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Décisions

CA Angers, ch. com. A, 14 septembre 2021, n° 19/01558

ANGERS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Alienor (SCI)

Défendeur :

Bnp Paribas (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Corbel

Conseillers :

Mme Robveille, M. Benmimoune

TGI Angers, du 16 juill. 2019, n° 19/000…

16 juillet 2019

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant acte authentique du 29 novembre 2002, la SCCV Camille Claudel aux droits de laquelle se trouve la SCI Aliénor a donné à bail commercial à la société BNP Paribas des locaux correspondant au lot n° 10 d'un ensemble immobilier où est implanté le centre commercial Lac de Maine-Molière situé à [...] et, par extension, commune de Beaucouzé,  destinés à toute activité pouvant se rattacher directement ou indirectement à son objet social ainsi qu'à celui de ses filiales, et notamment la vente de produits d'assurance, pour une durée de douze années à compter du 1er novembre 2002, moyennant le prix de 14 408,80 euros HT établi en fonction de la surface utile sur la base annuelle de 134,14 HT / m²,  indexé.

Le 27 mars 2014, la SCI Aliénor a fait signifier à la société BNP Paribas un congé avec offre de renouvellement à effet au 31 octobre 2014, moyennant un loyer annuel hors taxes et hors charges de 32 000 euros.

Par mémoire du 25 octobre 2016, la SCI Aliénor a demandé la fixation du prix du bail renouvelé à 32 000 euros hors taxes et hors charges.

Par mémoire en réponse du 30 janvier 2017, la société BNP Paribas a demandé la fixation du prix du bail renouvelé à 17 056 euros hors taxes et hors charges.

Le 24 janvier 2019, la SCI Aliénor a assigné la société BNP Paribas devant le juge des loyers commerciaux du tribunal de grande instance d'Angers en fixation du nouveau loyer.

Par jugement rendu le 16 juillet 2019, le juge des loyers commerciaux a rejeté la demande de la SCI Aliénor y compris la demande d'expertise, faute d'élément suffisant à l'appui, l'a condamnée aux dépens et à payer à la société BNP Paribas la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 26 juillet 2019, la SCI Aliénor a interjeté appel de ce jugement.

Par une autre déclaration du 28 janvier 2020, l'appelante a formé un second appel de ce même jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de fixation du loyer au montant réclamé ainsi que sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens.

La jonction des deux instances a été prononcée le 10 mars 2020.

Par ordonnance du 12 janvier 2021, la présidente de la chambre commerciale s'est déclarée incompétente pour statuer sur la demande de caducité de la déclaration d'appel formée le 26 juillet 2019, a également constaté que le désistement par la SCI Aliénor de cet appel était sans effet, de sorte que la cour d'appel n'était pas dessaisie de cet appel.

Dans ses dernières conclusions déposées le 26 avril 2021 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé de ses moyens, la SCI Aliénor demande à la Cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de fixation du loyer au montant réclamé ainsi que sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée aux dépens et,  statuant à nouveau, au besoin après avoir ordonné une expertise en application de l'article R. 145-30 du code de commerce, de fixer le prix du bail renouvelé au 1er novembre 2014 à la somme annuelle de 32 000 euros hors taxes et hors charges, de condamner la société BNP Paribas au paiement des intérêts au taux légal sur les arriérés des loyers et leur capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil,  et à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées le 11 juin 2021 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé de ses moyens, la société BNP Paribas sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SCI Aliénor de sa demande de fixation du loyer renouvelé à la somme annuelle de 32 000 euros hors taxes et hors charges et en ce qu'il l'a condamnée au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens. Elle forme appel incident en concluant à la fixation du loyer renouvelé à une somme annuelle ne pouvant excéder 18 838,56 euros hors taxes et hors charges ; à titre subsidiaire, elle sollicite une expertise avec mission confiée à l'expert de déterminer la valeur locative des lieux loués ; elle demande la condamnation de la SCI Aliénor au paiement des intérêts légaux sur les trop perçus de loyer, à compter du 1er novembre 2014, avec capitalisation et d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 14 juin 2021, avant l'ouverture des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La Cour est régulièrement saisie de l'appel formé le 28 janvier 2020 qui énonce expressément les chefs du jugement qu'il attaque, conformément aux prescriptions de l'article 562 du code de procédure civile.

