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Décisions

Cass. com., 1 décembre 2021, n° 20-17.309

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

société Go Industry (Sasu) , société Chargeur plus (Sasu)

Défendeur :

société HHO (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Bellino

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Thouin-Palat et Boucard

Poitiers, du 12 mai 2020

12 mai 2020

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 12 mai 2020), le 27 mai 2016, les associés de la société Bach alu chargeur plus, devenue la société Chargeur plus, dont M. [B], ont cédé la totalité des parts de cette société, spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de matériels de chantier automoteurs ou portés, à la société Go Industry.

2. La convention prévoyait l'interdiction pour la société HHO, dont M. [B] était également président, de concurrencer la société Chargeur plus. Elle prévoyait également une interdiction de concurrence pour les cédants, pendant une durée de cinq ans, avec toutefois l'autorisation d'exploiter le produit « Phoenix 400 ».

3. Les sociétés Go Industry et Chargeur plus invoquant le non-respect de la clause de non-concurrence par M. [B] et la société HHO, après échanges entre les parties, la société Chargeur plus et la société HHO ont signé un accord de médiation le 10 novembre 2016. L'article 4 de cet accord prévoyait l'autorisation, pour la société HHO, de fabriquer, perfectionner de façon mineure et commercialiser le modèle Phoenix dans ses versions 400 et 280. L'article 5 interdisait la diffusion des produits Chargeur plus sur les supports promotionnels de la société HHO.

4. Par lettre du 21 avril 2017, le conseil de la société Chargeur plus a indiqué prendre acte avec effet immédiat de la résiliation de cet accord en raison du non-respect des engagements souscrits et mis en demeure la société HHO de cesser ses pratiques de dénigrement.

5. Le 13 juillet 2017, la société Go Industry et la société Chargeur plus ont assigné M. [B] et la société HHO en résiliation de l'accord de médiation et en paiement de dommages-intérêts pour perte de chiffre d'affaires et pour concurrence déloyale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches, et sur le troisième moyen, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses quatrième, cinquième et sixième branches

Enoncé du moyen

7. M. [B] et la société HHO font grief à l'arrêt de dire que la résiliation de l'accord de médiation prononcée le 21 avril 2017 par la société Go Industry aux torts de la société HHO était fondée et, en conséquence, de condamner la société HHO à verser à la société Chargeur plus les sommes de 23 970 euros TTC en règlement de la facture n° FA00005117, et 40 euros d'indemnité de recouvrement, avec intérêts au taux légal, alors :

« 4°) que la défaillance contractuelle suppose l'inexécution d'une obligation contractuelle et donc l'existence d'un contrat ; que l'accord de médiation du 10 novembre 2016 a été conclu entre la société HHO et la société Chargeur plus ; que, pour dire que la résiliation de cet accord prononcée le 21 avril 2017 aux torts de la société HHO était fondée, la cour d'appel s'est fondée sur un certain nombre de manquements aux obligations des articles 4 et 5 dudit accord imputés à M. [B], lequel n'était pourtant pas partie à l'accord ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé les articles 1217, 1224 et 1126 [lire 1226] du code civil ;

5°) que, subsidiairement, la cour d'appel a constaté que "la SARL Milmat 87 (?) justifie avoir acquis de la SAS les minipelles une minipelle 800 kg avec kit chargeur" pour 5.486,74 euros HT ; qu'il s'en évinçait nécessairement que ladite vente avait été opérée par la société Les Minipelles à son seul profit ; que la cour d'appel a précisément relevé que la preuve de l'exercice d'une activité de la société Les Minipelles exclusivement au profit de M. [B] n'était pas rapportée ; qu'en se fondant exclusivement, pour retenir un manquement à l'article 5 de l'accord de médiation, sur la vente de cette minipelle, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1217, 1224 et 1126 du code civil ;

