CA Montpellier, 1re ch. D, 11 février 2014, n° 12/07133
MONTPELLIER
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ovada Holding (SA)
Défendeur :
Atac Simply Market (SAS), RCS de Roubaix Tourcoing (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mallet
Conseillers :
M. Castanie, M. Chassery
Avocats :
Me Argellies, Me Capdeville, Me Vedel Salles, Me Colin
EXPOSÉ DU LITIGE :
Par acte sous seing privé du 31 mars 1988, la SCI L'Oisans, aux droits de laquelle vient désormais la SA Ovada Holding, a loué à la SA Les Docks Méridionnaux d'Alimentation, aux droits de laquelle vient la SAS Atac, exploitant l'enseigne Simply Market, un local commercial situé à Montpellier, quartier Saint Cléophas, avenue Villeneuve d'Angoulême, d'une durée de 9 ans, commençant le 1er janvier 1988 pour se terminer le 31 décembre 1997, moyennant un loyer annuel de 500 000 francs (76 224,51 €), hors charges et hors taxes.
Par avenant du 15 juillet 1996, les parties ont convenu de renouveler ce bail pour 9 ans à compter du 1er janvier 1996 pour se terminer le 31 décembre 2004, moyennant un loyer annuel de 640 000 francs (97 567,37 €), limité à 620 000 francs (94 518,39 €) les deux premières années du bail renouvelé.
Par acte extrajudiciaire du 15 juin 2007, la SAS Atac a sollicité le renouvellement du bail à effet du 1er juillet 2007.
Par acte extrajudiciaire du 22 août 2007, la SA Ovada Holding a accepté le principe de ce renouvellement, moyennant un loyer annuel de 250 000 €, hors charges et hors taxes, les autres clauses du bail demeurant inchangées.
Par jugement du 2 novembre 2010, le juge des loyers commerciaux près le tribunal de grande instance de Montpellier, saisi à la requête de la SA Ovada Holding, a :
• dit que le bail liant la SA Ovada Holding et la SAS Atac a été renouvelé le 1er juillet 2007 ;
• fixé le loyer du bail renouvelé à compter du 1er juillet 2007 à la somme de 134 000 € hors taxes et hors charges par an ;
• condamné la SA Ovada Holding à restituer à la SAS Atac tout différentiel trop perçu sur les échéances courues depuis le 1er juillet 2007 ;
Cet expert judiciaire a déposé son rapport le 17 février 2012.
Par jugement contradictoire du 4 septembre 2012, en lecture de ce rapport et des mémoires déposés par chacune des parties, le juge des loyers commerciaux a :
• débouté la SA Ovada Holding de ses demandes (tendant au déplafonnement et à la fixation d'un loyer annuel de 250 000 € HT et hors charges à compter du 1er juillet 2007 et de 366 120 € HT et hors charges à compter de la demande 18 juin 2012) ;
• fixé le loyer du bail renouvelé à compter du 1er juillet 2007 à la somme de 134 000 € hors taxes et hors charges par an ;
• condamné la SA Ovada Holding à restituer à la SAS Atac tout différentiel trop perçu sur les échéances courues depuis le 1er juillet 2007 ;
• assorti cette condamnation des intérêts au taux légal sur les sommes trop perçues à compter de la date d'exigibilité de chacune des échéances concernées ;
• ordonné la capitalisation de ces intérêts ;
• condamné la SA Ovada Holding aux dépens, qui comprendront les frais d'expertise ;
• condamné la SA Ovada Holding à payer à la SAS Atac la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
• dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Le 20 septembre 2012, la SA Ovada Holding a relevé appel de ce jugement.
Vu les dernières conclusions déposées :
* le 26 novembre 2013 par la SA Ovada Holding ;
* le 25 novembre 2013 par la SAS Atac.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 26 novembre 2013.
