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Décisions

Cass. com., 1 décembre 2021, n° 18-26.572

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Fournier (SA)

Défendeur :

C2A cuisines (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Amsellem

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Gatineau, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel

Paris, pôle 5 ch. 4, du 24 oct. 2018

24 octobre 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 octobre 2018), la société Fournier, spécialisée dans la conception, la fabrication et la distribution de meubles de cuisines, salles de bain et rangements, notamment, sous la marque « SoCoo'c », a, le 10 décembre 2009, conclu avec la société C2A cuisines un contrat de franchise SoCoo'c.

2. À la suite de la résiliation du contrat par la société Fournier, le 25 mars 2015, avec date d'effet au 31 décembre 2015, la société C2A cuisines et M. [S], son gérant, l'ont assignée en demandant la poursuite du contrat et la réparation du préjudice subi.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches, ci-après annexés.

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. La société Fournier fait grief à l'arrêt de dire que les manquements précontractuels ne sont pas couverts par la prescription, alors :

« 1°) que lorsqu'un franchisé invoque un dol à l'origine d'une erreur sur la rentabilité de sa franchise, le point de départ de la prescription doit être fixé à la date à laquelle il a constaté ou aurait dû constater un écart significatif entre la rentabilité réelle et la rentabilité exposée à titre prévisionnel par le franchiseur ; qu'il revient au demandeur à l'action en réparation pour dol de prouver qu'à la date à laquelle il a pu constater un écart entre la rentabilité escomptée et la rentabilité réelle, il pouvait légitimement ignorer que cet écart était imputable à un dol de son cocontractant ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a affirmé que la comparaison entre les chiffres réalisés par la société C2A cuisines avec les chiffres prévus dans les prévisionnels mettait en évidence "un écart substantiel de 78,15 % en année 1" qui dépassait "la marge d'erreur inhérente à toute donnée de nature prévisionnelle" et retenu que cet écart avait provoqué dans l'esprit du franchisé "une erreur sur la rentabilité de son activité" imputable à des manœuvres dolosives du franchiseur ; que pour refuser de faire courir le délai de prescription à la date où les faits avaient été portés à la connaissance du franchisé, la cour d'appel a relevé le doute que pouvait avoir le franchisé sur l'existence d'un dol à la réception de comptes en fin d'exercice de la première année, "qui en général ne sont pas suffisamment significatifs", car les mauvais résultats de la première année "peuvent avoir des causes variées" ; qu'en se déterminant en fonction d'un doute que pouvait avoir le franchisé, débiteur de la preuve, quant à l'existence d'un dol au jour où l'insuffisance alléguée de rentabilité avait été portée à sa connaissance, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 devenu l'article 1353 du code civil ;

2°) qu'en outre les juges ne peuvent se déterminer par des motifs d'ordre général ; qu'en se fondant sur des motifs d'ordre général relatifs aux causes probables de "mauvais résultats" pour affirmer que les franchisé ne pouvait véritablement connaître le caractère erroné des chiffres qu'à la fin de la deuxième année d'exploitation, sans relever aucune circonstance concrète propre au franchisé établissant qu'il n'aurait pas pu constater dès la fin de la première année que les chiffres transmis étaient " exagérément irréalistes ", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1116 et 2224 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de l'article L. 330-3 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir relevé que les mauvais résultats réalisés la première année d'exploitation d'une société nouvelle peuvent avoir des causes variées sans lien avec les manquements précontractuels du franchiseur, l'arrêt constate que la société C2A cuisines et M. [S], qui fondent leur demande sur le dol du franchiseur, ne pouvaient véritablement connaître le caractère erroné des chiffres présentés avant la conclusion du contrat qu'à la fin de la deuxième année d'exploitation.

6. En déduisant de ces constatations souveraines que la prescription ne pouvait courir qu'à compter de la deuxième année d'exploitation, soit à la fin de l'année 2011, la cour d'appel qui, sans inverser la charge de la preuve, a procédé à un examen concret des éléments invoqués par les parties pour rechercher à quelle date la société C2A cuisines et M. [S] avaient pu connaître les faits leur permettant d'exercer leur droit d'agir, a légalement justifié sa décision.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

8. La société Fournier fait grief à l'arrêt de dire qu'elle s'est rendue responsable d'un dol en communiquant au franchisé des prévisionnels grossièrement erronés et en communiquant un document d'information précontratuelle (DIP) très lacunaire et de la condamner en conséquence à payer à la société C2A cuisines la somme de 190 118 euros en réparation, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 janvier 2016, lesdits intérêts capitalisés, ainsi qu'une somme de 47 600 euros au profit de M. [S], outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 janvier 2016, lesdits intérêts capitalisés, alors « que l'incidence d'une information précontractuelle insuffisante ou erronée sur le consentement du franchisé doit être mesurée compte tenu des compétences, de l'expérience de ce dernier et de son éventuelle connaissance du marché ; qu'en l'espèce, la société Fournier faisait valoir que les demandeurs ne démontraient pas qu'ils n'auraient pas contracté, s'ils avaient eu connaissance des éléments d'information complémentaires à ceux fournis ou d'autres évaluations provisionnelles, d'autant que M. [S], qui avait assuré des fonctions de direction commerciale pendant plus de dix-huit ans sur un segment de marché identique à celui de l'enseigne SoCoo'c n'était pas un profane ; qu'en affirmant que les chiffres prévisionnels "exagérément optimistes" avaient vicié le consentement du franchisé en l'état d'un dossier d'information précontractuelle "excessivement succinct" au regard de l'article [W] 330-1 du code de commerce, l'expérience " éprouvée" du franchiseur dans le secteur "ne dispensant pas le franchiseur (…) de lui dispenser des informations sincères " ; sans à aucun moment s'interroger sur le point de savoir si le consentement du franchisé avait été réellement vicié compte tenu de son expérience professionnelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article L. 330-3 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