6°) que, subsidiairement, par son courriel du 28 septembre 2018 intégré en cause d'appel à la pièce adverse 77, la société Milmat 87 répondait au courriel de la société Go Industry, selon lequel "Merci. Cependant ce n'est pas HHO mais les minipelles.com", par "Bonjour, Tout à fait, mais je n'ai eu affaire qu'à Mrs [B] en leur locaux" ; que ce courriel ne faisait pas référence à la facture du 12 février 2018 intégrée en cause d'appel à la pièce adverse 77, mentionnant la vente de la minipelle litigieuse par la société Les Minipelles à la société Milmat 87 pour un montant de 5.486,74 euros ; qu'aucune vente précise opérée par M. [B] ne ressortait dudit courriel ; qu'en retenant qu'il résultait du courriel de la société Milmat 87 du 28 septembre 2018 en pièce 77 la preuve de la vente effective par M. [B] de la minipelle acquise par la société Milmat, la cour d'appel a dénaturé ledit courriel en violation du principe général d'interdiction faite aux juges de dénaturer les termes clairs et précis des documents qui leur sont soumis. »

Réponse de la Cour

8. L'arrêt retient que la société HHO a violé l'article 4 du protocole signé entre les parties, en apportant au modèle Phoenix 400 plusieurs modifications portant tant sur la structure que sur les usages de cette machine, modifications qui ne peuvent être considérées comme mineures. Il retient encore qu'elle a ainsi manqué de façon répétée, malgré plusieurs mises en demeure, à l'obligation prévue à l'article 4 de la convention, laquelle était déterminante dans les rapports entre les parties. Par ces seuls motifs, la résiliation de l'accord du 10 novembre 2016 aux torts de la société HHO se trouve justifiée.

9. Le moyen, pris en ses quatrième, cinquième et sixième branches, qui critique des motifs surabondants, est donc inopérant.

Et sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

10. La société HHO et M. [B] font grief à l'arrêt de dire qu'ils ont commis des actes de dénigrement à l'encontre de la société Chargeur plus et, en conséquence, de les condamner in solidum à verser aux sociétés Chargeur plus et Go Industry la somme de 50 000 euros au titre de l'atteinte à leur image, alors :

« 1°) que la responsabilité pour dénigrement, constitutif de concurrence déloyale, suppose l'existence d'une faute que les juges du fond doivent caractériser ; qu'en jugeant, pour dire que M. [B], tant en son nom personnel qu'au nom de la société HHO, s'était rendu coupable de dénigrement constitutif d'actes de concurrence déloyale, que les propos qu'il avait tenus sur le forum de discussion accessible au public "les vieilles soupapes agricoles" étaient rédigés en termes outranciers, dépourvus de toute mesure, traduisant une volonté de jeter le discrédit sur les qualités des produits vendus, la qualité du service après-vente ou la communication de l'entreprise, sans expliquer en quoi ces propos étaient dénigrants et sans caractériser, par conséquent, la faute de M. [B], la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil ;

2°) que toute personne a droit à la liberté d'expression, que ce droit comprend la liberté de communiquer des informations sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques, sauf restrictions légitimes, lesquelles sont d'interprétation étroite ; qu'en jugeant, pour dire que M. [B], tant en son nom personnel qu'au nom de la société HHO, s'était rendu coupable de dénigrement constitutif d'actes de concurrence déloyale, que les propos qu'il avait tenus sur le forum de discussion accessible au public "les vieilles soupapes agricoles" étaient rédigés en termes outranciers, dépourvus de toute mesure, traduisant une volonté de jeter le discrédit sur les qualités des produits vendus, la qualité du service après-vente ou la communication de l'entreprise, sans expliquer en quoi les propos litigieux, même sévères, qui s'inscrivaient dans le cadre d'une discussion sur un forum accessible au public, excédaient les limites admissibles de la liberté d'expression, la cour d'appel a violé l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 1240 du code civil ;

