Cass. 3e civ., 30 juin 2021, n° 17-26.348
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Parachute Shop (SA), SCI Cajema (ès qual)
Défendeur :
Love Paradise (EURL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Rapporteur :
M. David
Avocat :
Me Bouthors, SARL Cabinet Munier-Apaire
Faits et procédure
1.Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 4 juillet 2017), le 24 mars 2011, la SCI Cajema et la société Parachute Shop ont donné en location à l'Eurl Love Paradise divers locaux à usage commercial implantés sur trois parcelles cadastrées section AO n° [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3].
2. Un passage goudronné sur la parcelle voisine n° [Cadastre 4], propriété d'un tiers, permettait alors d'accéder en voiture au locaux loués.
3. A la suite de la vente de cette parcelle, son nouveau propriétaire l'a clôturée, obstruant ainsi le passage susvisé.
4. Le 12 novembre 2015, la société Love Paradise a assigné les sociétés Parachute Shop et Cajema en résiliation du contrat à leurs torts exclusifs et en condamnation à lui payer diverses indemnités.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Les sociétés Parachute Shop et Cajema font grief à l'arrêt de prononcer la résiliation du bail à leurs torts exclusifs, de les condamner à payer différentes sommes à la société Love Paradise et de rejeter le surplus de leurs demandes, alors :
« 1°) qu'il est interdit au juge de dénaturer les éléments de la cause ; qu'il ressort du protocole d'accord du 31 décembre 2014 et des écritures respectives des parties que M. [J] était propriétaire d'une part, des parcelles AO n° [Cadastre 1], [Cadastre 2] et [Cadastre 3] qu'il a vendues aux sociétés Parachute Shop et Cajema et sur lesquelles se trouvaient les locaux loués et d'autre part aussi, des parcelles voisines AO n° [Cadastre 5], [Cadastre 6] et [Cadastre 4] qu'il a vendues en 2013 à M. [X] ; qu'en affirmant que la SCI Cajema et l'Eurl Parachute Shop étaient propriétaires de la parcelle AO n° [Cadastre 4] et qu'elles l'avaient vendue en 2013, pour en déduire « qu'elles ne pouvaient en ignorer les conséquences sur l'exécution du contrat de bail » car le nouveau propriétaire avait ensuite pris la décision d'obstruer le passage, quand le protocole d'accord du 31 décembre 2014 et les conclusions des parties s'accordaient sur le fait qu'à l'origine l'ensemble des parcelles appartenaient au même propriétaire, M. [J], qui avait prévu un seul accès pour desservir deux commerces situés, l'un sur la parcelle AO [Cadastre 1] (Parachute Shop), l'autre sur la parcelle AO [Cadastre 4] et que nul n'avait soutenu que les exposantes auraient été propriétaires de la parcelle AO n° [Cadastre 4] ; qu'ainsi, la cour d'appel qui a statué comme elle l'a fait, a dénaturé les termes du litige et a violé de la sorte le principe susvisé et les articles 4 et 16 du code de procédure civile
2°) que le juge est tenu par les termes du contrat ; qu'en l'espèce, le contrat de bail conclu le 24 mars 2011 entre les sociétés Parachute Shop et Cajema et la société Love Paradise, établi par acte notarié, portait sur un bâtiment comprenant au rez-de-chaussée, une entrée, trois bureaux, des vestiaires bureaux, des vestiaires ateliers, garage, stockage, contrôle et atelier, le tout d'une contenance globale de vingt-sept ares neuf centiares et il ne prévoyait ni droit de passage sur la parcelle voisine, ni l'accès par un chemin goudronné, balisé et éclairé d'au moins quatre mètres, car la parcelle louée, longeait la voie publique (plan annexé), de sorte qu'en retenant néanmoins qu'il existait un manquement contractuel de la part des sociétés Parachute Shop et Cajema, lesquelles étaient tenues de mettre à la disposition de la société Love Paradise un tel chemin, au prétexte qu'une décision du juge des référés l'avait ordonné, la cour d'appel, qui a ajouté aux obligations du bail, a violé les articles 1134 et 1719 du code civil, dans leur rédaction applicable en la cause ;
