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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 6 septembre 2007, n° 06/03895

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bongrain (SA), Fromarsac (SAS)

Défendeur :

Unilever France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Laporte

Conseillers :

M. Coupin, M. Duclaud

Avoués :

SCP DEBRAY-CHEMIN

Avocats :

Me Combeau, Me Szleper

TGI Nanterre, du 6 avr. 2006, n° 04/1368…

6 avril 2006

FAITS ET PROCEDURE :

La SA BONGRAIN est propriétaire de la marque dénominative LIGNE & PLAISIR déposée à l'INPI, le 22 avril 1999 dans la classe 29 au titre du lait, du fromage et des produits laitiers.

Cette marque est utilisée par des filiales de la société BONGRAIN telle que la société FROMARSAC pour désigner des versions allégées de spécialités fromagères.

Le 31 janvier 2002, la SA UNILEVER BESTFOODS FRANCE, devenue SAS UNILEVER FRANCE, a déposé à l'INPI dans les classes 29 et 30 les marques :

- LIGNE ET BIEN ÊTRE n° 02 3145593,

- EFFI LIGNE et BIEN ÊTRE pour tartiner et cuisiner a cru' n° 023145594,

- EFFI LIGNE et BIEN ÊTRE pour tartiner et cuisiner a cru' n° 02 3145595,

Concernant le lait, les produits laitiers, les huiles et graisses comestibles, la margarine, les mélanges de matières grasses, végétales et/ou animales, les matières grasses à tartiner et/ou à cuisiner, les glaces comestibles.

Le 15 mai 2002, la société BONGRAIN a formé opposition à l'enregistrement de ces marques. Par décisions définitives en date des 19 octobre et 15 novembre 2005, le directeur général de l'INPI a rejeté ce recours relativement aux marques complexes EFFI LIGNE ET BIEN ETRE, mais l'a admis à l'égard de la marque dénomination LIGNE ET BIEN ETRE.

Ces décisions sont définitives.

La société UNILEVER FRANCE est également titulaire de la marque complexe semi figurative n° 04 3 332, 430 en vertu d'un dépôt du 25 octobre 2004 EFFI DE PLANTA FIN LIGNE ET VITALITE couvrant les margarines et matières grasses végétales à tartiner et/ou à cuire.

Arguant de la contrefaçon de sa marque Ligne & Plaisir par la commercialisation d'une matière grasse à tartiner et à cuisiner sous le nom EFFI LIGNE et BIEN ETRE en versions doux et demi-sel et sous la dénomination EFFI LIGNE ET VITALITE et d'agissements parasitaires par la société UNILEVER FRANCE, la société BONGRAIN et sa filiale qui distribue ses produits, la SAS FROMARSAC l'ont assignée devant le tribunal de grande instance de NANTERRE aux fins d'obtenir l'annulation des marques, l'interdiction sous astreinte de les utiliser et la réparation de leurs préjudices.

Par jugement rendu le 06 avril 2006, cette juridiction a constaté la déchéance des droits de la société BONGRAIN sous la marque LIGNE ET PLAISIR s'agissant du lait à compter du 08 octobre 2004, rejeté toutes les prétentions des sociétés BONGRAIN et FROMARSAC et les demandes de la société UNILEVER FRANCE pour procédure abusive, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, ni à l'exécution provisoire et condamné in solidum les sociétés BONGRAIN et FROMARSAC aux dépens.

Appelantes de cette décision, les sociétés BONGRAIN et FROMARSAC soutiennent que le tribunal a admis, à juste titre, l'usage régulier de la marque LIGNE ET PLAISIR par la première pour désigner des produits laitiers.

Elles prétendent que la construction des marques LIGNE ET BIEN ETRE et LIGNE ET VITALITE en association avec EFFI et de la marque LIGNE ET PLAISIR est la même et que leur caractère évocateur est rigoureusement identique.

Elles en déduisent l'existence d'un risque de confusion certain sur l'origine des produits portant ces signes et visant des produits identiques ou similaires qui n'est pas atténué par la présence du vocable EFFI.

Elles soulignent que l'appréciation portée par le directeur général de l'INPI à l'égard des marques litigieuses ne lie évidemment pas la Cour.

Elles estiment que le caractère parasitaire des agissements de la société UNILEVER résulte du détournement à son profit de la notoriété s'attachant à la marque LIGNE ET PLAISIR dont la société FROMARSAC fait un large usage et consacre depuis plusieurs années des investissements promotionnels très importants.

Les sociétés BONGRAIN et FROMARSAC sollicitent donc la constatation des actes de contrefaçon de la marque LIGNE et PLAISIR et parasitaires commis à leur détriment par la société UNILEVER, la nullité des marques LIGNE ET BIEN ETRE n° 02 3 145,594 et 02 3 145,595 et LIGNE et VITALITE n° 04 3 322, 430, l'interdiction à la société UNILEVER FRANCE d'utiliser les dénominations LIGNE et BIEN ETRE ainsi que LIGNE et VITALITE à quelque titre et sous quelque forme que ce soit pour désigner les produits visés sous astreinte définitive de 500 euros par infraction constatée et/ou par jour de retard depuis la signification de l'arrêt à intervenir.

