CJUE, 4e ch., 9 décembre 2021, n° C-242/20
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
HRVATSKE ŠUME d.o.o., Zagreb
Défendeur :
BP Europa SE
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Jürimäe
Juges :
M. Rodin, M. Piçarra
Avocat général :
M. Saugmandsgaard Øe
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, point 3, et de l’article 22, point 5, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant HRVATSKE ŠUME d.o.o., Zagreb, société établie en Croatie, venant aux droits de HRVATSKE ŠUME javno poduzeće za gospodarenje šumama i šumskim zemljištima u Republici Hrvatskoj p.o., Zagreb à BP Europa SE Hambourg, société établie en Allemagne, venant aux droits de Deutsche BP AG, elle-même venant aux droits de The Burmah Oil (Deutschland) GmbH, au sujet du recouvrement, sur le fondement de l’enrichissement sans cause, d’un montant indûment versé lors d’une procédure d’exécution qui a été ultérieurement invalidée.
Le cadre juridique
Le règlement no 44/2001
3 Les considérants 2, 8, 11 et 12 du règlement no 44/2001 exposent :
« (2) Certaines différences entre les règles nationales en matière de compétence judiciaire et de reconnaissance des décisions rendent plus difficile le bon fonctionnement du marché intérieur. Des dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement sont indispensables.
[...]
(8) Il doit exister un lien entre les litiges couverts par le présent règlement et le territoire des États membres qu’il lie. Les règles communes en matière de compétence doivent donc s’appliquer en principe lorsque le défendeur est domicilié dans un de ces États membres.
[...]
(11) Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de juridictions.
(12) Le for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice. »
4 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement :
« Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »
5 L’article 3 dudit règlement dispose :
« 1. Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.
2. Ne peuvent être invoquées contre elles notamment les règles de compétence nationales figurant à l’annexe I. »
6 L’article 5 du même règlement, qui figure dans la section 2 de celui-ci, intitulée « Compétences spéciales », énonce :
« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre :
1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ;
b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est :
– pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
– pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;
c) le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas ;
[...]
3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ;
[...] »
7 L’article 22 du règlement no 44/2001, qui figure dans la section 6 de celui-ci, intitulée « Compétences exclusives », prévoit :
« Sont seuls compétents, sans considération de domicile :
[…]
5) en matière d’exécution des décisions, les tribunaux de l’État membre du lieu de l’exécution. »
Le règlement (UE)no 1215/2012
8 Le considérant 34 du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1), expose :
« Pour assurer la continuité nécessaire entre la convention de Bruxelles [du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions relatives à l’adhésion de nouveaux États membres à cette convention, ci-après, la « convention de Bruxelles »], le règlement [no 44/2001] et le présent règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité doit être assurée en ce qui concerne l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne de [la convention de Bruxelles] et des règlements qui la remplacent. »
9 Aux termes de l’article 66 du règlement no 1215/2012 :
« 1. Le présent règlement n’est applicable qu’aux actions judiciaires intentées, aux actes authentiques dressés ou enregistrés formellement et aux transactions judiciaires approuvées ou conclues à compter du 10 janvier 2015.
2. Nonobstant l’article 80, le règlement [no 44/2001] continue à s’appliquer aux décisions rendues dans les actions judiciaires intentées, aux actes authentiques dressés ou enregistrés formellement et aux transactions judiciaires approuvées ou conclues avant le 10 janvier 2015 qui entrent dans le champ d’application dudit règlement. »
10 L’article 80, première phrase, du règlement no 1215/2012 prévoit :
« Le présent règlement abroge le règlement [no 44/2001]. »
Le règlement (CE) no 864/2007
11 Le considérant 7 du règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) (JO 2007, L 199, p. 40), expose :
« Le champ d’application matériel et les dispositions du présent règlement devraient être cohérents par rapport au règlement [no 44/2001] et les instruments relatifs à la loi applicable aux obligations contractuelles. »
12 L’article 2 du règlement no 864/2007, intitulé « Obligations non contractuelles », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Aux fins du présent règlement, le dommage vise toute atteinte résultant d’un fait dommageable, d’un enrichissement sans cause, d’une gestion d’affaires ou d’une “culpa in contrahendo”. »
13 L’article 10 de ce règlement, intitulé « Enrichissement sans cause », dispose :
« 1. Lorsqu’une obligation non contractuelle découlant d’un enrichissement sans cause, y compris un paiement indu, se rattache à une relation existante entre les parties, telle qu’une obligation découlant d’un contrat ou d’un fait dommageable présentant un lien étroit avec cet enrichissement sans cause, la loi applicable est celle qui régit cette relation.
