CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 3 décembre 2021, n° 17/02436
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Société Francaise de Télécommunication et Annexes (SA)
Défendeur :
Orange (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ardisson
Conseillers :
Mme L'Eleu de La Simone, Mme Primevert
Avocats :
Me Millat, Me Boccon Gibod, Me Arayo
Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 16 juin 2015 qui a débouté la société Française de Télécommunication et annexes ("SFTA") de sa demande de dommages et intérêts fondée sur la rupture de la relation commerciale établie avec la société Orange, condamné avec exécution provisoire la société Orange à payer à la société SFTA la somme de 119 457,29 euros au titre de pénalités indues et condamné la société Orange aux dépens ;
Vu l'appel du jugement interjeté le 31 janvier 2017 par la société Française de Télécommunication ;
Vu les conclusions transmises par le réseau privé virtuel des avocats le 1er février 2017 pour la société Française de Télécommunication aux fins d'entendre :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf celle qui a condamné la société Orange à payer la somme de 119.457,29 euros au titre de pénalités et retenues injustifiées en application des articles L. 441-3 et L. 442-6-I-8° du code de commerce,
- dire au visa des articles L. 420-2 aliéna 2, L. 442-6-I-2° et L. 442-I-5° du code de commerce que la société Orange a rompu brutalement ses relations commerciales,
- condamner la société Orange à verser à titre de dommages et intérêts :
1 808 377 euros au titre de la marge brute perdue au titre la rupture partielle intervenue durant l'année 2009,
3.810.556 euros au titre de la marge brute perdue au titre de la rupture totale intervenue durant l'année 2012,
366.932 euros correspondant au coût des mesures de licenciement,
63.380 euros correspondant aux frais de résiliation des contrats de location
100.000 euros correspondant au préjudice moral et à la perte d'image,
- dire au visa des articles L. 442-6-I, alinéas 2 et 4, et L. 420-2 alinéa 2 du code de commerce et juger que la société Orange a abusé de l'état de dépendance économique dans lequel se trouvait la SFTA,
- condamner la société Orange à verser à titre de dommages et intérêts :
861 331 euros au titre des rémunérations versées à la société Ineo Infracom,
1 070 728 euros au titre des transferts de charges non rémunérés par Orange,
- dire que les condamnations à intervenir seront majorées du majorées du taux d'intérêt légal à compter de l'exploit introductif d'instance,
- débouter la société Orange de l'intégralité de ses demandes,
- ordonner la publication par extraits ou encart et aux frais de la société Orange, du jugement à intervenir dans un quotidien national, ainsi que dans un journal professionnel,
- condamner la société Orange à verser la somme de 50 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Orange aux entiers dépens de première instance et d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 12 juin 2019 pour la société Orange afin d'entendre, en application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce :
- constater l'absence de toute relation commerciale établie entre les parties,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société SFTA de ses demandes de ce chefs,
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Orange à la somme de 119 457,29 euros TTC en principal à titre de répétition d'indus,
- débouter la société SFTA de sa demande de dommages et intérêts,
- condamner la société SFTA à verser une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société SFTA aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR,
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie à leurs conclusions ainsi qu'au jugement.
1. Il sera succinctement rapporté que l'opérateur national historique de télécommunications France Télécom, devenu société Orange, a confié, en 1991, à la société SFTA la sous traitance des travaux de raccordement de ses clients à son réseau bifilaire cuivre ainsi que pour leur maintenance sur des départements d'Ile de France.
2. Ces mêmes prestations ont fait l'objet de deux contrats cadres sur la période 2006-2009 convenus à durée déterminée d'un an, renouvelables selon avenants jusqu'à l'échéance au 31 décembre 2009.
