Cass. 3e civ., 17 juin 2021, n° 19-26.317
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Défendeur :
SARL le Comptoir d'Epicure (ès qual), Fides (Selarl)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Rapporteur :
M. David
Avocats :
SARL Cabinet Munier-Apaire, SCP Ortscheidt
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 octobre 2019), le 17 mai 2001, M. [T] [M], aux droits duquel viennent MM. [R] et [Q] [M] (les consorts [M]), ont donné en location à la société Le Comptoir d'Epicure des locaux commerciaux à Paris.
2. Le 12 juin 2012, le bail été renouvelé à compter du 1er avril 2011.
3. Les deux baux successifs ont stipulé que la location était consentie en vue de la vente de produits alimentaires de luxe avec, à titre accessoire, dégustation sur place, à l'exclusion de tout autre commerce, profession, activité ou industrie, le preneur s'interdisant d'effectuer toute fabrication et toute cuisson dans les lieux loués.
4. Le 30 décembre 2014, les consorts [M], faisant grief à la société Le Comptoir d'Epicure de se livrer à des activités de restauration, bar et vente de plats à emporter contractuellement interdites, l'ont assignée en résiliation du bail à ses torts exclusifs, expulsion et paiement d'une indemnité d'occupation.
Examen du moyen
Sur le moyen unique pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches, ci-après annexé
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen unique, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
6. La société Le Comptoir d'Epicure fait grief à l'arrêt d'accueillir les demandes du bailleur, alors :
« 1°) que le bail destiné à la « vente de produits alimentaires de luxe » et à la « dégustation sur place » n'oblige pas le preneur à vendre exclusivement des produits alimentaires bruts mais l'autorise à vendre des plats cuisinés, sur place ou à emporter, et ne lui interdit pas de proposer à la dégustation un ensemble de plats pouvant composer un repas ; qu'en jugeant le contraire, pour en déduire que l'exposante n'avait pas respecté la clause de destination du bail, ce qui constituait une violation grave de ses obligations contractuelles justifiant le prononcé de la résiliation du bail à ses torts, la cour d'appel a violé les articles 1134, 1147, 1184, 1728 et 1729 du code civil, dans leur rédaction applicable au litige ;
2°) qu'il est interdit au juge de dénaturer les clauses claires et précises d'un contrat ; que le bail, qui autorise la « vente de produits alimentaires de luxe avec à titre accessoire dégustation sur place » en précisant que « le preneur s'interdit d'effectuer toute fabrication et toute cuisson dans les lieux loués », sans autre précision ni restriction, ne limite pas la vente et la dégustation aux produits alimentaires bruts et n'impose pas que la dégustation porte exclusivement sur les produits proposés à la vente à emporter ; qu'en énonçant que la preneuse n'était pas autorisée aux termes du bail à vendre sur place des plats chauds ou préparés et à faire déguster des produits non proposés à la vente, la cour d'appel a dénaturé la clause contractuelle précitée et ainsi violé le principe susvisé. »
Réponse de la Cour
7. La cour d'appel a retenu, sans dénaturation, par une interprétation souveraine de la clause de destination du bail, que, si la dégustation n'exclut pas l'aménagement d'un espace où le client peut s'asseoir pour goûter des produits de luxe offerts à la vente, elle suppose que soient présentées et servies de petites portions d'un produit non cuisiné exclusives d'un repas, que la clause en litige n'autorise pas la vente de plats chauds ou préparés et que l'interdiction de toute fabrication et cuisson dans les locaux loués ne permet pas la préparation dans un autre lieu des plats vendus en tant que traiteur ou restaurateur.
8. Elle a retenu souverainement qu'il était démontré par les pièces versées aux débats que la locataire exerçait une activité de traiteur et de restaurateur interdite par la clause du bail et que ce manquement, par sa gravité, justifiait la résiliation du bail aux torts de celle-ci.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen unique, pris en ses sixième et septième branches
Enoncé du moyen
10. La société Le Comptoir d'Epicure fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 6°) que pour écarter une renonciation des bailleurs à se prévaloir des faits litigieux comme motifs de résiliation du bail, la cour d'appel ne pouvait affirmer que la circonstance selon laquelle ceux-ci avaient connaissance des activités exercées par le preneur lors du renouvellement du bail en 2012 n'était pas établie, sans répondre aux conclusions par lesquelles ce dernier faisait valoir et justifiait que les cartes détaillant les produits proposés à la clientèle avaient très peu évolué depuis 2002, que les pièces sur lesquelles se fondaient les bailleurs pour invoquer une violation de la destination contractuelle du bail étaient antérieures au renouvellement du bail puisque datées de 2010 et que la personne physique chargée par les bailleurs de gérer les locaux n'avait pas changé malgré le changement de cabinet d'administrateur de biens ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
7°) que le renouvellement du bail par le bailleur en connaissance de l'exercice par le preneur d'une activité non autorisée par le bail constitue un acte manifestant sans équivoque la volonté du bailleur de renoncer à se prévaloir de l'exercice de cette activité comme motif de résiliation du bail ; qu'en énonçant qu'à la supposer établie, la circonstance selon laquelle les bailleurs avaient connaissance des activités exercées par le preneur lors du renouvellement du bail en 2012 était insuffisante à caractériser une renonciation des bailleurs à se prévaloir des faits litigieux comme motifs de résiliation du bail, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction applicable au litige, ensemble le principe selon lequel la renonciation à un droit peut résulter d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer. »
Réponse de la Cour
11. La cour d'appel a retenu que la connaissance par les consorts [H] des activités exercées par la société Le Comptoir d'Epicure lors du renouvellement du bail en 2012 n'était pas établie.
12. Elle en a souverainement déduit, sans être tenue de suivre la locataire dans le détail de son argumentation, ni de s'expliquer spécialement sur les pièces qu'elle décidait d'écarter, que les bailleurs n'avaient pas renoncé à se prévaloir du manquement commis par la locataire.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.