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Décisions

Cass. 3e civ., 28 janvier 2021, n° 19-18.233

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvin

Avocats :

SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Piwnica et Molinié

Fort-de-France, ch. civ., du 26 mars 201…

26 mars 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 26 mars 2019), rendu sur renvoi après cassation (3 Civ, 21 décembre 2017, pourvoi n 16-19.106), le 6 décembre 2006, la SCI La Savane, propriétaire d’un centre commercial, a donné à bail à Mme B. un local destiné à l’activité d’officine pharmaceutique.

2. Une clause d’exclusivité interdisait au bailleur de louer ou d’exercer directement ou indirectement une activité concurrente à celle du preneur dans les locaux lui appartenant et situés dans le même immeuble.

3. Le 29 août 2008, la SCI La Savane a agréé la cession du droit au bail portant sur un local dépendant du centre commercial à la société Saint-Jean bio cosmétiques pour l’exercice, notamment, d’une activité de vente de produits parapharmaceutiques.

4. Le 29 juillet 2011, Mme B. a assigné la SCI La Savane en paiement d’une indemnité provisionnelle et désignation d’un expert pour évaluer son préjudice.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi incident, qui est préalable

Enoncé du moyen

5. La SCI La Savane fait grief à l'arrêt de dire qu’elle a violé la clause d’exclusivité stipulée au bail et de la condamner en conséquence à payer à Mme B. la somme de 48 000 euros en réparation de ses préjudices, alors :

« 1°) que le contrat de bail commercial conclu au bénéfice de Mme B., pharmacienne, stipulait que les locaux loués seraient affectés à l’exploitation d’une officine pharmaceutique ; qu’interdisant à la SCI La Savane, bailleur, « de louer ou d’exercer une activité concurrente à celle du preneur » au sein du centre commercial qu’elle exploitait, la clause d’exclusivité stipulée dans le contrat de bail interdisait seulement à la SCI La Savane d’installer une autre officine pharmaceutique dans ce même centre ; qu’en jugeant cependant que la clause d’exclusivité couvrait « l’activité d’officine pharmaceutique » en général et qu’elle interdisait donc également  l’installation au sein du centre commercial de toute enseigne proposant même à titre accessoire la vente de produits dits « parapharmaceutiques » dès lors que cette activité est exercée en pratique par les pharmaciens de façon connexe et accessoire à leur activité professionnelle, la cour d’appel a dénaturé, en y ajoutant, la clause d’exclusivité stipulée dans le contrat de bail conclu entre la SCI La Savane et Madame B.,  violant par la même le principe interdisant aux juges du fond de dénaturer les pièces qui leur sont soumises ;

2°) que les clauses d’exclusivité sont d’interprétation stricte ; qu’il en résulte que sauf stipulation expresse, une clause d’exclusivité stipulée dans un contrat de bail commercial ne confère à son bénéficiaire aucun monopole sur les activités simplement connexes, accessoires ou complémentaires à celle déclarée par le preneur dans le contrat de bail (Civ. 3,e 25 octobre 1972,  Bull. n 547, p. 400) ; qu’en jugeant qu’en l’espèce, la clause d’exclusivité stipulée au bénéfice de Mme B. conférait également à celle-ci un total monopole sur les activités que les officines pharmaceutiques sont autorisées à exercer de façon connexe, dont la vente de produits parapharmaceutiques, et que cette clause interdisait par conséquent l’installation de la société Saint-Jean Bio-cosmétiques au sein du même centre commercial au motif que cette dernière proposait,  en sus de la vente de produits cosmétiques, de produits « bios », de produits cosmétiques, la vente de produits parapharmaceutiques, la cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil, ensemble le principe de la liberté du commerce. »

Réponse de la cour

6. L’activité de pharmacie comporte la vente des produits de parapharmacie qui lui sont réservés ou autorisés par les textes législatifs ou réglementaires applicables.

7. Ayant retenu, à bon droit, que la vente des produits de parapharmacie entraient dans le champ de l’activité professionnelle des pharmacies et relevé, d’une part, que Mme B., dont le bail autorisait l’activité d’officine pharmaceutique, vendait des produits de parapharmacie, d’autre part, que la SCI La Savane avait consenti un bail à une société vendant les mêmes produits,  la cour d’appel en a exactement déduit, sans dénaturation, que la bailleresse avait violé la clause d’exclusivité insérée au bail.

8. Le moyen n’est donc pas fondé.

Sur le moyen unique du pourvoi principal

Enoncé du moyen

9. Mme B. fait grief à l'arrêt de limiter la réparation de son préjudice à la somme de 48 000 euros et de dire n’y avoir lieu à expertise, alors :

« 1/ que le préjudice subi par une partie par l’effet de la violation, par l’autre partie, d’une clause contractuelle doit être réparé intégralement, sans perte ni profit, et cette indemnisation ne doit être ni forfaitaire ni en équité ; qu’en énonçant, pour refuser d’ordonner une expertise aux fins d’évaluer le préjudice subi par Mme B. par un examen comparatif de ses bilans et comptes entre 2008 et 2012 et de ceux de la société Saint Jean Bio Cosmétics à laquelle le bailleur avait loué des locaux pour l’exercice d’une activité concurrente de la sienne,  en violation de la clause d’exclusivité, qu’elle avait des éléments suffisants pour « arbitrer » le montant de l’indemnisation à la somme de 48000 €, la cour d’appel a violé l’article 1149 ancien du code civil ensemble l’article 12 du code de procédure civile ;

2°) que dans ses conclusions, (pages 30 à 32), Mme B. a exposé les chiffres d’affaires, de 2007 à 2013, afférents à la vente de parapharmacie, leur pourcentage par rapport au chiffre d’affaires relatif à la vente de produits pharmaceutiques et au chiffre d’affaires total, ces pièces montrant la diminution du chiffre d’affaires annuel, entre l’ouverture et le départ d’un établissement concurrent proposant des produits de parapharmacie,  soit une perte de marge nette cumulée de 640 000 € ; que de même, elle a transmis la ventilation entre les ventes tiers payants et les autres et évalué la marge provenant de la parapharmacie à 40 % ; qu’en énonçant tout à la fois, pour refuser de recourir à une expertise, d’un côté qu’il n’était pas possible de distinguer,  dans les pièces versées aux débats par Mme B., le chiffre d’affaires se rapportant à la vente de produits de parapharmacie, ni connaître la marge exacte, et d’un autre côté qu’elle disposait d’éléments suffisants, la cour d’appel a statué par des motifs contradictoires équivalents à un défaut de motifs, en violation de l’article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. D’une part, c’est dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire que la cour d’appel a rejeté la demande d’expertise.

11. D’autre part, ayant procédé à l’examen de l’ensemble des éléments de preuve produits, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain et sans contradiction que la cour d’appel a évalué le montant du préjudice subi par Mme B..

12. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.