CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 décembre 2021, n° 19/17905
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
SCP BTSG (ès qual.), Make up Instinct (SAS), Selarl Ascagne AJ (ès qual.)
Défendeur :
Monoprix (SAS), Monoprix Exploitation (SAS)
FAITS ET PROCÉDURE :
Vu le jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 9 septembre 2019 par le tribunal de commerce de Paris qui a :
- dit que le jugement n'était pas opposable à Me X, es qualités d'administrateur judiciaire des sociétés Eden et Gade cosmétiques,
- déclaré recevables et régulières les demandes de la selarl Ascagne AJ, es qualités d'administrateur judiciaire de la société Make up instinct,
- débouté la société Make up instinct de sa demande relative aux dispositions de l'article L. 442-6-I 5 ° du code de commerce,
- condamné la société Monoprix à payer à la société Make up instinct la somme de 42 385,32 €, au titre de la régularisation des remises indues,
- débouté la société Make up instinct de sa demande en paiement des factures émises n° 20181231 et n° 20190228,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,
- condamné la société Monoprix aux dépens ;
Vu l'appel relevé le 18 septembre 2019 par la société Make up instinct et par la selarl Ascagne AJ, ès qualités d'administrateur judiciaire de cette société, à l'encontre de la société Monoprix, de la société Monoprix exploitation et de Me X;
Vu la liquidation judiciaire de la société Make up instinct prononcée le 26 septembre 2019, la scp B.T.S.G prise en la personne de Me Y étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire de cette société;
Vu les dernières conclusions notifiées le 27 septembre 2021 par la scp B.T.S.G, prise en la personne de Me Y, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Make up, et par la selarl Ascagne AJ, « en sa qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société Make up instinct selon jugement du tribunal de commerce de Paris du 20 février 2019, désormais dessaisie du fait de la cessation de ses fonctions ès qualités susvisées », qui demandent à la cour, au visa des articles L. 442-6-I 5° ancien du code de commerce devenu l'article L. 442-1 II nouveau du code de commerce, des articles 1101, 1103, 1104, 1240, 1241, 1112, 1112-1 et 1231-1 du code civil ainsi que des articles L. 642-1 et suivants du code de commerce, R. 642-6, R. 642-7 et L. 642-7 du code de commerce, de :
- déclarer la scp B.T.S.G, ès qualités, recevable en son appel et bien fondé en ses écritures,
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
- considéré comme établie la relation commerciale entretenue entre la société Monoprix et la société Gade cosmétiques, relation commerciale reprise par la société Make up instinct,
- considéré que l'ancienneté de la relation commerciale entre les sociétés Monoprix et Gade cosmétiques avait été reprise par la société Make up instinct par jugement de cession du 30 novembre 2017, fixant l'ancienneté de la relation à 13 ans,
- considéré que les conditions générales de vente de la société Make up instinct ont bien été envoyées à la société Monoprix par mail du 16 février 2018 et font partie de l'accord-cadre 2018,
- le réformer pour le surplus et, statuant à nouveau :
Sur le gain manqué du fait des déréférencements de la société Make up instinct au sein du réseau Monoprix durant la période de préavis :
- à titre principal, sur la rupture brutale de la relation commerciale établie :
Dire que pendant le préavis de 2 ans accordé par les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation, celles-ci ont déréférencé la société Make up instinct de plusieurs magasins Monoprix dès le mois de janvier 2018, ont réduit les casiers qui lui avaient jusqu'alors été dévolus et ont drastiquement réduit le volume de commandes,
Dire que le préavis n'a pas été exécuté correctement et loyalement, qu'il s'est trouvé vidé de toute sa substance et de son intérêt, n'ayant pas permis à la société Make up instinct de se réorganiser,
En conséquence condamner in solidum les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation à payer à la scp B.T.S.G, ès qualités, la somme de 461 265,36 au titre de la perte de marge brute durant le préavis qui aurait dû lui être pleinement accordé jusqu'au 31 décembre 2019,
- à titre subsidiaire, sur le manquement de la société Monoprix à son obligation de bonne foi durant l'exécution du contrat :
Dire que pendant le préavis de 2 ans accordé par les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation, celles-ci ont déréférencé la société Make up instinct de plusieurs magasins Monoprix, ont réduit les casiers qui lui avaient jusqu'alors été dévolus et ont drastiquement réduit le volume de commandes,
En conséquence, sur le fondement de la responsabilité contractuelle prévue à l'article 1231-1 du code civil, condamner in solidum les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation à payer à la scp B.T.S.G, ès qualités, la somme de 461 265,36 au titre de la perte de marge brute durant le préavis qui aurait dû être correctement exécuté jusqu'au 31 décembre 2018,
