est pas démontré dès lors que, d’une part, les résultats du sondage démontrent que les prix n’ont pas nécessairement augmenté et/ou augmenté de façon homogène et que lorsqu’ils ont augmenté, l’augmentation peut être due à des facteurs exogènes tels que l’évolution des services proposés, et d’autre part, les baisses de prix invoqués par l’Autorité postérieurement à la supression de la CEIC ne concernent que deux situations individuelles.
205. Elles ajoutent qu’il convient de tenir compte des réponses qualitatives des entreprises sondées dont il résulte, selon Société Générale, que plus de 400 entreprises sur les 740 sondées indiquent qu’à l’occasion du passage à l’EIC, leur banquier n’a pas cherché à rénégocier de nouvelles conditions financières, ce qui constitue un indice clair que la CEIC n’a pas eu d’impact négatif sur le prix du service de la remise de chèques.
206. S’agissant de la raréfaction de l’offre, elles font valoir que l’Autorité ne démontre pas que la CEIC aurait porté atteinte à la variété de l’offre des établissements bancaires en cause, et que bien au contraire, figurent au dossier les déclarations des acteurs de la sous-traitance et de très grands remettants qui attestent que la participation des banques aux appels d’offre n’a pas été affectée par la CEIC.
207. S’agissant de l’impact de la commission sur AOCT, les Banques soulignent que l’Autorité admet elle- même dans ses observations que leur effet sur les prix ne peut être mesuré.
208. L’Autorité fait valoir, à titre liminaire, que le contre-factuel qui doit être retenu pour l’appréciation des effets réels des pratiques est la situation de la mise en place de l’EIC sans la CEIC.
209. Elle soutient, ensuite, que la CEIC a eu des effets potentiels et réels.
210. S’agissant des effets potentiels, elle expose que la CEIC constituait une charge nouvelle et artificielle pesant sur le résultat des banques et avait donc vocation à être répercutée sur les prix facturés aux commerçants comme en attestent, d’une part, plusieurs déclarations des banques elles-mêmes (cotes 1905,4263,4264) et, d’autre part, l’analyse économique du 26 mai 2008 (cote 5988) produite par les parties en réponse à la notification des griefs. Elle souligne que la facturation aux clients peut être indirecte en prenant la forme de jours de valeurs imposés aux remettants ou d’autres canaux de facturations.
211. S’agissant des effets réels, elle indique qu’il y a lieu de distinguer entre le Trésor public, les grands remettants, les autres entreprises et les particuliers.
212. Pour le premier, elle soutient que la répercussion est avérée, la Banque de France, dont le Trésor public est le principal client, ayant indiqué dans ses observations en réponse à la notification des griefs une répercussion sur ce client d’un montant de 36 millions.
213. Pour les grands remettants, elle fait valoir, en premier lieu, que le sondage de prix a permis d’établir que cette catégorie d’entreprises a subi, en moyenne, une hausse significative du prix unitaire de la remise de chèques que le rapport d’expertise du 19 août 2009 a évaluée pour chaque chèque remis, entre 1,07 et 1,75 centime d’euro, au cours de la période 2001-2004, et entre 1,04 et 1,58 centime d’euro au cours de la période 2001-2006 selon l’échantillon retenu. Elle relève que ces constatations portent sur la seule évolution des prix faciaux du service de la remise de chèques, et ne tiennent pas compte de l’évolution tarifaire liée, par exemple, à l’évolution des dates de valeurs imposées aux entreprises, conduisant ainsi à une sous-estimation de la hausse réelle des tarifs imposés aux clients des banques. À cet égard, le rapport du 19 août 2008 qui n’a pas été contesté sur ce point par les banques, évalue à 0,6 centime par chèque la hausse des prix équivalente à l’évolution des dates de valeurs.
214. Elle invoque, en deuxième lieu, de nombreux exemples spécifiques de répercussion intégrale résultant de pièces du dossier telles que des courriers adressés par le CIC, le Crédit Lyonnais, la BNP et la Banque de France annonçant une répercussion de la CEIC à des clients, les conventions de services conclues, l’une entre la Banque de l’économie du Crédit Mutuel et l’un de ses clients, et l’autre par la Banque de France et l’un de ses clients, ainsi que la baisse de tarifs de certaines banques consécutifs à la suppression de la CEIC à l’automne 2007, baisse qui confirme a contrario l’impact inflationniste de la CEIC.
215. Elle soutient, en troisième lieu, que les témoignages de responsables de certaines sociétés de la grande distribution invoqués par les Banques et selon lesquels la CEIC ne leur avait pas été répercutée ne remettent pas en cause la répercussion pour d’autres entreprises et souligne que pour certains grands remettants, ce n’est qu’au prix de négociations exigeantes et difficiles que les banques ont accepté de renoncer à cette répercussion.
216. Elle soutient, en dernier lieu, que la répercussion pouvait prendre une forme indirecte en ne faisant pas bénéficier les clients de l’accélération de l’encaissement ou en facturant des services qui jusqu’alors étaient gratuits comme en témoigne le directeur d’un grand remettant (cote 8958).
217. Pour les autres entreprises, elle indique que l’ampleur de la répercussion n’est pas quantifiable dès lors que, sauf exception, le service de remise de chèques ne leur est pas facturé à l’unité mais de manière indirecte notamment via des jours de valeurs. Elle affirme qu’il est toutefois certain que c’est cette catégorie d’entreprises qui a subi la plus forte augmentation tarifaire du fait de la CEIC, car, d’une part, elle ne dispose que d’un faible pouvoir de négociation vis-à-vis de leur établissement bancaire, en comparaison des grands remettants, et, d’autre part, ces entreprises sont peu ou en tout cas moins informées des modalités indirectes de facturation des services bancaires et du prix réels de ceux-ci.