3°) que les sociétés Parachute Shop et Cajema faisant valoir et justifiant, d'une part, par le plan annexé au bail notarié, que les parcelles louées à la société Love Paradise longeaient la voie publique puisqu'elles se trouvaient le long de la [Adresse 3], qu'elles étaient desservies par cette rue et avaient donc un accès direct, ce qui expliquait que le bail n'avait prévu aucun accès particulier, et d'autre part, que la société preneuse occupant les lieux loués tels que décrits à l'acte, la cour d'appel ne pouvait imposer aux bailleresses, en sus des termes de l'acte établi devant notaires, de réaliser un chemin particulier au prétexte qu'une décision rendue en référé puis un juge de l'exécution le leur avait enjoint sous astreinte, sans vérifier s'il existait une voie publique le long des parcelles et si la locataire s'était engagée à prendre les lieux loués dans l'état où ils se trouvaient sans pouvoir exiger aucun travaux quelconque, même s'ils étaient rendus nécessaires par l'activité envisagée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard des articles 1134, 1719 et 1723 du code civil ;
4°) l'obligation du bailleur, prévue au troisième alinéa de l'article 1719 du code civil, de faire jouir paisiblement le preneur de la chose louée pendant la durée du bail n'étant pas de l'essence du contrat de louage, les parties sont libres de la restreindre ; qu'il leur est loisible d'insérer dans un contrat de bail des clauses dispensant le bailleur de certaines des obligations qui seraient normalement à sa charge en vertu de l'article 1719 du code civil ; qu'en l'espèce, le contrat de bail notarié, conclu le 24 mars 2011 entre les sociétés Parachute Shop et Cajema et la société Love Paradise, prévoyait que « le locataire renonce à tous recours en responsabilité ou réclamation contre le bailleur? en cas d'agissements générateurs de dommages des autres occupants de l'immeuble, de leur personnel, fournisseurs et clients, de tous tiers en général, le locataire renonçant notamment à tous recours contre le bailleur sur le fondement du troisième alinéa de l'article 1719 du code civil » ; qu'il ressort aussi des constatations de la cour d'appel que le nouveau propriétaire de la parcelle voisine AO n° [Cadastre 4], M. [X], a obstrué et fermé le chemin que la société Love Paradise utilisait pour accéder à son local commercial, ce qui constituait un acte préjudiciable à la jouissance paisible de celle-ci, du fait de ce tiers ; qu'en cet état, la cour d'appel qui a retenu néanmoins que les bailleresses étaient tenues de mettre un chemin à la disposition de la société Love Paradise pour accéder à son local, cependant que la preneuse avait expressément renoncé à tous recours sur le fondement de l'article 1719 du code civil, la cour d'appel a violé cette disposition, par refus d'application ;
5°) le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motif ; qu'en l'espèce les exposantes faisaient valoir que le bail commercial, notarié, n'avait prévu ni de chemin d'accès particulier, ni de chemin goudronné, balisé et éclairé, car les lieux loués longeaient la voie publique, de sorte qu'aucun passage n'était contractuellement dû et encore moins un passage en voiture jusqu'au bâtiment, la preneuse déclarant expressément qu'elle s'engageait à effectuer tous travaux qu'elle jugerait nécessaire et renonçait à rechercher la responsabilité des bailleresses du fait d'un tiers, que les bailleresses précisaient qu'elles n'avaient rien changé aux lieux loués et qu'elles justifiaient qu'il existait un accès en voiture parfaitement praticable, ainsi que l'avait constaté l'huissier, Me [V] et ainsi que l'avait également constaté la commission de sécurité qui avait vérifié la conformité avec les règles de sécurité et d'accessibilité de l'établissement exploité par la société Love Paradise qui reçoit du public ; qu'en ne répondant pas à ces moyens pertinents, de nature à démontrer l'absence de manquements contractuels de la part des bailleresses d'une part, et l'accès aisé et régulier aux locaux loués, d'autre part, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
