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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 3 décembre 2021, n° 19/00670

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

SNCF Voyageurs (SA), Expedia Inc. (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme Primevert, Mme L'Eleu de la Simone

Avocats :

Me Bernabe, Me Charron, Me Guerre, Me de Roux, Me Etevenard, Me Ninane, Me Por, Me Lemaire

T. com. Paris, du 17 déc. 2018, n° 18/0…

17 décembre 2018

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties.

Il sera succinctement rapporté que jusqu'à sa liquidation prononcée par le tribunal de commerce de Créteil le 10 juin 2009 convertissant le redressement prononcé par le tribunal de commerce de Créteil le 8 octobre 2008, la société Switch était une agence de voyages en ligne exerçant sous l'enseigne « partir pas cher » dont M. X exerçait la fonction de président directeur général tout en étant actionnaire de celle ci à 91,91 %.

Le 4 avril 2007, la société Switch s'était associée à la saisine du Conseil de la concurrence engagée par les agences de voyage Karavel Promofinances et Lastminute visant la SNCF et Expedia Inc. dans la dénonciation de pratiques anticoncurrentielles.

Par décision du 5 février 2009, le Conseil de la concurrence a retenu que la SNCF et Expedia Inc. avaient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce (prohibition des ententes verticales) et la SNCF, seule, les dispositions de l'article L. 420-2 du même code (abus de position dominante). La SNCF et Expedia Inc. ont été respectivement condamnées à des sanctions financières de 5 000 000 euros et 500 000 euros. Expedia Inc., notamment, a interjeté appel de cette décision auprès de la cour d'appel de Paris, qui l'a confirmée par arrêt du 23 février 2010. Expedia Inc. s'est pourvue en cassation. La Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle et, suite à la réponse de cette dernière, a rejeté, le 11 juin 2013, le pourvoi d'Expedia Inc. rendant ainsi irrévocable l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 février 2010.

Me Pelligrini, en qualité de liquidateur judiciaire de Switch, a assigné la SNCF devant le tribunal de commerce de Paris en réparation du préjudice subi par Switch du fait des pratiques anticoncurrentielles retenues. Par jugement du 26 avril 2013, le tribunal a condamné la SNCF à lui payer 6 900 000 euros à titre de dommages et intérêts. Par arrêt du 14 décembre 2016 la cour d'appel de Paris, saisie par la SNCF, a confirmé ce jugement. La Cour de cassation a par arrêt du 29 janvier 2020, rejeté le pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 décembre 2016 qui est ainsi devenu irrévocable.

M. X estimant que l'octroi de cette somme n'avait pas intégralement réparé le préjudice qu'il avait lui-même subi en qualité d'actionnaire dirigeant de Switch, a saisi, le 26 avril 2017, le tribunal de commerce de Paris d'une demande d'indemnisation à hauteur de 36 254 000 euros à l'encontre de la SNCF, laquelle a appelé Expedia Inc. en garantie.

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 17 décembre 2018 qui a :

- dit que l'action de M. X n'était pas prescrite,

- dit que l'action de M. X était irrecevable du fait de son absence d'intérêt à agir,

- condamné M. X à verser 20 000 euros à chacune des sociétés SNCF Mobilités antérieurement dénommée EPIC SNCF SOCIETE NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS et Expedia Inc. société de droit américain au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.

- condamné M. X aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 97,26 Euros dont 16,00 euros de TVA

Vu l'appel interjeté par M. X le 8 janvier 2019,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 3 juillet 2020 pour M. X, par lesquelles il demande à la cour de :

In limine litis :

- révoquer l'ordonnance de clôture du 28 mai 2020 sur le fondement des articles 16 et 784 du code de procédure civile et de l'ordonnance n° 202-306 du 25 mars 2020 et ouvrir le débat,

- constater que les demandes de la SNCF et d'Expedia Inc., tendant à l'irrecevabilité des conclusions de Monsieur C du 3 octobre 2019 ne sont pas exprimées dans le dispositif de leur conclusion,

- les déclarer irrecevables sur le fondement de l'article 954 du code de procédure civile,

- constater que la cour n'est pas saisie de ses demandes,

- juger ses conclusions du 3 octobre 2019 ni prescrites, ni caduques sur le fondement de l'article 6 alinéa 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et du citoyen, de l'article 101 du TFUE (81 CE), de l'article 954 du code de procédure civile, et débouter SNCF voyageurs venant aux droits de SNCF mobilité et la société Expedia Inc de leurs demandes d'irrecevabilité de ses conclusions du 3 octobre 2019,

Et,

Sur le fondement :

De l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,

De l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme,

De l'article 81 CE devenu 101 TFUE,

Du règlement CE/1/2003 du 16 décembre 2002,

De la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014,

De l'article L. 420 1 du code de commerce,

Des articles 1382 et suivants du code civil (1240 et suivants nouveaux),

Des articles 31 et 132 du code de procédure civile,

Des différentes décisions de justice intervenues,

De la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne,

À titre principal :

- infirmer le jugement du 17 décembre 2018 du tribunal de commerce de Paris

- déclarer recevable l'action de Monsieur X

- débouter SNCF voyageurs et la société Expedia Inc de leurs appels incidents,

- condamner solidairement SNCF voyageurs et la société Expedia Inc à payer à M. X les sommes de :

* 5 558, 000 euros au titre de la perte de sa participation au capital de la société Switch,

* 254 492 euros au titre des rémunérations perdues,

* 12.934, 000 euros au titre de la perte de chance de céder sa participation dans la société Switch,

* 500 000euros au titre de son préjudice de notoriété et de carrière professionnelle,

* les intérêts légaux sur l'ensemble de ces sommes à compter du 25 avril 2017,

- condamner SNCF voyageurs et la société Expedia Inc chacune à payer à Monsieur C la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux entiers dépens,

À titre subsidiaire :

Si toutefois la cour estimait nécessaire, avant tout décision au fond, d'interroger la cour de justice sur l'interprétation du droit de l'Union, Il convient de conclure à ce que la cour sursoit à statuer sur le recours et saisisse la cour de justice de la demande de décision préjudicielle suivante en application de l'article 267 TFUE :

Question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne :

Les juridictions nationales françaises sur le fondement du monopole d'action des mandataires et liquidateurs judiciaires en matière de procédure collective en application des articles L. 622-20 et L. 641-4 du code de commerce, peuvent elles mettre en échec l'effet direct des articles 101 et 102 du TFUE et les droits que confèrent ces articles et la jurisprudence de la CJUE à victime de ces infractions, ainsi que le droit à un recours effectif de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne, s'agissant d'un actionnaire dirigeant d'une société qui a perdu sa participation et sa fonction à raison d'infractions aux articles 101 et 102 du TFUE à l'encontre de la société qu'il contrôlait et dirigeait, infractions qui sont la cause de la liquidation judiciaire de celle ci et par voie de conséquence de la perte de sa participation au capital et de ses rémunérations alors que sans ces infractions la société en question n'aurait pas été mise en liquidation judiciaire.

Cette règle nationale n'est elle pas en outre contraire à l'effet utile du droit de la concurrence de l'union et à l'obligation qu'ont les juridictions internes de sauvegarder les droits individuels des victimes en ce qu'elles rendent impossible le recours du dirigeant et actionnaire victime qui a perdu sa participation et sa fonction qu'il n'aurait pas perdues sans cette infraction.

Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 31 mai 2021 pour la SA SNCF Voyageurs, par lesquelles elle demande à la cour de :

Vu les articles 31, 122, 482, 483, 544, 910-1 et 910-4 du code de procédure civile,

Vu les articles 1240 et 2224 du Code civil,

Vu la décision de l'Autorité de la concurrence n° 09-D-06 du 5 février 2009 relative à des pratiques mises en oeuvre par SNCF et Expedia Inc.. dans le secteur de la vente de voyages en ligne,

A titre liminaire :

- dire et juger que l'appelant doit mentionner, dès ses premières conclusions régularisées devant la   cour, l'ensemble de ses prétentions sur le fond ;

- dire et juger que la cour n'est ainsi régulièrement saisie que du présent litige dont l'objet est   déterminé par les premières conclusions de l'appelant ;

constater que les premières conclusions d'appelant régularisées par M. X le 4 avril 2019 ne formulaient aucune demande indemnitaire à l'encontre de Sncf voyageurs et expédia, lesdites demandes ayant été introduites par M. X au titre de ses conclusions d'appelant n° 2 régularisées le 3 octobre 2019 ;

en conséquence,

dire et juger que les demandes indemnitaires formulées par M. X à l'encontre de sncf voyageurs et expédia et seulement introduites dans le dispositif de ses conclusions d'appelant n° 2 régularisées le 3 octobre 2019 sont irrecevables ;

A titre principal :

dire et juger que le point de départ du délai de prescription de l'action indemnitaire initiée par M. X doit être fixé au plus tard au jour de la décision de condamnation de l'autorité de la concurrence, soit le 5 février 2009 ou, au plus tard, au jour du prononcé de la liquidation de la société switch, soit le 10 juin 2009.

En conséquence,

infirmer le jugement du tribunal de commerce de paris en date du 17 décembre 2018, uniquement en ce qu'il a déclaré l'action de M. X non prescrite ;

Et, statuant à nouveau,

constater qu'en raison de l'expiration du délai de prescription, le droit d'action de M. X est éteint et que l'intégralité de ses demandes sont prescrites,

dire et juger irrecevables les demandes formulées par M. X à l'encontre de sncf voyageurs,

confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 17 décembre 2018 en toutes ses autres dispositions, et notamment en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de M. X pour défaut d'intérêt à agir et condamné M. X à verser à SNCF Voyageurs la somme de 20 000 Euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

en tout état de cause,

débouter M. X de l'intégralité de ses demandes, en toutes fins, moyens et prétentions qu'elles comportent,

condamner M. X à payer à sncf voyageurs la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner M. X aux entiers dépens,

Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 27 mai 2021 pour la société Expedia, Inc., société de droit américain, par lesquelles elle demande à la cour de :

Vu les articles 31, 122, 482, 483, 544, 910-1 et 910-4 du code de procédure civile

- Infirmer le jugement du Tribunal de commerce du 17 décembre 2018 en ce qu'il a « dit que l'action de M. X n'est pas prescrite » ;

- Statuant à nouveau sur ce point, dire et juger que l'action de M. X est prescrite ;

- Confirmer le jugement pour le surplus ;

À titre subsidiaire,

- Constater que les premières conclusions de M. X ne comprenaient aucune demande régulièrement formée ;

- Dire et juger en conséquence que l'intégralité des demandes figurant dans les dernières conclusions de M. X sont irrecevables ;

- Constater que les premières conclusions de M. X ne comprenaient aucune demande indemnitaire, lesdites demandes ayant été introduites postérieurement dans ses conclusions n° 2 du 3 octobre 2019 ;

- Dire et juger en conséquence que les demandes indemnitaires introduites par M. X dans ses conclusions n° 2 du 3 octobre 2019 sont irrecevables ;

À titre infiniment subsidiaire,

- Constater qu'Expedia n'a pas engagé sa responsabilité envers M. X ;

En tout état de cause,

- Débouter M. X de toutes ses demandes, fins, et prétentions ;

- Condamner M. X à payer à Expedia la somme de 50 000 euros (CINQUANTE MILLE EUROS) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner M. X aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Frédérique Etevenard selon les termes de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu l'ordonnance de clôture du 17 juin 2021,

SUR CE, LA COUR,

La demande de révocation de l'ordonnance de clôture du 28 mai 2020 n'a plus d'objet celle ci ayant été révoquée, et ayant permis aux parties de conclure en réplique, jusqu'à la nouvelle clôture du 17 juin 2021.