218. Pour les particuliers, elle expose que même si l’ampleur de la répercussion de la CEIC sur les particuliers, n’est pas quantifiable, le service de remise de chèques ne leur étant pas facturé à l’unité mais de manière indirecte, principalement via des jours de valeurs, de manière générale, certains documents internes des banques figurant au dossier démontrent l’intention de répercuter le coût de la CEIC sur l’ensemble de leurs clients, sans distinction entre eux. Elle ajoute que la répercussion de la CEIC s’est traduite par une hausse de la rémunération des banques sous forme de float, soit via des dates d’encaissements de chèques qui ne suivent pas l’accélération du règlement interbancaire consécutive à la dématérialisation des échanges, et donc plus tardives que celles qui auraient dû être appliquées, soit même via une augmentation des jours de valeurs imposés aux clients.
219. Elle ajoute que la CEIC a également conduit à une raréfaction de l’offre sur le marché de la remise de chèques, compte tenu de la hausse des coûts supportés par les banques pour fournir ce service et que cet effet est avéré s’agissant la Société générale, qui a décliné l’offre de l’un de ses clients, très grand remettant, lui proposant de lui apporter l’intégralité de son activité de remise de chèques à la condition de ne pas inclure dans le prix de la remise le montant de la CEIC, au motif qu’une telle prestation ne pouvait être que déficitaire, alors que les données transmises dans l’étude du 26 mai 2008 précitée montrent un regain de participation de la Société Générale aux appels d’offres des entreprises remettantes après la suppression de la CEIC.
220. S’agissant des commissions sur AOCT, elle fait valoir qu’en raison du montant des commissions collectées, d’une part, et de la nature même de la pratique, d’autre part, la potentialité des effets anticoncurrentiels des commissions sur AOCT apparait plus limitée.
221. Le ministre chargé de l’économie considère que l’Autorité n’a pas suffisamment démontré que la CEIC a potentiellement pu être répercutée partiellement ou totalement sur les prix finaux en faisant valoir que le dossier de l’Autorité ne vise que quelques clients et que le sondage de prix réalisé par les services d’instruction confirme, a contrario, la pratique de non-répercussion partielle ou totale de la CEIC sur les clients des banques remettantes.
222. S’agissant de la potentielle limitation de l’offre de remise de chèque, le ministre chargé de l’économie considère que l’Autorité ne parvient pas à démontrer que la hausse du coût unitaire du traitement des chèques aurait engendré une rentabilité moindre, voire un déficit de l’activité de la remise de chèques, et qui aurait conduit à une raréfaction de l’offre sur le marché de la remise de chèques. Même dans l’hypothèse où la raréfaction de l’offre sur le marché de la remise de chèques se serait effectivement produite, l’Autorité n’examine pas les facteurs exogènes, comme la généralisation de la dématérialisation des documents ou l’hypothèse d’un marché du chèque structurellement en baisse par exemple, qui pourraient justifier partiellement ou entièrement la raréfaction de l’offre.
223. Il ajoute, s’agissant des commissions sur AOCT, que le fait que leur montant ne soit pas orienté vers les coûts, comme l’a retenu l’Autorité, ne permet pas de conclure à une hausse tarifaire artificielle dès lors que les AOCT ont une nature compensatoire et dissuasive, qu’elles ne concernaient que les rapports interbancaires et qu’elles n’étaient pas répercutées sur les clients des banques. Il ressort même de la décision attaquée que l’Autorité n’a pas réellement statué sur les répercussions des AOCT sur les clients finaux, se contentant d’évoquer cette possibilité offerte aux banques.
Sur ce, la Cour,
A. Sur les effets anticoncurrentiels de la CEIC
224. Lorsque, comme en l’espèce, l’accord litigieux n’a pas un objet anticoncurrentiel, il y a lieu d’en examiner les effets et, pour le frapper d’interdiction, de vérifier qu’il a, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible le jeu de la concurrence en prenant en considération son impact sur la concurrence actuelle et potentielle.
225. Pour apprécier cet impact, il convient, en premier lieu, d’examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait en l’absence de l’accord litigieux (CJUE, 6 avril 2006, General Motors, C-551/03 point 72 ; 11 septembre 2014, MasterCard, C-382/12, point 161 et jurisprudence citée).
226. Il s’agit ainsi de faire ressortir, par une comparaison entre le jeu de la concurrence tel qu’il a existé en présence de l’accord en cause et le jeu de la concurrence tel qu’il se serait produit, en l’absence de cet accord, une situation concurrentielle dégradée lorsque celui-ci s’applique (TUE, 12 décembre 2018, Servier, T-691/14, point 1076 et jurisprudence citée).
227. En l’espèce, il convient de rappeler, comme il a été exposé aux paragraphes 115 à 117 du présent arrêt, que par l’accord du 3 février 2000, qui portait sur les conditions interbancaires de l’EIC, les banques ont décidé de tirer les conséquences entre elles de l’effet d’accélération de l’EIC en fixant l’HAJE à 18h et la date de règlement interbancaire à J+1 et de fixer, en contrepartie, le principe et le montant de la CEIC.
228. L’accélération de ce règlement interbancaire et la CEIC étaient liées : les banques ont choisi de fixer la CEIC parce qu’elles avaient choisi de tirer les conséquences entre elles du passage à la dématérialisation en anticipant la date de règlement interbancaire.
229. Le contrefactuel ne peut donc être limité au jeu de la concurrence tel qu’il aurait existé en l’absence de la seule CEIC, comme l’a retenu l’Autorité dans la décision attaquée et dans ses observations devant la Cour, mais correspond à celui qui aurait existé en l’absence de l’accord du 3 février 2000, en ce qu’il a décidé d’instaurer la CEIC et de réduire le délai de règlement interbancaire. En effet, comme le relève l’Autorité au paragraphe 314 de la décision attaquée, l’accélération des échanges a bien été permis par l’accord dans la mesure où l’EIC pouvait être mise en place sans cette accélération, et, partant, sans modification des équilibres de trésorerie, dès lors que la fixation de la date de règlement interbancaire relevait d’une libre décision des banques.
