TUE, 6e ch., 8 décembre 2021, n° T-623/20
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Sun West, JB Solar, Azimut56
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
A. Marcoulli
Juges :
S. Frimodt Nielsen, C. Iliopoulos (rapporteur)
Avocat :
Me Manna
LE TRIBUNAL (sixième chambre),
Arrêt
Antécédents du litige
1 L’article 10 de la loi no 2000-108, du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité (JORF no 35 du 11 février 2000, p. 2143), prévoit l’obligation pour Électricité de France SA (EDF) et les distributeurs non nationalisés, mentionnés à l’article 23 de la loi no 46-628, du 8 avril 1946, sur la nationalisation de l’électricité et du gaz (JORF no 46-628 du 9 avril 1946), de conclure, lorsque les producteurs intéressés en font la demande, un contrat d’une durée de 20 ans pour l’achat de l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables, à un prix supérieur à celui du marché. Cette disposition a été codifiée à l’article L.314-1 du code de l’énergie.
2 Des arrêtés ministériels fixent les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations bénéficiant de l’obligation d’achat prévue par l’article 10 de la loi no 2000-108. Ces conditions d’achat précisent notamment les tarifs d’achat de l’électricité. En particulier, la République française a adopté les arrêtés ministériels suivants, fixant successivement les conditions d’achat de l’électricité produite par les installations utilisant l’énergie radiative du soleil telles que visées à l’article 2, point 3, du décret no 2000-1196, du 6 décembre 2000, fixant par catégories d’installations les limites de puissance des installations pouvant bénéficier de l’obligation d’achat d’électricité (JORF no 285 du 9 décembre 2000, p. 19550) : celui du 10 juillet 2006 (JORF no 171 du 26 juillet 2006, p. 11133), celui du 12 janvier 2010 (JORF no 0011 du 14 janvier 2010, p. 727), celui du 31 août 2010 (JORF no 0202 du 1er septembre 2010, p. 90), et celui du 4 mars 2011 (JORF no 0054 du 5 mars 2011, p. 8), ce dernier ayant lui-même été abrogé par l’arrêté ministériel du 9 mai 2017, actuellement en vigueur, fixant les conditions d’achat et du complément de rémunération pour l’électricité produite par les installations utilisant à titre principal du biogaz produit par méthanisation de matières résultant du traitement des eaux usées urbaines ou industrielles (JORF no 0109 du 10 mai 2017, p. 21).
3 Bien que les arrêtés ministériels du 10 juillet 2006, du 12 janvier, du 31 août 2010 et du 4 mars 2011 aient été successivement abrogés, des producteurs d’électricité photovoltaïque situés en France continuent à bénéficier des tarifs qui y sont fixés dans la mesure où leurs contrats d’achat d’électricité ont été établis pour une durée de 20 ans.
4 Les requérantes, Sun West, JB Solar et Azimut56, sont des sociétés propriétaires d’installations photovoltaïques en France n’ayant, à ce jour, été ni raccordées au réseau de distribution, ni mises en service. Ces installations photovoltaïques au sol d’une puissance nominale supérieure à 100 kilowatts (kW) ont été construites en 2010. Les requérantes n’ont toutefois pu bénéficier du tarif fixé par l’arrêté ministériel du 12 janvier 2010 compte tenu du retard pris dans l’instruction de leur demande de raccordement au réseau de distribution électrique.
5 Les requérantes ont sollicité l’indemnisation du préjudice qu’elles prétendaient avoir subi du fait du retard pris par le gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité, Enedis SA, dans l’instruction de leur demande de raccordement. Le préjudice résultait notamment de la perte de marge issue de la perte du tarif fixé par l’arrêté ministériel du 12 janvier 2010.