Elles réclament la transmission de cette décision à l'INPI en vue de son inscription au Registre National des marques, chacune 50 000 euros de dommages et intérêts, la publication de l'arrêt par extraits dans cinq journaux ou revues de leur choix aux frais de la société UNILEVER FRANCE pour un montant total de 20 000 euros HT, l'entier débouté de l'intimée et une indemnité de 25 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société UNILEVER FRANCE invoque la déchéance de la marque LIGNE et PLAISIR de la société BONGRAIN pour le lait et les produits laitiers sur le fondement de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle en opposant que celle-ci n'est exploitée que pour les fromages et spécialités fromagères qui n'appartiennent pas à la catégorie des produits laitiers et à le supposer démontré pour les quiches, gâteaux au fromage et sauce salade qui ne le sont pas non plus.

Elle fait valoir, en toute hypothèse, que la société BONGRAIN dénature ses marques complexes semi-figuratives dont cette appelante demande la nullité en les présentant comme des marques constituées de simples dénominations.

Elle considère que les premiers juges ont rejeté, à bon escient, tout risque de confusion entre les marques en cause.

Elle fait néanmoins grief au tribunal d'avoir retenu que les produits laitiers visés dans la marque Ligne et Plaisir de la société BONGRAIN étaient similaires aux 'margarines, matières grasses et végétales.

Elle fait état du refus de l'INPI d'admettre un risque de confusion entre les signes Ligne et Plaisir et ses trois marques en question.

Elle remarque que l'action en concurrence déloyale ou parasitaire de la société FROMARSAC n'est pas recevable à défaut d'être fondée sur un fait distinct de la contrefaçon alors qu'en outre celle-ci ne justifie d'aucun droit sur la marque Ligne et Plaisir.

Elle observe, en tout cas, que les préjudices allégués par les appelantes ne sont démontrés, ni dans leur réalité, ni dans leur montant en soulignant qu'elle a cessé l'exploitation des marques Effi Ligne et Bien Etre en 2005 et que celle de la marque Effi planta fin ligne et vitalité' n'a été effectuée que durant une quinzaine de mois 2005 et 1er trimestre 2006.

La société UNILEVER FRANCE soulève, en conséquence, la déchéance des droits de la société BONGRAIN sur la marque n° 99 78 9467 à compter du 07 octobre 2004 en vertu de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle et l'irrecevabilité des prétentions des sociétés BONGRAIN et FROMARSAC.

Elle conclut subsidiairement à leur débouté et dans tous les cas à l'octroi en sa faveur de 20 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive et d'une indemnité de même montant en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur la déchéance de la marque Ligne et Plaisir

Considérant qu'aux termes de l'article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle, encourt la déchéance de ses droits, le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux pour les produits et services visés dans l'enregistrement pendant une période ininterrompue de cinq ans ;

considérant que la société UNILEVER argue du non usage de la marque Ligne et Plaisir par la société BONGRAIN pour le lait et les produits laitiers ;

considérant que la société BONGRAIN a admis ne pas exploiter sa marque 'Ligne et Plaisir' pour le lait dans les cinq ans suivant son enregistrement à l'INPI en sorte que le tribunal a prononcé, à bon droit, une telle déchéance à compter du 08 octobre 2004 ;

que cette disposition n'est pas remise en cause devant la Cour ;

considérant, en revanche, que la société BONGRAIN démontre l'exploitation de sa marque ombrelle Ligne et Plaisir pour les produits laitiers par la commercialisation de spécialités fromagères distribuées par la société FROMARSAC, sa filiale, sous les noms de tartare, St Moret, Chavroux, Bresse Bleu, Suprême des ducs ou fondant au yaourt ainsi que l'a retenu à juste titre le tribunal ;

considérant, en effet, que ces aliments qui sont fabriqués à partir du lait qui en est l'élément constitutif de base ont bien la nature de produits laitiers sans pouvoir s'analyser à proprement parler comme des fromages puisqu'ils comportent d'autres éléments additifs ne rentrant pas dans ceux composant les fromages ;

considérant, par contre, que les quiches, gâteaux au fromage et sauces pour salade comprenant du fromage dont le lait ne constitue qu'un ingrédient parmi d'autres destinés à leur fabrication ne peuvent rentrer dans la catégorie des produits laitiers ;

considérant que la société BONGRAIN justifiant d'un usage stable, réel et sérieux de sa marque dénominative au travers de plusieurs de ses spécialités fromagères allégées très largement commercialisées dans les circuits de distribution, le tribunal a rejeté, à juste titre, la demande de déchéance de cette marque pour les produits laitiers.