- à titre très subsidiaire :
Dire que les conditions générales de vente 2018 de la société Make up instinct ont été acceptées par les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation et leur sont dès lors opposables,
Dire que ces conditions générales conditionnaient la remise commerciale de 32,74 % au profit des sociétés Monoprix et Monoprix exploitation au respect des référencements de la société Make up instinct chez son distributeur Monoprix,
Dire que durant le préavis accordé, les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation ont déréférencé la société Make up instinct de plusieurs magasins dès le mois de janvier 2018, ont réduit les casiers qui lui avaient jusqu'alors été dévolus et ont drastiquement réduit le volume des commandes,
En conséquence, condamner in solidum les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation à payer à la scp B.T.S.G, ès qualités, la somme de 1 050 552,29 au titre de la régularisation des remise indues accordées en 2018 et 2019 à Monoprix (facture n° 20181231 d'un montant de 961 556,57 pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2018 et facture n° 20190228 d'un montant de 88 995,72 pour les mois de janvier et février 2019),
En second lieu et cumulativement, sur la perte subie du fait de la faute délictuelle de la société Monoprix ayant déterminé la société Make up instinct au rachat des sociétés Eden et Gade cosmétiques :
- dire que les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation avaient déjà, au jour du jugement homologuant la cession de la société Gade cosmétiques à la société Make up instinct en cours de constitution, la volonté de rompre les relations autrefois nouées avec la société Gade cosmétiques et poursuivies par la société Make up instinct,
- dire qu'elles ont commis une faute délictuelle en ne faisant pas preuve de transparence sur leurs intentions réelles lors de la reprise de la société Gade cosmétiques par la société Make up instinct en cours de constitution,
- dire que la société Make up instinct n'aurait jamais acquis les sociétés Eden et Gade cosmétiques en l'absence de la poursuite des relations commerciales établies,
- dire qu'en raison de l'attitude fautive des intimées, la société Make up instinct a engagé des frais en vain dans le cadre de rachat, lui ayant causé un préjudice direct, distinct de celui causé par les déréférencements durant la période de préavis,
- sur le fondement de la responsabilité délictuelle prévue par les articles 1240 et 1241 du code civil, condamner in solidum les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation à payer à la scp B.T.S.G, ès qualités, la somme de 448 468,91 ,
- sur les dépens et les frais irrépétibles :
- condamner in solidum les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation à payer à la scp B.T.S.G, ès qualités, la somme de 20 000 en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 27 septembre 2021 par la société Monoprix et la société
Monoprix exploitation qui demandent à la cour, au visa des articles 872, 873 et 973-1 du code de procédure civile, de l'article 1103 du code civil ainsi que des articles 576 et 122 du code de procédure civile :
Sur les demandes de la scp B.T.S.G, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Make up, de :
- dire irrecevable la prétention nouvelle de la scp B.T.S.G , ès qualités, relative à leur condamnation à lui payer la somme de 448 468,91 sur le fondement de leur prétendue faute délictuelle,
- débouter la scp B.T.S.G, ès qualités, de l'intégralité de ses autres demandes,
Sur leurs demandes dans le cadre de leur appel incident :
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Monoprix sas à payer à la société Make up intinct la somme de 42 385,32 au titre de la régularisation des remises sur l'exercice 2019 et débouté la société Monoprix de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement en toutes ses autres dispositions,
Condamner la scp B.T.S.G, ès qualités :
- à payer à chacune d'elles la somme de 10 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- à supporter les dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de Me O... D..., conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
SUR CE, LA COUR
La société Gade cosmétiques, qui faisait fabriquer et distribuer des produits cosmétiques, concluait des contrats cadres annuels avec Monoprix, les Galeries Lafayettes et Leclerc. Elle avait pour filiale la société Eden qui, depuis 2016, n'avait pour activité que des prestations de service au profit de sa société mère.
Le 20 février 2017, un accord-cadre commercial pour l'année 2017 a été conclu entre la société Gade cosmétiques et la société Monoprix, agissant en son nom personnel et pour les sociétés de son groupe dont la société Monoprix exploitation. Cet accord portait sur la distribution de la gamme de maquillage « Biguine make up ».