Sur la recevabilité des demandes de M. X

Contrairement à ce qu'indique M. X, les demandes d'irrecevabilité des prétentions qu'il a formées dans ses conclusions du 3 octobre 2019 en ce qu'elles ne figuraient pas dans ses premières conclusions d'appelant, sont bien reprises dans le dispositif des dernières conclusions de la SNCF et d'Expedia Inc. telles que visées en exposé du litige, comme le prescrit l'article 954 alinéa 4 du code de procédure civile.

Il revient à la cour de statuer sur ces demandes, l'instance d'appel ayant été introduite le 8 janvier 2019 soit avant le 1er janvier 2020.

L'article 910-4 du code de procédure civile prescrit qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties doivent présenter dans les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures. Néanmoins demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Contrairement à ce qu'allègue M. X, les chefs du jugement visés dans la déclaration d'appel ne se substituent pas à l'obligation faite à l'appelant de présenter dans ses premières conclusions, l'ensemble de ses prétentions sur le fond en appel, lesquelles déterminent l'objet du litige en application de l'article 910-1 du code de procédure civile.

Cet article instaure un principe de concentration des prétentions dès les premières conclusions de l'appelant. L'irrecevabilité ainsi posée affecte les prétentions qui ne sont pas contenues dans les premières conclusions de l'appelant suivant la déclaration d'appel. Aucune régularisation n'est possible. Sont seules recevables les prétentions destinées à répliquer aux conclusions adverses ou à faire juger les questions nées postérieurement aux premières conclusions, ce qui n'est pas en cause ici.

En l'espèce, M. X a formé appel le 8 janvier 2019.

Dans ses premières conclusions d'appelant, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 4 avril 2019, M. X demande à la cour de :

A titre principal :

Qu'elle infirme le jugement avant dire droit du 17 décembre 2018 du tribunal de commerce de Paris et déclare recevable l'action de M. X,

Qu'elle renvoie en conséquence l'affaire au tribunal de commerce de Paris pour qu'elle soit jugée au fond,

Que l'EPIC SNCF et la société Expédia Inc, intervenante forcée, soient condamnées à payer chacune à M. X la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du cpc,

Qu'elles soient condamnées aux entiers dépens de l'instance,

A titre subsidiaire :

Si toutefois la cour estimait nécessaire, avant tout décision au fond, d'interroger la cour de justice sur l'interprétation du droit de l'Union, Il convient de conclure à ce que la cour sursoit à statuer sur le recours et saisisse la cour de justice de la demande de décision préjudicielle suivante en application de l'article 267 TFUE (...) le dispositif étant suivi de la question.

Ainsi sont contenues dans ses premières conclusions, au titre des prétentions formant l'objet du litige :

- l'infirmation du jugement du tribunal de commerce en ce qu'il a déclaré l'action de M. X irrecevable,

- une demande de renvoi de l'affaire au tribunal de commerce pour le voir juger l'affaire au fond,

- des demandes au titre des frais irrépétibles et des dépens,

- une demande à titre subsidiaire de question à la Cour de justice de l'Union européenne.

En application de l'article 910-4 du code de procédure civile, sans que la déclaration d'appel qui visait l'infirmation du jugement en ce qu'il n'avait pas fait droit à ses demandes indemnitaires ne puissent se substituer aux premières conclusions ou pallier l'absence de prétentions dans celles ci, sont donc irrecevables toutes les autres demandes de M. X contenues dans ses dernières conclusions soit, sauf les prétentions de ce dernier visant seulement à répondre à cette irrecevabilité, l'ensemble des demandes indemnitaires à l'encontre de SNCF voyageurs et Expedia Inc et la demande concernant les intérêts légaux sur l'ensemble de ces sommes à compter du 25 avril 2017.