Sur la contrefaçon alléguée considérant que la société BONGRAIN fonde sa demande sur l'article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle qui interdit, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en résulter un risque de confusion dans l'esprit du public, l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée pour des produits identiques ou similaires de ceux désignés dans l'enregistrement ;

considérant que la marque Ligne et Plaisir de la société BONGRAIN porte sur le lait, le fromage et les produits laitiers ;

considérant que les deux marques Effi Ligne et Bien Etre enregistrées par la société UNILEVER concernent notamment : le lait, et les produits laitiers, les huiles et graisses comestibles, margarine, mélanges de matières grasses végétales et/ou animales, matières grasses à tartiner et/ou à cuisiner, glaces comestibles invoqués par les appelantes ;

que la marque Effi Ligne et Vitalité dont est aussi propriétaire la société UNILEVER désigne : les margarines, matières grasses végétales à tartiner et/ou à cuire ;

considérant que les produits laitiers visés dans les marques Ligne et Plaisir et les deux marques Effi Ligne et Bien Etre sont bien sûr identiques ;

considérant, en revanche, qu'il n'existe pas de similarité entre les produits laitiers tels que le beurre et les matières grasses d'origine végétale pour lesquels les marques litigieuses ont été exploitées par la société UNILEVER FRANCE ;

qu'en effet, la similarité des produits s'apprécie en fonction de la perception qu'à le public en tenant compte notamment de la nature, de la destination, de l'utilisation ainsi que du caractère concurrent ou complémentaire ;

or, considérant que les produits désignés par la marque de la société BONGRAIN sont d'origine animale fabriqués à base de lait d'animaux, tandis que la margarine, les mélanges de matières grasses végétales ne comprennent aucun lait ou produits laitiers ;

que le public ne leur attribue pas respectivement la même origine ;

que les deux types de produits n'ont pas non plus la même destination notamment en cuisine car ils ne correspondent pas aux mêmes fins et besoins alimentaires du consommateur ;

qu'il suit de là, que la demande de contrefaçon est non fondée au titre de la marque Effi Ligne et Vitalité n° 04 3 322, 430 et à celui des produits ci-dessus énoncés relativement aux deux marques Effi Ligne et Bien Etre, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal ;

considérant que la marque de la société BONGRAIN porte sur le signe verbal Ligne et Plaisir présenté en lettres majuscules, droites, grasses et noires ;

considérant que les marques Effi Ligne et Bien Etre qui ont été déposées en couleur constituent des signes complexes semi-figuratifs représentant un décor d'emballage sur lequel figure un décor comprenant sur une (02 3 145 594) une tranche de poisson et des légumes frais sur lesquels est placée une noisette de matière grasse à tartiner et à cuisiner et sur l'autre (02 3 145 595) des haricots verts en fagot surmontés d'un radis et d'une noisette de matière grasse à tartiner ou à cuisiner ;

que ces deux marques comportent en très gros caractères le vocable Effi apposé en lettres bleues d'un graphisme particulier avec un point oval rouge sur le i dans une forme ovale blanche non entièrement circonscrite ;

que l'ensemble est placé sur une disposition spécifique de couleurs consistant en un fond ombragé à dominante de blanc et de vert ou de blanc et de bleu ;

considérant que les signes en cause se distinguent par leur structure, leur longueur, leur présentation et que les différences notables entre les deux dénominations sont accentuées par la présence au sein des marques contestées d'autres éléments figuratifs et des dispositions de couleurs eux-mêmes élaborés ;

que ces signes comprennent des architectures et physionomies très différentes et se distinguent aussi par leur prononciation et les sonorités ;

qu'ils comportent, en outre, un terme Effi prédominant en raison de sa position d'attaque et de sa place centrale au sein des signes contestés en sorte que les éléments verbaux ligne et bien être de taille beaucoup plus modeste ne sont pas de nature à être immédiatement perçu par le public contrairement au terme Effi qui lui retient aussitôt l'attention ;

considérant que ces deux marques qui produisent une impression d'ensemble en tous points différente ne sont pas susceptibles d'entraîner un quelconque risque de confusion ;

considérant que le jugement déféré doit dès lors être confirmé pour avoir débouté les sociétés BONGRAIN et FROMARSAC de toutes leurs prétentions de ce chef.

Sur les demandes accessoire considérant que la société UNILEVER ne démontrant pas que l'exercice par les sociétés BONGRAIN et FROMARSAC de leur droit fondamental d'agir en justice ait dégénéré en abus, sa demande en dommages et intérêts sera rejetée ;

considérant que l'équité commande, en revanche, de lui accorder une indemnité de 5 000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

considérant que les sociétés appelantes succombant en leur recours, supporteront les dépens, ne sont pas donc fondées en leur demande au même titre.

PAR CES MOTIFS

Statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions par substitution partielle de motifs,

Déboute la SAS UNILEVER FRANCE de ses demandes de déchéance, au titre des produits laitiers, et en dommages et intérêts,

Rejette toutes les prétentions de la SA BONGRAIN et de la SAS FROMARSAC,

Condamne in solidum la SA BONGRAIN et la SAS FROMARSAC à verser à la SAS UNILEVER FRANCE une indemnité de 5 000 euros en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Les déboute de leur demande sur le même fondement,

Les condamne sous la même solidarité aux dépens d'appel qui seront recouvrés par la SCP GAS, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.