230. Il apparaît alors vraisemblable et réaliste qu’en l’absence de l’accord litigieux, les banques, qui n’étaient pas en mesure, à l’approche du passage à l’euro, de faire échec de manière durable, à l’adoption de l’EIC, auraient mis en oeuvre la réforme, en maintenant, fût-ce provisoirement, une date de règlement interbancaire qui préservait les équilibres de trésorerie existants entre elles, neutralisant ainsi l’effet d’accélération du traitement des chèques. Cette hypothèse correspond, au demeurant, à la solution alternative à la CEIC qui avait été proposée par le groupe de travail restreint de la CIR, comme il a été exposé aux paragraphes 115 à 117 du présent arrêt.
231. Il s’en déduit que les effets de l’accord du 3 février 2000 doivent s’apprécier au regard de la CEIC, de l’accélération de la date de règlement interbancaire décidée par cet accord et de la répercussion de cette accélération en faveur des clients remettants.
232. À cet égard il convient de retenir, comme l’a fait l’Autorité dans la décision attaquée, que le prix du service du chèque s’entend, non seulement du prix facial de la remise pour les remettants facturés à l’unité ou au forfait, mais également de la pratique des jours de valeur consistant à opérer un décalage entre la date de règlement interbancaire du chèque et celle de la mise à disposition de sa provision au profit du bénéficiaire.
233. Ainsi, pour apprécier les effets restrictifs de l’accord sur les prix, il y a lieu de tenir compte non seulement de l’évolution des prix directement facturés aux clients remettants, mais également de l’évolution des prix indirects, tels que résultant des dates de valeur appliquées, afin de déterminer si l’accélération des échanges interbancaires permise par l’accord leur a été répercutée et partant, de mesurer leurs gains de trésorerie générés par une disposition plus rapide des fonds.
234. En second lieu, pour apprécier les effets sur le jeu de la concurrence d’un accord qui a été exécuté, en vue de déterminer s’il tombe sous le coup de l’interdiction édictée à l’article 101 § 1 du TFUE et de sanctionner, en conséquence, les entreprises qui y ont pris part, il convient d’examiner les effets qu’il a effectivement déployés sur le jeu de la concurrence, et non les effets qu’il est susceptible de produire (voir en ce sens TUE, 12 décembre 2018 , Krka Tovarna Zdravil, T-684/14, points 345 à 362).
235. C’est donc en vain que l’Autorité invoque, devant la Cour, la vocation de la CEIC à être répercutée sur les prix finaux. Cet effet potentiel ne sera examiné par la Cour qu’à titre surabondant aux paragraphes 279 à 283 du présent arrêt.
236. Il convient donc de vérifier si la CEIC a produit des effets réels actuels et sensibles sur le jeu de la concurrence, tel qu’il aurait existé en l’absence non seulement de cette commission mais également en l’absence d’accélération du paiement interbancaire, et consistant, selon l’Autorité, en une hausse du prix de la remise des chèques et une raréfaction de l’offre sur le marché de la remise.
1. Les effets réels de la CEIC sur les prix
237. Pour établir les répercussions de la CEIC sur la liberté tarifaire des banques, la hausse des prix peut être un indicateur pertinent dès lors qu’elle est sensible et ne résulte pas du jeu normal de la concurrence entre les banques.
238. En outre, comme il a été indiqué aux paragraphes 232 et 233, le service du chèque pouvant être facturé directement au remettant et/ou prendre la forme de jours de valeur, l’analyse des prix pratiqués doit tenir compte tant du prix directement facturé que des dates des jours de valeur effectivement pratiquées à l’égard des remettants.
239. Pour analyser les effets de la CEIC sur les prix, il y a lieu, comme l’a fait l’Autorité, d’opérer une distinction selon les catégories de remettants : le trésor public, les grands remettants auxquels le service de chèque est facturé à l’unité ou au forfait, les autres entreprises et les particuliers, deux dernières catégories de remettants auxquels le service de chèque n’est pas facturé directement mais via les jours de valeurs.
a) S’agissant du trésor public
240. Il est constant que ce remettant, qui représente 5% du volume des chèques remis en France selon la décision attaquée, s’est vu répercuter de manière intégrale la CEIC par la Banque de France (cotes 6807 et 6808).
241.Toutefois, il a bénéficié d’un gain, en terme de jours de valeur, largement supérieur au montant de la CEIC qui lui a été répercutée comme le montre la balance commission interbancaire/gain de trésorerie tel qu’évalué par la Banque de France (cote 7219) sur la période 2002-2007 et non contesté par l’Autorité. Il s’en déduit que la réduction du délai de règlement interbancaire issue de l’accord litigieux a été largement répercutée au profit du trésor public.
242. À titre surabondant, il n’apparaît pas pertinent de retenir cette répercussion à l’égard du trésor public dès lors que la Banque de France est dans l’obligation de répercuter l’ensemble de ses coûts à l’égard de ce dernier, ainsi que le font valoir à juste titre les Banques en se fondant sur les observations faites par la Banque de France en réponse à la notification des griefs (cote 6808), et ainsi que l’a précisé le représentant de la direction des systèmes de paiement et des infrastructures de marché de la Banque de France lors de son audition (cote 2896 et suivants annexe 26 à la NG).
243. La situation du trésor public ne peut donc être utilement invoquée au soutien de l’existence d’effets anticoncurrentiels de l’accord du 3 février 2000 sur les prix.
b) S’agissant des grands remettants
244. A titre liminaire, il convient de constater qu’il n’est pas retenu par l’Autorité, tant dans la décision attaquée que dans ses observations devant la Cour, que la CEIC a pu avoir un effet de prix plancher à l’égard de cette catégorie de remettants.