2. Si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 1 et que les parties ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment où le fait donnant lieu à l’enrichissement sans cause survient, la loi applicable est celle de ce pays.
3. Si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base des paragraphes 1 ou 2, la loi applicable est celle du pays dans lequel l’enrichissement sans cause s’est produit.
4. S’il résulte de toutes les circonstances que l’obligation non contractuelle découlant d’un enrichissement sans cause présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1, 2 et 3, la loi de cet autre pays s’applique. »
14 L’article 12 dudit règlement, intitulé « Culpa in contrahendo », énonce, à son paragraphe 1 :
« La loi applicable à une obligation non contractuelle découlant de tractations menées avant la conclusion d’un contrat est, que le contrat soit effectivement conclu ou non, la loi qui s’applique au contrat ou qui aurait été applicable si le contrat avait été conclu. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
15 Conformément à une ordonnance d’exécution du Trgovački sud u Zagrebu (tribunal de commerce de Zagreb, Croatie), la défenderesse au principal a obtenu, le 11 mars 2003, le recouvrement forcé d’une créance de 3 792 600,87 kunas croates (HRK) (environ 500 000 euros) par prélèvement sur le compte de la requérante au principal. Celle-ci a alors engagé une procédure afin de faire constater l’invalidité de l’exécution judiciaire. Dans le cadre de cette procédure, le Vrhovni sud (Cour suprême, Croatie) a rendu, le 21 mai 2009, un arrêt définitif, par lequel elle a jugé que cette exécution était invalide. La défenderesse au principal, bénéficiaire d’un enrichissement sans cause, était dès lors tenue de restituer à la requérante au principal les sommes indûment versées majorées des intérêts légaux.
16 À la suite de cet arrêt, la requérante au principal n’a pu, en application des règles de procédure nationales, présenter une demande de restitution dans le cadre de la même procédure d’exécution, car le délai d’un an à compter du jour de l’exécution, prévu pour former une telle demande, était expiré. Elle a alors engagé, le 1er octobre 2014, une procédure contentieuse distincte en répétition de l’indu devant le Trgovački sud u Zagrebu (tribunal de commerce de Zagreb, Croatie), lequel s’est déclaré incompétent en application des dispositions du règlement no 1215/2012. Cette dernière juridiction a, en effet, considéré que, en l’absence supposée de règle spécifique d’attribution de compétence applicable, la règle générale d’attribution de compétence internationale devait s’appliquer et que, partant, les juridictions de l’État membre du domicile de la défenderesse au principal, à savoir les juridictions allemandes, étaient internationalement compétentes.
17 La requérante au principal a fait appel de l’ordonnance du Trgovački sud u Zagrebu (tribunal de commerce de Zagreb) devant le Visoki trgovački sud (cour d’appel de commerce, Croatie), juridiction de renvoi dans la présente affaire. Cette juridiction considère que la juridiction de première instance a appliqué, à tort, le règlement no 1215/2012 dans la mesure où, en vertu de son article 66, paragraphe 1, ce règlement ne serait applicable qu’aux actions judiciaires intentées à compter du 10 janvier 2015, alors que la procédure au principal avait été initiée antérieurement. Le règlement no 44/2001 serait donc applicable ratione temporis.
18 Cela étant, la juridiction de renvoi émet, premièrement, des doutes sur l’interprétation correcte de la notion de « quasi-délit » et fait part de ses hésitations quant à l’interprétation de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001. Elle fait valoir que l’institution de l’enrichissement sans cause relève des quasi-délits, ce qui justifierait, en principe, l’application de cette disposition dans l’affaire au principal et fonderait la compétence internationale des juridictions croates. L’application de ladite disposition serait cependant rendue difficile dans la mesure où le facteur de rattachement qu’elle prévoit est le fait dommageable et que, dans le cas de l’enrichissement sans cause, il n’y a pas de fait dommageable.