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La SA Ovada Holding conclut à l infirmation du jugement déféré, demandant à la cour de :
• à titre principal, dire et juger y avoir lieu à déplafonnement, compte tenu de la modification notable des facteurs locaux de commercialité ;
• dire et juger que le renouvellement interviendra pour une durée de 9 années prenant effet au 1er juillet 2007 aux clauses et conditions du bail expiré, moyennant un loyer annuel de 250 000 € HT et hors charges à compter de la date de la présente demande, conformément aux dispositions de l'article R. 145-1 du code de commerce ;
La SAS Atac demande à la cour de confirmer le jugement déféré dans toutes ses dispositions et de :
• subsidiairement, si la cour devait revoir à la hausse la valeur locative fixée par l'expert judiciaire et entérinée par le premier juge, dire et juger applicable la règle du plafonnement et juger par suite que la fixation du loyer du bail renouvelé sera limitée par le jeu de la variation de l'indice INSEE du coût de la construction ;
• en tout état de cause, condamner la SA Ovada Holding à lui payer une indemnité de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile qui s'ajoutera à celle allouée en première instance ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise, avec distraction au profit de Maître Vedel Salles, avocat.
SUR CE :
Sur les critiques du rapport d'expertise émises par l'appelante :
a) La prise en compte du seul impact de ligne de tramway.
La SA Ovada Holding conteste le rapport définitif, et partant le jugement déféré dans son ensemble, en ce que seul l'impact de la ligne n° 2 du tramway sur les facteurs locaux de commercialité a été pris en compte, rappelant que son dire du 10 février 2012, elle fondait également sa demande de déplafonnement sur :
- la valorisation de l'excellence de l'emplacement ;
- le développement démographique du quartier et l'extension de la zone de chalandise du supermarché ;
- un accès au supermarché et des possibilités de stationnement qui ont été facilités et augmentés.
La cour ne peut que faire sienne la motivation pertinente du premier juge qui a rejeté cet argument, après avoir relevé que :
* en premier lieu, la SA Ovada Holding avait exposé, lors de l'accedit du 24 février 2011, sans élever de protestation par la suite, que sa demande de déplafonnement était
exclusivement fondée sur la modification des facteurs locaux de commercialité entraînée par l'arrivée de la ligne de tramway en face du supermarché (pages 3, 24 et 25 du rapport) ;
* en second lieu, nonobstant ce point, que l'expert judiciaire avait répondu à ces autres moyens de déplafonnement (pages 13 à 15, 18 à 20 du rapport), outre sa réponse au dire (pages 24 et 25).
En cause d'appel, l'appelante ne justifie pas d'une argumentation supplémentaire de nature à contredire la motivation du premier juge.
b) La prise en compte de la seule évolution du chiffre d'affaires de la SAS Atac.
La cour reprendra également à son compte la motivation du premier juge en ce qu'il a rejeté l'argument tiré d'une prétendue prise en compte de la seule évolution du chiffre d'affaires de la SAS Atac, en rappelant en substance que :
* l'expert judiciaire fait justement rappel que dans son jugement du 2 novembre 2010, le juge des loyers commerciaux lui avait précisément donné pour mission de rechercher l'évolution de ce chiffre d'affaires non seulement durant la période du bail renouvelé mais jusqu'au jour de l'expertise, soit les exercices 1996 à 2010 inclus (pages 16 à 18 du rapport) ;
* convenant avec la SA Ovada Holding que si le chiffre d'affaires ne constitue ni un critère légal ni un critère jurisprudentiel justifiant ou non d'un déplafonnement, ce même
expert souligne cependant l'intérêt d'examiner son évolution pour mieux appréhender l'évolution de la commercialité.
La cour constate par ailleurs qu'il a été parfaitement et complètement répondu à l'argumentation de l'appelante concernant l'insuffisance ou le prétendu caractère non probant des données comptables découlant des attestations établies à cet effet par le commissaire aux comptes de la SAS Atac, tenant l'absence de bilans propres au seul établissement de Montpellier.
Enfin, l'expert judiciaire a expressément constaté qu'au cours de ses opérations d'expertise, les parties étaient d'accord sur le fait que la communication des chiffres d'affaires était essentielle et qu'elles convenaient également que les bilans et comptes de résultats n'étaient pas significatifs, explicitant les raisons de ce positionnement en page 4 de son rapport auquel il est expressément renvoyé.
c) Les mesurages erronés et une mauvaise pondération.
Le premier juge a justement rejeté cet argument que la cour reprend à son compte.
