CA Aix-en-Provence, ch. 1 sect. 1, 30 novembre 2021, n° 19/02552
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brue
Conseillers :
Mme Demont, Mme Perez
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Vu l'assignation du 17 novembre 2016, par laquelle Monsieur Dominique D. a fait citer, Monsieur Jon C., devant le tribunal de grande instance de Tarascon.
Vu le jugement rendu le 17 janvier 2019, par cette juridiction, ayant débouté Monsieur Dominique D. de ses demandes et l'ayant condamné à payer à Monsieur Jon C. la somme de 2 500 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
Vu la déclaration d'appel du 13 février 2019, par Monsieur Dominique D., sollicitant de la cour de :
Vu les conclusions transmises le 5 septembre 2019 par l'appelant sollicitant de la cour de :
Vu les articles :
- 1101 et suivants du code civil
- 1134 et 1147 du code civil
- 1602 et suivants du code civil
- 1641 et suivants du code civil
- Vu l'article 143 et les articles 232 et suivants du code de procédure civile,
Vu le jugement du 17 janvier 2019,
Vu les pièces,
Réformer le jugement querellé en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné à la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 outre les entiers dépens.
Et, statuant à nouveau :
A titre principal :
Dire et juger que la voiture de collection type Jaguar XK120 est atteinte de vices cachés.
Désigner tel expert qu'il plaira à la juridiction de céans, autre que M. Claude M., avec pour mission :
- D'examiner le véhicule litigieux,
- Décrire les non-conformités notamment en ce qui concerne l'absence d'authenticité de la culasse et de la planche de bord,
- Décrire les anomalies liées à l'absence des serrures de portes et des phares tripodes pourtant inclus dans la transaction,
- Déterminer la valeur réelle du véhicule en tenant compte de ces vices, et par voie de conséquence fixer le montant de la restitution partielle du prix à la charge de M. C.
- Fournir tous éléments d'évaluation des troubles de jouissance.
Condamner M. C. à lui restituer la somme ainsi arbitrée par l'expert.
À titre subsidiaire :
Constater l'insuffisance du rapport judiciaire rendu par M. M..
Designer tel expert qu'il plaira à la juridiction de céans, autre que M. Claude M., avec pour mission celle ci-dessus décrite, sauf à la parfaire ou à la compléter, avec la possibilité pour celui-ci de s'adjoindre si nécessaire les services d'un sapiteur.
À titre infiniment subsidiaire : dire et juger que M. C. a manqué à son obligation de délivrance conforme du véhicule.
Condamner en conséquence M. C. à lui régler les sommes de :
- 50 000 € correspondant à la perte de valeur vénale du véhicule du fait de l'inauthenticité des pièces (culasse, tableau de bord, etc..) conformément au rapport C.,
- 1 237 € correspondant au coût de fabrication des serrures,
- 1 908 € correspondant au coût de l'achat de deux réflecteurs conformes à la construction d'origine,
- 3 367 €, pour la mise en conformité du tableau de bord,
- 2 695 €, pour les frais liés à la culasse
- 9 000 €, en réparation du préjudice moral et du préjudice de jouissance dus à la non-conformité de la culasse,
En tout état de cause :
Condamner Monsieur Jon C. à la somme de 3 000€, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamner Monsieur Jon C. aux entiers dépens.
Monsieur Dominique D. estime que l'expert judiciaire M. n'a pas répondu aux questions comprises dans sa mission, se contentant de conclure à l'absence de vices cachés, dès lors que l'acquéreur a pu examiner le véhicule y compris les pièces mécaniques et que celui-ci n'était pas roulant. Il lui reproche de ne pas avoir retenu la modification des numéros de série pourtant signalée par les autres experts, notamment Monsieur V.. Il observe que le châssis et le moteur portent le même numéro de série que la culasse datant de 1957 et affirme qu'il n'était pas possible de constater cette situation lors de l'examen du véhicule avant la vente qui est intervenue sans démontage du bloc-moteur.