3. Puis la sous traitance de ces travaux a fait l'objet de procédures d'appel d'offres donnant lieu à deux contrats cadre, le premier du 21 novembre 2005, numéro 46135756, pour des prestations sur l'Ile de France Est (Seine et Marne et Seine Saint Denis) conclu pour une durée déterminée de trois ans à compter de sa signature, prolongée par un premier avenant jusqu'au 31 décembre 2008, et un second du 14 janvier 2008 pour une période d'un an jusqu'au 31 décembre 2008, ce dernier avenant indiquant qu'à l'issue de cette période, l'accord cadre pouvait être reconduit pour une durée d'un an supplémentaire après accord écrit entre les parties. Le second contrat cadre, le 20 novembre 2006, numéro 46141029, pour des prestations sur le département IDF Ouest (Yvelines) conclu à durée déterminée jusqu'au 31 décembre 2008, un avenant du 7 août 2008 stipulant que le contrat ne pourra être reconduit pour une durée d'un an supplémentaire qu'après accord écrit entre les parties.
4. En janvier 2009, l'opérateur de télécommunications a publié un guide de consultation modifiant l'économie générale des contrats pour ses prestations assignant de nouveaux objectifs comprenant l'externalisation des tâches de contrôle pour les travaux de câblage et de petit génie civil d'une relation client (production et maintenance) ainsi que des prestations d'études déterminés dans deux cahiers de clauses techniques particulières et des charges fonctionnelles de travaux. Sur cette base, l'opérateur a convenu le 2 juin 2009 un contrat cadre, n° 50021835, avec un groupement d'entreprises constitué des sociétés Inéo Infracom (mandataire) AS Com Multimédia, SFTA et Wellcom, pour l'exécution des prestations sur l'Ile de France Est pour la durée maximale de 3 ans à compter du 2 juin 2009, puis par avenant de janvier 2011, les parties ont prorogé l'accord cadre pour 24 mois à compter du 1er septembre 2010, soit jusqu'au 31 août 2012, l'avenant stipulant à son article 3 que 'Les parties conviennent que la durée de vingt quatre mois commençant à courir à compter du 1er septembre 2010, préavis de résiliation du présent Accord Cadre. Les parties reconnaissent que ce préavis est d'une durée suffisante au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de Commerce'.
5. En 2011, l'opérateur de télécommunications a publié un nouveau programme de consultation sous le titre « cartocible 2012-2015 » dédié à l'organisation des marchés de sous traitance de ses travaux devant être renouvelés à compter de juillet 2012 pour ce qui concernait la région Ile de France, la société SFTA a soumis une offre en mars 2012 qui n'a pas été retenue, le marché ayant été dévolu à la société Scopelec qui a ultérieurement convenu de sous traiter certaines de ses prestations à la société SFTA.
6. En suite d'un courriel du 21 janvier 2013 par lequel la société Scopelec subordonnait l'augmentation du volume d'activité dévolu à la société SFTA à la fixation des frais de gestion à 14 %, la société SFTA a assigné le 22 novembre 2013 la société Orange en dommages et intérêts fondés sur la rupture brutale de la relation commerciale établie, sur l'abus de dépendance économique, l'atteinte à l'image et le préjudice moral ainsi qu'enfin, en répétition de retenue de pénalités indues.
I. Sur la contestation des pénalités
7. Au visa des articles L. 441-3 du code de commerce, dans sa version issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 et L. 442-6-I-8° du même code, dans sa version en vigueur jusqu'au 26 avril 2019, la société SFTA entend confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Orange à répéter le paiement des avoirs sur les factures de pénalités de 172.106,42 euros HT et de 7 470 euros HT émis le 23 octobre 2008 et représentatifs du solde de pénalités, et dont elle soutient qu'ils sont injustifiés, alors que l'opérateur appréciait unilatéralement les prétendues carences de la société SFTA dans ses prestations, que les bordereaux de facturations émis par la société Orange avant facturation feraient systématiquement état de « moins value contrôle de facturation » ou de « prestations non rémunérées », la société SFTA se prévalant encore de son opposition à compter de 2008 à payer les pénalités en soulignant qu'elle n'avait pas souscrit à l'indice de performances que la société Orange avait souhaité lui imposer au moyen d'un avenant, et se prévalant enfin des termes du projet « Cartocible 2012-2015 » de la société Orange qui proposait « modifier le système des pénalités [appliqué aux sous-traitants] qui n'est ni crédible, ni possible à mettre en œuvre ».