Ainsi, l'expert judiciaire a t-il relevé que les parties, l'une comme l'autre, avaient, lors de son accedit, confirmé que la surface utile du rez-de-chaussée correspondant à l'espace de vente était de 1143 m², que celle du sous-sol servant d'entrepôt (réserve) était de 450 m², outre le parking en surface d'une superficie de 1150 m² environ pour 57 places (pages 9 et 10 du rapport).
Certes, comme le souligne la SA Ovada Holding, son absence de contestation de ce point dans son dire du 10 février 2012 ne saurait l'empêcher de discuter les
conclusions de l'expert dans le cadre de la présente procédure.
Pour autant, il est permis de s'interroger sur les raisons de cette absence de toute contestation, précisément suite à la communication par l'expert judiciaire de son pré rapport, la SA Ovada Holding n'ayant à aucun moment élevé de protestation sur le constat par cet expert de l'accord des parties quant à la superficie des surfaces.
Par ailleurs, en dehors de procéder par simple affirmation de la part de l'appelante, le document établi par le cabinet Siragusa, à la requête de cette dernière, le 21 mai 2012, ne démontre pas la présence du directeur du magasin, ni les circonstances dans lesquels les opérations de mesurage ont été réalisées, de sorte que c'est à bon droit que le premier juge l'a écarté comme postérieur aux opérations d'expertise, non cotés, ni réalisé au contradictoire de la SAS Atac.
La bailleresse n'a pas plus contesté dans son dire le coefficient de pondération (0,30) appliqué par l'expert judiciaire à la surface de réserves, ni n'apporte aux débats d'éléments probants de nature à contredire l'expert judiciaire comme le premier juge.
d) Le respect du contradictoire par l'expert judiciaire.
La SA Ovada Holding reproche également à l'expert judiciaire de ne pas avoir respecté le principe du contradictoire, en faisant état de la monovalence des locaux pour la première fois dans son rapport définitif.
Or, le premier juge a pertinemment relevé que l'expert n'avait abordé cette question que dans sa réponse aux dires de la SA Ovada Holding.
Par ailleurs, si l'expert judiciaire a évoqué le caractère monovalent du local loué, au sens de l'article R. 145-10 du code de commerce, force est de constater qu'il ne s'est pas limité pour la détermination de la valeur locative, aux seuls critères de la monovalence mais a pris en compte ceux de l'article L. 145-33 dudit code.
Au demeurant, les deux parties s'accordant sur l'absence de monovalence, la critique de l'expertise sur ce point est sans objet.
e) Les clauses favorables du bail au preneur.
La SA Ovada Holding expose que l'expert judiciaire n'a pas pris en compte les clauses du bail favorables au preneur, telles que la possibilité d'une mise en location gérance du fonds de commerce à toutes sociétés du groupe Docks de France et celle de toutes modifications, travaux ou transformations utiles à son commerce, ce qui justifieraient une majoration du loyer de 10 à 20%.
Toutefois, renvoyant à la motivation pertinente et complète du premier juge, la cour confirmera le rejet de cette argumentation, étant rappelé que la bailleresse ne prend pas en compte les éléments mis à la charge de la locataire, tels que la taxe foncière, entre autres éléments.
Il n'est donc aucunement démontré que le bail serait favorable et sans contrepartie, à cette dernière.
Dans ces conditions, l'expert judiciaire, parfaitement qualifié pour la mission qui lui a été confiée, l'a exercée avec sérieux, en prenant en compte tous les documents versés par les parties ou sollicités par lui, les observations des parties et en répondant à toutes
les questions posées.
Dès lors, le rapport d'expertise, réalisé au contradictoire des parties, procédant à une analyse objective des données de fait de la cause, à une étude complète et détaillée des questions posées dans sa mission, et retenant des conclusions sérieusement motivées a légitimement servi de support à la décision déférée, relativement au litige opposant les parties.
Sur la valeur locative des locaux loués :
Selon l'article L.145-33 du code de commerce :
Le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative.
A défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :
1° Les caractéristiques du local considéré ;
2° La destination des lieux ;
3° Les obligations respectives des parties ;
4° Les facteurs locaux de commercialité ;
5° Les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
S'agissant des caractéristiques du local considéré, la cour confirmera les conclusions de l'expert judiciaire qui a retenu une surface pondérée de 1278 m², les critiques de la SA Ovada Holding sur ce point ayant été rejetées tant sur le calcul des surfaces que sur les coefficients de pondération.
