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Décisions

CA Poitiers, 1re ch. civ., 30 novembre 2021, n° 19/02257

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Arcade (SARL)

Défendeur :

Patrick Congal Consulting (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Monge

Conseillers :

M. Orsini, M. Maury

T. com. La Rochelle, du 2 sept. 2016

2 septembre 2016

EXPOSÉ :

La S.A.S. Patrick Congal Consulting a conclu le 2 juillet 2014 avec la société Arcade un contrat d'agent commercial. Cette convention prenait la suite d'un précédent contrat d'agent commercial conclu en 2010 par Patrick CONGAL exerçant à titre individuel.

La société Patrick Congal Consulting a notifié à la société Arcade le 6 février 2015 sa décision de résilier le contrat au motif qu'elle n'était plus à même de l'exécuter, puis l'a fait assigner devant le tribunal de commerce de La Rochelle, par acte du 8 avril 2015, en paiement de l'indemnité compensatrice prévue par l'article L. 134-12 du code de commerce.

La défenderesse s'y est opposée et a sollicité reconventionnellement remboursement d'un trop versé et production forcée du registre des mandats et du listing des ventes.

Selon jugement du 2 septembre 2016, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de La Rochelle a :

* condamné la société Arcade à payer à la société Patrick Congal Consulting

 36 612 euros avec intérêts au taux légal à compter du 08.04.2015 au titre de l'indemnité

 3 750 euros au titre de sa commission en souffrance sur le contrat Le Roch/SCI Albatros

* condamné la société Arcade aux dépens, ainsi qu'à payer à la société Patrick Congal Consulting        2 500 euros d'indemnité de procédure en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, la juridiction consulaire a retenu, en substance, que la société Arcade avait privé l'agent commercial des moyens d'exécuter sa mission et qu'elle avait méconnu la législation, en l'astreignant à effectuer des heures de permanence à l'agence ce qui le privait de la liberté de mouvement nécessaire à l'exécution de sa tâche et était contraire à l'objet du contrat, et en lui ayant supprimé au début du mois de janvier 2015 le libre accès à ses locaux dont elle lui avait repris les clés, ce qui le privait partiellement des informations nécessaires à l'exécution de son mandat.

La société Arcade a relevé appel le 25 octobre 2016. Elle a saisi le Premier Président de la cour d'appel d'une demande d'arrêt de l'exécution provisoire dont elle a été déboutée par ordonnance du 26 janvier 2017.

L'affaire a été radiée du rôle de la cour par ordonnance du conseiller de la mise en état du 3 juillet 2017 pour cause d'inexécution.

Par ordonnance du 9 octobre 2018, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de la société Arcade tendant à la réinscription de l'affaire au rôle de la cour, au motif qu'elle ne justifiait pas du paiement de l'intégralité des sommes restant dues au principal.

La société Arcade a signifié des conclusions le 2 juillet 2019 pour solliciter la réinscription au rôle de l'affaire, en y indiquant avoir exécuté le montant principal des condamnations au moyen d'un règlement de 34 148, 54 euros complétant un premier paiement antérieur de 10 589, 78 euros, soit au total 44 738, 32 euros.

L'affaire a été réinscrite au rôle le 2 juillet 2019 sous le numéro de RG 19/2257.

Par arrêt confirmatif rendu sur déféré le 26 janvier 2021, la cour a déclaré irrecevable pour cause de tardiveté l'exception de péremption d'instance soulevée par la société Patrick Congal Consulting.

Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique :

* le 19 août 2021 par la société Arcade

* le 2 octobre 2019 par la société Patrick Congal Consulting.