6 Par trois jugements de première instance du 16 octobre 2014, le tribunal de commerce de Nanterre (France) a rejeté leurs demandes en réparation, en l’absence de lien de causalité entre le comportement fautif d’Enedis SA et le préjudice allégué. Saisie par les requérantes, la cour d’appel de Versailles (France) a, par trois arrêts du 5 juillet 2018, infirmé le jugement rendu en première instance. Selon cette juridiction, bien que le lien de causalité soit établi, le mécanisme d’obligation d’achat de l’électricité d’origine photovoltaïque à un prix supérieur à celui du marché et mis à exécution par l’arrêté ministériel du 12 janvier 2010 constituait une aide d’État illégale, faute d’avoir été notifiée à l’avance. Dans ces conditions, le préjudice résultant de la perte de marge issue de la perte du tarif fixé par ledit arrêté ministériel était non réparable.
7 Par arrêt du 18 septembre 2019, la Cour de cassation (France) a rejeté le pourvoi formé contre un arrêt de la cour d’appel de Versailles du 5 juillet 2018 portant sur une affaire similaire mettant en cause d’autres parties requérantes. Dans cet arrêt, elle a jugé que le mécanisme d’obligation d’achat, tel qu’il résultait de l’arrêté ministériel du 12 janvier 2010, constituait une aide illégale en ce qu’il était mis à exécution en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
8 Le 2 mars 2020, les requérantes ont déposé, au titre de l’article 24, paragraphe 2, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9), une plainte auprès de la Commission européenne concernant des aides d’État octroyées par la République française aux producteurs d’énergie photovoltaïque en vertu des arrêtés ministériels du 10 juillet 2006, du 12 janvier et du 31 août 2010. Dans la plainte, enregistrée sous la référence SA.40349 (2020/MI2), elles demandaient à la Commission de qualifier ces aides d’illégales, mais compatibles avec le marché intérieur.
9 Par lettre du 26 mars 2020, la Commission a confirmé que la mesure mise en place par l’arrêté ministériel du 12 janvier 2010 ne lui avait jamais été notifiée et a invité les requérantes à saisir les juridictions nationales afin que ces dernières procèdent à la récupération des aides illégales. Les requérantes ont transmis des informations complémentaires par courriel le 31 mars 2020.
10 Par lettre du 23 avril 2020, la Commission a sollicité des requérantes des éclaircissements sur leur courriel du 31 mars 2020. Les requérantes lui ont répondu par courriel le 22 mai 2020.
11 Par lettre du 28 juillet 2020, la Commission a finalement rejeté la plainte introduite par les requérantes pour deux motifs, en précisant que chacun suffisait à lui seul à conclure audit rejet (ci-après la « décision attaquée »). D’une part, elle a estimé que l’objet de ladite plainte ne relevait pas du champ d’application de l’article 12, paragraphe 1, et de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589 au motif que les requérantes lui demandaient de se prononcer sur la compatibilité des mesures en cause avec le marché intérieur, comme si elles représentaient la République française dans une procédure de « quasi-notification ». D’autre part, elle a considéré que les requérantes ne sauraient être qualifiées de parties intéressées au sens de l’article 1er, sous h), dudit règlement. Par conséquent, selon elle, les informations figurant dans la plainte ne pouvaient être considérées comme constitutives d’une plainte formelle, mais comme des informations générales sur le marché.
Procédure et conclusions des parties
12 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 octobre 2020, les requérantes ont introduit le présent recours.
13 Le 22 décembre 2020, la Commission a déposé le mémoire en défense.
14 Le 8 février 2021, les requérantes ont déposé la réplique.
15 Le 22 mars 2021, la Commission a déposé la duplique.
16 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision attaquée.
17 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérantes aux dépens.
En droit
18 À l’appui du recours, les requérantes soulèvent cinq moyens, tirés, le premier, d’une violation du champ d’application de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589, le deuxième, de ce qu’elles auraient dû être qualifiées de parties intéressées, au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 1er, sous h), dudit règlement, le troisième, d’une violation du champ d’application de l’article 12, paragraphe 1, de ce même règlement, le quatrième, de l’obligation de la Commission de faire appliquer le traité FUE et le cinquième, de la forme de leur plainte.