Il n'est par ailleurs pas allégué d'une modification de ces mêmes caractéristiques.
La destination des lieux n'est aucunement litigieuse, les parties s'accordant sur l'absence de monovalence.
De même, il a été répondu précédemment sur l'élément relatif aux obligations respectives des parties.
Quant aux facteurs locaux de commercialité, l'expert judiciaire a constaté :
* que la clientèle de l'établissement Simply Market est d'abord et quasi exclusivement celle de l'ensemble immobilier Mas Drevon, autrement dit une clientèle de quartier dite de petits paniers , ainsi que l’a reconnu M. Guy J., représentant de la bailleresse et créateur du fonds ;
* que l'observation faite par lui durant une matinée a permis de confirmer cette analyse ;
* que la création de la ligne de tramway, en service depuis décembre 2006, soit 7 mois avant l'échéance du bail renouvelé, ne constituait qu'une commodité pour cette clientèle qui se rendait auparavant à pied dans ce magasin ;
* que le quartier Mas Drevon n'a pas connu d'évolution notable de la population pendant la durée du bail renouvelé, l'urbanisation du quartier lui étant antérieure ;
* que la présence du tramway, aux portes mêmes de l'établissement, n'a eu aucune incidence sur la commercialité de l'établissement en question, et certainement pas de façon positive, compte tenu de la période trop courte pour porter une appréciation précise.
De même, l'évolution du chiffre d'affaires de cet établissement durant la période du bail renouvelé, et même au-delà, selon la mission confiée à l'expert, telle qu'évoquée en pages 16 à 18 de son rapport, ne fait que conforter ces constatations.
Par application des dispositions de l'article R. 145-6 du code de commerce, il n'est pas justifié, au contraire, de l'intérêt que présenterait, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou du lieu de son implantation, encore moins d'éventuelles modifications de ces facteurs locaux de commercialité durant la période du bail renouvelé, étant souligné que :
- la présence d'une station de carburants sur le parking de cet établissement se trouve en concurrence directe avec celle à l'enseigne Dyneef, située en face ;
- la construction de la ligne de tramway a fait perdre 7 places de parking ;
- la circulation désormais en sens unique ne permet plus aux automobilistes de venir se servir à la station essence de l'établissement, quel que soit leur sens de circulation, sauf à faire un détour.
Les allégations de la SA Ovada Holding quant à l'excellence de l'emplacement, au développement démographique du quartier, à l'extension de la zone de chalandise, à l'accès au magasin comme les possibilités de stationnement facilités et augmentés ne sont donc pas établies et ne sauraient encore moins caractériser la notabilité des telles modifications, à les supposer rapportées.
La cour enfin reprendra à son compte l'analyse faite par l'expert judiciaire des prix couramment pratiqués dans le voisinage ayant permis de fixer la valeur locative à la somme de 105 €/m²/an, soit appliquée à la surface pondérée, un loyer annuel de 34 190 €.
Outre qu'elle ne sollicite pas le plafonnement du loyer par application de l'article L. 145-34 du code de commerce, la cour observe que la SAS Atac sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a fixé le loyer annuel, hors charges et hors taxes, à la somme de 134 000 € à compter du 1er juillet 2007.
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé de ce chef.
Sur les autres demandes :
Compte tenu du montant des frais irrépétibles alloués en première instance, la cour limitera le remboursement de ces frais exposés par la SAS Atac en cause d'appel à la somme complémentaire de 1 000 €.
La demande de la SA Ovada Holding sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile sera en voie de rejet.
Confirmant le jugement déféré sur les dépens, ceux d'appel seront mis à la charge de la SA Ovada Holding qui succombe.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la SA Ovada Holding à payer à la SAS Atac la somme complémentaire de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Déboute la SA Ovada Holding de sa demande sur le même fondement,
Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires,
Condamne la SA Ovada Holding aux dépens d'appel, avec recouvrement direct au profit de Maître Vedel Salles, avocat, par application de l'article 699 du code de procédure civile.