8. Au demeurant, la société SFTA ne met aux débats aucune pièce de nature à étayer la remise en cause de ces pénalités au moment où elles ont été appliquées et acquittées, la société Orange produisant pour sa part les comptes rendus des revues bilatérales de contrat de 2007 et 2008 justifiant le motif de chaque pénalité, en sorte que, faute d'apporter la preuve que ces pénalités n'étaient pas causées, il convient d'infirmer le jugement qui en a ordonné la répétition.
II. Sur l'établissement de la relation commerciale et sa rupture brutale
9. Pour voir infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de dommages et intérêts qu'elle invoque sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019, la société SFTA prétend déduire la preuve de la rupture brutale de la relation commerciale en 2009, puis en 2012, et dont elle soutient qu'elle était établie avec l'opérateur des télécommunications depuis plus de trente ans, en invoquant, en premier lieu, les conditions dans lesquelles la société France Télécom a dénoncé sans préavis dans un courriel du 27 mai 2009, la collaboration sur le marché passé sur le secteur Ouest francilien trois jours seulement avant l'expiration du contrat, la société Orange jugeant abusive la clause du contrat cadre par laquelle l'opérateur aménage les conditions de sa prorogation.
10. La société SFTA oppose, en deuxième lieu, l'altération des conditions financières d'exécution de ses prestations qui est résultée en 2009, d'une part, de l'application de pénalités indues pour la somme de 119 457,29 euros en 2008, d'autre part, de la diminution de la rémunération des travaux, notamment sur les poteaux électriques, agrégés à d'autres prestations, et dont le prix est passé de 25 euros à 45 euros ; enfin, des coûts des tâches administratives que l'opérateur lui a déléguées sans contrepartie financière, particulièrement en 2009 pour « la conduite d'activité » correspondant à la gestion des appels téléphoniques des clients, que la société SFTA a dû sous traiter, ainsi que les coûts inhérents au plan de charge des techniciens d'intervention en production ainsi que du service après-vente, ces diminutions de prix et ces charges ayant eu pour effet une baisse de la rémunération de ses prestations qui s'est traduite, en 2009, par une baisse de chiffre d'affaires de 34 % et une perte d'exploitation de l'ordre de 423 000 euros, forçant le retrait de marché et de la société SFTA.
11. La société SFTA conclut encore au coût ruineux que la société Orange a imposé dans le contrat cadre n°50021835 de juin 2009 du recours à un mandataire du groupement d'entreprises rémunéré 4% hors taxes sur la facturation des prestations et qui ont représenté 720 177 euros sur les exercices cumulés de juin 2009 à août 2012.
12. Enfin, la société SFTA fait grief à l'opérateur de l'avoir informée sans préavis par courriel du 12 juillet 2012 de son échec à l'appel d'offre, l'opérateur ayant au demeurant accepté qu'elle intervienne pour ce marché en qualité de sous-traitante de société Scopelc dont la société SFTA soutient qu'elle ne disposait pas du personnel compétent.
13. Au demeurant, il est d'abord constant que les conditions de chacun des contrats, telles que rapportées aux points 2 à 5 ci dessus, auquel la société SFTA a souscrit, était précédé d'un appel d'offres et a été convenu à durée déterminée à chaque fois avec un terme extinctif express, et il ne résulte pas de la nature des prestations ainsi que de l'ouverture du marché à de très nombreux prestataires, la présomption que les conditions de prorogation du terme des contrats, limitée à un an, soient abusives, de sorte qu'ainsi que la société Orange le conclut, il ne peut être déduit la preuve qu'avant sa rupture, l'entreprise jouissait d'une relation commerciale stable, suivie et habituelle, ni d'autre part, que la rupture était imprévisible, soudaine ou violente, la société SFTA ne contestant au surplus pas les bases sur lesquelles elle a été retenue puis écartée des marchés successifs.