Observations liminaires
19 Il importe de relever que, dans la décision attaquée, la Commission ne se prononce pas sur l’existence d’une aide ou sur sa compatibilité avec le marché intérieur. En revanche, lors de l’examen de la recevabilité de la plainte introduite par les requérantes, elle a conclu que les informations figurant dans celle-ci pouvaient être enregistrées comme des « informations générales sur le marché » et non comme des informations constitutives d’une plainte formelle.
20 Il ressort également avec clarté de la décision attaquée que le rejet de la plainte était fondé sur deux motifs distincts, le premier étant tiré de l’objet de ladite plainte et, le second, de l’absence de qualité de parties intéressées des requérantes, au sens de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589.
21 Il y a lieu d’examiner d’abord les premier et quatrième moyens tendant à remettre en cause la légalité du premier motif de rejet de la plainte.
Sur le premier moyen, tiré d’une violation du champ d’application de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589
22 Les requérantes font valoir que la plainte ne saurait être exclue du champ d’application de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589 du seul fait de la compatibilité avec le marché intérieur des mesures en cause. Selon elles, cette disposition ne saurait être interprétée dans un sens qui reviendrait à ajouter une condition de recevabilité, non prévue par le texte, tenant à l’incompatibilité de l’aide avec le marché intérieur. Il suffirait donc qu’une aide soit illégale pour qu’elle puisse faire l’objet d’une plainte recevable au titre de ladite disposition. Les requérantes, tout en admettant que, en pratique, il est rare, voire inédit, qu’une partie intéressée introduise une plainte concernant une aide illégale et compatible, considèrent que le caractère exceptionnel d’une telle situation ne saurait toutefois la placer en dehors dudit champ d’application.
23 Par ailleurs, les requérantes soutiennent que la Commission confond les conditions d’ouverture de la procédure d’examen préliminaire, visée à l’article 4 du règlement 2015/1589, avec celles de la procédure formelle d’examen, visée à l’article 6 du même règlement, qui prévoit que la Commission doit ouvrir cette dernière procédure lorsque, au terme d’un examen préliminaire, elle éprouve des doutes persistants sur la compatibilité de l’aide en cause avec le marché intérieur. Selon elles, même si, en pratique, la plupart des plaintes pour aides illégales ont pour objectif ultime l’ouverture de la procédure formelle d’examen, les conditions d’ouverture d’une telle procédure ne s’appliquent pas au stade de l’examen préliminaire.
24 La Commission conteste ces arguments.
25 En l’espèce, la Commission a rejeté la plainte introduite par les requérantes au motif, notamment, qu’elle ne relevait pas du champ d’application de l’article 12, paragraphe 1, et de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589. En particulier, elle a considéré que, par opposition à la procédure concernant les aides notifiées, régie par le chapitre II dudit règlement, dans le cadre de la procédure applicable aux aides illégales, régie par le chapitre III du même règlement, un plaignant déclenche exceptionnellement l’ouverture de la phase préliminaire d’examen par le dépôt d’une plainte et vise à faire naître chez elle des doutes quant à la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur, qui pourraient la conduire à ouvrir la procédure formelle d’examen. Selon elle, le plaignant ne saurait en revanche alléguer la compatibilité de la mesure en cause avec le marché intérieur, car il ne représente pas l’État membre concerné dans une procédure de « quasi-notification ».
26 À cet égard, force est de constater que la Commission a été saisie d’une plainte pour l’informer de l’existence d’aides illégalement versées, parce que non notifiées, afin qu’elle qualifie lesdites aides comme étant compatibles avec le marché intérieur. Les requérantes indiquent en effet dans leurs écritures que, « en pratique, le cas d’une plainte contre une aide illégale et compatible dénoncée par une partie intéressée est rare voire nouve[au] » et que « [c]e caractère exceptionnel ne saurait la rendre irrecevable, sauf à ajouter une condition de recevabilité non prévue par le TFUE ou le [r]èglement […] 2015/1589 ».
