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Décisions

Cass. com., 1 décembre 2021, n° 19-16.529

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

R+V Versicherung AG (Sté)

Défendeur :

société Risk Insurance & Reinsurance Solutions (SARL), Selarl société Fides (ès qual)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Rapporteur :

Mme Comte

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Spinosi

Paris, pôle 2 ch. 5, du 5 févr. 2019

5 février 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 février 2019), les sociétés Risk Insurance & Reinsurance Solutions (la société Risk) et Reass France, d'une part, et la société R+V Versicherung (la société R+V), d'autre part, ont signé, entre le 1er avril 2001 et le 15 janvier 2002, divers contrats.

2. Le 17 avril 2003, la société R+V a notifié aux entités de la société Risk la résiliation de tous les contrats signés avec elle.

3. Par une ordonnance du 18 novembre 2004, la High Court of Justice de Londres, saisie par la société R+V, a condamné les sociétés Risk et Reass France à payer à celle-ci diverses sommes à titre de dommages-intérêts. Par un jugement du même jour, elle a jugé bien fondées les résiliations des contrats opérées par la société R+V et, par des ordonnances des 16 décembre 2004 et 18 février 2005, elle a condamné ces mêmes sociétés à payer des sommes identiques à la société R+V. Par un arrêt du 14 janvier 2006, la cour d'appel de Paris a rendu exécutoire l'ordonnance du 18 février 2005.

4. Invoquant la résiliation abusive des contrats français, la société Risk et la société EMJ, devenue Fides, prise en la personne de M. [G], agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Reass France, ont assigné la société R+V en réparation de leurs préjudices.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Les sociétés Risk et Fides, ès qualités, font grief à l'arrêt de déclarer bien fondée la résiliation sans préavis des contrats par la société R+V et de rejeter leurs demandes indemnitaires, alors « que pour motiver sa décision, le juge doit se déterminer d'après les circonstances particulières du procès et non par voie de référence à des causes déjà jugées dans une autre instance, fût-ce entre les mêmes parties ; qu'en l'espèce, pour considérer que la résiliation des contrats litigieux aurait été légitime en raison notamment de l'existence d'une perte de confiance généralisée", la cour d'appel, après avoir pourtant jugé que les décisions des 18 novembre et 16 décembre 2004 de la High Court of Justice de Londres n'avaient pas autorité de la chose jugée, n'a eu de cesse de se référer à ces décisions ; qu'en statuant ainsi, alors que les décisions de la High Court of Justice de Londres étaient intervenues dans un litige distinct relatif à d'autres contrats soumis au droit anglais, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

6. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

7. Pour considérer que les résiliations des contrats étaient bien fondées en raison d'actes de conspiration, de mensonges, de la perception de commissions complémentaires indues et de fautes commises dans l'exécution des contrats MPF et Vivendi et rejeter les demandes des sociétés Risk et Fides, ès qualités, l'arrêt retient que les fautes relevées par la juridiction anglaise commise au préjudice de la société R+V ont pu justifier la résiliation unilatérale des contrats français le 17 avril 2003.

8. En statuant ainsi, par voie de référence à une cause déjà jugée, alors qu'elle devait, pour apprécier les griefs invoqués par la société R+V contre les sociétés Risk et Fides, ès qualités, se déterminer au vu des circonstances particulières de l'espèce, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

9. Les sociétés Risk et Fides, ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes indemnitaires au titre de la captation de clientèle commise par la société R+V, alors « que les agissements déloyaux engagent la responsabilité de leur auteur, notamment lorsqu'ils s'accompagnent d'une captation de clientèle, peu important l'existence ou l'absence d'une clause de non-concurrence ; qu'en l'espèce, les sociétés du groupe Risk, après avoir rappelé l'exigence essentielle de la bonne foi dans l'exécution des conventions, avaient soutenu que la société R+V avait commis des actes déloyaux en démarchant leur propre clientèle ; qu'en se bornant à retenir, pour exclure toute captation de clientèle, que la société R+V n'aurait pas accepté la clause de non-concurrence insérée dans les conditions générales des sociétés Risk, cependant que cette circonstance était indifférente, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si la société R+V ne s'était pas livrée à une concurrence déloyale au détriment des sociétés Risk et Fides, ès qualités, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

10. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

11. Pour écarter le grief relatif à une captation de clientèle invoquée par la société Risk contre la société R+V, l'arrêt retient que cette dernière n'avait pas accepté la clause de non-concurrence invoquée.

12. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la société R+V n'avait pas commis des actes de concurrence déloyale engageant sa responsabilité, dès lors que, peu important l'absence de clause de non-concurrence, le déplacement de la clientèle résultant de tels actes est fautif, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

13. Les sociétés Risk et Fides, ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes d'indemnisation des préjudices qu'elles ont subis du fait des actes de dénigrement commis par la société R+V et dont elles ont été victimes, alors « que tout jugement doit, à peine de nullité, être motivé ; que les sociétés Risk soutenaient que la société R+V s'était livrée à des actes de dénigrement à leur encontre auprès de leur clientèle commune ; qu'en retenant simplement, par une formule générale insuffisamment motivée, qu'aucune des sociétés demanderesses ne rapporte la preuve que la société R+V aurait commis à leur égard une faute ou un abus de droit", la cour d'appel s'est déterminée par un motif d'ordre général, violant par la même l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

14. Pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par les sociétés Risk et Fides, ès qualités, pour atteinte à leur crédit et à leur réputation, l'arrêt se borne à retenir que la preuve d'une faute ou d'un abus de droit commis par la société R+V contre celles-ci n'est pas établie.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare bien fondée la résiliation sans préavis des contrats par la société R+V Versicherung, et rejette les demandes principales et subsidiaires des sociétés Risk Insurance & Reinsurance Solutions et Fides, prise en la personne de M. [G], agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Reass France, ainsi que leurs demandes de dommages-intérêts, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.