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Décisions

CA Bordeaux, ch. civ., 28 mai 2008, n° 07/01531

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Rainbow Et Cie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bougon

Conseillers :

M. Ors, M. Legras

Avocats :

Me Rolland, Scp Rivel & Combeaud, Me Riviere, Scp Riviere-Maubaret - Riviere - Borgia

TGI Bordeaux, du 07 mars 2007, n° 04/944

7 mars 2007

Par acte authentique des 15 et 16 juillet 1925 Lucien D. donnait à bail à la SA RAINBOW ET CIE pour une durée de 77 ans et demi un immeuble à usage commercial sis 30 Allées de Tourny à BORDEAUX destiné à l'exploitation d'un commerce de prêt-à-porter, l'assiette des locaux loués ayant été limitée par un avenant du 5 novembre 1980 au rez de chaussée, au premier étage et à une partie des caves de l'immeuble, le loyer annuel étant en dernier lieu (31 décembre 2002) de 31 974,96 € par an.

Selon protocole d'accord du 13 décembre 2002 faisant suite à une action en déplafonnement les parties convenaient du renouvellement du bail expiré pour une durée de neuf ans à compter du 1er janvier 2003, que le bail renouvelé échappait à la règle du plafonnement et tentaient de parvenir à un accord amiable sur la valeur locative après consultation de leurs experts respectifs, à défaut de quoi la partie la plus diligente devait saisir le Juge des Loyers Commerciaux. Les experts choisis parvenaient à une estimation de la valeur locative à 67.850 € par an.

Par mémoire notifié le 30 septembre 2003 les consorts D. saisissaient le Juge des Loyers Commerciaux du tribunal de grande instance de BORDEAUX aux fins de désignation d'un autre expert que ceux précédemment consultés pour rechercher la valeur locative.

Par jugement avant dire droit du 9 juin 2004 ce juge a constaté que le bail renouvelé échappait à la règle du déplafonnement en vertu de l'article L. 145-34 du Code de commerce, a ordonné une expertise confiée à monsieur L. avec mission de rechercher la valeur locative du local loué et a fixé un loyer provisionnel annuel de 68 000 € .

L'expert a déposé son rapport le 4 mai 2006.

Par jugement contradictoire du 7 mars 2007 le juge des loyers commerciaux a :

fixé le prix du loyer du bail renouvelé à la somme annuelle de 112 100 € à effet du 1er janvier 2003 ;

rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal sur la différence entre les loyers réglés et les loyers dus et au fur et à mesure de chaque échéance et que les intérêts sont capitalisés à compter du 30 décembre 2003 ;

condamné la SA RAINBOW ET CIE à une indemnité au titre des frais irrépétibles de 3 000 € .

La SA RAINBOW ET CIE a interjeté appel le 22 mars 2007 de ce jugement dont, par dernières écritures récapitulatives du 21 janvier 2008, elle conclut à la réformation avec la fixation de la valeur locative des locaux au montant déterminé en commun par les experts désignés par les parties soit à la somme de 230 € le m² pondéré ou de 68 000 € HT par an, et elle demande une indemnité de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Subsidiairement elle demande que soit ordonnée une nouvelle mesure d'expertise visant les mêmes fins que la précédente et confiée à trois nouveaux experts.

Victoria D., Michel R., Françoise G. et Yves R., intimés et appelants incidents, ont conclu en dernier lieu le 18 septembre 2007 à la réformation du jugement et à la fixation de la valeur locative à la somme de 118 000 € par an au 1er janvier 2003 avec paiement des intérêts de droit sur la différence à chaque échéance entre le loyer effectivement payé et celui du et capitalisation des intérêts à compter du 1er janvier 2004. Ils demandent d'autre part une indemnité de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

MOTIFS ET DECISION

Attendu que le principe du déplafonnement du loyer a été admis par les parties en considération de la durée du bail initial aux termes du protocole d'accord du 13 décembre 2002 et ne fait pas débat, le litige ne portant que sur l'évaluation de la valeur locative des locaux loués et par suite la fixation du montant du loyer ;