27 Dans ce contexte, le premier moyen soulève la question de savoir si une plainte visant à informer la Commission de l’existence d’une aide illégalement versée afin qu’elle constate qu’une telle aide est compatible avec le marché intérieur, comme c’est le cas en l’espèce, relève du champ d’application de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589.
28 À cet égard, en premier lieu, admettre qu’une partie intéressée puisse saisir la Commission d’une plainte pour l’informer de l’existence d’une aide illégalement versée afin qu’elle constate la compatibilité d’une telle aide avec le marché intérieur reviendrait à méconnaître l’architecture du contrôle des aides d’État.
29 À ce sujet, il y a lieu de rappeler que l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE fixant la procédure préliminaire d’examen des aides impose de notifier, en temps utile, à la Commission les projets tendant à instituer des aides nouvelles ou à modifier des aides existantes, lesquels ne peuvent être mis à exécution avant que ladite procédure d’examen n’ait abouti à une décision finale (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 2018, Carrefour Hypermarchés e.a., C 510/16, EU:C:2018:751, point 25 et jurisprudence citée).
30 Le contrôle préventif des projets d’aides nouvelles institué par l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE vise à ce que seules des aides compatibles avec le marché intérieur soient mises à exécution. À cet égard, l’obligation de notification constitue l’un des éléments fondamentaux du système de contrôle mis en place par le traité FUE dans le domaine des aides d’État.
31 Ainsi, l’obligation de notification est essentielle pour permettre à la Commission d’exercer pleinement la mission de contrôle qui lui a été confiée par les articles 107 et 108 TFUE en matière d’aides d’État et, en particulier, pour apprécier, dans l’exercice de la compétence exclusive dont elle jouit à cet égard, sous le contrôle des juridictions de l’Union européenne, la compatibilité de mesures d’aide avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphe 3, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Bayerische Motoren Werke et Freistaat Sachsen/Commission, C 654/17 P, EU:C:2019:634, point 79 et jurisprudence citée).
32 Il résulte de l’économie même de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, qui institue un rapport bilatéral entre la Commission et l’État membre, que l’obligation de notification pèse sur les seuls États membres. D’une part, l’obligation de notification et l’interdiction préalable de mise en œuvre des projets d’aide ne s’adressent qu’à l’État membre, ainsi que cela ressort également de manière sous-jacente de l’article 10 du règlement 2015/1589, qui prévoit que l’État membre concerné peut retirer sa notification avant que la Commission ne prenne une décision sur la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur. D’autre part, l’État membre est également le seul destinataire de la décision par laquelle la Commission constate l’incompatibilité d’une aide et l’invite à la supprimer dans le délai qu’elle détermine [arrêts du 11 juillet 1996, SFEI e.a., C 39/94, EU:C:1996:285, point 73, et du 1er juin 2006, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission, C 442/03 P et C 471/03 P, EU:C:2006:356, point 103].
33 Or, la reconnaissance de la faculté, pour les parties intéressées, de saisir la Commission d’une plainte pour l’informer de l’existence d’une aide illégalement versée afin qu’elle constate qu’une telle aide est compatible avec le marché intérieur n’aurait d’autre effet que de leur permettre de se substituer à l’État membre concerné, seul compétent pour notifier une mesure d’aide à la Commission.
34 Comme la Commission l’a relevé à juste titre, il n’existe pas de droit subjectif à l’octroi d’une aide d’État dans le droit de l’Union. Dès lors, la partie intéressée ne peut pas se substituer aux compétences de l’État membre et procéder, de sa propre initiative, à une notification pour le compte de l’État membre dans le but d’obtenir une décision autorisant la mise en œuvre d’une aide non notifiée [voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 2006, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission, C 442/03 P et C 471/03 P, EU:C:2006:356, point 103].