La SARL Arcade demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et

- de débouter la société Patrick Congal Consulting de l'ensemble de ses demandes

- d'accueillir sa propre demande reconventionnelle

- de condamner l'intimée à lui payer13.124 euros au titre d'un trop perçu sur 6 dossiers

- de condamner la société Patrick Congal Consulting à lui payer 5.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice lié à la rupture sans préavis du contrat

- de lui donner acte à elle-même de ce qu'elle offre de consigner la somme de 750 euros qui lui est réclamée au titre de la commission sur le dossier Le Roch-Sci Albatros

- d'enjoindre à la société Patrick Congal Consulting de verser aux débats le registre des mandats et listing de ses ventes sur la période de février 2015 à mars 2016 où elle travaillait avec l'agence Arthur Immo à Aytré

- d'ordonner le retrait de la pièce n° 13 de l'intimée obtenue de manière illicite

- de condamner la société Patrick Congal Consulting aux dépens, et au paiement d'une indemnité de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle conteste catégoriquement l'existence d'une permanence obligatoire dans ses locaux des agents commerciaux, dont l'intimée, exposant qu'une plage horaire d'une demi-journée leur était attribuée à chacun afin de leur permettre de capter des prospects rentrants et de téléphoner à l'agence, ce dont tous étaient demandeurs. Elle se prévaut à cet égard de l'attestation établie par un autre agent commercial, et du témoignage de sa secrétaire confirmant que la société Patrick Congal Consulting était tout à fait volontaire pour ces affectations d'horaires. Elle indique que l'accès de ses locaux restait ouvert à l'intimée après qu'elle lui avait demandé de rendre les clés, qu'elle n'avait plus besoin de détenir puisqu'elle ne souhaitait plus être affectée dans les plannings.

Elle s'oppose aux demandes adverses en objectant que la résiliation du contrat incombe à la société Patrick Congal Consulting.

Elle réclame 5 000 euros de réparation du préjudice qu'elle a subi en raison d'une rupture du contrat faite sans motif et sans préavis.

Elle assure avoir une créance de trop versé au titre des commissions, car elle lui a payé des commissions sur mandat alors qu'elle aurait dû procéder aux paiements sur la vente effective car les remises consenties par l'agent commercial devaient s'imputer sur sa commission, en moins prenant.

Elle admet rester devoir 750 euros à l'intimée sur le dossier Le Roch/Sci Albatros.

Elle demande à la cour d'ordonner la production par l'intimée de son registre des mandats et du listing de ses ventes sur la période de février 2015 à mars 2016 où elle travaillait avec l'agence Arthur Immo, afin de vérifier le respect de la clause de non-détournement de clientèle.

Elle considère que la pièce adverse, constituée d'un tableau des commissions interne et confidentiel, a nécessairement été obtenue de manière illicite, et doit être écartée des débats.

La SAS Patrick Congal Consulting sollicite la confirmation du jugement entrepris et 3 000 euros d'indemnité de procédure.

Elle maintient au vu des constatations réalisées par huissier de justice que la société Arcade imposait à ses agents commerciaux, dont elle, d'effectuer des permanences à son agence plusieurs fois par semaine, y compris certains samedis, lorsque l'unique secrétaire ne travaillait pas. Elle fait valoir que tant le syndicat national des professionnels immobiliers que la jurisprudence considèrent qu'une permanence en agence est totalement exclue de la part d'un agent commercial, de par l'atteinte à son indépendance qu'elle implique, au point qu'elle peut même fonder une requalification du contrat en contrat de travail.

Elle affirme avoir été entravée dans l'exécution de son mandat lorsque le gérant d'Arcade lui a demandé par mesure de rétorsion début janvier 2015 de rendre les clés lorsqu'elle signifia son refus des permanences obligatoires, soutenant qu'il s'agissait de la part de sa cocontractante d'un manquement au devoir réciproque d'information et à l'obligation de loyauté.

Elle détaille le calcul de sa créance d'indemnité compensatrice, égale à deux années de commissions brutes calculées sur la moyenne des années 2012, 2013 et 2014.

Elle réfute tout trop perçu en invoquant le tableau des commissions, qu'elle conteste avoir obtenu de façon illicite en affirmant l'avoir reçu d'Arcade elle-même.

L'ordonnance de clôture est en date du 2 septembre 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Il résulte de l'article L. 134-1 du code de commerce, tel qu'interprété à la lumière de l'article 1er paragraphe 2 de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986, que l'agent commercial est une personne, physique ou morale qui, à titre de profession indépendante, sans être liée par un contrat de louage de services, est chargée, de façon permanente, de négocier, et éventuellement de conclure, des contrats de vente, d'achat ou de prestation de service au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux, quoiqu'il ne dispose pas du pouvoir de modifier les prix de ces produits ou services ou les conditions des contrats conclus par le mandant.