Les parties s'accordent sur l'absence de plafonnement du loyer s'agissant d'un bail d'une durée initiale de douze ans et, en conséquence, sur la fixation du loyer de renouvellement à la valeur locative.

La bailleresse, qui rappelle qu'il appartient au juge de rechercher quelle est la valeur locative, au besoin en ordonnant une expertise, considérant que la surface des locaux est d'environ 114,90 m², et après avoir exposé les obligations respectives des parties, demande de fixer à 278 /m² le prix unitaire du bail renouvelé partant de ce que le centre commercial Molière,  implanté dans l'un des quartiers qu'elle présente comme les plus aisés d'Angers et dynamique, bénéficie d'une excellente commercialité en constante évolution positive, accompagnée d'un développement démographique, et en se fondant sur des références récentes au sein de ce centre commercial faisant ressortir une valeur locative/m² pondéré comprise entre 248 et 281 ainsi que sur deux références obtenues postérieurement au jugement entrepris,  tirées d'un arrêt rendu le 30 décembre 2019 par la cour d'appel d'Angers pour un local à usage de coiffure situé dans le centre commercial, retenant un prix de 260 /m² pondéré, et d'un rapport d'expertise judiciaire appliquant à cette valeur locative de 260 /m² pondéré diverses minorations pour le local Le Bistro Jules.

La locataire considère que la surface à retenir n'est pas la surface hors d'oeuvre nette de 114,90 m² mais la surface utile de 107,40 m² telle que retenue dans le bail pour le calcul du loyer, à laquelle il convient d'y appliquer des coefficients de pondération devant conduire à retenir une surface pondérée de 90,57 m² et que la valeur locative unitaire,  qui doit être déterminée en se plaçant à la date du 1er novembre 2014, doit être fixée à 208 au regard de ce que la commercialité des lieux n'a pas évolué au cours du précédent bail, de l'application de diverses causes de minoration tenant à la charge exorbitante de droit commun qu'est celle correspondant à l'impôt foncier,  au transfert des travaux de mise en conformité, de ce que les locaux ont été livrés brut et ce, au vu des prix de référence pouvant être retenus pour les autres locaux du centre commercial, après avoir observé que l'activité exercée dans les lieux est celle d'agence bancaire, qu'elle est la seule à exercer dans le centre commercial,  et qu'il est donc difficile de la comparer à une autre, a fortiori, à des commerces du secteur alimentaire, pour déterminer la valeur locative.

La société BNP Paribas exploite dans les locaux une agence bancaire.

Il y a lieu d'ordonner une expertise au regard des divergences des parties sur certains éléments à retenir pour fixer la valeur locative, notamment sur la surface à prendre en compte, la nécessité ou non d'y appliquer une pondération, sur la prise en compte de facteurs de minoration ou de majoration et des difficultés à obtenir des références sur les prix  pratiqués pour des locaux équivalents s'agissant d'un petit centre commercial où ne se trouve pas d'autre agence bancaire.

En outre, la Cour s'interroge sur le point de savoir si les locaux pris à bail sont à usage exclusif de bureau au regard de la clause de destination stipulée au bail qui se réfère à toute activité pouvant se rattacher directement ou indirectement à son objet social ainsi qu'à celui de ses filiales, et notamment la vente de produits d'assurance'.

Si tel était le cas, l'article R. 145-11 du code de commerce, que vise la société BNP Paribas pour justifier la fixation du loyer à la valeur locative, prévoit que pour les locaux à usage exclusif de bureaux, le prix du bail renouvelé doit être fixé en référence aux prix pratiqués pour des locaux équivalents,  sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.