Il fait valoir que l'authenticité des pièces d'origine était un élément déterminant de la transaction compte tenu de l'âge et du prix du véhicule, dont le caractère roulant n'était pas exigé, compte tenu des travaux de restauration devant être réalisés. Il soutient que le point de départ du délai de prescription de l'action doit être fixé au dépôt du rapport de Monsieur C. le 2 décembre 2012, ayant permis d'avoir une connaissance certaine du vice.
Monsieur Dominique D. invoque subsidiairement la garantie pour délivrance non conforme, dès lors qu'il est établi que la culasse datait de 1957, alors que le descriptif lui ayant été transmis avant la vente ne le précisait pas et que cet élément est fondamental pour un véhicule de collection de ce prix.
Vu les conclusions transmises le 12 janvier 2021, par Monsieur Jon C., sollicitant la confirmation du jugement et la condamnation de Monsieur Dominique D. à lui payer la somme de 4500 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.
Il soutient que :
- l'action fondée sur l'existence d'un vice caché est prescrite, dès lors que les défauts ont pu être constatés dès la livraison du véhicule, le 26 février 2012.
- que toute discussion sur l'authenticité de la culasse, à savoir 1949 ou 1957, apparaît totalement vaine, sur le fondement du vice caché, puisque l'usage du véhicule dans son ensemble doit être pris en considération, alors qu'il n'était pas roulant.
- sur l'obligation de délivrance conforme, il n'a jamais été indiqué avant la vente que la culasse était d'origine et que l'acquéreur a pu l'examiner avant la vente.
- L'absence de certaines pièces n'a pas été invoquée dès la livraison, même si la lettre de voiture porte la mention « sous réserve du contrôle des pièces ».
- Il n'est pas certain que les pièces examinées un an plus tard par Monsieur C. et encore postérieurement par les autres experts, dont l'expert judiciaire en 2015, correspondent à celles qui étaient montées sur le véhicule vendu, Monsieur D. ayant lui-même indiqué avoir acheté et fait remanier une autre culasse en 2014.
- L'authenticité du châssis a été démontrée.
- Les conclusions des experts amiables ont été remises en cause par l'expert judiciaire choisi par les parties, spécialisé dans les véhicules de collection.
- L'acquéreur a pu examiner le tableau de bord avant l'achat, excluant tout vice caché ou défauts de conformité sur ce point.
- L'acquéreur a attendu trois ans après la livraison pour signaler l'absence de serrures et de phares.
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 28 septembre 2021.
SUR CE
Le 19 novembre 2011, Monsieur Dominique D. a acquis au Royaume Uni, de Monsieur Jon C., un véhicule Jaguar XK 120 roadster caisse aluminium, année 1949, châssis 0043, moteur W-1088-7 3,5litres, culasse W-1088-7 DG7147, ce par l'intermédiaire de Monsieur D., restaurateur de véhicules anciens et en présence de Monsieur P., carrossier spécialiste de la marque, venu l'assister. Le prix de 180 000 € a été réglé par deux chèques, ainsi que la cession d'un véhicule Jaguar XK120 coupé restaurée en 2008, d'une valeur de 130 000 €.
Il expose qu'à la suite de la livraison par un transporteur mandaté par le vendeur, Monsieur P., chargé de la restauration de la voiture a constaté :
- l'absence d'authenticité de la culasse,
- l'absence de pièces d'origines incluses dans la transaction (phares tripodes, serrures),
- la non-conformité de l'instrumentation de la planche de bord
Monsieur D. précise que dans un rapport établi le 2 décembre 2012, Monsieur C. historien de l'automobile a confirmé ces désordres et évalué le préjudice à 50 000 €.
Il ajoute que le rapport établi le 28 octobre 2013 par le cabinet Auto Expertise Conseil désigné par son assureur de protection juridique après avoir convoqué Monsieur C. par lettre recommandée avec avis de réception lequel n'a pas déféré observe notamment :
- Sur le chassis que le numéro frappé à froid sur la partie avant montre bien une frappe non d'origine, que le second numéro sur la gauche du châssis a été meulé et que les 2 embouts du châssis ont été remplacés par ceux d'une XK120 coupé.
- Sur le moteur que le vilebrequin et la culasse ne sont pas d'origine
- L'absence des serrures de portes et des phares tripodes inclus dans la transaction
- Que l'instrumentation de la planche de bord n'est pas conforme.