14. Enfin, la cour relève qu'il n'est pas soutenu que le marché de sous traitance que lui a confié la société Scopelec, rappelé au point 6 ci-dessus, comprenait l'ensemble des prestations qui devaient être souscrites à l'appel d'offres de la société Orange de juillet 2012, et qui permit une discussion sur la continuité des marchés et la rupture éventuelle de la relation commerciale.
15. Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société SFTA de ce chef de demande.
III. Sur l'abus de dépendance économique
16. Pour entendre infirmer le jugement qui l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts de 861.331 euros toutes taxes comprises fondée, soit sur l'abus de dépendance économique au visa de l'article L. 420-2, alinéa 2, du code de commerce, soit sur le fondement de sa soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, au visa de l'article L. 442-6- I, 2°, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019 soit enfin, dans l'obtention sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, au sens de l'article L. 442-6- I, 4°, du code commerce issue aussi de sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 24 avril 2019, la société SFTA se prévaut derechef des moyens rapportés et discutés aux points 7 à 14 ci dessus.
17. Toutefois, en premier lieu pour ce qui concerne l'état de dépendance économique de la société SFTA, il n'est pas établi alors qu'il n'est pas contesté que depuis 2006, les trois autres opérateurs de télécommunications SFR, Bouygues Telecom et Numericable offraient des marchés de travaux de raccordement des clients concurrents à ceux de l'opérateur historique, et par conséquent une possibilité technique et économique de substitution aux appels d'offres pour lesquels la société SFTA a été retenue avant d'être écartée, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de ce chef.
18. En deuxième lieu, les seules allégations chiffrées dont la société SFTA se prévaut aux points 10 à 12 ci dessus ne permettent pas d'établir, indépendamment de la structure sociale et financière de l'entreprise, ni un déséquilibre significatif dans les obligations réciproques des parties aux contrats qui se sont succédé, ni même une comparaison des prix injustifiés pour les prestations qui ont été retenus à l'issue des appels d'offres, ni enfin de contester le bien fondé des obligations convenues pour piloter la coordination des différentes entreprises du groupement par un mandataire annoncé par la société Orange dans ses appels d'offres rappelés aux points 4 et 5 ci dessus, en sorte que le jugement sera aussi confirmé en ce qu'il a écarté le moyen.
19. S'agissant, en troisième lieu, de la demande fondée sur l'obtention ou la tentative, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix et les modalités d'exécution des services sous traités, la société SFTA n'a pas remis en cause les conditions contractuelles qui ont précédé celles qui ont été offertes à l'occasion des nouveaux appels d'offres auxquels elle a participé, en particulier les conditions tarifaires annoncées à chaque fois avant la nouvelle contractualisation des prestations et par ailleurs ainsi que cela est retenu au point 18 ci-dessus, elle ne produit pas d'élément de comparaison qui permet de déduire les conditions manifestement abusives sur les prix de revient ou sur les coûts de ses prestations, de sorte que le jugement sera aussi confirmé en ce qu'il a écarté ce fondement à la demande de dommages et intérêts.
IV. Sur la publication de l'arrêt, les frais irrépétibles et les dépens
20. La société SFTA succombant à l'action, il n'y pas lieu d'ordonner la publication de la décision comme l'avaient déjà décidé les premiers juges.
21. Le jugement sera en revanche infirmé en qu'il a statué sur les frais irrépétibles et les dépens, et statuant à nouveau y compris en cause d'appel, la société SFTA supportera tous les dépens et sera condamnée à verser la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement en toutes ses dispositions déférées, sauf celles relatives à la répétition des pénalités, aux dépens et aux frais irrépétibles ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la société Française de Télécommunication et annexes de sa demande en répétition des pénalités contractuelles ;
Condamne la société Française de Télécommunication et annexes aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne la société Française de Télécommunication et annexes à payer à la société Orange la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.