Attendu que ce montant a jusqu'ici fait l'objet de trois évaluations :

en décembre 2003 par la Commission de Conciliation en matière de Baux Commerciaux: à la somme de 97 600 € par an donnant une valeur locative de 330,85 € le m² ;

en février 2003 par les experts C. et B. désignés par les parties suite à leur protocole d'accord: à la somme de 68 000 € HT par an sur la base d'une valeur locative de 230 € le m² ;

par l expert L. désigné par le premier juge: à la somme de 85 550 € HT ou de 118 000 € HT par an sur la base d'une valeur locative de 290 € ou de 400 € le m² selon qu'il ait été versé ou non un droit d'entrée ;

et le premier juge a lui-même retenu un montant annuel de 112 100 € sur la base d'une valeur locative de 380 € le m², ce qui a pu conduire l'appelante, ayant de son côté obtenu d'un quatrième expert consulté par elle (L.) en septembre 2007 une évaluation à 500 € le m², à relever les importantes disparités entre ces évaluations pour évoquer une cacophonie expertale' et conclure à l'opportunité d'une nouvelle expertise confiée à trois professionnels,

ce recours n'apparaissant toutefois pas nécessaire dès lors que la cour dispose de tous les éléments d'appréciation pour statuer ;

Attendu que le prix du loyer lors du renouvellement du bail ne peut constituer un repère privilégié dès lors que du fait de son exceptionnelle durée le seul jeu de l'indexation a pu conduire à une réelle déconnection de la réalité économique telle qu elle apparaît avec les prix de comparaison ;

Attendu d'autre part qu'une évaluation basse telle que celle de l'expert L. à 290 € le m² fondée sur la prise en compte d'un éventuel droit d'entrée n'a pas lieu d'être dès lors que l'existence d'un tel pas de porte ne ressort d'aucun élément matériel et en tout état de cause pas du bail initial et n'est en fin de compte que supposée ;

Attendu que l'article L 145-33 du Code de commerce, qui a repris les termes de l'article 23 du décret n°53-960 du 30 septembre 1953, dispose que le montant des loyers des baux renouvelés doit correspondre à la valeur locative laquelle, à défaut d'accord, est déterminée d'après cinq éléments qu'il convient de tous prendre en considération sans en négliger aucun et qui seront repris dans l'ordre du texte ;

que les caractéristiques propres au local considéré concernent la situation de l'immeuble, sa commodité d'accès au public, la surface globale des locaux, leur distribution interne, leur affectation et leur volume ainsi que leur état d'entretien et de vétusté et les éventuels travaux effectués procurant une amélioration et excédant les strictes obligations contractuelles du bailleur ou du preneur ;

que l'immeuble a été parfaitement décrit par l'expert L. avec comme caractéristiques essentielles une façade 18ème au sein d'un quartier considéré comme prestigieux, la disposition de plusieurs vitrines et d'un étage utilisable comme surface de vente, justifiant le taux de pondération de 0,5 appliqué, et une surface utile pondérée de 295 m² très supérieure à la moyenne des locaux commerciaux de l'hyper-centre ;

qu'il n'est pas contesté que le preneur ait fait effectuer des travaux d'aménagement et de décoration intérieure avec la précision que ceux-ci remonteraient pour l'essentiel à plusieurs décennies compte tenu de l'ancienneté du bail ;

Attendu, s'agissant de la destination des lieux, que la valeur locative pouvant varier selon que le locataire dispose ou non d'une plus ou moins grande liberté pour exercer le commerce de son choix ou modifier la nature de son activité il a été pris en compte le fait qu'il s'agissait d'un bail tous commerces autre que la restauration, non limité par l obligation de solliciter l'autorisation du bailleur pour céder le droit au bail, ce qui justifie habituellement une majoration de l'ordre de 15% ;

que, sur les obligations respectives des parties, visant les contraintes juridiques pesant sur chacune des parties au bail et en particulier sur le locataire, le bail a pu à juste titre être qualifié par l'expert L. de tout à fait avantageux pour le preneur au regard de la libre cession du droit au bail déjà évoquée, du maintien à la charge du bailleur de la taxe foncière et, de façon plus exceptionnelle, de l'autorisation donnée au locataire de pratiquer des ouvertures vers les immeubles voisins, largement mise à profit au cas d'espèce grâce à la disposition d'autres baux ;

que la faculté de sous-louer librement, qui ne peut être contestée dès lors que le bail y fait référence, doit également être relevée et son impact relativisé compte tenu de l'importante réduction de l'assiette du bail intervenue en 1980 la limitant aux locaux occupés par la SA RAINBOW et CIE ;