245. L’Autorité soutient qu’une proportion importante de ceux-ci, facturés directement pour le service de chèque à l’unité, a subi, en moyenne, une hausse significative du prix unitaire et elle invoque le rapport d’expertise d’août 2009 et en particulier, les tableaux synthétiques figurant en page 35 de ce rapport qui font ressortir une augmentation entre 1,07 et 1,75 centime d’euro au cours de la période 2001-2004, et entre 1,04 et 1,58 centime d’euro au cours de la période 2001-2006, selon l’échantillon retenu (selon que les entreprises ont pu donner des information remontant ou non à 2001).
246. Toutefois, cette augmentation tarifaire ne concerne que les prix faciaux de la remise de chèques et ne tient pas compte de l’évolution des prix indirects issus notamment de la pratique des jours de valeur.
247. L’Autorité considère qu’il en résulte une sous-estimation de la hausse réelle des tarifs imposés aux clients des banques et invoque, au soutien de cette affirmation, le rapport complémentaire des rapporteurs (et non le rapport d’expertise comme indiqué par erreur dans ses observations) qui a évalué à 0,6 centime d’euro la hausse des prix équivalente à l’évolution des jours de valeur.
248. Cependant, cette évaluation à la hausse résulte d’une analyse de l’évolution des jours de valeur avant et après l’EIC, à partir d’hypothèses de répercussion de l’accélération du règlement interbancaire par les banques sur leurs clients, et non d’une date de règlement interbancaire équivalente à celle existant avant le passage à l’EIC. En effet, les rapporteurs ont considéré qu’il y avait une augmentation du prix indirect lorsque la diminution des jours de valeur constatée après la mise en oeuvre de l’EIC était inférieure à l’accélération dont a bénéficié la banque remettante. L’analyse de l’évolution du prix indirect repose ainsi sur un contrefactuel qui n’est pas pertinent.
249. En outre, au delà de l’absence de prise en compte d’un contrefactuel pertinent, l’analyse a été menée en partant du postulat que l’accélération du règlement interbancaire aurait dû être répercutée intégralement en faveur des clients remettants alors qu’une telle répercussion n’était pas automatique en ce qu’elle relevait de la politique commerciale individuelle de chaque banque à l’égard de ses clients.
250. De surcroît, la hausse du prix indirect retenue par l’Autorité résulte de l’examen des données transmises par 54 des entreprises sondées qui, selon les rapporteurs étaient exploitables sur la question de l’évolution des jours de valeur, soit un échantillon très réduit (tableau page 85 du rapport complémentaire du 19 août 2009). Par ailleurs, la valeurs « J », qui permet d’exprimer les jours de valeur en J+n et qui, pour certaines banques, est équivalente à la date de remise et pour d’autres à la date d’échange, n’était pas connue par les rapporteurs pour les banques dites mutualistes, ce qui les a conduits à retenir une valeurs unique théorique de la réduction des jours de valeurs attendue par l’effet de l’EIC pour l’ensemble des banques, sans analyse concrète des situations des entreprises sondées.
251. Ainsi, en l’absence d’analyse pertinente d’évolution des jours de valeur pratiqués à l’égard de ces grands remettants, la seule hausse moyenne des prix directs invoquée par l’Autorité ne permet pas d’établir les effets anticoncurrentiels de l’accord du 3 février 2000.
252. À titre surabondant, il convient de relever que l’analyse par l’expert de la hausse faciale des prix, retenue par l’Autorité, repose sur l’examen de 153 conditions tarifaires transmises par 85 entreprises qui font l’objet d’une facturation directe, et plus précisément, sur l’évolution du prix unitaire de la remise calculé à partir du prix annuel total facturé et du volume annuel de chèques remis.
253. Force est de constater, en premier lieu, que les données retenues par l’expert, c’est-à-dire jugées exploitables, n’avoisinent que 6% du volume total de chèques échangés, et ce, hors chèques du trésor public.
254. En deuxième lieu, les entreprises remettant un volume très important de chèques, et notamment les entreprises de la grande distribution (les très grands remettants), y sont surreprésentées, comme, au demeurant, l’admet l’Autorité. Or, ces très grands remettants disposent d’un fort pouvoir de négociation à l’égard des banques de sorte que le prix payé par ces derniers a tendance à s’approcher du niveau de coût supporté par la banque et comporter une marge réduite pour cette dernière. Il en résulte que ce prix sera davantage soumis à l’influence d’une augmentation de coût.
255. À l’inverse, les remettants déposant un volume moins important de chèques, disposent d’un plus faible pouvoir de négociation, ce qui peut se traduire par un prix plus élevé mais moins sensible à l’augmentation des coûts. Il en résulte, comme le soulignent à juste titre les Banques, que la surreprésentation de la catégorie de très grands remettants au sein de l’échantillon retenu est de nature à induire une surestimation de l’évolution tarifaire relevée dans le rapport d’expertise.
256. L’Autorité soutient le contraire en affirmant que « l’augmentation du prix unitaire de la remise de chèques appliquée aux plus petits des remettants dont les réponses ont été exploitées a toujours été supérieure à celle qui a été appliquée aux plus grands remettants ». Toutefois, ainsi que le souligne Société Générale, l’Autorité ne se réfère à aucun élément précis du dossier pour conforter une telle affirmation, laquelle est loin de ressortir avec évidence des données issues du sondage des prix telles que reprises et exploitées par l’expert dans les tableaux n° 2 et 3 de son rapport (cotes 31728 et suivants).
257. En outre, le tableau n° 2 fait ressortir plusieurs cas de plus petits remettants (parmi les grands remettants) qui ont vu leur prix rester stable, voire baisser, ce qui tend à confirmer que les prix qui leur étaient appliqués étaient moins sensibles à une variation de coût (voir par exemple, les dossiers n° 10,18, 32, 47, 50, 62, 69, 71, 72, 73, 77).
