Cass. 3e civ., 11 avril 2019, n° 18-14.252
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
société immobilière Lacroix (SAS)
Défendeur :
société Sedev (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Rapporteur :
Mme Provost Lopin
Avocat général :
Mme Guilguet Pauthe
Avocats :
SCP Ortscheidt, SCP Garreau, Bauer Violas et Feschotte Desbois
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 18 janvier 2018), que, le 27 février 2012, la société immobilière Lacroix, propriétaire d’un immeuble donné à bail commercial à la société Sedev, a sollicité la révision triennale du loyer, puis, le 23 avril 2013, a assigné la société locataire en révision du loyer ; que, le 22 juin 2012, celle-ci a notifié une demande de renouvellement du bail à compter du 1 juillet 2012, puis, le 25 avril 2015, a saisi le juge des loyers commerciaux en fixation d’un loyer plafonné ; qu’à titre reconventionnel, la société bailleresse a sollicité le déplafonnement du loyer du bail renouvelé ;
Attendu que la société immobilière Lacroix fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen :
1 ) que, lorsque le loyer a fait l'objet d'une révision triennale, la variation indiciaire prévue par l'article L. 145-34 du code de commerce pour la fixation du prix du bail renouvelé doit être appliquée, non au loyer initial acquitté par le preneur lors de la prise d'effet du bail à renouveler, mais au montant du loyer révisé ; qu'en retenant néanmoins que l'article L. 145-34 du code de commerce fait référence à la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré sans que puisse être prise en compte une révision légale du loyer au cours du bail à renouveler, ce qui conduit à prendre en compte un loyer qui n'est plus appliqué et à faire échec à la règle d'ordre public de la révision triennale du loyer, la cour d'appel a violé l'article L. 145-34 du code de commerce ;
2 ) que la société immobilière Lacroix faisait valoir, dans ses dernières conclusions déposées et signifiées le 20 septembre 2017, que si l'atteinte aux droits fondamentaux du bailleur, et en particulier à son droit de propriété, protégé par l'article 1 du protocole additionnel n 1 de la Convention européenne des droits de l'homme et qui implique que le propriétaire soit libre de louer son bien au tarif qu'il souhaite, est abstraitement justifiée par un intérêt légitime et proportionnée au but de protection du locataire poursuivi, l'application in casu de l'article L. 145-34 du code de commerce, en ce qu'elle revient à diviser par plus de trois le loyer fixé par rapport à celui qu'il aurait dû percevoir compte tenu de la valeur locative du bien, créaient en revanche un déséquilibre flagrant entre les intérêts en présence, rendant ainsi l'atteinte au droit de propriété du bailleur illégitime ; qu'en se prononçant uniquement sur le point de savoir si l'article L. 145-34 poursuivait un but légitime et si les restrictions imposées étaient proportionnelles à ce but recherché, soulignant le caractère supplétif de l'article L. 145-34 du code de commerce, la possibilité pour le bailleur de refuser le renouvellement du bail et en évoquant la carence prétendue de la société immobilière Lacroix à l'occasion du renouvellement précédent, la cour d'appel n'a pas répondu au moyen déterminant de la société Immobilière Lacroix relatif à la rupture de l'équilibre des droits et à l'atteinte disproportionnée à son droit de propriété qu'elle a subie en se voyant imposer le paiement d'un loyer inférieur à celui révisé et perçu au titre du bail renouvelé, et ne correspondant pas à la valeur locative fixée par le juge des loyers, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;
3 / qu'il y a modification notable des obligations respectives des parties et des éléments de la valeur locative chaque fois qu'est constatée une impossibilité technique d'appliquer les règles du plafonnement, que celle-ci procède d'une modification conventionnelle du montant du loyer ou d'une demande de révision judiciairement prononcée par le juge sur le fondement de l'article L. 145-39 du code de commerce ; qu'en retenant que la révision triennale du loyer fixée par le tribunal de grande instance de Douai à la valeur locative de 113 299 euros hors taxes hors charges par an à compter du 27 février 2012, jusqu'au terme du bail, n'avait pu constituer une modification notable des obligations des parties justifiant le déplafonnement du loyer, motif pris qu'elle était intervenue aux termes des dispositions légales et non dans un cadre conventionnel et dans des conditions étrangères à la loi et au bail initial, cependant que la révision du loyer, même lorsqu'elle est prononcée judiciairement, rend techniquement impossible l'application de l'indice de variation utilisé pour le calcul du plafonnement au loyer d'origine, lequel ne correspond plus à celui effectivement appliqué par les parties mais à un nouveau montant fixé par décision du juge des loyers constatant une modification de la valeur locative, la cour d'appel a violé l'article L. 145-34 du code de commerce ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d’appel a exactement retenu que, pour calculer le montant du loyer plafonné au 1 juillet 2012, le loyer à prendre en considération pour l’application de la variation indiciaire était celui fixé par les parties lors de la prise d’effet du bail à renouveler, nonobstant la fixation judiciaire du loyer révisé au cours du bail expiré ;
Attendu, en deuxième lieu, que la cour d'appel n'avait pas à répondre à des conclusions inopérantes dès lors que la société Immobilière Lacroix, qui ne prétendait pas être privée de tout bénéfice financier, n'est pas fondée à invoquer les dispositions de l'article 1 du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Attendu, en troisième lieu, qu’ayant constaté que le loyer révisé avait été fixé judiciairement à la valeur locative à compter du 27 février 2012 jusqu'au terme du bail, la cour d’appel en a exactement déduit que cette fixation judiciaire intervenue en application des dispositions légales, dans des conditions étrangères au bail, ne constituait pas une modification notable des obligations respectives des parties justifiant le déplafonnement du loyer ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur la quatrième branche du moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.