19 La jurisprudence de la Cour n’apporterait pas de réponse à cette question, bien que certains éléments puissent être pertinents. La juridiction de renvoi relève que, notamment selon l’arrêt du 28 janvier 2015, Kolassa (C‑375/13, EU:C:2015:37), la notion de « matière délictuelle ou quasi délictuelle » comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et qui ne se rattache pas à la « matière contractuelle », au sens de l’article 5, point 1, du règlement no 44/2001. Dans le même sens, la Cour aurait jugé, dans l’arrêt du 21 avril 2016, Austro-Mechana (C‑572/14, EU:C:2016:286), que l’article 5, point 3, de ce règlement doit être interprété en ce sens qu’une demande tendant à obtenir le paiement au titre de « compensation équitable », au sens de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p. 10), relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle. En revanche, dans ses conclusions dans l’affaire Siemens Aktiengesellschaft Österreich (C‑102/15, EU:C:2016:225), M. l’avocat général Wahl aurait proposé à la Cour d’interpréter l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 en ce sens qu’une action en répétition de l’indu fondée sur l’enrichissement sans cause ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle.
20 Deuxièmement, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation de l’article 22, point 5, du règlement no 44/2001, applicable en matière d’exécution des décisions, puisque la présente action en répétition de l’indu s’inscrirait dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée. La juridiction précise à cet égard que, si la requérante au principal a engagé une procédure contentieuse distincte, c’est uniquement parce que le délai prévu par le droit national pour former une demande de restitution dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée était expiré.
21 C’est dans ces conditions que le Visoki trgovački sud (cour d’appel de commerce) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Une action en répétition de l’indu fondée sur l’enrichissement sans cause relève-t-elle du chef de compétence prévu par le règlement [no 44/2001] en matière “quasi délictuelle”, compte tenu du fait que l’article 5, point 3, de ce règlement prévoit notamment qu’une “personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre : [...] “3) en matière [...] quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire” ?
2) Les procédures contentieuses engagées en raison de l’existence d’un délai dans lequel la restitution des sommes indûment versées dans le cadre d’une procédure d’exécution forcée peut être réclamée dans le cadre de la même procédure d’exécution judiciaire relèvent-elles du chef de compétence exclusive prévu à l’article 22, point 5, du règlement [no 44/2001], aux termes duquel, en matière d’exécution des décisions, sont seuls compétents, sans considération de domicile, les tribunaux de l’État membre du lieu d’exécution ? »
Sur les questions préjudicielles
Observations liminaires
22 À titre liminaire, il convient de rappeler, premièrement, que, conformément à l’article 80, première phrase, du règlement no 1215/2012, celui-ci abroge et remplace le règlement no 44/2001, qui a lui-même remplacé la convention de Bruxelles mentionnée au point 9 du présent arrêt. Partant, l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions du règlement no 1215/2012 ou de cette convention vaut également pour celles du règlement no 44/2001 lorsque ces dispositions peuvent être qualifiées d’« équivalentes ». Tel est le cas, notamment, de l’article 5, point 3, de ladite convention et du règlement no 44/2001, d’une part, et de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012, d’autre part (voir, en ce sens, arrêt du 24 novembre 2020, Wikingerhof, C‑59/19, EU:C:2020:950, point 20 et jurisprudence citée).
23 S’agissant, deuxièmement, de la détermination de la législation applicable ratione temporis au litige au principal, il y a lieu de préciser que l’article 66, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012 prévoit que le règlement no 44/2001 continue à s’appliquer aux décisions rendues dans les actions judiciaires intentées, aux actes authentiques dressés ou enregistrés formellement et aux transactions judiciaires approuvées ou conclues avant le 10 janvier 2015 qui entrent dans le champ d’application de ce dernier règlement.
24 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la procédure principale en répétition de l’indu a été introduite devant les juridictions croates le 1er octobre 2014.
