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Décisions

Cass. com., 1 décembre 2021, n° 19-26.181

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

société Bretagne habitation ingénierie (SARL)

Défendeur :

société Bretagne maîtrise d'oeuvre (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Darbois

Avocat :

SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Rennes, 3e ch. com., du 5 nov. 2019

5 novembre 2019

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bellino, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [N] et de la société Bretagne maîtrise d'oeuvre, et l'avis de M. Debacq, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 octobre 2021 où étaient présentes Mme Darbois, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bellino, conseiller référendaire rapporteur, Mme Champalaune, conseiller, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à M. [N] et à la société BMO de leur reprise d'instance contre la SAS [I]-[O] & associés, prise en la personne de Mme [O], en qualité de liquidateur judiciaire de la société Bretagne habitation ingénierie.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 5 novembre 2019), M. [N], salarié de la société Bretagne habitation ingénierie (la société BHI), qui a pour activité toutes opérations industrielles et commerciales, de conception et d'exécution, se rapportant à l'aménagement, la rénovation, la réhabilitation, la construction ou la vente de maisons individuelles et bâtiments à usage d'habitation, industriel, artisanal ou commercial, est entré à son capital social le 22 décembre 2011 en devenant associé unique de la société SDPMI, elle-même détentrice de parts de la société BHI. Il en est devenu le gérant.

3. Il a démissionné de ses fonctions de dirigeant le 1er janvier 2013 et par acte du 30 mai 2013, il a cédé l'intégralité des parts de la société SDPMI à son associé et a souscrit une obligation de non-concurrence. Il a également mis fin à son contrat de travail le 19 septembre 2013 dans le cadre d'une rupture conventionnelle.

4. Le 22 octobre 2013, M. [N] a fait immatriculer la société Bretagne maîtrise d'oeuvre (la société BMO), dont il est devenu l'associé unique et gérant.

5. Mis en demeure par la société BHI de cesser son activité contraire à son engagement de non-concurrence, M. [N] s'est prévalu de la nullité de la clause pour absence de contrepartie financière. Lui imputant, ainsi qu'à la société BMO, des actes de concurrence déloyale, la société BHI les a assignés en paiement de dommages-intérêts.

6. Postérieurement au dépôt du pourvoi, la société BHI a été mise en liquidation judiciaire et la société [I]-[O] & associés, prise en la personne de Mme [O], a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Et sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. M. [N] et la société BMO font grief à l'arrêt de juger qu'ils ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société BHI, de les condamner in solidum à lui payer la somme de 57 333 euros en réparation de son manque à gagner et de débouter la société BMO du surplus de ses demandes indemnitaires, alors :

« 1°/ que le créancier d'une obligation contractuelle ne peut se prévaloir contre le débiteur de cette obligation, quand bien même il y aurait intérêt, des règles de la responsabilité délictuelle ; qu'en retenant qu'elle pouvait examiner les actes de concurrence déloyale imputés à M. [N], malgré la clause de non-concurrence souscrite par celui-ci, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1382 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ qu'en toute hypothèse, en retenant qu'elle pouvait examiner les actes de concurrence déloyale imputés à M. [N], malgré la clause de non-concurrence souscrite par celui-ci, sans constater la nullité de ladite clause qui continuait donc à produire ses effets entre les parties, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 et 1382 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ».

Réponse de la Cour

9. Le créancier d'une obligation contractuelle peut se prévaloir contre le débiteur de cette obligation des règles de la responsabilité délictuelle dès lors qu'il invoque des faits distincts.

10. L'arrêt constate que la société BHI avait initialement envisagé de se prévaloir de la violation de l'engagement de non-concurrence souscrit par M. [N] à son profit mais que dans la mesure où celui-ci s'est prévalu de la nullité de la clause, qu'elle n'a pas entendu contester, elle a finalement poursuivi son action en concurrence déloyale sur le fondement quasi-délictuel de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction alors applicable. Il relève que si c'est donc à tort que les premiers juges ont retenu que la création de la société BMO constituait un manquement grave au contrat de cession d'actions, ce que la société BHI ne plaidait même plus, pour autant les premiers juges ont également retenu que M. [N] avait commis des actes graves de déloyauté, tant dans le transfert de dossiers appartenant à la société BHI sur sa messagerie personnelle, cependant qu'il préparait la création de la société BMO, que dans la signature de contrats de maîtrise d'oeuvre avec ou grâce à des personnes connues par lui dans les fonctions qu'il avait exercées au sein de la société BHI. L'arrêt retient que M. [N], au cours des derniers mois de son activité au sein de la société BHI, a rencontré et prospecté plusieurs clients, qu'en dépit de son obligation de loyauté, il leur a révélé être en délicatesse avec son associé et s'apprêter à quitter la société BHI et en déduit que la divulgation à des tiers des dissensions internes à la société BHI participe du dénigrement de celle-ci, puisqu'elle a eu pour effet de jeter le discrédit sur la société et de dissuader ces clients potentiels de contracter avec elle, pour lui préférer la société BMO. Il ajoute que cette déloyauté est encore renforcée par les découvertes mises à jour par le constat d'huissier de justice établi à la demande de la société BHI, qui a révélé qu'alors que M. [N] négociait les conditions de la rupture de son contrat de travail, il a continué à transférer de sa messagerie professionnelle vers sa messagerie personnelle un grand nombre de documents appartenant à la société BHI, pour les utiliser ensuite au profit de la société BMO, afin de finaliser les projets de contrats de maîtrise d'oeuvre précédemment préparés pour le compte de la société BHI. De ces constatations et appréciations, dont il résulte qu'étaient invoquées contre M. [N] des fautes reposant sur des faits distincts de la seule violation de la clause de non-concurrence, la cour d'appel a exactement déduit, sans avoir à constater la nullité de ladite clause, que les fautes de concurrence déloyale imputées à M. [N] relevaient de la responsabilité extracontractuelle.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.