Et évalue le préjudice à environ 9 000 €.
Aux termes de l'article 12 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
L'analyse des réclamations formulées par Monsieur D. permet de constater qu'il ne vise pas des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, dès lors qu'il est précisé par le vendeur dans son attestation de vente datée du 19 novembre 2011 que la voiture est en cours de restauration et qu'elle n'est pas roulante, mais essentiellement des défauts de conformité.
Il n'y a donc pas lieu de retenir le fondement de la garantie des défauts cachés. Le débat sur la prescription de l'action engagée de ce chef n'a ainsi pas d'objet. Les demandes de Monsieur D. fondées sur ce texte sont donc rejetées.
La facture établie le 19 novembre 2011 par Monsieur Jon C. mentionne un véhicule Jaguar XK 120 numéros, de châssis 67 000 43, moteur W 1088-7, carrosserie F 1067, boîtes de vitesses JH 913, date de fabrication 30 novembre 1949.
Avec deux expertises amiables, des observations par un spécialiste des véhicules de ce type, Monsieur V. et une expertise judiciaire, la cour dispose d'éléments suffisants, pour apprécier l'exécution par le vendeur de son obligation de délivrance.
Compte tenu de l'ancienneté des faits et des modifications ayant pu intervenir depuis lors sur la voiture litigieuse il n'apparaît pas opportun d'ordonner une nouvelle expertise judiciaire.
Le rapport établi le 28 octobre 2013, par le cabinet auto expertise conseil désigné par GMF protection juridique, assureur de Monsieur D. conclut que :
- La Jaguar XK 120 roadster caisse aluminium acquise par Monsieur D. est bien authentique, mentionnant que son châssis est d'origine et que des modifications ont été réalisées à l'avant du châssis à la suite d'un choc avant, par la pose de pièces provenant d'une XK 120 coupé.
- La carrosserie est vraisemblablement d'époque même si sa plaque d'identification est absente sur le tablier.
- Le moteur qui possède le numéro annoncé est d'origine, sauf en ce qui concerne le vilebrequin et la culasse, provenant d'une Jaguar XK 150 SE dont le numéro a été refrappé.
Il apparaît que Monsieur C. consulté par le demandeur n'a pas fait état de la réparation du châssis à l'avant du véhicule.
Les photographies produites et non contestées révèlent que des caissettes contenant les serrures et les phares tripodes spécifiques au véhicule étaient joints à celui-ci.
Il apparaît qu'elles ont été prises en compte par le transporteur et que lors de la livraison, Monsieur D. a mentionné expressément, sur la lettre de voiture des réserves sur les pièces.
Il résulte de ces éléments que la délivrance n'a pas été conforme en ce qui concerne la culasse, et les pièces qui devaient être livrées en annexe.
Au vu des observations et évaluations données par Monsieur C., spécialiste de ce type de véhicule, consulté par le demandeur et par l'expert amiable mandaté par la compagnie d'assurance de l'appelant, le préjudice matériel de l'acquéreur doit être évalué à la somme de 5 840 €, correspondant au coût d'achat ou de fabrication des pièces concernées.
Aucune indemnisation ne peut être réclamée en ce qui concerne le tableau de bord qui était visible au moment de l'achat.
Il en est de même pour la perte de valeur dès lors que des pièces conformes seront montées sur le véhicule.
Compte tenu du prix et de la rareté du véhicule, le préjudice moral et de jouissance subi du fait de la privation des pièces conformes sera indemnisé par la somme de 4 000 €, à titre de dommages-intérêts.
Le jugement est infirmé.
Il y a lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
La partie perdante est condamnée aux dépens, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déboute Monsieur Dominique D. de ses demandes fondées sur la garantie des défauts cachés.
Dit que Monsieur Jon C. a partiellement manqué à son obligation de délivrance,
Condamne Monsieur Jon C. à payer à Monsieur Dominique D. les sommes de :
- 5 840 €, en réparation de son préjudice matériel.
- 4 000 € en réparation de son préjudice de jouissance et moral.
Y ajoutant,
Condamne Monsieur Jon C. à payer à Monsieur Dominique D. ,la somme de 2 000 €, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.