3°) que le dénigrement, constitutif de concurrence déloyale, consiste à jeter publiquement le discrédit sur les produits, les services ou les prestations d'une entreprise commerciale ou industrielle ; que les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l'article 1240 du code civil ; que la cour d'appel a considéré que les propos de M. [B], diffusés sur le forum de discussion accessible au public "les vieilles soupapes agricoles", aux termes desquels celui-ci disait : "en parlant de communication, j'avais un tel portable sur bachalu et à la vente j'ai voulu le garder. J'ai fait le nécessaire auprès de Orange et je payais mes factures mais les mails et les factures arrivaient chez Bach alu !!! et ils n'ont rien trouvé de plus élégant que de me faire couper la ligne !!!!! Ils sont vraiment très bien ces gens-là des gens charmant toujours en retard et très fair play de me faire couper la ligne !!! ça fait rien l'addition arrive bientôt et il va falloir la payer", présentaient un caractère de dénigrement constitutif d'actes de concurrence déloyale ; que, pourtant, ces imputations visaient uniquement la société Bach Alu, personne morale, à l'exclusion de ses produits ou services, de sorte qu'ils ne pouvaient éventuellement s'analyser qu'en une diffamation dont la réparation ne pouvait être poursuivie que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 ; qu'en retenant la responsabilité de la société HHO et de M. [B] sur le fondement de l'article 1240 du code civil, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application. »

Réponse de la Cour

11. En premier lieu, l'arrêt relève que, sur le forum du site « les vieilles soupapes agricoles », dans un message du 8 septembre 2016, M. [B], agissant sous le pseudonyme « le Chenillard », explique avoir vendu la société Minidig, qui correspond au pseudonyme de la société Chargeur plus, que cette dernière ne suit pas ses clients, que de nombreux services après-vente ne sont pas traités et que les clients sont nombreux à le contacter pour qu'il intervienne, mais que la société Minidig n'est pas joignable et qu'elle n'effectue pas les livraisons dues à la société HHO elle-même, dont il est le gérant, que le 26 mars 2017, il indique, en réponse à un message relatif à une demande de devis à la société Chargeur plus, « Moi y'en a pas comprendre la stratégie », « Ils font une pub d'enfer et les clients nous appellent pour commander car personne ne répond », « Et je ne parle pas du SAV que je dois dépanner à leur place » et que « pendant ce temps il y a une boîte d'handicapé qui attend depuis 4 mois d'être payée », qu'en réponse à un « post » de la société Chargeur plus du 28 mars 2017 au sujet de deux de ses produits, il écrit que « c'est la copie de la Phoenix 400 en moins bien » et qu'en réponse à une publication avec pour sujet Chargeur plus, il indique « venez acheter une Phoenix chez HHO, nos délais sont respectés et nos machines sont au point après avoir été largement testées par tout un tas de particuliers et de professionnels ». L'arrêt retient que ces divers propos traduisent une volonté de jeter, sur un site d'échanges ouvert au public, le discrédit tant sur les qualités des produits vendus, la qualité du service après-vente, que la communication de l'entreprise, qui sont systématiquement présentés en comparaison avec les prestations jugées meilleures de l'auteur des messages, rédigés en des termes outranciers, dépourvus de toute mesure, et qui visent de façon parfaitement identifiable la société Chargeur plus compte tenu des messages en réponse auxquels ces propos sont tenus. En l'état de ces seules constatations et appréciations, dont il résulte que les propos tenus par M. [B] jetaient le discrédit sur les produits et services de la société Chargeur plus, la cour d'appel a pu retenir qu'ils étaient constitutifs d'un dénigrement.

12. En second lieu, ayant retenu que les messages étaient rédigés dans les termes et conditions précédemment relevés et qu'ils ne constituaient pas, faute de tout élément objectif, la délivrance d'une information d'intérêt général, la cour d'appel a pu retenir qu'ils excédaient les limites admissibles de la liberté d'expression.

13. Le moyen, inopérant en sa troisième branche qui critique un motif surabondant, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.