258. En troisième lieu, comme le soulignent les Banques, le seul constat d’une hausse du prix moyen ne permet pas d’imputer cette hausse à l’introduction de la CEIC, et ce d’autant que les résultats du sondage de prix, repris dans le tableau n° 3 établi par l’expert, font ressortir une grande hétérogénéité des évolutions de prix tant de manière générale à l’égard des grands remettants, qu’en particulier, à l’égard des très grands remettants. Ainsi, parmi ces derniers :
– certains ont vu leur prix rester stable, voir diminuer à compter de 2004 ou 2005 (voir par exemple les dossiers 22, 26, 30, 72, 75, 127 et 150) ;
– d’autres ont vu leur prix baisser sur toute la période (voir par exemple les dossiers 47, 88) ;
– d’autres ont vu leur prix augmenter tous les ans à compter de 2002 de manière très marginale puis des baisses équivalentes en 2005 et 2006 (par exemple, le dossier 49 : augmentation de 0,0026 euro en 2002, 0,0021 euro en 2003, 0,0017 en 2004, puis des baisses équivalentes en 2005 et 2006) ;
– d’autres ont vu leur prix augmenter à partir de 2004 puis baisser en 2005 et 2006 (voir par exemple les dossiers 6 et 21).
259. Compte tenu de la grande hétérogénéité ainsi constatée dans l’évolution des tarifs, tant entre banques qu’au sein d’une même banque à l’égard de ses clients, la hausse moyenne des prix directs invoquée par l’Autorité ne permet pas de traduire de manière suffisante une influence significative de la CEIC sur les prix pratiqués à l’égard des grands remettants et partant que cette hausse est spécifiquement due à la CEIC.
260. Les six cas d’entreprise, documentés, de répercussion intégrale de la CEIC invoqués par l’Autorité ne sont donc pas suffisants pour établir qu’il en a été ainsi de manière générale et sensible sur les prix finaux appliqués à une partie substantielle de la clientèle des grands remettants, étant observé que bien qu’elle affirme que de nombreux autres exemples spécifiques de répercussion intégrale de la CEIC sur des entreprises majeures ressortent des pièces du dossier, l’Autorité ne justifie que de ces six cas documentés, concernant la catégorie « très grands remettants ».
261. En outre, trois autres entreprises de la grande distribution, qui représentent à elles trois plus de la moitié du marché de la grande distribution, comme le soulignent les Banques, et qui relèvent de cette catégorie des très grands remettants, ont déclaré, au cours de l’instruction, qu’elles n’avaient pas subi de répercussion de la CEIC (cotes 760 à 762, 2437, 2868, 2437, 4379). Il résulte de ces auditions que si, lors de la mise en place de l’EIC, plusieurs banques leur avaient signifié leur volonté de répercuter la CEIC, d’autres avaient cependant accepté de ne pas le faire, et qu’en réponse à un appel d’offre lancé par l’un de ces très grands remettants, certaines banques répercutaient la CEIC dans leur proposition, d’autres non (cote 4379).
262. La Cour observe que, comme le soulignent LCL et Crédit Agricole, un autre grand remettant appartenant au secteur de la grande distribution a déclaré que si deux des trois banques avec lesquelles il travaillait avaient répercuté la CEIC lors de la mise en place de l’EIC, la troisième ne l’avait pas fait (cotes 864, 865 et 866).
263. Ces déclarations confirment l’hétérogénéité des comportements des banques à l’égard des très grands remettants en ce qu’elles attestent que toutes n’ont pas répercuté de manière systématique la CEIC.
264. Par ailleurs, ainsi que le soulignent les Banques, à la question du sondage « À l’occasion de ce passage à l’échange d’images chèque, votre banquier remettant a-t-il voulu négocier de nouvelles conditions financières et, si oui, pour quelles raisons ? », la majorité des entreprises sondées ont répondu par la négative.
265. Ces réponses constituent un indice supplémentaire de l’absence de répercussion systématique de la CEIC, indice qui ne saurait être écarté au motif, selon l’Autorité, que la répercussion a pu être indirecte et que l’opacité financière des banques n’en favorisait pas la compréhension, dès lors qu’elle n’invoque aucun élément ou situation concrète établissant une telle répercussion indirecte à des remettants ayant déclaré que leur tarif n’avait pas été renégocié, et qu’il ne saurait être acquis que tous ces grands remettants aient été dans l’incapacité d’identifier une modification de leurs conditions bancaires, et en particulier celles portant sur les jours de valeur.
266. Enfin, contrairement à ce que soutient l’Autorité, l’impact inflationniste de la CEIC ne saurait résulter à contrario d’une baisse des tarifs intervenus postérieurement à la suppression de la CEIC, en octobre 2007 dès lors :
– que les tableaux synthétiques figurant en page 35 du rapport d’expertise font ressortir une tendance baissière à la baisse des tarifs en 2006, soit avant la suppression de la CEIC ;
– que le seul constat d’une baisse des prix proposés par une seule banque dans ses appels d’offres postérieurs à la suppression de la CEIC ne saurait suffire à imputer cette baisse à la suppression de la CEIC.
– que seuls deux cas documentés de baisse de tarifs en lien avec la suppression de la CEIC sont identifiés.
267. Sur ce point, contrairement à ce que soutient l’Autorité dans ses observations (paragraphe n° 204), les éléments du dossier figurant :
– en cotes 31566 à 31568, loin d’établir que la baisse obtenue par cette cliente en 2009 était imputable à la suppression de la CEIC, démontrent au contraire que cette entreprise après avoir renégocié le prix du service de la remise de chèque en 2000 à effet en 2001, soit avant le mise en oeuvre ede la CEIC, a vu ses conditions tarifaires rester stables au cours de la période de mise en oeuvre ede la CEIC, et obtenu une baisse de tarif en 2009 à l’issue d’une nouvelle renégociation ;
– en cote 25524, ne permettent pas d’établir que la baisse de tarif est liée à la suppression de la CEIC, s’agissant d’une déclaration d’une entreprise remettante qui indique qu’une de ses banques avait diminué ses tarifs de 0,02 euros « sans avouer que cela résultait de la disparition de la commission interbancaire ».