Ainsi, l'évaluation par l'expert devra avoir lieu selon les prescriptions de l'article L. 145-33 du code de commerce et selon celles de l'article R. 145-11 du code de commerce si l'une au moins des parties considère que le bail est à usage exclusif de bureaux, étant précisé que si les deux parties s'accordent sur ce point,  l'expert pourra se limiter au cadre fixé par ce dernier texte.

Il sera sursis à statuer sur les autres demandes.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement, avant dire droit,

Ordonne une expertise et commet pour y procéder :

M. Jean-Pierre L.,

avec pour mission :

1) d'entendre les parties ainsi que tout sachant en leurs dires et explications, de se faire remettre tous les documents utiles et de procéder à toutes investigations nécessaires, y compris auprès de tiers, en se conformant au principe du contradictoire, joindre au rapport des photographies, plans et autres ;

2) de visiter les lieux, après avoir convoqué les parties ; de décrire leur situation, leurs caractéristiques, leur destination, d'en évaluer la surface ;

3) de donner son avis sur la valeur locative des locaux considérés, laquelle sera déterminée en fonction de leur caractéristiques, de leur destination, des obligations respectives des parties, des facteurs locaux de commercialité et des prix couramment pratiqués dans le voisinage, en identifiant les termes de comparaison utilisés (en précisant la date de prise d'effet des baux,  leur renouvellement ou révision et le superficie) ;

4) et si l'une des parties, au moins, considère que le bail est à usage exclusif de bureaux, de donner également son avis sur la valeur locative des locaux déterminée selon les prescriptions de l'article R. 145-11 du code de commerce ;

5) plus généralement de fournir toutes indications utiles à la détermination de la valeur locative, de répondre aux dire des parties se rattachant à la mission et d'apporter tous les éléments de nature à leur permettre de se concilier et de favoriser tout solution amiable ;

Fixe le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert à la somme de 1 800 euros (mille huit cents euros) qu'il appartiendra à la société Aliénor de consigner au greffe de la cour d'appel avant le 25 octobre 2021 ;

Rappelle à toutes fins qu'à défaut de consignation dans le délai ci-dessus imparti, la présente désignation d'expert sera caduque de plein droit en vertu de l'article 271 du code de procédure civile, sauf à la partie à laquelle incombe cette désignation à obtenir du juge chargé du contrôle de l'expertise la prorogation du dit délai ou un relevé de caducité ;

Dit qu'en cas de difficulté, il en sera référé par simple requête de la partie la plus diligente au juge chargé du contrôle des expertises ;

Dit qu'en cas d'empêchement de l'expert désigné il pourra être pourvu à son remplacement par ordonnance prise par le juge chargé du contrôle des expertises ;

Dit que lors de la première réunion qui devra se dérouler dans un délai maximum de deux mois à compter de l'avis donné par le greffe de la consignation de la provision, l'expert devra, en concertation avec les parties, dresser un programme de ses investigations et proposer d'une manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires,  de ses frais et débours, ainsi que la date de dépôt de son rapport avant d'adresser ces informations au juge chargé du contrôle lequel rendra, si nécessaire, une ordonnance complémentaire fixant le montant de la provision complémentaire ainsi que le délai prévu pour le dépôt du rapport ;

Rappelle que l'expert peut s'adjoindre d'initiative, si besoin est, un technicien dans une autre spécialité que la sienne dont le rapport sera joint à son rapport définitif en application des articles 278 et 282 du code de procédure civile et/ou se faire assister par une personne de son choix intervenant sous son contrôle et sa responsabilité en application de l'article 278-1 du code de procédure civile ;

Dit que l'expert donnera connaissance de ses conclusions aux parties et répondra à tous dires écrits de leur part, formulés dans le délai qu'il leur aura imparti, avant d'établir un rapport définitif qu'il déposera au greffe de la cour d'appel d'Angers, dans les six mois du jour où il aura été saisi de sa mission ;

Réserve le surplus des demandes et les dépens.