L'indépendance constitue, pour un agent commercial, une condition nécessaire à l'exercice de son activité.

Le contrat conclu entre les parties stipule d'ailleurs (cf pièce n° 2 de l'appelante, page 3) que le mandataire organise son activité comme il l'entend ; qu'il n'a pas à informer le mandant de ses absences ; qu'il n'est pas tenu à une obligation de présence, d'horaires ; qu'il n'existe entre elles aucun lien de subordination.

Il résulte du constat et de la sommation interpellative dressés le 22 décembre 2014 par l'huissier de justice commis selon ordonnance rendue sur requête le 27 novembre 2014 par le président du tribunal de commerce de La Rochelle, qui les y annexe après en avoir reçu copie de la secrétaire rencontrée dans les locaux de la société Arcade, que les agents commerciaux, dont Patrick CONGAL, accomplissaient chacun à tour de rôle des permanences au siège de la société, plusieurs demi-journées par semaine, chaque semaine de l'année et ce, au moins depuis quatre ans à la date de ce constat, selon cette secrétaire, qui a indiqué avoir toujours connu ce système de permanences des agents commerciaux dans l'entreprise, où elle travaillait depuis quatre ans, et précisé que ces plannings étaient établis à la demande de son employeur, que c'est elle-même qui les rédigeait, et qu'ils étaient effectivement mis en application.

L'attestation ensuite établie par ce préposé à l'intention de son employeur selon laquelle Patrick CONGAL était volontaire pour ces permanences, de même que celle fournie par un autre agent commercial certifiant pareillement le caractère volontaire de la participation de l'intéressé à ces permanences attribuées par l'agence aux commerciaux, ne remettent nullement en cause ces constatations, non plus que les explications que donne cet agent commercial sur l'intérêt de pouvoir se trouver parfois présent à l'agence, ce qui n'équivaut pas à une obligation de présence.

Quand bien même l'agent commercial pourrait choisir en tout ou partie le créneau horaire de la semaine où il effectue cette permanence, il n'en reste pas moins que celle-ci correspond à une présence durant laquelle il ne peut se livrer à son activité indépendante, et qu'elle est ainsi incompatible avec son statut.

Le syndicat national des professionnels immobiliers ne raisonne pas autrement, en indiquant dans sa notice d'informations éditée en janvier 2011 l'agent commercial en immobilier produite par l'intimée (cf pièce n° 10) qui recense sous la rubrique quel choix pour vos négociateurs : salarié (VRP/non VRP) ou Agent commercial les situations respectives opposées des uns et des autres quant à la question des horaires, le syndicat indiquant pour l'agent commercial "aucun contrôle. Des permanences en agence sont totalement exclues".

Le caractère volontaire de ces permanences s'apprécie, au demeurant, en considération du degré assurément relatif de latitude dont les agents commerciaux pouvaient disposer à l'égard de leur mandant pour s'y refuser le mode d'établissement, par la secrétaire de l'agence immobilière, de ces permanences ; leur caractère systématique ; le terme d' "attribution" employé par le témoin, constituent au demeurant autant d'indices de la faiblesse de cette latitude.

Le tribunal a pertinemment relevé que les permanences correspondaient aux heures d'absence de la secrétaire, unique préposée employée au surplus à temps partiel, ce qui est en effet l'indice que la société Arcade recourait à ces permanences pour tenir ses locaux ouverts en l'absence des salariés et du gérant, qu'une cliente atteste n'y avoir jamais vu lors de ses rencontres à l'agence avec Patrick CONGAL.

De même, lorsque Patrick CONGAL a notifié à son mandant son refus de continuer à prendre sa part de ces permanences, le gérant de la société Arcade en a pris acte par un courrier daté du 6 janvier 2015 dans lequel il qualifie le planning de répartition des prospects entrant dans l'agence, ce qui, au vu du terme utilisé, désignant un client potentiel, corrobore bien davantage un accueil direct de la clientèle dans les locaux de l'agence immobilière, comme le ferait un négociateur salarié, qu'une activité d'agent commercial prospectant pour le compte de l'agence.