Attendu que les obligations du preneur qualifiées de lourdes par l'appelante telles que celle d'assurer les travaux locatifs qui pouvaient être conséquents lors de l'entrée dans les lieux sont à apprécier là encore à l'aune du temps écoulé et l'obligation de garantie solidaire envers le bailleur du paiement des loyers et des conditions de bail en cas de sous-location ou de cession de bail n'est pas anormale ;

Attendu enfin que les contraintes d'architecture inhérentes à la situation de l'immeuble ne sont que la contrepartie logique d'un emplacement dans le centre historique d'une grande ville ;

Attendu que les facteurs locaux de commercialité s'appliquant à des éléments particuliers au quartier voire à la rue où est implanté le commerce et en particulier à la répartition des activités dans le voisinage il a été retenu par l'expert L. une commercialité secondaire au regard de celle de la rue Porte- Dijeaux et l'appelante souligne qu'il s'agit d'un secteur dominé par des activités sans rapport avec le commerce de l'habillement pour lequel on note un déplacement vers des quartiers plus populaires, cependant le juge a quant à lui relevé la proximité avec le Marché des Grands Hommes qui regroupe des commerces et boutiques de luxe avec une bonne chalandise et même avec le cours de l'Intendance où sont implantés d'autres commerces de vêtements et il doit nécessairement être pris en compte le caractère haut de gamme du commerce considéré dont la clientèle est sans doute en large part distincte de celle d'enseignes de type franchise ;

que par ailleurs il n'a été relevé aucun élément négatif relatif à l'accessibilité quel que soit le mode de déplacement du public et les comptages de piétons ont été effectué en octobre 2004 et février 2005 après qu'une notable modification des facteurs locaux de commercialité soit intervenue (piétonnisation du cours de l'intendance et circulation du tram) ;

Attendu que les prix couramment pratiqués dans le voisinage doivent concerner des locaux équivalents à celui considéré eu égard à l'ensemble des éléments précédents et, à défaut, constituer une indication pour la détermination d'un prix de base à corriger en fonction des différences constatées ;

qu'à défaut de détermination tant par l'expert L. que par les parties d'élément de comparaison équivalent en termes d'emplacement, de type d'activité et d'enseigne, de surface commerciale et de particularités tenant au bail il a néanmoins pu être utilement considéré plusieurs points de comparaison repris par le premier juge:

le magasin Mod 1 cours de l Intendance avec un loyer de 221,39 € le m² ;

le magasin Hugo Boss 6 rue Montesquieu avec un loyer de 178,29 € le m² pour 250 m² de surface pondérée ;

le magasin Lothaire 56 cours de l Intendance avec un loyer de 274,23 € le m² pour 295 m² de surface pondérée telle que calculée par l'expert B., la démonstration de la fausseté de cette superficie sur le fondement du rapport de monsieur L. n'étant pas rapportée ;

Attendu que les références à des locaux occupés par des banques ne sont pas pertinentes et il ne peut non plus être pris en compte une offre qui a pu être présentée aux bailleurs pour des locaux situés certes dans le même immeuble mais dans un cadre très différent et qui ne s'est en toute hypothèse pas concrétisée ;

Attendu en définitive que la cour est, à partir de l'ensemble des éléments qui précédent, en mesure de fixer, par réformation, la valeur locative à la somme de 335 € le m² donnant un loyer annuel de 98.825 € HT à compter du 1er janvier 2003 ;

que les dispositions concernant le décompte des intérêts de rattrapage et l'anatocisme seront confirmées ;

Attendu que les deux parties succombant il n'y a pas lieu de faire application en l'espèce des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et chaque partie conservera la charge de ses dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

REFORMANT: FIXE le montant du loyer du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2003 à la somme annuelle de 98 825 € HT,

CONFIRME les dispositions relatives aux intérêts,

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

DIT n y avoir lieu de faire application en l espèce des dispositions de l article 700 du Code de procédure civile,

DIT que chaque partie, succombant, supportera ses propres dépens.