Par ailleurs, l'obligation pour les parties de présenter l'ensemble de leurs prétentions sur le fond dans leurs premières conclusions, destinée à réduire les échanges de conclusions et, par suite, à diminuer le temps d'instruction des affaires, répond à un objectif de bonne administration de la justice. Elle ne fait pas obstacle à la faculté pour le justiciable de modifier le fondement juridique d'une de ses prétentions ou de soulever des moyens nouveaux au soutien de cette prétention. Eu égard au délai de trois mois laissé à l'appelant, à l'intimé et à l'intervenant pour présenter leurs conclusions, l'obligation prévue par l'article 910-4 du code de procédure civile ne fait pas peser sur les parties une contrainte excessive au regard du but poursuivi. Par suite, M. X n'est pas fondé à soutenir que cette disposition méconnaîtrait le droit à l'accès au juge et le droit au recours garantis par l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, ainsi que par ailleurs le Conseil d'État l'a jugé par arrêt du 13 novembre 2019 statuant sur recours en excès de pouvoir contre l'article 22 du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d'incompétence et à l'appel en matière civile, article qui créait les articles 910-1 à 910-4 dans le code de procédure civile.

La circonstance invoquée par M. X d'une erreur matérielle commise dans ses premières conclusions et du caractère d'importance des demandes oubliées est sans conséquence, les dispositions de l'article 910-4 du code de procédure civile ne prévoyant pas de telles exceptions.

Enfin, l'article 954 du code de procédure civile qui prescrit que les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures, ne fixe pas l'objet du litige, qui est déterminé par les premières conclusions dans les limites de la déclaration d'appel. Il ne fait que fixer le dernier état des prétentions, récapitulatif, dans les limites de l'objet fixé par les premières conclusions.

En conséquence, l'ensemble des demandes indemnitaires de M. X à l'encontre de SNCF voyageurs et Expedia Inc. et sa demande concernant les intérêts au taux légal sur l'ensemble de ces sommes à compter du 25 avril 2017, telles que contenues dans ses dernières conclusions, sont irrecevables.

Sur l'intérêt à agir

Si M. X allègue que la perte :

- de l'intégralité de sa participation au capital de la société Switch,

- de la possibilité de céder cette participation au prix du marché avec une possible plus value significative,

- des rémunérations attachées aux fonctions qu'il exerçait en sa qualité de président directeur général,

- et enfin, de sa carrière et de sa notoriété professionnelles, constituent autant de préjudices personnels distincts, non réparés par la somme de 6,9 millions d'euros allouée en dernier ressort par la cour d'appel de Paris en réparation du préjudice subi par Switch du fait des pratiques anticoncurrentielles condamnées par le Conseil de la concurrence, la cour, dans la présente instance, relève que le fait générateur et le dommage que M. X invoque sont identiques dans les deux cas : les pratiques anticoncurrentielles de la SNCF ayant selon lui conduit à la liquidation judiciaire de la société Switch.

En application du principe de réparation intégrale du préjudice subi par les actionnaires et dirigeants de cette société, tel que prévu tant par le droit interne que par l'article 3 de la directive 2014/104/UE, le préjudice subi par les actionnaires du fait de la perte tant de leurs apports que de la chance d'effectuer une plus value sur ceux ci ne constitue pas un préjudice personnel réparable distinct de celui subi collectivement par la société, en l'espèce déjà réparé par la décision de la cour d'appel de Paris du 14 décembre 2016 à la suite de l'action du liquidateur.

Contrairement à ce qu'indique M. X, cette cour a évalué le préjudice résulté de la pratique anticoncurrentielle menée en recourant à la méthode contrefactuelle préconisée par la Commission européenne, permettant de replacer les parties dans la situation dans laquelle elles auraient été si l'infraction au droit de la concurrence n'avait pas été commise, permettant ainsi une réparation intégrale du préjudice subi.