Suite à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Gade cosmétiques le 7 avril 2016 et à sa liquidation judiciaire prononcée le 20 octobre 2017, la société Cinderella et Mme Z ont présenté une offre de reprise des actifs de cette société et de la société Eden avec faculté de substitution au profit d'une société en cours de constitution dénommée Make up instinct.
Dans une lettre du 2 novembre 2017 adressée au tribunal de commerce de Bobigny, avec copie au conseil des repreneurs, la société Monoprix a mentionné les difficultés rencontrées avec la société Gade cosmétiques depuis 2014, dont retards de paiement, difficultés de réassort, problèmes de qualité, et a précisé :
« Monoprix ne peut au vu de l'offre de reprise qu'émettre les plus grandes réserves à l'égard d'un projet qui ne lui paraît pas offrir les garanties de pérennité financière et de crédibilité opérationnelle et commerciale qu'elle estime être en droit d'attendre au regard des difficultés récurrentes rencontrées dans son partenariat avec Gade cosmétiques, étant rappelé que ces difficultés lui ont de surcroît occasionné un préjudice financier certain.
Monoprix ne peut donc à ce jour que réserver ses droits futurs et rappeler qu'elle sera extrêmement attentive au respect des engagements financiers et qualitatifs pris par la société repreneuse dans l'hypothèse où l'offre de reprise serait homologuée par le tribunal ».
Par jugement du 30 novembre 2017, le tribunal de commerce de Bobigny a arrêté le plan de cession de la société Eden au profit de la société Cinderella, avec faculté de substitution en faveur de la société Make up instinct en cours de constitution.
Par un autre jugement du 30 novembre 2017, ce tribunal a arrêté le plan de cession de la société Gade cosmétiques au profit de la société Cinderella et de Mme Z, avec faculté de substitution en faveur de la société Make up instinct en cours de constitution, étant précisé parmi les contrats repris "l'accord commercial cadre conclu avec la société Monoprix renouvelable chaque année et renouvelé le 20 février 2017 et tout droit acquis de ce contrat".
Par la suite un acte de cession d'entreprise sera signé le 24 avril 2018 par lequel Me X, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société Gade cosmétiques, a cédé à la société Make up instinct, au titre des contrats repris, l'accord commercial cadre conclu avec la société Monoprix depuis 2004 et renouvelé pour la dernière fois le 20 février 2017; il est mentionné dans cet acte :
« Le cessionnaire précisant que les relations commerciales auraient commencé en 1999 et que la cession porte sur tous les droits acquis antérieurement au jugement du 30 novembre 2017 ainsi que tous droits acquis de ces contrats successifs, et notamment l'antériorité de relation commerciale nouée entre Monoprix et Gade cosmétiques résultant de l'exécution successive de tous contrats ou accords commerciaux, les droits issus de cette relation commerciale établie étant transférés au repreneur par l'effet des présentes ».
Mais auparavant, par lettre du 22 décembre 2017, la société Monoprix exploitation avait écrit à la société Make up instinct, notamment :
« Votre société a repris à la barre du tribunal le contrat liant Monoprix à la société Gade cosmétiques, lequel doit être remplacé par un nouvel accord à l'issue des négociations commerciales qui s'achèveront le 1er mars prochain ; nous allons dans les prochaines semaines discuter le cadre commercial et un contrat pour 2018, étant précisé que ce contrat ne pourra pas être une simple poursuite du contrat entre nos sociétés et Gade cosmétiques alors que votre société est un nouveau prestataire qui ne reprend pas l'ancienneté de la relation que Gade cosmétiques pouvait avoir avec Monoprix et alors évidemment que l'objectif est pour Monoprix de sortir rapidement des problématiques subies depuis plusieurs années avec son ancien prestataire.
Monoprix entend en 2018 tester les offres alternatives d'autres prestataires ....
Il sera décidé à la fin de l'année 2018 du ou des prestataires avec lesquels Monoprix entendra maintenir un référencement en 2019 .....
En tant que de besoin, et nonobstant le fait que n'est pas encore conclu le contrat pour la campagne 2018, il vous appartient de considérer la présente comme le préavis de rupture de la relation commerciale entre nos deux sociétés au 31 décembre 2018. Il va s'en dire que ce préavis vous est notifié sans préjudice comme indiqué ci-dessus des décisions à prendre par Monoprix au titre de la campagne 2019.