35 Par ailleurs, il convient de rappeler que les juridictions nationales doivent garantir aux justiciables que toutes les conséquences seront tirées d’une méconnaissance des obligations découlant de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE, conformément à leur droit national, tant en ce qui concerne la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d’aide qu’en ce qui concerne le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition ou d’éventuelles mesures provisoires (arrêt du 21 novembre 1991, Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon, C 354/90, EU:C:1991:440, point 12). À ces fins, les juridictions nationales peuvent être saisies de litiges les obligeant à interpréter et à appliquer la notion d’aide visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en particulier en vue de déterminer si une mesure étatique aurait dû ou non être soumise à la procédure de contrôle préalable établie à l’article 108, paragraphe 3, TFUE. Si lesdites juridictions parviennent au constat que la mesure concernée aurait effectivement dû être préalablement notifiée à la Commission, elles doivent la déclarer illégale (arrêt du 19 mars 2015, OTP Bank, C 672/13, EU:C:2015:185, point 37).
36 Il en découle que les parties intéressées peuvent saisir leurs juridictions nationales afin que soit sanctionné le refus explicite ou implicite de l’État membre dispensateur de se conformer à son obligation de notification. Dès lors, il n’y a pas lieu de leur reconnaître le droit de déposer, sur le fondement de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589, une plainte pour informer la Commission de l’existence d’une aide illégalement versée afin qu’elle constate qu’une telle aide est compatible avec le marché intérieur et cela, le cas échéant, contrairement à la volonté de l’État membre concerné, manifestée par l’absence de notification de la part de celui-ci.
37 En second lieu, admettre qu’une partie intéressée puisse déposer une plainte pour informer la Commission de l’existence d’une aide illégalement versée afin qu’elle constate la compatibilité d’une telle aide avec le marché intérieur reviendrait à méconnaître l’économie de l’article 24, paragraphe 2, première phrase, du règlement 2015/1589. À cet égard, il convient de relever que cette disposition octroie à toute partie intéressée le droit de déposer une plainte pour informer la Commission de l’existence de toute aide présumée illégale ou de toute application présumée abusive d’une aide, ce qui, conformément à l’article 15, paragraphe 1, première phrase, du même règlement, a pour effet de déclencher l’ouverture de la phase préliminaire d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE impliquant l’adoption, par la Commission, d’une décision au titre de l’article 4, paragraphes 2, 3 ou 4, dudit règlement (arrêt du 5 mai 2021, ITD et Danske Fragtmænd/Commission, T 561/18, sous pourvoi, EU:T:2021:240, point 47). Par ailleurs, selon l’article 12, paragraphe 1, second alinéa, de ce règlement, la Commission examine sans délai toute plainte déposée par une partie intéressée, conformément à l’article 24, paragraphe 2, de ce même règlement.
38 Ainsi que cela ressort du considérant 32 du règlement 2015/1589, afin que la qualité des plaintes dont la Commission est saisie soit assurée et la transparence et la sécurité juridique accrues, il y a lieu de fixer les conditions que devrait remplir une plainte pour que des informations concernant une aide présumée illégale ou toute application présumée abusive d’une aide puissent être mises à la disposition de la Commission et que soit déclenchée la phase d’examen préliminaire.
39 Le dépôt d’une plainte au sens de l’article 24 paragraphe 2, du règlement 2015/1589 est subordonné à deux conditions. D’une part, la possibilité de déposer une plainte est réservée aux parties intéressées au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 1er, sous h), du même règlement. D’autre part, selon l’article 24, paragraphe 2, dudit règlement, les parties intéressées qui souhaitent déposer une plainte formelle auprès de la Commission doivent remplir dûment un formulaire, lequel figure en annexe IV du règlement (CE) no 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil portant modalités d’application de l’article 93 du traité CE (JO 2004, L 140, p. 1), et communiquer toutes les informations obligatoires qui y sont demandées. Ce formulaire requiert que le plaignant y indique les raisons pour lesquelles, selon lui, l’aide présumée illégale ou l’application présumée abusive d'une aide n’est pas compatible avec le marché intérieur.