25 Il s’ensuit, ainsi que la juridiction de renvoi l’a d’ailleurs estimé, que le règlement no 44/2001 est applicable ratione temporis au litige au principal.
Sur la seconde question
26 Par sa seconde question, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 22, point 5, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une action en restitution fondée sur un enrichissement sans cause relève de la compétence exclusive prévue par cette disposition lorsque cette action a été engagée en raison de l’expiration du délai dans lequel la restitution des sommes indûment versées lors d’une procédure d’exécution forcée peut être réclamée dans le cadre de cette même procédure d’exécution.
27 À cet égard, il convient de rappeler que, tandis que le règlement no 44/2001 établit, à son article 2, paragraphe 1, en tant que règle générale, la compétence des juridictions de l’État membre du domicile du défendeur, ce même règlement prévoit également des règles spéciales permettant au demandeur, dans certaines hypothèses, d’attraire le défendeur devant les juridictions d’un autre État membre.
28 Les règles de compétence spéciales prévoyant ces autres fors sont toutefois d’interprétation stricte, ne permettant pas une interprétation allant au-delà des hypothèses envisagées de manière explicite par ledit règlement (arrêt du 4 octobre 2018, Feniks, C‑337/17, EU:C:2018:805, point 37 et jurisprudence citée).
29 Ce n’est donc que par dérogation à la règle générale que l’article 22, point 5, du règlement no 44/2001 dispose que sont seuls compétents, sans considération du domicile, en matière d’exécution des décisions, les tribunaux de l’État membre du lieu d’exécution. En tant qu’exception à la règle générale de compétence, cette disposition ne doit pas être interprétée dans un sens plus étendu que ne le requiert son objectif (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2018, E.ON Czech Holding, C‑560/16, EU:C:2018:167, points 26 et 27 et jurisprudence citée).
30 Or, il ressort des considérants 2 et 11 de ce règlement que celui-ci vise à unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale au moyen de règles de compétence qui présentent un haut degré de prévisibilité. Ledit règlement poursuit ainsi un objectif de sécurité juridique qui consiste à renforcer la protection juridique des personnes établies dans l’Union européenne, en permettant à la fois au demandeur d’identifier facilement la juridiction qu’il peut saisir et au défendeur de prévoir raisonnablement celle devant laquelle il peut être attrait (arrêt du 7 mars 2018, E.ON Czech Holding, C‑560/16, EU:C:2018:167, point 28 et jurisprudence citée).
31 Dans ce contexte, relèvent de l’article 22, point 5, du règlement no 44/2001 les actions qui visent à faire trancher une contestation relative au recours à la force, à la contrainte ou à la dépossession de biens meubles et immeubles en vue d’assurer la mise en œuvre matérielle des décisions et des actes (voir, par analogie, arrêt du 3 septembre 2020, Supreme Site Services e.a., C‑186/19, EU:C:2020:638, point 72 ainsi que jurisprudence citée).
32 En revanche, une action dont l’objet est une demande en restitution fondée sur l’enrichissement sans cause ne vise pas à faire trancher une contestation relative au recours à la force, à la contrainte ou à la dépossession de biens meubles et immeubles en vue d’assurer la mise en œuvre matérielle d’une décision ou d’un acte, au sens de la jurisprudence citée au point précédent. Il s’agit d’une action autonome qui n’est, en tant que telle, ni une procédure d’exécution ni un recours contre une telle procédure. Il s’ensuit qu’une telle action ne relève pas du champ d’application de l’article 22, point 5, du règlement no 44/2001, quand bien même cet enrichissement sans cause découlerait de l’annulation d’une exécution forcée.
33 En l’occurrence, le gouvernement croate fait valoir, en substance, qu’il existe un lien étroit entre la procédure au principal en répétition de l’indu fondée sur un enrichissement sans cause et la procédure d’exécution, étant donné, d’une part, que l’invalidité de la décision judiciaire contestée dans le cadre de la procédure d’exécution serait le fondement de cet enrichissement sans cause et, d’autre part, qu’une restitution de la somme indûment perçue aurait pu être réclamée dans le cadre de la procédure d’exécution si le délai imparti à cet effet n’avait pas expiré, sans que cette dernière circonstance soit due à une quelconque négligence de la part de la requérante au principal.