268.Il résulte de l’ensemble des éléments qui précédent que l’Autorité n’établit pas que l’accord du 3 février 2000 a eu pour effet une hausse sensible des prix pratiqués à l’égard d’une partie significative des grands remettants.
c) S’agissant des entreprises qui ne sont pas facturées directement d’un prix de service de remise de chèques
269. L’Autorité admet, tant dans la décision attaquée que dans ses observations devant la Cour, qu’elle n’est pas en mesure d’évaluer l’ampleur de la répercussion de la CEIC à l’égard de cette catégorie de remettants qui sont facturés indirectement, et qui, ainsi que le précise l’Autorité, représentent plus de la moitié des volumes de chèques remis annuellement en France.
270. Elle affirme que cette catégorie de remettants a subi la plus forte augmentation tarifaire, qu’il faut comprendre par le biais d’une facturation indirecte.
271. Toutefois, pour étayer cette affirmation, elle ne fait état d’aucun élément précis issu de l’instruction et en particulier du sondage des prix auquel elle se borne à renvoyer sans autre précision, et invoque le faible pouvoir de négociation de ces entreprises à l’égard de leur établissement.
272. Or, ainsi que le soulignent les Banques, l’analyse faite par les rapporteurs, dans leur rapport complémentaire, de l’évolution des taux de commissions de mouvement telles que figurant dans les conditions standards des banques sur la période 2001-2004, et qui constituent un mode de facturation indirecte, font ressortir qu’aucune des banques mutualistes n’ont augmenté ces commissions, tandis que seules trois banques commerciales sur six les ont augmentées, étant observé que pour l’une d’entre elles, la borne minimale n’a augmenté que de 0,01 (en passant de 0,05 % en 1999 à 0,06 % en 2004), tandis que la borne maximale est restée stable au cours de la période 2001-2004. Au cours de la période postérieure à 2004 jusqu’en 2006, les rapporteurs indiquent n’avoir relevé aucune évolution à la hausse.
273. Ainsi, les éléments invoqués par l’Autorité ne permettent pas d’établir une influence sensible de la CEIC sur la tarification indirecte sur cette catégorie de remettants.
d) S’agissant des particuliers
274. Cette catégorie de remettants, qui représentent, selon l’Autorité, environ 15 % du volume de chèques remis annuellement en France, n’est pas facturée directement du service de la remise de chèques mais indirectement via notamment des jours de valeur.
275. En présence d’un accord qui a été exécuté, il appartient à l’Autorité d’établir la réalité de la répercussion de la CEIC sur les particuliers remettants. Or, cette dernière admet, tant dans la décision attaquée que dans ses observations devant la Cour, qu’elle n’est pas en mesure d’évaluer l’ampleur de celle-ci sur cette catégorie de remettants.
276. C’est donc en vain qu’elle invoque la vocation de la CEIC à être répercutée et la propension des banques à le faire, éléments relevant des effets potentiels de l’accord, qui ne seront examinés qu’à titre surabondant dans les paragraphes 279 à 284 du présent arrêt.
277. Enfin, s’agissant de l’absence de répercussion de l’accélération du règlement interbancaire sur cette catégorie de remettants, qui caractériserait, selon l’Autorité, une hausse des prix indirects, la Cour constate que cette affirmation n’est étayée par aucun élément du dossier.
278. Ainsi, il n’est pas établi que la CEIC a eu des effets réels sur les prix du service de la remise de chèque, et partant, qu’elle a de manière effective contraint les banques dans leur politique tarifaire.
279. À titre surabondant, sur les effets potentiels invoqués par l’Autorité, les éléments invoqués au soutien de la hausse potentielle des prix finaux tenant, d’une part, à l’analyse selon laquelle l’augmentation du coût de fourniture du service de chèque est de nature à entraîner une augmentation des prix facturés au client, et d’autre part, aux pièces du dossier attestant que tant lors des négociations ayant abouti à l’accord du 3 février 2000, qu’après cet accord, certaines banques considéraient que la CEIC avait vocation à être répercutée, sont insuffisants.
280. En effet, la répercussion du coût que constitue la CEIC dépend de nombreux facteurs, comme l’Autorité l’admet au § 371 de sa décision, que sont notamment l’intensité de la concurrence, le pouvoir de négociation des clients et la politique commerciale de chaque banque à l’égard de sa clientèle, étant rappelé que la rentabilité s’apprécie, de manière générale, au niveau de la relation avec le client, lequel est à la fois un remettant et un émetteur de chèque, et non service par service. S’il devait être admis un principe général de répercussion par tout opérateur économique de tout ou partie de ses éléments de coût sur les prix finaux, alors il y aurait également lieu d’admettre que toute baisse de coût est répercutée sur les prix finaux et qu’en l’espèce, l’accélération du règlement interbancaire, en ce qu’il représente une augmentation du float au profit de la banque remettante, est de nature à entraîner une baisse de coût du service de la remise de chèque, laquelle baisse a vocation à être répercutée sur les prix. La CEIC ne peut alors avoir d’effet à la hausse sur les prix finaux, restrictif de concurrence, que si elle excède de manière significative le gain de float permis par l’EIC, ce qui n’est pas démontré par l’Autorité.
281. Dès lors, ne suffisent pas à établir un effet potentiel restrictif de la CEIC le compte rendu d’une réunion interne de l’une des banques parties à l’accord du 10 janvier 2001 et la déclaration du représentant d’une autre, invoqués par l’Autorité, selon lesquelles la CEIC avait vocation à être répercutée. En outre, ce représentant a expressément lié cette répercussion au fait que « les clients bénéficient de délais meilleurs », ce qui induit, pour cette banque, la vocation de la date de règlement interbancaire, telle que fixée à J+1 pour l’ensemble des chèques non circulants, à être répercutée sur les clients et donc une disposition des fonds plus rapide en faveur de ces derniers, de sorte que la répercussion éventuelle de la CEIC ne constituerait un effet restrictif que si elle devait excéder le gain potentiel généré au profit du client remettant.
