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Décisions

Cass. com., 1 décembre 2021, n° 20-19.113

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Défendeur :

La Redoute (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Comte

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Alain Bénabent, SCP Delvolvé et Trichet

T. com. Lille Métropole, du 20 mars 2018

20 mars 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 juin 2020), M. [Y] a travaillé comme photographe pour la société de vente par correspondance La Redoute depuis 1991.

2. Reprochant à la société La Redoute une rupture brutale de la relation commerciale établie, sans lettre de rupture et sans préavis, au mois de novembre 2015, M. [Y] l'a assignée en réparation de son préjudice.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. [Y] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :

« 1°) que le fait de rompre une relation commerciale établie, sans préavis tenant compte de la durée des relations commerciales, constitue une rupture brutale engageant la responsabilité de son auteur ; que la cour d'appel a relevé que la société La Redoute avait, à partir de 2015, cessé de passer toute commande de photos auprès de M. [Y] sans pour autant constater que celle-ci lui avait préalablement notifié la rupture en lui laissant un préavis suffisant ; qu'il en résultait que la société La Redoute avait brutalement rompu la relation commerciale établie avec M. [Y] depuis vingt-cinq ans ; qu'en retenant l'inverse, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ;

2°) que la rupture d'une relation commerciale établie doit être notifiée de manière non équivoque et être précédée d'un préavis suffisant ; qu'en relevant, pour exclure le caractère brutal de la rupture de la relation commerciale établie avec M. [Y], que la société La Redoute lui avait indiqué, dans une lettre du 26 février 2013, que le niveau des commandes de photos pour les catalogues serait susceptible" d'être réduit à partir de janvier 2014 et qu'il lui paraissait important d'assurer à son partenaire un délai de prévenance optimal afin de lui permettre de lancer une démarche de recherche d'autres clients ou encore que par une lettre du 19 novembre 2014, la société La Redoute avait annoncé à M. [Y] que le niveau des commandes de "shoots photos" allait être réduit à partir de 2015, cependant que ces lettres ne faisaient nullement état d'une intention claire et non équivoque de la société La Redoute de mettre un terme définitif à la relation commerciale établie avec M. [Y] depuis vingt-cinq ans, ni d'un délai de préavis défini, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ;

3°) que le caractère prévisible de la rupture d'une relation commerciale établie n'exclut pas son caractère brutal si elle ne résulte pas d'un acte du partenaire manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis ; qu'en affirmant que le changement radical dans les prestations commandées", ayant conduit la société La Redoute à mettre un terme à toute commande de photos à partir de 2015, n'était pas imprévisible", la cour d'appel a statué par un motif impropre à exclure la brutalité de la rupture de la relation commerciale établie avec l'exposant, en violation de l'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ;

4°) que à moins qu'elles soient constitutives d'un cas de force majeure, les difficultés économiques rencontrées par un opérateur économique ne dispensent pas ce dernier, lorsqu'il décide de mettre un terme aux relations commerciales établies avec un partenaire commercial, de l'obligation de lui notifier préalablement la rupture et de lui laisser un délai de préavis suffisant eu égard à la durée de leurs relations ; que pour exclure le caractère brutal de la rupture de la relation commerciale établie avec M. [Y], la cour d'appel s'est fondée sur la baisse de chiffre d'affaires subie par la société La Redoute à compter de l'exercice 2004-2005 ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser en quoi cette baisse de chiffre d'affaires constituait un cas de force majeure, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ;

5°) que la partie qui conclut à la confirmation du jugement entrepris sans énoncer de moyen nouveau est réputée s'en approprier les motifs, de sorte que la cour d'appel qui infirme ce jugement doit en réfuter les motifs déterminants ; qu'au cas d'espèce, pour infirmer le chef du jugement ayant jugé que la société La Redoute avait rompu de façon brutale les relations commerciales établies avec M. [Y], dont ce dernier sollicitait la confirmation, la cour d'appel a retenu que la remise en question, à compter de 2015, de la totalité des prestations attachées à la réalisation des catalogues imprimés s'expliquait par le changement de modèle économique dans la vente à distance, davantage tournée vers la vente en ligne ; qu'en statuant ainsi, sans réfuter les motifs des premiers juges suivant lesquels l'évolution des techniques de communication ne constituait pas un cas de force majeure justifiant une rupture immédiate de la relation, la cour d'appel a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile ;

6°) que la notification de la rupture de la relation commerciale établie assortie de l'octroi d'un préavis suffisant doit être préalable à la rupture et implique le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures pendant la durée du préavis ; qu'en affirmant que la circonstance que La Redoute ait écrit à M. [Y] la lettre du 8 mai 2016 prévoyant la fin des relations commerciales au 31 décembre 2017, alors que les commandes avaient déjà cessé depuis plusieurs mois" était indifférente", cependant qu'elle caractérisait, tout au contraire, la brutalité de la rupture à défaut, précisément, d'avoir été précédée d'une notification assortie d'un délai de préavis suffisant, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. »

Réponse de la Cour

4. L'arrêt relève d'abord que, de 2008 à 2013, la société La Redoute a connu un résultat d'exploitation annuel très fortement déficitaire atteignant, pour l'année 2013, 85 millions d'euros, que son effectif moyen est passé de 5 153 à 2 612 salariés et que son chiffre d'affaires annuel était de 1 172 187 600 euros en 2010 puis de 1 025 531 400 euros en 2012. Il retient que ces baisses sont dues à la crise du modèle économique de la vente par correspondance au moyen d'un « catalogue papier », qui faisait l'objet d'investissements coûteux, notamment en photographies soignées pour la présentation des articles, incluant un nombre significatif des clichés à forte valeur ajoutée, avec mise en situation élaborée des marchandises. L'arrêt constate ensuite que la société La Redoute a informé M. [Y], par lettres des 26 février 2013 et 19 novembre 2014, que le contexte économique imposait une réduction du nombre de photographies destinées au « catalogue papier » et un développement des photographies destinées au site internet, la société La Redoute ayant quitté un modèle économique obsolète de vente à distance, entré dans une crise grave de nature à entraîner la disparition de l'entreprise et fondé sur un coûteux catalogue imprimé, pour se tourner vers un autre modèle de vente à distance fondé sur l'internet. Il relève encore que lors d'un entretien du 3 décembre 2015, la société La Redoute a demandé à M. [Y] de réaliser une prestation différente de l'année précédente, en s'alignant sur une offre concurrente, ce qu'il a refusé, proposant un niveau de prix peu compétitif. Il relève enfin que M. [Y] ne bénéficiait d'aucune clause d'exclusivité ni d'aucun engagement sur le niveau des commandes.

5. En l'état de ces seules constatations et appréciations, faisant ressortir que la société La Redoute, qui avait procédé à des ruptures partielles dûment annoncées et qui n'a totalement rompu la relation qu'après que son partenaire avait refusé de s'adapter aux nouvelles exigences du marché sur lequel elle intervenait, et dès lors que le partenaire commercial n'a pas un droit à une relation inchangée et ne peut refuser toute adaptation commandée par l'évolution économique, la cour d'appel a pu retenir, sans avoir à caractériser les éléments constitutifs de la force majeure, que l'arrêt des commandes de photographies destinées au « catalogue papier » par la société La Redoute à M. [Y], inhérente à un marché en crise, n'engageait pas la responsabilité de celle-ci.

6. Le moyen, inopérant en ses première, deuxième, troisième, cinquième et sixième branches, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.