34 Il y a lieu toutefois de relever que tant l’économie générale du règlement no 44/2001, qui conduit à retenir une interprétation stricte des dispositions de son article 22, que l’exigence d’interpréter les règles de ce règlement dans le sens d’un haut degré de prévisibilité, ainsi qu’il ressort du considérant 11 dudit règlement, conduisent à exclure du champ d’application de l’article 22, point 5, du même règlement une action en restitution fondée sur l’enrichissement sans cause, engagée en raison de l’expiration du délai dans lequel la restitution des sommes indûment versées lors d’une procédure d’exécution forcée pouvait être réclamée dans le cadre de cette même procédure d’exécution.
35 De plus, la Cour a jugé, à propos de l’article 16, paragraphe 5, de la convention de Bruxelles, dont le libellé a été repris à l’article 22, point 5, du règlement no 44/2001, que le motif essentiel de la compétence exclusive des tribunaux du lieu d’exécution du jugement est qu’il n’appartient qu’aux tribunaux de l’État membre sur le territoire duquel l’exécution forcée est requise d’appliquer les règles concernant l’action, sur ce territoire, des autorités chargées de l’exécution forcée (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 1992, Reichert et Kockler, C‑261/90, EU:C:1992:149, point 26).
36 Or, en l’absence de toute demande d’exécution forcée, une action en restitution fondée sur l’enrichissement sans cause ne relève pas du champ d’application de l’article 22, point 5, du règlement no 44/2001.
37 Dès lors, à la lumière de l’ensemble des éléments qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que l’article 22, point 5, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une action en restitution fondée sur un enrichissement sans cause ne relève pas de la compétence exclusive prévue à cette disposition, alors même qu’elle a été engagée en raison de l’expiration du délai dans lequel la restitution des sommes indûment versées lors d’une procédure d’exécution forcée peut être réclamée dans le cadre de cette même procédure d’exécution.
Sur la première question
38 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une action en restitution fondée sur un enrichissement sans cause relève du chef de compétence prévu à cette disposition.
39 À cet égard, il convient de rappeler que, tandis que l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 établit la compétence générale des juridictions de l’État membre du défendeur, l’article 5, point 1, sous a), et l’article 5, point 3, de ce règlement prévoient des règles de compétence spéciale, respectivement, en matière contractuelle et en matière délictuelle ou quasi délictuelle, permettant au demandeur de porter son action devant des juridictions d’autres États membres. Ces règles de compétence spéciale sont d’interprétation stricte, ainsi qu’il a été rappelé au point 28 du présent arrêt.
40 En outre, les deux règles de compétence spéciale prévues auxdites dispositions doivent faire l’objet d’une interprétation autonome, en se référant au système et aux objectifs du règlement no 44/2001, en vue d’assurer l’application uniforme de celui-ci dans tous les États membres. Cette exigence, qui vaut notamment pour la délimitation des champs d’application respectifs de ces deux règles, implique que les notions de « matière contractuelle » et de « matière délictuelle ou quasi délictuelle » ne sauraient être comprises comme renvoyant à la qualification que la loi nationale applicable donne au rapport juridique en cause devant la juridiction nationale (voir, par analogie, arrêt du 24 novembre 2020, Wikingerhof, C‑59/19, EU:C:2020:950, point 25 et jurisprudence citée).
41 Ainsi, pour les actions relevant de la matière contractuelle, l’article 5, point 1, sous a), dudit règlement permet au demandeur de saisir la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande, tandis que, pour les actions relevant de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, l’article 5, point 3, du même règlement prévoit qu’elles peuvent être portées devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.
42 S’agissant, plus particulièrement, des actions relevant de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion de « matière délictuelle ou quasi délictuelle », au sens de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et qui ne se rattache pas à la matière contractuelle, au sens de l’article 5, point 1, sous a), de ce règlement (voir, par analogie, arrêt du 24 novembre 2020, Wikingerhof, C‑59/19, EU:C:2020:950, point 23 et jurisprudence citée).