282. Enfin, si au cours des négociations et travaux menés par le groupe restreint de la CIR, les banques en faveur de l’instauration de la commission ont pu répondre à celles qui s’y opposaient que la commission pouvait être répercutée, cet argument, invoqué parmi d’autres dans un contexte de négociation, ne saurait établir le caractère général et automatique de la potentialité de la répercussion de la CEIC sur les prix.
283. S’agissant des particuliers, l’Autorité affirme que les banques étaient en mesure de répercuter la CEIC dès lors que les particuliers ne disposent pas de pouvoir de négociation et sont peu informés des modalités indirectes de rémunération. Or, la répercussion n’est confortée par aucun élément concret issu de l’instruction. Au surplus, cette analyse peut être écartée pour les mêmes motifs que ceux exposés au paragraphe 255 du présent arrêt
284. La Cour ajoute, comme le font observer les Banques, que cette catégorie de remettant n’est pas facturée directement pour le service de chèque, que ce soit l’émission ou la remise, mais pour l’ensemble de ces deux services de manière globale avec d’autres services bancaires. Le particulier émettant plus de chèques qu’il n’en remet, la CEIC entrante est supérieure à la CEIC sortante pour sa banque, de sorte que la CEIC a eu vocation à faire baisser le coût de fourniture de service bancaire à un particulier.
2. L’effet réel de la CEIC tenant à une raréfaction de l’offre sur le marché de la remise des chèques
285. Reprenant et développant les motifs du §710 de la décision attaquée, l’Autorité soutient que dans les cas où les banques n’ont pas pu répercuter la CEIC sur leurs clients, l’offre de service de remise de chèque a été dégradée, ce qui a réduit l’incitation que les banques avaient à se faire concurrence.
286. La Cour observe que l’Autorité, au soutien de cette analyse, s’appuie exclusivement sur la situation de la Société Générale et, en particulier :
– sur le refus de cette dernière de donner suite à la proposition de l’un de ses clients, très grand remettant dans le secteur de la grande distribution, de lui apporter l’intégralité de son service de remise de chèques à la condition de ne pas inclure la CEIC dans le prix de ce service, ainsi que les déclarations faites par ce client lors de son audition du 31 octobre 2006,
– sur le regain de sa participation aux appels d’offres après la suppression de la CEIC tel qu’il résulte selon elle des données figurant dans l’étude économique du 26 mai 2008, lesquelles font ressortir que cette participation entre octobre 2007 et mars 2008 est de 50% plus élevée que celle relevée au cours des périodes de mars à octobre des années pendant lequelles la CEIC était en vigueur.
287. Il convient toutefois de relever, d’une part, s’agissant de la participation de la Société Générale aux appels d’offre, qu’il résulte des données figurant dans l’étude économique du 22 octobre 2010, (p.48) produite par cette banque, que celle-ci a participé à 11 appels d’offre en 2003, 10 en 2004, 11 en 2005, 18 en 2006 et 10 en 2007, et que si ce nombre est passé à 10 au cours de la période d’octobre 2007 à mars 2008 après avoir été de 5 au cours de la période d’avril 2007 à octobre 2007, il a été de 9 pour la période d’avril 2006 à septembre 2006. Il ne saurait donc être déduit de la seule observation de l’augmentation constatée pendant la période d’octobre 2007 à mars 2008, comme le fait l’Autorité, un regain de participation imputable à la suppression de la CEIC. L’ensemble des données précitées font ressortir, au contraire, qu’au cours de l’année 2006, année pendant laquelle la CEIC était en vigueur, la Société Générale a participé à 18 appels d’offres, soit le nombre annuel de participations le plus élevé au cours de la période observée (2003 à 2007), et que ce nombre avait oscillé entre 11 et 10 pendant les années précédentes (2003-2005) pour retomber à 10 en 2007.
288. D’autre part, s’agissant de la réponse faite par la Société Générale à la proposition d’un client très grand remettant, cette dernière n’a pas décliné purement et simplement l’offre faite par ce client en raison du caractère déficitaire du service de remise de chèque sans CEIC comme l’affirme l’Autorité. En effet, aux termes de cette réponse (cotes 782), la Société Générale a certes invoqué le caractère déficitaire du service en l’absence de répercussion de la CEIC mais également le fait qu’elle n’était pas favorable sur le plan technique à la concentration d’un tel volume sur un centre de traitement des chèques unique — le risque opérationnel lui paraissant trop élevé — tout en proposant à ce client de traiter le tiers de ses volumes selon une configuration technique qu’elle a précisée, et en concluant que dans cette configuration, elle était prête à traiter avec ce client aux conditions tarifaires souhaitées, c’est-à-dire sans CEIC.
289.Ainsi, il résulte des termes de cette lettre que le refus de la Société Générale de traiter la totalité du volume de chèques de ce client très grand remettant n’était pas exclusivement fondé sur l’impact de la CEIC mais également sur un argument technique, et que la Société Générale était prête à entrer en négociation pour traiter le tiers des volumes sans appliquer la CEIC.
290. À supposer que la CEIC puisse constituer le seul et véritable motif du refus de la Société Générale de traiter l’intégralité du volume de chèques de ce client, il ne peut être déduit de cette seule situation particulière d’une banque dans le cadre de sa relation commerciale avec un de ses clients, une situation généralisée de réticence des banques à répondre à des appels d’offres et à se faire concurrence sur le marché de la remise.
