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Décisions

Cass. 3e civ., 17 juin 2021, n° 19-21.132

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

La commune des Baux-de-Provence

Défendeur :

Cathédrale d'images (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvin

Rapporteur :

Mme Aldigé

Avocat général :

M. Echappé

Avocats :

SCP Delamarre et Jehannin, SCP Delvolvé et Trichet

d'Aix-en-Provence, 1re - 7e ch., du 27 …

27 juin 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 juin 2019), le 25 août 2008, la commune des Baux-de-Provence (la commune), propriétaire de carrières communales données à bail à la société Cathédrale d'images pour l'exploitation d'une activité commerciale d'organisation de spectacles et événements audio-visuels, lui a délivré un congé avec refus de renouvellement, prenant effet le 28 février 2009, sans offre d'indemnité d'éviction.

2. Le 23 avril 2010, la commune a conclu un contrat de délégation de service public avec une autre société avant d'exécuter la mesure d'expulsion de la société Cathédrale d'images ordonnée en référé.

3. La société Cathédrale d'images a assigné la commune en annulation du congé et en paiement d'une indemnité d'éviction, ainsi que d'une indemnité au titre de ses préjudices subis du fait du comportement fautif de la commune.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. La commune fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la locataire la somme de 5 800 000 euros au titre de l'indemnité d'éviction, alors « que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont il sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leur prétention ; qu'en l'espèce la cour d'appel s'est bornée à adopter les motifs des premiers juges sans examiner les pièces susvisées produites par la commune des Baux-de-Provence pour la première fois en appel, à l'appui du moyen relatif à l'évaluation du préjudice ; qu'elle a donc violé le même texte. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

5. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

6. Pour fixer le montant de l'indemnité d'éviction, l'arrêt retient que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge, notamment en se fondant sur une analyse extrajudiciaire réalisée à la demande du preneur, a évalué à juste titre la valeur du fonds de commerce à hauteur de 5 800 000 euros.

7. En statuant ainsi, sans examiner, même succinctement, les éléments de preuve produits par la commune pour la première fois devant elle, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche, du pourvoi incident

Enoncé du moyen

8. La société Cathédrale d'Images fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en condamnation de la commune à lui payer une somme de 1 000 000 euros en réparation de ses préjudices commerciaux, matériels et moraux, subis du fait du comportement fautif de la commune, alors « que le fait de priver fautivement le preneur à bail commercial de son droit au maintien dans les lieux tant que l'indemnité d'éviction n'a pas été intégralement payée cause nécessairement un préjudice au locataire distinct de la perte du fonds de commerce réparé par l'indemnité d'éviction ; qu'en retenant pourtant que le préjudice causé à la société Cathédrale d'images par son éviction irrégulière et l'impossibilité de réintégrer les lieux serait réparé par l'indemnité accordée au titre de la perte du fonds de commerce, la cour d'appel a violé l'article L. 145-28 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

9. La commune conteste la recevabilité du moyen en soutenant qu'il est nouveau et mélangé de fait et droit.

10. Toutefois, ce moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.

11. Il est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 145-14 et L. 145-28 du code de commerce :

12. Selon le premier de ces textes, l'indemnité d'éviction est égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

13. Selon le second, un locataire pouvant prétendre à une indemnité d'éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l'avoir reçue. Jusqu'au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré.

14. Pour rejeter la demande en dommages-intérêts de la société Cathédrale d'images, l'arrêt retient que le préjudice qui a lui été causé, lié à son éviction irrégulière et à l'impossibilité de réintégrer les lieux du fait de la convention de délégation de service public consentie à une autre société, a d'ores et déjà été réparé par l'indemnité d'éviction correspondant à la valeur du fonds de commerce.

15. En statuant, alors que le préjudice né de la perte du droit au maintien dans les lieux jusqu'au paiement de l'indemnité d'éviction est distinct de celui réparé par cette indemnité, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare le congé régulier en la forme et dit que la commune des Baux-de-Provence ne saurait se prévaloir des prétendus motifs graves et légitimes de non renouvellement du bail commercial figurant dans le congé litigieux de telle manière que la société Cathédrale d'images a droit à une indemnité d'éviction, l'arrêt rendu le 27 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence.