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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 3 décembre 2021, n° 19/22665

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Uzik (SAS)

Défendeur :

Exand Holding (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ardisson

Conseillers :

Mme Primevert, Mme L'Eleu de La Simone

Avocats :

Me Ingold, Me Dayan, Me d'Alverny, Me Piffeteau

T. com. Paris, du 23 sept. 2019, n° 2018…

23 septembre 2019

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties.

Il sera succinctement rapporté que la sas Exand holding, anciennement dénommée André, a pour activité la vente de chaussures, sacs et accessoires de grande distribution. La sas Uzik exerce une activité d'agence de communication liée aux produits multimedia et audiovisuels. La sarl unipersonnelle Uzik social a été créée en janvier 2015 et dissoute le 14 décembre 2020 suite à la reprise de son activité par la sas Uzik.

Durant plusieurs années, la société André (devenue Exand Holding) a confié à la société Uzik puis à la société Uzik social la création puis la maintenance et l'animation de son site internet, ainsi que des prestations annexes portant sur l'organisation de shooting, de campagnes de SMS et de production de newsletter.

Par courrier du 26 mars 2018, André a informé Uzik social que leurs relations commerciales ne pourraient se poursuivre au-delà du 22 juin 2018 dans l'hypothèse où elle serait cédée.

Le 3 juillet 2018 André a confirmé à Uzik social la cession et la rupture définitive de leurs relations commerciales en accordant un préavis de 3 mois.

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 23 septembre 2019 qui a :

- débouté la sarl unipersonnelle Uzik social de sa demande au titre d'une rupture brutale des relations commerciales établies,

- condamné la sarl unipersonnelle Uzik social à payer à la sas Exand holding anciennement dénommée sas André la somme de 3 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs autres demandes, fins et conclusions,

- ordonné d'office l'exécution provisoire,

- condamné la sarl unipersonnelle Uzik social aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 74,50€ dont 12,20€ de TVA.

Vu l'appel interjeté par la sarl Uzik social le 6 décembre 2019,

Vu l'article 455 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 27 octobre 2021 pour la sas Uzik venant aux droits de la sarl Uzik social, par laquelle elle demande à la cour de :

Vu les articles 1134, et 1103 du code civil

Vu l'article L. 442-6 du code de commerce,

- révoquer l'ordonnance de clôture rendue le 16 septembre 2021 et recevoir les présentes conclusions,

- prendre acte que la société Uzik vient aux droits de la société Uzik social

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 23 septembre 2019 en ce qu'il a considéré que la durée de la relation commerciale à prendre en considération entre la société Uzik social et Exhand holding s'étendait sur 8 ans et non sur trois ans.

- réformer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de PARIS en ce qu'il a retenu qu'un préavis de trois mois était suffisant pour mettre un terme à la relation commerciale des sociétés Exhand holding (anciennement dénommée ANDRE) et la société Uzik social

Statuant à nouveau :

- juger que la société Exhand holding a rompu brutalement sa relation commerciale établie avec la société Uzik social ;

- juger que la société Exhand holding aurait dû octroyer un préavis d'un délai d'un an à la société Uzik social ;

Par conséquent :

- condamner la société Exhand holding d'avoir à régler à la société Uzik social la somme de 189.167 euros correspondant à la marge brute qu'elle aurait pu réaliser au cours du préavis d'un an dont elle a été injustement privée

En tout état de cause :

- Débouter la société Exhand holding de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

- Réformer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de PARIS en ce qu'il a condamné la société Uzik social d'avoir à régler à la société Exhand holding la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que des dépens.

Statuant à nouveau,

- condamner la société Exhand holding d'avoir à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- et de supporter l'ensemble des dépens.

Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 2 juin 2020 pour la sas Exand Holding, anciennement dénommée André, par lesquelles elle demande à la cour de :

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce,

A titre principal :

- constater que les relations entre les sociétés Exand holding et Uzik social ont duré moins de trois ans et que le préavis de trois mois dont a bénéficié Uzik social était suffisant pour lui permettre de se réorganiser, la rupture des relations n'étant par conséquent aucunement fautive ;

- constater que le préavis de trois mois dont a bénéficié la société Uzik social était en tout état de cause suffisant pour rompre les relations nouées entre les parties, y compris en prenant en compte la durée des relations nouées avec la société Uzik social, compte tenu de la faible part que représente André dans le chiffre d'affaires de l'appelante, de la diversification de son portefeuille de clients et sa faculté à se reconvertir rapidement ;

Par conséquent :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Uzik social de toutes ses demandes, fins et conclusions au titre d'une prétendue rupture brutale de relations commerciales établies ;

à titre subsidiaire :

- constater que la société Uzik social est défaillante dans la charge de la preuve qui lui incombe de la marge brute fantaisiste qu'elle allègue et partant du quantum de son préjudice ;

Par conséquent :

- débouter la société Uzik social de toutes ses demandes, fins et conclusions au titre d'une prétendue rupture brutale de relations commerciales établies ;

En tout état de cause :

- condamner la société Uzik social à verser à exand holding la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- et la condamner aux entiers dépens.

Il y a lieu de clôturer l'instruction de l'affaire.

SUR CE, LA COUR,

Sur la rupture des relations commerciales établies

Aux termes de l'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Le champ d'application de ce texte requiert des relations commerciales établies, soit une relation commerciale entre les parties qui revêtait avant la rupture un caractère suivi, stable et habituel et dans laquelle la partie victime de la rupture pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

En l'espèce, le tribunal a justement apprécié que les parties s'accordaient sur le caractère établi de leurs relations commerciales tout en divergeant sur sa durée, Exand Holding faisant valoir que les prestations assurées par Uzik et Uzik social n'étaient pas les mêmes et avaient perduré parallèlement.