291.À cet égard, il convient de relever, comme le font les Banques, que deux principaux sous-traitants présents sur ce marché, ont déclaré, en réponse à la question du rapporteur « Avez-vous vu une évolution dans la structure de la concurrence chez les banquiers remettants ? » (cotes 3753, 3754, 3756, 3757) :
– l’un que : « [l]’offre des banques remettantes sur le chèque a toujours été fluctuante. En effet, les banques ne sont pas toujours preneuses du traitement du chèque, qui a des marges faibles, mais elles se réinvestissent régulièrement pour des raisons diverses (leur clientèle le leur demande ou bien la banque réalise que sa part de marché sur le marché du chèque est trop éloignée de sa part de marché réelle) » ;
– l’autre que : « [i]I faut distinguer entre les banques commerciales centralisées et les banques mutualistes décentralisées. Face à un marché du chèque structurellement baissier et pour lequel il faut faire de la volumétrie, les banques centralisées ont certainement mieux réagi après l’EIC dans la mesure où elles étaient aptes à répondre à des appels d’offres nationaux passés par les grands remettants. Cependant, certaines banques décentralisées ont réagi depuis pour ne pas perdre de parts de marché, le chèque étant un produit d’appel important vis-à-vis des commerçants. ».
292. À la question de savoir quel est, selon eux, l’impact de la suppression de la CEIC, l’un a répondu que : « [n]ous ne voyons guère l’impact que cette mesure pourrait avoir, les vrais facteurs d’évolution de ce marché étant surtout culturels avec la prévalence des moyens de paiement électroniques. », tandis que l’autre a indiqué : « [c]ela devrait accroître légèrement la concurrence sur le marché de la remise de chèques en redonnant un peu d’oxygène aux banques remettantes. Mais ce n’était pas un marché sinistré. ».
293. Les positions nuancées et non univoques ainsi exprimées par deux grands sous-traitants sur la question de l’impact de la CEIC sur le marché de la remise des chèques ne permettent donc pas d’étendre à l’ensemble des banques la réponse faite par la Société
Générale à l’un de ses clients.
294. Enfin, les Banques (SG, BP, Credit Mutuel, BNP) soulignent, sans être contredites sur ce point, que les données transmises par la société Bfinance relatives aux réponses apportées par les banques aux appels d’offre qu’elle a organisés pour le compte de ses clients entreprises en 2005-2006 démontrent une participation de l’ensemble des banques habituellement présentes sur le marché.
295. Les éléments invoqués par l’Autorité n’établissent donc pas que la CEIC a réduit de manière sensible l’offre sur le marché de la remise et partant réduit, de manière sensible, le jeu de la concurrence sur ce marché.
296. Il résulte de l’ensemble des éléments qui précédent qu’il n’est pas établi que la CEIC a eu pour effet de fausser, restreindre ou empêché le jeu normal de la concurrence entre les banques.
297. Le premier grief n’étant pas établi, il convient de réformer la décision attaquée de ce chef.
B. Sur les effets des commissions sur AOCT
298. L’Autorité, dans ses observations devant la Cour, considère que l’effet potentiel anticoncurrentiel de ces commissions, qui résiderait selon elle, en une hausse des coûts des banques et, indirectement, en une inflation du prix des services bancaires lorsque le niveau des commissions est supérieur aux coûts réellement exposés, apparaît limité.
299. Comme il a déjà été exposé aux paragraphes 279 à 284 du présent arrêt, le caractère infractionnel de ces commissions ne saurait résulter de leurs seuls effets potentiels sur le prix des services concernés — lesquels seraient au demeurant limités, selon l’Autorité elle-même — dès lors que l’accord les ayant instaurées a été exécuté et que ces commissions sont toujours appliquées.
300. En outre, l’Autorité n’allègue, ni n’établit que ces commissions ont produit concrètement l’effet inflationniste qu’elle leur impute.
301. À cet égard, il convient d’observer que l’étude des coûts du 18 avril 2011,réalisée à la demande des banques en vue de la révision de ces commissions AOCT, afin de se conformer à l’injonction prononcée par l’Autorité à l’article 5 de sa décision, conclut que leur montant, évalué sur la base du coût de traitement de la banque la plus efficace, devrait se situer en 0,87 et 1,48 euros, soit un montant bien supérieur à celui retenu par l’accord litigieux, conclusion non contestée par l’Autorité dans ses observations.
302. Il s’ensuit que l’Autorité n’établit pas que ces commissions ont faussé, restreint ou empêché de manière sensible le jeu normal de la concurrence entre les banques.
303. Le second grief notifié aux Banques n’est pas fondé. La décision attaquée sera donc reformée de ce chef.
304. Il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement :
– REJETTE les moyens pris de la limitation de l’effet dévolutif du recours au seul examen de l’objet anticoncurrentiel de l’accord du 3 février 2000 ;
– REJETTE les moyens pris de l’irrecevabilité de l’Autorité de la concurrence à soutenir que l’accord du 3 février 2000 est anticoncurrentiel par ses effets ;
– RÉFORME, sauf en son article 3, l’intégralité de la décision n° 10-D-28 du 20 septembre 2010 de l’Autorité de la concurrence relative aux tarifs et aux conditions liées appliquées par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d’encaissement ;
– REJETTE, par voie de conséquence, le moyen pris de la prescription en cas d’annulation de la décision précitée.
Sur le fond, statuant à nouveau :
– DIT qu’il n’est pas établi que l’instauration, par l’accord du 3 février 2000, de la commission interbancaire pour l’échange d’image-chèque (CEIC) et la perception de cette commission à compter du 1er janvier 2002 jusqu’au 1er juillet 2007 ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce et de l’article 81 du traité CE, devenu l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– DIT qu’il n’est pas établi que l’instauration, par l’accord du 3 février 2000, des commissions interbancaires pour services connexes sur annulation d’opérations compensées à tort (AOCT) et la perception de ces commissions à compter du 1er janvier 2002 ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce et de l’article 81 du traité CE, devenu l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
– REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire ;
– DIT n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– RAPPELLE que le présent arrêt constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées en exécution de la décision réformée, assorties des intérêts au taux légal à compter de son prononcé ;
– DIT que le présent arrêt sera transmis à la Commission de l’Union européenne en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre edes règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité ;
– CONDAMNE l’Autorité de la concurrence aux dépens.