43 Il s’ensuit que, pour déterminer si une action en restitution fondée sur un enrichissement sans cause relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l’article 5, point 3, de ce règlement, il convient de vérifier si deux conditions sont satisfaites, à savoir, d’une part, que cette action ne se rattache pas à la matière contractuelle, au sens de l’article 5, point 1, sous a), dudit règlement, et, d’autre part, qu’elle vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur.
44 S’agissant de la première condition, la matière contractuelle, au sens de ce dernier article, comprend toute demande fondée sur une obligation librement consentie par une personne à l’égard d’une autre (voir, en ce sens, arrêt du 11 novembre 2020, Ellmes Property Services, C‑433/19, EU:C:2020:900, point 37 et jurisprudence citée).
45 Or, il y a lieu de faire observer, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 45 de ses conclusions, que, dans le cadre d’une demande en restitution fondée sur un enrichissement sans cause, l’obligation de restitution dont se prévaut le demandeur ne résulte pas, en règle générale, d’un engagement volontaire du défendeur à son égard mais naît indépendamment de la volonté de celui-ci. Il s’ensuit qu’une telle demande en restitution ne relève pas, en principe, de la matière contractuelle, au sens de l’article 5, point 1, sous a), du règlement no 44/2001.
46 Cette interprétation est corroborée par la lecture conjointe de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 et de l’article 2 du règlement no 864/2007, lequel est, dans le domaine des conflits de lois, le pendant de ce que constitue, dans le domaine des conflits de juridictions, cet article 5, point 3, étant rappelé que ces deux règlements doivent, dans la mesure du possible, être interprétés de manière cohérente. En effet, l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 864/2007 prévoit que l’obligation de restitution trouvant sa source dans un enrichissement sans cause est considérée comme étant une obligation non contractuelle, relevant de ce règlement et faisant l’objet, conformément à l’article 10 de celui-ci, de règles de conflit de lois spécifiques (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, ERGO Insurance et Gjensidige Baltic, C‑359/14 et C‑475/14, EU:C:2016:40, points 45 et 46).
47 Toutefois, afin de donner une réponse complète à la juridiction de renvoi, il convient d’ajouter que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 48 à 52 de ses conclusions, une demande en restitution fondée sur un enrichissement sans cause peut, dans certaines circonstances, être étroitement liée à une relation contractuelle entre les parties au litige et, par suite, être considérée comme relevant de la « matière contractuelle », au sens de l’article 5, point 1, sous a), de ce règlement.
48 Parmi ces circonstances figure celle où la demande en restitution fondée sur un enrichissement sans cause se rattache à une relation contractuelle préexistante entre les parties. Tel est par exemple le cas, ainsi que l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 50 de ses conclusions, lorsque le demandeur se prévaut d’un enrichissement sans cause en lien étroit avec une obligation contractuelle qu’il considère comme invalide ou qui n’a pas été exécutée par le défendeur, ou encore qu’il estime avoir « sur-exécutée », ce dans le but de justifier son droit à restitution.
49 À cet égard, la Cour a déjà jugé qu’une demande en restitution de prestations fournies au titre d’un contrat invalide relève d’une telle matière (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 2016, Profit Investment SIM, C‑366/13, EU:C:2016:282, points 55 et 58).
50 Du reste, un tel rattachement est conforme aux objectifs de proximité et de bonne administration de la justice, poursuivis par l’article 5, point 1, sous a), du règlement no 44/2001, qui impliquent que le juge du contrat puisse se prononcer sur les conséquences de son invalidité, de son inexécution ou de sa « sur-exécution » et, partant, sur les éventuelles restitutions qui en découlent, dès lors qu’il existe un lien de rattachement particulièrement étroit entre la demande et le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été exécutée ou doit être exécutée, au sens de cette disposition.
51 Il résulte de ce qui précède qu’une action en restitution fondée sur un enrichissement sans cause ne relève pas de la matière contractuelle et, ce faisant, satisfait à la première condition visée au point 43 du présent arrêt, à moins que cette action se rattache étroitement à une relation contractuelle préexistante entre les parties.