Il en est de même s'agissant de la perte de rémunération et du préjudice de carrière et de notoriété invoqués, le préjudice ainsi allégué ne se distinguant pas de celui subi par la personne morale du fait de la même cause alléguée : le prononcé de sa liquidation judiciaire. L'indemnisation obtenue par le liquidateur à hauteur de 6,9 millions d'euros, avait ainsi pour objet de réparer les préjudices subis indistinctement et collectivement par tous les créanciers ayant déclaré leur créance à la procédure de liquidation judiciaire de la société Switch, dont M. X

En conséquence, ne pouvant invoquer aucun préjudice personnel distinct de celui de la société, représentée par son liquidateur dans les instances déjà poursuivies, M. X ne dispose, en application de l'article 31 du code de procédure civile, d'aucun intérêt à agir.

Sur l'appel incident de la SNCF et d'Expedia Inc. concernant la prescription

Aux termes de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Contrairement à ce qu'a retenu le tribunal de commerce, le point de départ de l'action en réparation de son préjudice personnel par M. X n'est pas lié à l'action menée par le liquidateur de la société Switch, mais à la décision du Conseil de la concurrence rendue le 5 février 2009 qui a condamné la SNCF et à laquelle sa société s'était jointe : M. X, en qualité de Président directeur général de Switch est ainsi réputé avoir eu connaissance, de façon certaine, des faits lui permettant d'exercer son action indemnitaire à la date de la décision du Conseil de la concurrence qui décrit le fonctionnement des pratiques, leur durée et la participation de chacune des sociétés et ainsi révèle le dommage aux victimes et leur permet d'agir en réparation contre les auteurs identifiés des pratiques condamnées.

L'arrêt de la cour d'appel de Paris du 14 décembre 2016 qui condamne la SNCF à payer à la société Switch la somme de 6,9 millions d'euros en réparation du préjudice subi du fait des pratiques condamnées par le Conseil de la concurrence n'a pour sa part pas révélé à M. X son dommage, cet arrêt ne faisant que retenir et chiffrer le dommage de la société Switch, lequel avait été révélé en même temps que le dommage que l'appelant invoque pour lui même dans la présente instance.

La décision du Conseil de la concurrence ayant été confirmée par la décision définitive rendue par la cour d'appel de Paris le 23 février 2010 c'est à cette date, postérieure à celle de la liquidation de la société Switch prononcée par le tribunal de commerce de Créteil le 10 juin 2009, que doit être fixé le point de départ de la prescription de l'action indemnitaire de M. X

En conséquence, le droit d'action de M. X s'est éteint à raison de la prescription le 23 février 2015. M. X ayant assigné la SNCF par acte du 25 avril 2017, son action est irrecevable comme prescrite.

Le jugement du tribunal de commerce sera en conséquence infirmé de ce chef.

Sur les frais irrépétibles et les dépens.

En première instance, M. X ayant succombé, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles ; statuant de ces chefs en cause d'appel, M. X, dont les demandes sont rejetées, sera condamné aux dépens dont distraction au profit de Me Frédérique Etevenard en application de l'article 699 du code de procédure civile, et condamné à payer à la SNCF et à Expedia Inc. chacune la somme de 20.000 euros au titre des frais irrépétibles engagés, en application de l'article 700 du même code.

PAR CES MOTIFS,

Constate que la demande de révocation de l'ordonnance de clôture du 28 mai 2020 est devenue sans objet,

Déclare irrecevable en cause d'appel les prétentions de M. X consistant en ses demandes indemnitaires à l'encontre de SNCF voyageurs et Expedia Inc. et la demande d'intérêts au taux légal sur l'ensemble de ces sommes à compter du 25 avril 2017,

Infirme le jugement en ce qu'il a dit non prescrite l'action indemnitaire de M. X,

Confirme le jugement pour le surplus,

Y ajoutant en cause d'appel :

Déclare irrecevable l'action indemnitaire engagée par M. X à l'encontre de la SNCF comme prescrite,

Condamne M. X aux dépens,

Autorise Me Frédérique Etevenard, avocat, à recouvrer directement contre lui les dépens dont elle a fait l'avance sans en recevoir provision,

Condamne M. X à payer à la SA SNCF Voyageurs la somme de 20.000 euros (vingt mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. X à payer à la société Expedia, Inc., société de droit américain la somme de 20.000 euros (vingt mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.