Le 26 février 2018, un accord commercial unique 2018 a été conclu entre la société Make up instinct et la société Monoprix, agissant en son nom personnel et pour le compte des sociétés du groupe Monoprix, dont la société Monoprix exploitation. A l'article 7 de cet accord, intitulé "conditions 2018-remises et ristournes", il est indiqué un chiffre d'affaires prévisionnel annuel sans engagement d'objectif de 2.000.000 et, au titre des remises sur factures dues par le fournisseur à la société Monoprix exploitation, un total de 34,09 %.
Au cours de l'année 2018, des échanges ont eu lieu entre les parties sur le contexte des opérations de cession, la demande de prise en compte de l'ancienneté de la relation commerciale antérieure, l'évolution de la statégie commerciale de Monoprix, l'analyse de l'activité et de la dépendance économique de la société Make up instinct et des difficultés économiques survenues au cours de l'année.
Par lettre du 8 octobre 2018, la société Monoprix a confirmé à la société Make up instinct son choix de mettre un terme à leur relation commerciale en l'informant qu'elle était disposée à étendre la durée du préavis de 12 mois jusqu'au 31 décembre 2019, la relation commerciale se poursuivant aux conditions du contrat de référencement 2019 à signer au plus tard le 1er mars 2019. Elle ajoutait :
« Nous vous précisons d'ores et déjà que Monoprix ne souhaitant pas référencer vos produits dans ses nouveaux concepts, votre périmètre sera réduit du nombre de magasins dans lesquels le nouveau concept sera mis en place au cours du premier semestre 2019. Votre déréférencement dans les magasins concernés représenterait une baisse d'environ 30 % de votre chiffre d'affaires, ce pourcentage étant calculé sur la base du chiffre d'affaires réalisé en 2017.
Au cours du second semestre 2019, notre relation commerciale se poursuivra avec réduction progressive du périmètre suivant un calendrier que nous vous proposons de discuter à l'occasion de la négociation du contrat de référencement 2019 ... »
Le 7 février 2019, la société Make up instinct a déclaré son état de cessation des paiements ; une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à son égard le 20 février 2019, puis sa liquidation judiciaire prononcée le 26 septembre 2019.
Sur les demandes de la scp B.T.S.G, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Make up instinct, pour gain manqué du fait des déréférencements de cette société au sein du réseau Monoprix durant la période de préavis :
Pour réclamer la somme de 461 265,36 au titre de la perte de marge brute durant le préavis qui aurait dû lui être pleinement accordé jusqu'au 31 décembre 2019, l'appelante soutient en premier lieu, en invoquant un fondement délictuel, que les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation, ci-après Monoprix, ont rompu de façon brutale la relation commerciale établie ; elle expose en ce sens :
- que lors de la reprise du contrat, la relation commerciale établie avec Monoprix était ancienne de 13 ans,
- qu'au cours du préavis de 2 ans qui a été accordé, Monoprix aurait dû maintenir les mêmes conditions commerciales, mais qu'au contraire elle les a modifiées de façon substantielle,
- que Monoprix a procédé à des déréférencements dès janvier 2018 et procédé à des réductions drastiques de ses commandes, lesquelles ont chuté de 68,23 % entre janvier 2018 et février 2019,
- que la société Make up instinct a été évincée de 11 magasins constituant ses meilleurs points de vente, de 13 magasins en 2018 et de 26 autres en 2019, soit au total de 39 magasins,
- que Monoprix a réduit ses casiers, c'est à dire ses surfaces de vente.
Mais les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation répliquent à juste raison :
- que par lettre du 22 décembre 2017, elles ont indiqué à la société Make up instinct qu'elles ne se plaçaient pas dans la continuité des relations nouées avec la société Gade exploitation,
- que l'accord commercial signé le 26 février 2018 ne fait état d'aucune ancienneté des relations avec Monoprix, à la différence de l'accord commercial 2017 qui mentionnait une ancienneté des relations de 20 ans,
- que les stipulations du contrat de cession du 24 avril 2018, auxquelles elles ne sont pas parties, ne leur sont pas opposables,
- qu'en tout état de cause, qu'il y ait eu ou non reprise de l'ancienneté des relations, la société Make up instinct a bénéficié d'un préavis de 12 mois, période pendant laquelle l'accord commercial 2018 a été exécuté jusqu'à son terme,
- que dans ce contrat, aucun engagement de volume de commandes n'a été souscrit par Monoprix, étant observé que c'est le volume des ventes au consommateur final qui détermine le niveau des approvisionnements auprès du fournisseur, et que seul un chiffre d'affaires prévisionnel annuel de 2 000 000 a été indiqué,
- que suivant attestation de son expert-comptable, la société Make up instinct a réalisé un chiffre d'affaires de 1.640.850,20 en 2018, alors que ce chiffre n'était que de 1 320 411,49 en 2017,
- que le déréférencement de 11 magasins sur 230 en 2018, lesquels représentaient seulement 6,55% du chiffre d'affaires de la société Make up instinct réalisé sur la marque Biguine, n'a pas eu d'incidence notable sur son chiffre d'affaires.