52 S’agissant de la seconde condition énoncée à ce même point 43 du présent arrêt, il convient de vérifier si une action en restitution fondée sur un enrichissement sans cause vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur.
53 À cet égard, la Cour a jugé que tel est le cas lorsqu’un fait dommageable, au sens de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, peut être imputé au défendeur, en ce qu’il lui est reproché un acte ou une omission contraire à un devoir ou à une interdiction imposée par la loi. En effet, une responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle ne peut entrer en ligne de compte qu’à la condition qu’un lien causal puisse être établi entre le dommage et le fait illicite dans lequel ce dommage trouve son origine (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2016, Austro-Mechana, C‑572/14, EU:C:2016:286, points 40, 41 et 50 ainsi que jurisprudence citée).
54 Il convient d’ajouter, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 61 de ses conclusions, que ces précisions valent indistinctement pour l’ensemble de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, sans qu’il y ait lieu de distinguer spécifiquement la matière quasi délictuelle. En effet, outre le fait que l’expression « quasi délictuelle » ne figure pas dans les versions danoise, estonienne, néerlandaise, portugaise, slovaque, finnoise et suédoise de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001, la notion de « quasi-délit » renvoie non pas tant à des situations caractérisées par une absence de fait dommageable qu’à des situations dans lesquelles le fait dommageable est commis par imprudence ou par négligence. Une demande ne saurait donc relever de la matière délictuelle ou quasi délictuelle lorsque la responsabilité du défendeur qui est en jeu ne repose pas sur l’existence d’un fait dommageable, au sens exposé au point précédent.
55 Or, une demande en restitution fondée sur un enrichissement sans cause repose sur une obligation qui ne trouve pas sa source dans un fait dommageable. En effet, cette obligation naît indépendamment du comportement du défendeur si bien qu’il n’existe pas de lien causal qui puisse être établi entre le dommage et un éventuel acte ou omission illicite commis par celui-ci.
56 Partant, une demande en restitution fondée sur un enrichissement sans cause ne saurait relever de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001.
57 Cette conclusion ne saurait être contredite par l’arrêt du 21 avril 2016, Austro-Mechana (C‑572/14, EU:C:2016:286), dans lequel la Cour a considéré que la demande d’une société de gestion collective de droits d’auteur relative à l’obligation de paiement d’une « compensation équitable », au sens de l’article 5, paragraphe 2, sous b), de la directive 2001/29, qui, selon le droit national, incombe aux entreprises qui procèdent à la première mise en circulation de supports d’enregistrement sur le territoire national, à des fins commerciales et à titre onéreux, relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001. En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 72 de ses conclusions, l’obligation servant de fondement à cette demande trouvait sa source dans un fait dommageable, à savoir le préjudice des titulaires de droits d’auteur lié à la copie privée sur les supports d’enregistrement commercialisés.
58 Il convient encore de faire observer qu’il est possible qu’une demande en restitution fondée sur l’enrichissement sans cause ne relève ni de la matière contractuelle, au sens de l’article 5, point 1, sous a), du règlement no 44/2001, ni de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l’article 5, point 3, de ce règlement. Tel est, en effet, le cas lorsque cette demande n’est pas étroitement liée à une relation contractuelle préexistante entre les parties au litige concerné.
59 Dans une telle situation, une demande en restitution fondée sur un enrichissement sans cause relève du chef de compétence des juridictions de l’État membre du domicile du défendeur, conformément à la règle générale prévue à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 44/2001.
60 À la lumière de l’ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une action en restitution fondée sur un enrichissement sans cause ne relève pas du chef de compétence prévu par cette disposition.
Sur les dépens
61 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
1) L’article 22, point 5, du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, établissant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’une action en restitution fondée sur un enrichissement sans cause ne relève pas de la compétence exclusive prévue à cette disposition, alors même qu’elle a été engagée en raison de l’expiration du délai dans lequel la restitution des sommes indûment versées lors d’une procédure d’exécution forcée peut être réclamée dans la cadre de cette même procédure d’exécution.
2) L’article 5, point 3, du règlement no 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’une action en restitution fondée sur un enrichissement sans cause ne relève pas du chef de compétence prévu par cette disposition.