9. Après avoir rappelé que si le franchiseur communique au candidat franchisé un compte d'exploitation, celui-ci doit être sincère et vérifiable, l'arrêt relève que le DIP de six pages remis à la société C2A cuisines est succinct, qu'il ne comporte, au titre de la description du marché local, que l'indication des parts des départements du Nord et du [Localité 3] de l'indice national de la consommation calculé par l'organisme de crédit Cetelem, et ne contient aucune mention relative aux autres magasins implantés dans la zone géographique. Il retient également que la société Fournier a adressé à la société C2A cuisines un compte prévisionnel pour les trois premières années d'exploitation, dont les données se sont révélées grossièrement irréalistes et dont l'écart avec les chiffres d'affaires réalisés, tandis qu'il n'est reproché aucune faute de gestion au franchisé, dépassent la marge d'erreur inhérente à toutes données de nature prévisionnelle. L'arrêt en déduit que la communication de ces informations erronées sur un élément substantiel de l'engagement de la société C2A cuisines, dans ces circonstances d'informations lacunaires sur la concurrence locale et l'état du réseau, est constitutif d'un dol ayant conduit à vicier le consentement de cette société, ainsi que celui de son gérant, malgré l'expérience professionnelle de ce dernier dans le secteur concerné.

10. En l'état de ces énonciations et appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel, qui n'a pas méconnu l'incidence de la qualification du gérant, a légalement justifié sa décision.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

12. La société Fournier fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir condamner la société C2A cuisines et M. [S], in solidum, à lui payer une somme au titre de l'astreinte due en application de l'article 23.3 du contrat de franchise, alors « que les juges ne peuvent modifier les termes du litige ; qu'en l'espèce, la société C2A cuisines soutenait qu'elle avait demandé la poursuite judiciaire du contrat jusqu'au 30 novembre 2016 et qu'elle ne pouvait en conséquence rationnellement cesser d'utiliser l'enseigne SoCoo'c avant que le tribunal ne se soit prononcé sur la question ; qu'elle ne soutenait à aucun moment qu'elle aurait utilisé la marque au titre d'une poursuite du contrat décidée d'un commun accord avec la société Fournier, cette dernière contestant justement avoir donné un quelconque accord à la poursuite du contrat ; qu'en affirmant que les commandes et les livraisons effectuées en 2016 démontrent que la société Fournier avait accepté de vendre et livrer ses meubles à la société C2A cuisines sans qu'il soit démontré que les livraisons correspondaient à des commandes antérieures à décembre 2015, lorsque la société C2A cuisines ne se prévalait nullement d'un accord tacite de la société Fournier à la poursuite de la relation contractuelle, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

13. Les juges peuvent prendre en considération des faits résultant des pièces régulièrement versées aux débats, même s'ils n'ont pas été spécialement invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions. La cour d'appel qui, après avoir relevé qu'il résulte des pièces produites que le contrat de franchise, en principe résilié en décembre 2015, a continué avec l'accord des deux parties l'année suivante, retient que les commandes et les livraisons effectuées en 2016 démontrent que la société Fournier a accepté de vendre et livrer ses meubles SoCoo'c à la société C2A cuisines au delà de la date de résiliation, a pu déduire de ces constatations et appréciations souveraines qu'il ne pouvait être reproché à la société C2A cuisines d'avoir usé des signes distinctifs sans autorisation pendant cette période.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le quatrième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

15. La société Fournier fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir condamner la société C2A cuisines à lui payer une somme de 31 164,59 euros au titre de redevances impayées, outre les pénalités de retard, ainsi qu'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dues par la société C2A cuisines, alors « qu'un contrat de franchise peut autoriser le franchiseur à augmenter unilatéralement le taux de redevance dû par le franchisé, sauf éventuel abus sanctionné par le juge ; qu'en se bornant à retenir que la preuve n'était pas rapportée d'un accord des parties sur l'augmentation du taux de redevance dû par le franchisé de 3 % à 4,5 %, sans rechercher comme l'y invitaient les écritures de la société Fournier, si le contrat de franchise n'autorisait pas une augmentation unilatérale du taux de redevance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 :

16. Aux termes de ce texte, les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l'équité, l'usage ou la loi donnent à l'obligation d'après sa nature.

17. Pour rejeter la demande de la société Fournier de condamnation de la société C2A cuisines à lui verser plusieurs sommes en paiement des redevances, des pénalités de retard, ainsi que d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, l'arrêt retient que la société Fournier verse aux débats les factures afférentes à des redevances, impropres à démontrer en soi, en premier lieu, que le nouveau taux aurait été accepté et, en second lieu, que les redevances seraient demeurées impayées.

18. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le contrat de franchise n'autorisait pas une augmentation unilatérale du taux de redevance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement entrepris, il rejette les demandes de la société Fournier tendant à la condamnation de la société C2A cuisines à payer la facture de 31 154,59 euros au titre de redevances impayées, outre les pénalités de retard, ainsi qu'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, l'arrêt rendu le 24 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.