Les annotations manuscrites portées sur ce courrier, dont l'appelante entend tirer argument, n'affectent pas ce constat.

Lorsque la SAS Patrick Congal Consulting a notifié à sa mandante qu'elle ne prendrait plus sa part de ses permanences, celle-ci lui a aussitôt demandé de lui restituer les clés de l'agence, dont elle lui limitait ainsi l'accès aux seules heures de présence de la secrétaire à temps partiel ou du gérant, ce qui réduisait les moyens de l'agent commercial d'exercer son activité.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la SAS Patrick Congal Consulting était privée par la société Arcade des moyens d'exécuter son contrat conformément à ce que prévoyait la loi et leur accord.

C'est ainsi à bon droit que le tribunal a jugé que si la société Patrick Congal a certes pris l'initiative de la rupture, celle-ci était justifiée par le comportement du mandant.

Il s'en déduit aussi la confirmation du rejet de la prétention de la société Arcade à obtenir réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi en raison d'une rupture du contrat faite sans motif et sans préavis.

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il condamne la société Arcade à verser à la SAS Patrick Congal Consulting une indemnité de rupture correspondant à deux années de commissions brutes calculées, selon l'usage, sur la base de la moyenne des trois dernières années d'exécution normale du contrat, l'assiette de calcul de cette indemnité étant conforme aux productions et non réfutée.

* sur la demande en paiement par l'agent commercial de sa commission pour l'affaire Le Roch/SCI Albatros la société Arcade ne discute pas le principe de son obligation de payer cette facture, dont le tribunal a pertinemment retenu qu'elle n'était pas fondée à prétendre recalculer le montant motif pris de la remise accordée au client, alors qu'il n'est justifié d'aucun précédent à l'appui de la pratique alléguée, que la société Patrick Congal Consulting justifie au contraire que sa facture est conforme à la pratique suivie par les parties, et que la remise se faisait nécessairement faite avec l'accord de la mandante.

Le jugement sera donc également confirmé en ce qu'il a condamné la société Arcade à payer à la SAS Patrick Congal cette facture pour son montant de 3 750 euros.

* sur la demande d'Arcade en production forcée de pièces

c'est par des motifs pertinents, que la cour adopte et qui demeurent valables en cause d'appel que le tribunal a rejeté cette demande.

* sur la prétention de la société Arcade à être remboursée d'un trop versé la société Arcade maintient en cause d'appel avoir trop versé à la société Patrick Congal Consulting au titre de ses commissions, dans la mesure où elle lui a payé des commissions sur mandat alors qu'elle aurait dû procéder aux paiements sur la vente effective car les remises consenties par l'agent commercial devaient s'imputer sur sa commission, en moins prenant.

Cette affirmation est contredite par le propre tableau des commissions établi par le gérant d'Arcade (pièce n°13 de l'intimée), qui confirme que les commissions étaient calculées conformément à ce qu'indique la SAS Patrick Congal Consulting et à ce qu'elle a reçu, soit 20% pour les affaires entrées et 25% pour les biens vendus, avec cumul éventuel.

Rien ne persuade que cette pièce aurait été obtenue par l'intimée de façon illicite, et elle n'a aucunement à être écartée des débats, ainsi qu'en ont pertinemment décidé les premiers juges.

Cette demande a ainsi été rejetée à raison par les premiers juges.

* sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement déféré condamne à bon droit la société Arcade aux dépens et à une indemnité de procédure.

Succombant en son recours, elle supportera les dépens d'appel et versera à l'intimée une indemnité de procédure au titre des frais irrépétibles exposés par celle-ci devant la cour.

PAR CES MOTIFS

la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

CONFIRME le jugement déféré

ajoutant :

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres ou contraires

CONDAMNE la SARL Arcade aux dépens d'appel

LA CONDAMNE à payer 3.000 euros à la SAS Patrick Congal Consulting en application de l'article 700 du code de procédure civile.