En conséquence, le préavis de 12 mois a été exécuté dans les conditions commerciales prévues à l'accord commercial 2018 ; même si la société Make up instinct réalisait 80 % de son chiffre d'affaires avec Monoprix, ce préavis était suffisant pour permettre à cette société qui disposait déjà d'autres points de vente aux Galeries Lafayettes et dans des centres commerciaux Leclerc, de se réorganiser et de trouver d'autres distributeurs; dès lors c'est en vain que l'appelante invoque la modification des conditions commerciales intervenue en 2019 dans le cadre d'une prolongation de la relation commerciale proposée par Monoprix; la demande pour rupture brutale de la relation commerciale établie est donc mal fondée.
Pour réclamer la même somme de 461.265,36 à titre subsidiaire sur un fondement contractuel, l'appelante reproche aux sociétés intimées d'avoir manqué à leur obligation de bonne foi durant l'exécution du préavis de 2 ans jusqu'au 31 décembre 2019 ; elle invoque les mêmes griefs, à savoir le déréférencement dans plusieurs magasins, la réduction des casiers et la réduction drastique des commandes.
Comme il a été dit plus haut, Monoprix ayant respecté un préavis suffisant de 12 mois, exécuté dans les conditions commerciales convenues par l'accord commercial 2018, le manquement à l'obligation de bonne foi n'est pas établi.
A titre très subsidiaire, l'appelante demande le remboursement des remises qu'elles a consenties à Monoprix en 2018 et 2019 ; elle fait valoir, pour l'essentiel :
- que les conditions générales de vente 2018 de la société Make up instinct ont été communiquées à la société Monoprix et à la société Monoprix exploitation et que celles-ci les ont acceptées,
- que ces conditions, qui leur sont dès lors opposables, conditionnaient la remise commerciale de 32,74 % au respect des référencements chez le distributeur Monoprix,
- que durant le préavis, dès le mois de janvier 2018 et jusqu'au 31 décembre 2019, les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation ont déréférencé la société Make up instinct de plusieurs magasins, réduit les casiers et drastiquement réduit le volume des commandes.
Pour s'opposer à cette demande, les intimées prétendent d'abord que les conditions générales de vente de la société Make up instinct ne leurs sont pas opposables ; elles en veulent pour preuve :
- que comme tout fournisseur, la société Make up instinct leur a transmis ses conditions générales de vente afin que celles-ci servent de point de départ à la négociation commerciale ayant abouti au contrat cadre qui seul fait la loi des parties,
- qu'elles n'ont jamais signé ces conditions générales, qui ne sont pas annexées à l'accord cadre 2018 et qui n'ont que la valeur d'un document d'information de nature précontractuelle.
Les intimées ajoutent qu'en tout état de cause les prétentions de l'appelante sont mal fondées alors :
- qu'il n'est pas justifié du déréférencement visé dans les conditions générales de vente de la société Make up instinct, à savoir « une réduction de linéaire de plus de 30 % sur le parc du magasin »,
- que le taux de remise évoqué de 32,74 % ne correspond pas au taux de remise qui n'est que de 15 %, le surplus correspondant à des prestations de service (publicité, marketing, statistiques...) pour lesquelles Monoprix perçoit une rémunération sous forme de remise sur factures.
L'appelante verse aux débats un exemplaire non signé de ses conditions générales de vente qui prévoient sous la rubrique déréférencement : « En cas de déréférencement d'une marque par le distributeur (réduction de linéaire de plus de 30 % sur le parc de magasins équivaut à un déréférencement) en cours d'année, le distributeur sera déchu pour toute l'année au cours de laquelle le référencement intervient, de tous les avantages commerciaux qui ont pu lui être consentis par le fournisseur sur la dite marque (coopération commerciale, remise fin d'année , remise globale négociée) » .