40 Le fait que le mécanisme prévu par l’article 24 paragraphe 2, du règlement 2015/1589 a été créé dans le but de dénoncer des aides d’État incompatibles avec le marché intérieur est également corroboré par l’article 12, paragraphe 1, second alinéa, dudit règlement, selon lequel la Commission « veille à ce que l’État membre concerné soit pleinement et régulièrement informé de l’avancée et des résultats de l’examen ». En effet, cette dernière disposition, qui vise à protéger les droits de défense de l’État membre concerné, implique que la décision faisant suite et droit à une plainte soit destinée à lui être défavorable et, partant, à constater l’incompatibilité de l’aide ayant fait l’objet de la plainte.
41 Il résulte des considérations qui précèdent que l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589 ne saurait servir de fondement pour déposer une plainte visant à informer la Commission de l’existence d’une aide illégalement versée afin qu’elle constate la compatibilité d’une telle aide avec le marché intérieur. Dans ces conditions, la plainte introduite par les requérantes le 2 mars 2020 ne relève pas du champ d’application de ladite disposition.
42 Il s’ensuit que la Commission n’a pas commis d’erreur de droit en constatant que la plainte introduite, en l’espèce, par les requérantes ne relevait pas du champ d’application de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589. Partant, le premier moyen doit être rejeté comme étant non fondé.
Sur le quatrième moyen, tiré de l’obligation de la Commission de faire appliquer le traité FUE
43 Les requérantes soutiennent que la Commission a manqué à ses obligations au titre des articles 107 à 109 TFUE et des articles du règlement 2015/1589.
44 Bien que la Commission ait eu connaissance de l’existence des régimes d’aides issus des arrêtés ministériels du 10 juillet 2006, du 12 janvier et du 31 août 2010, ainsi que de l’absence de notification les concernant, elle n’aurait pas réagi. De surcroît, elle aurait, également, manqué à son rôle de garante du droit de l’Union et de la sécurité juridique des justiciables en écartant la plainte portant sur ces aides, dont elle aurait pourtant reconnu le caractère illégal résultant de leur absence de notification, sans avoir néanmoins vérifié, préalablement, que celles-ci n’étaient pas incompatibles avec le marché intérieur.
45 Selon les requérantes, l’abstention de la Commission de se prononcer sur la compatibilité des aides en cause avec le marché intérieur, alors même que celles-ci étaient illégales, équivaut à un déni de justice, car elle créerait un vide juridique que les articles 107 à 109 TFUE et le règlement 2015/1589 entendraient éviter.
46 La Commission conteste ces arguments.
47 En premier lieu, s’agissant de la prétendue obligation de la Commission de vérifier toute information portée à sa connaissance au sujet d’une aide octroyée en méconnaissance de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et, partant, illégale, il ressort de l’article 12, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement 2015/1589 que « [l]a Commission peut, de sa propre initiative, examiner les informations concernant une aide présumée illégale, quelle qu’en soit la source ». L’emploi du terme « peut » qui figure dans cette disposition, par opposition à l’ancien article 10, paragraphe 1, du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), qui mentionnait « examine », implique que l’examen des informations concernant une aide prétendue illégale est laissé à la discrétion de la Commission. Cela est d’ailleurs confirmé par le considérant 23 du règlement 2015/1589 selon lequel « la Commission devrait pouvoir, de sa propre initiative, examiner les informations concernant une aide illégale, quelle qu’en soit la source, dans le but de garantir le respect de l’article 108 TFUE, et en particulier de l’obligation de notification et de la clause de suspension prévues à l’article 108, paragraphe 3, TFUE, et d’apprécier la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur ».