Il ressort des extraits du registre du commerce et des sociétés d'Uzik, société par actions simplifiée créée le 1er juin 2005 et de Uzik social, société à responsabilité limitée créée le 7 janvier 2015, ainsi que des statuts de cette dernière, que Uzik social est la filiale à 100 % de Uzik.

Par ailleurs, contrairement à ce qu'indique Exhand Holding, il résulte du relevé de facturation produit (pièce 4 Uzik) que les relations commerciales entre les parties ont tout d'abord concerné Uzik ; selon le tableau repris dans les conclusions d'Uzik et non contesté par l'appelante, elles ont débuté en 2010. À compter de 2016, la facturation destinée à la société André concerne exclusivement Uzik social. Néanmoins, sur l'ensemble de la période, avant comme après 2016, les prestations ont été identiques : animation, shooting, maintenance et médias. Ainsi comme l'a à juste titre jugé le tribunal de commerce, les relations anciennement entretenues par André avec Uzik se sont poursuivies avec sa filiale Uzik social à partir de 2016. L'appelante ne peut d'ailleurs, sans se contredire, avancer que Uzik et Uzik social lui ont fournies des prestations différentes sur les mêmes périodes, alors qu'elle n'a délivré de préavis pour la rupture des relations commerciales qu'à l'égard de la première. Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Quant aux circonstances de la rupture, l'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou son insuffisance, le préavis devant s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, et des circonstances prévalant au moment de la notification de la rupture, susceptibles d'influencer le temps nécessaire pour le redéploiement de l'activité du partenaire victime.

En l'espèce, André a informé Uzik social de la probable rupture de leurs relations commerciales en suite d'une cession de la marque par courrier du 26 mars 2018 par lequel elle a offert un préavis de 3 mois. Par courriel du 3 juillet 2018, elle a confirmé la cession et la fin de leur collaboration.

Ainsi, les relations commerciales entre les parties ont duré huit années. Toutefois, Uzik ne peut présenter l'indemnisation de la rupture des relations commerciales établies comme devant être strictement proportionnelle à la durée des relations, le préjudice subi dépendant également du marché dans lequel les parties évoluent, de l'importance financière, du caractère substituable ou non de la relation pour la partie qui subit la rupture, ainsi que d'un éventuel état de dépendance économique.

En l'espèce aucun état de dépendance économique n'est invoqué. La cour relève au demeurant qu'Uzik, qui vient aux droits d'Uzik social dissoute en décembre 2020, ne produit aucune pièce sur son organisation interne en 2018 et se contente d'affirmer que les prestations fournies à André par Uzik depuis 2010 ont été reprises en 2016 par Uzik social, « en raison d'une réorganisation interne du groupe impliquant une réaffectation des différentes activités entre les filiales » sans s'expliquer sur cette répartition. D'ailleurs, comme il a été vu, Uzik social, bien que son activité apparaisse plus restreinte au registre du commerce et des sociétés (« programmation informatique ») que celle d'Uzik, a repris l'ensemble des prestations d'agence de communication multimedia pour André, avant, fin 2014, de céder à nouveau toute son activité à Uzik. Enfin, Uzik fournit au soutien de ses prétentions, les seuls chiffres et références de Uzik, sans identifier l'activité particulière d'Uzik social, la distinction entre la filiale et la société mère n'étant ainsi pas opérée. C'est donc la situation d'Uzik qui sera examinée.

Si Uzik allègue que la société André représentait 10 % de son chiffre d'affaires, l'attestation du commissaire aux comptes produite pour les années 2015 à 2017 fait plus précisément ressortir une part maximale de 7 % des prestations facturées à André dans son chiffre d'affaires (pièce 3 Uzik).

Par ailleurs, Uzik se classait en 2018 parmi les agences marketing et digital à « forte notoriété » selon le magazine Décideurs (pièce 10 appelante) et déclarait dans un tweet le 3 janvier 2019 : « la brand experience est le moteur d'Uzik depuis sa création. C'est aussi celui de ses clients qui nous font confiance : Google, Hermès, Spotify, SNCF, Heineken, Accor Hotels, Orange, Youtube Music, L'Oréal, BNP Paribas, Renault, Ubisoft... » (pièce 11 appelante). Son fondateur déclarait au journal Les Echos en avril 2014 : « Etre indépendant nous permet une grande flexibilité et réactivité, d'autant que nous fonctionnons chaque fois en mode projet en déléguant 5 à 10 collaborateurs maximum » évoquant alors la conception du site web du Louvre ou du musée du [sic]. Eu égard à sa notoriété et son mode de fonctionnement ainsi décrit, alors qu'en l'espèce aucune information n'est rapportée sur le nombre de collaborateurs affectés à la communication de la société André, le préavis de trois mois lui permettait de redéployer son activité à l'égard d'autres clients sans difficulté ni préjudice. Quant à l'argument avancé de la « perte d'un client référent pour son image », aucune démonstration ni pièce ne vient l'étayer.

En conséquence, c'est à juste titre que le tribunal de commerce a jugé qu'eu égard à la durée de la relation commerciale, au marché dans lequel évolue Uzik et à la substitualité de la relation concernée, le préavis de 3 mois laissé par Exhand Holding était suffisant. La rupture ne peut donc être qualifiée de brutale.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté Uzik de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture brutale des relations commerciales.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Uzik succombant à l'action, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

Statuant de ces chefs en cause d'appel, il y a lieu, au regard des déboutés réciproques des parties, de laisser à chacune la charge de ses propres dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile et de les débouter en conséquence de leurs demandes au titre des frais irrépétibles, en application de l'article 700 du même code.

PAR CES MOTIFS,

Clôture l'instruction de l'affaire,

Confirme le jugement,

Y ajoutant,

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens,

Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.