6°) qu'en tout état de cause, les conventions doivent être exécutées de bonne foi ; que les sociétés Parachute Shop et Cajema faisaient valoir qu'après avoir délivré la chose louée, elles avaient aussi écrit à l'association Fight Club Fitness qui occupait la parcelle n° [Cadastre 4] pour que M. [X], propriétaire de cette parcelle, permette à nouveau d'emprunter celle-ci et qu'en conséquence, il avait entrepris l'ouverture d'un passage dans le talus qu'il avait réalisé mais que la société Love Paradise s'était opposée à la création de ce passage ; qu'en se bornant à énoncer que les sociétés bailleresses devaient mettre à la disposition de la société Love Paradise un chemin permettant d'accéder à son local commercial de même nature que celui qui existait à l'origine sur la parcelle voisine n° [Cadastre 4], sans rechercher, comme elle y était invitée, si d'un part, il existait un accès propre le long de la voie publique, d'autre part, le procès-verbal et les photos prises par l'huissier, Me [V] démontraient, contrairement à ce que mentionnaient les deux procès-verbaux d'huissier visés par l'arrêt, que la voie d'accès alternative était parfaitement praticable, quel que soit le type de voiture utilisé et si, enfin la société Love Paradise s'était elle-même opposée à l'initiative prise en ce sens de recréer ce passage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1719 du code civil, dans leur rédaction applicable en la cause. »
Réponse de la Cour
6. Il incombe au bailleur de délivrer un local conforme à sa destination tout au long de l'exécution du contrat.
7. D'une part, la cour d'appel a retenu que, d'un procès-verbal de constat d'huissier de justice, conforté par de très nombreux témoignages écrits émanant de clients et de salariés de la société Love Paradise, ainsi que de prestataires de services, tel La Poste, il résulte que, après l'obstruction du passage sur la parcelle n° AO [Cadastre 4], l'accès aux locaux loués est impraticable, voire dangereux, tant à pied qu'en voiture.
8. C'est donc dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve versés aux débats que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes et qui n'était pas tenue de suivre les sociétés Parachute Shop et Cajema dans le détail de leur argumentation, a retenu que, les sociétés bailleresses étaient tenues, au titre de leur obligation de délivrance, de mettre à disposition de la société locataire un autre accès permettant l'exploitation normale du bien donné à bail.
9. D'autre part, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que les clauses du contrat stipulant que le preneur prendra les lieux en l'état et renoncera à tout recours contre le bailleur du fait des dommages causés par des tiers ne déchargeaient pas les sociétés Parachute Shop et Cajema de leur obligation de délivrance.
10. Le moyen, inopérant en sa première branche, n'est donc pas fondé pour le surplus.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
11. Les sociétés Parachute Shop et Cajema font grief à l'arrêt de les condamner à payer différentes sommes à la société Love Paradise, alors « que la cassation d'un chef de dispositif emporte l'annulation, par voie de conséquence, des chefs de dispositif qui sont dans un lien de dépendance nécessaire avec lui ou qui en sont la suite, l'application ou l'exécution ; que la cour d'appel a prononcé la résiliation judiciaire du bail commercial du 24 mars 2011 aux torts exclusifs des sociétés Parachute Shop et Cajema ; qu'en conséquence, la cassation à intervenir sur ce point, sur le fondement du premier moyen de cassation, entraînera l'annulation, par voie de conséquence, du chef de dispositif qui a condamné in solidum les sociétés Parachute Shop et Cajema à payer à la société Love Paradise les sommes de 16 802,18 euros, au titre de la perte des investissements, de 12 722,16 euros en réparation de son trouble de jouissance subi durant la période de septembre 2013 au 2 février 2016, outre les intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2016 et les sommes versées au titre de la taxe foncière pour les années 2013, 2014 et 2015 dans la limite de 20 % des montants payés, outre les intérêts au taux légal à compter du 1er mars 2016 en réparation de son trouble de jouissance subi durant la période de septembre 2013 au 2 février 2016. »
Réponse de la Cour
12. La cassation n'étant pas prononcée sur le premier moyen, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est devenu sans portée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.