48 L’article 12, paragraphe 1, second alinéa, du règlement 2015/1589 oblige, en revanche, la Commission à examiner sans délai toute plainte déposée par une partie intéressée, conformément à l’article 24, paragraphe 2, de ce même règlement. Il importe également de rappeler que la Commission est tenue, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité FUE relatives aux aides d’État, de procéder à un examen diligent et impartial de la plainte, ce qui peut rendre nécessaire l’examen d’éléments qui n’ont pas été expressément évoqués par le plaignant (voir arrêt du 15 mars 2018, Naviera Armas/Commission, T 108/16, EU:T:2018:145, point 101 et jurisprudence citée).
49 Or, en l’espèce, il a été conclu que la plainte introduite par les requérantes ne relevait pas du champ d’application de l’article 24, paragraphe 2, du règlement 2015/1589 (voir point 41 ci-dessus). Dans ces conditions, la Commission n’était pas tenue d’examiner une plainte qui ne répondait pas aux conditions requises par cette disposition. Dès lors, les requérantes ne sauraient valablement soutenir que l’absence de décision de la Commission à l’égard des mesures en question équivaut à un déni de justice susceptible de créer un vide juridique.
50 En second lieu, quand bien même les requérantes feraient valoir que l’absence de décision de la Commission se prononçant sur la compatibilité d’une aide illégale, car non notifiée, viole le principe de sécurité juridique, il importe de relever que l’illégalité d’une aide octroyée en méconnaissance de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ne souffre aucune incertitude. En effet, ainsi que cela ressort de l’article 1er, sous f), du règlement 2015/1589, dès lors que des aides nouvelles sont accordées sans autorisation de la Commission, elles deviennent illégales.
51 À cet égard, il a été jugé que l’interdiction de mise à exécution des projets d’aide édictée à l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE revêtait un effet direct, et que le caractère immédiatement applicable de l’interdiction de mise à exécution visée à cette disposition s’étendait à toute aide qui aurait été mise à exécution sans être notifiée (voir arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C 349/17, EU:C:2019:172, point 88 et jurisprudence citée). Il incombe ainsi aux autorités nationales, notamment, de récupérer de leur propre initiative l’aide illégalement octroyée (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C 349/17, EU:C:2019:172, point 92).
52 En outre, sous peine de porter atteinte à l’effet direct de l’article 108, paragraphe 3, dernière phrase, TFUE et de méconnaître les intérêts des justiciables que les juridictions nationales ont pour mission de préserver, une décision de la Commission déclarant une aide non notifiée compatible avec le marché intérieur n’a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, la violation de l’interdiction prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE et n’a donc aucune incidence sur l’illégalité de l’aide. Toute autre interprétation conduirait à favoriser l’inobservation, par l’État membre concerné, de ladite disposition et le priverait de son effet utile (voir arrêt du 5 mars 2015, Banco Privado Português et Massa Insolvente do Banco Privado Português, C 667/13, EU:C:2015:151, point 60 et jurisprudence citée).
53 Dès lors, à supposer même que la Commission déclare ultérieurement une aide non notifiée compatible avec le marché intérieur, une telle décision ne pourrait avoir d’effets que pour le futur, de sorte que les aides déjà octroyées ne sauraient être régularisées a posteriori.
54 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen comme étant non fondé.
55 Il résulte de ce qui précède que c’est à bon droit que la Commission a rejeté la plainte, sans qu’il soit utile d’examiner le bien-fondé des deuxième et troisième moyens tendant à remettre en cause la légalité du second motif de rejet de ladite plainte et le bien-fondé du cinquième moyen visant à contester l’irrégularité formelle de la plainte.
56 Par conséquent, il y a lieu de rejeter le recours dans son ensemble, sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité du recours.
Sur les dépens
57 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (sixième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Sun West, JB Solar et Azimut56 supporteront, outre leurs dépens, les dépens exposés par la Commission européenne.