Conformément à l'article L 441-6 du code de commerce, la société Make up instinct a communiqué ses conditions générales de vente à Monoprix ; il est prévu à l'article L 441-7 de ce code qu'une convention écrite est conclue entre le fournisseur et le distributeur qui indique les obligations auxquelles se sont engagées les parties; en l'espèce:
- l'accord commercial 2018 précise en préambule :
« que les conditions de vente des produits référencés résultent de la négociation menée conformément aux dispositions de l'article L. 441-7 du code de commerce à partir des conditions générales de vente et tarifs du fournisseur - socle unique de la négociation commerciale » ,
« que le présent accord ainsi que ses annexes indiquent les obligations auxquelles les parties se sont engagées en vue de fixer le prix à l'issue de la négociation commerciale et forment un tout indivisible régissant les relations entre Monoprix et le fournisseur pendant la durée du référencement,
- les conditions générales de vente de la société Make up instinct ne sont pas insérées dans cet accord commercial, ni même annexées ; il y est seulement fait référence à l'article 7 qui distingue la remise de centrale de 5 % et la remise de largeur de gamme de 10 % sous l'intitulé "rappel des CGV fournisseur", et les autres remises sous l'intitulé "conditions négociées".
Il résulte de ces éléments que les conditions générales de vente de la société Make up instinct ont fait l'objet d'une négociation et que leur contenu relatif au déréférencement n'a pas été intégré dans le contrat faisant la loi des parties; en conséquence, l'appelante doit être déboutée de sa demande de remboursement des remises versées en 2018 et 2019 et le jugement infirmé en ce qu'il a condamné la société Monoprix à payer la somme de 42 385,32 au titre de la régularisation de remises indues.
Sur la demande de la scp B.T.S.G, ès qualités, pour perte subie du fait de la faute délictuelle de la société Monoprix ayant déterminé la société Make up instinct au rachat des sociétés Cosmétiques et Eden :
L'appelante demande, au visa des articles 1240 et 1241 du code civil, la somme de 448.468,91 au titre des frais exposés par la société Make up instinct en vue du rachat des sociétés Gade cosmétiques et Eden ; elle fait valoir :
- que les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation avaient déjà, au jour du jugement du 30 novembre 2017ayant homologué la cession de la société Gade cosmétiques au profit de la société Make up instinct en cours de constitution, la volonté de rompre les relations commerciales nouées avec Gade cosmétiques et poursuivies avec Make up instinct,
- que les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation ont commis une faute délictuelle en ne faisant pas la transparence sur leurs intentions réelles lors de la procédure de reprise de la société Gade cosmétiques,
- que leur attitude a déterminé la société Make up instinct à racheter les sociétés Gade cosmétiques et Eden dans la mesure où elle n'aurait pas procédé à cette acquisition en l'absence d'une poursuite des relations commerciales établies,
- que par leur attitude fautive la société Make up instinct a engagé des frais en vain dans le cadre de ce rachat, lui ayant causé un préjudice distinct de celui causé par les déréférencements pendant la période de préavis.
Les intimés soulèvent l'irrecevabilité de cette demande :
- par application de l'article 564 du code de procédure civile, s'agissant d'une prétention nouvelle en cause d'appel,
- par application de l'article 122 du code de procédure civile, pour défaut de qualité à agir, au motif que les fautes alléguées n'auraient été commises qu'au préjudice des actionnaires de la société Make up instinct et non de la société.
L'appelante répond que les frais engagés pour le rachat des sociétés Gade cosmétiques et Eden ont été discutés en première instance et que la société Make up instinct a intérêt à agir, étant tombée sous le coup d'une liquidation judiciaire.
L'article 564 du code de procédure civile dispose : « A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. »
L'article 565 de ce code précise que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge même si leur fondement juridique est différent ; l'article 566 qui lui fait suite ajoute que les parties peuvent aussi expliciter les prétentions qui étaient virtuellement comprises dans les demandes et défenses soumises au premier juge et ajouter à celles-ci toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément.
En l'espèce, il ressort de la lecture du jugement que la société Make up instinct a formé des demandes, d'une part en dommages-intérêts pour rupture brutale et déloyale de la relation commerciale établie, d'autre part en remboursement de remises indûment payées; elle n'a formulé aucune prétention relative à une faute qui aurait été commise par la société Monoprix et la société Monoprix à l'occasion de la reprise des actifs des société Gade cosmétiques et Eden et du jugement homologuant leur cession au profit de la société Make up instinct alors en cours de constitution.
Sa demande devant la cour ne tend pas aux mêmes fins que celles soumises au premier juge ; elle n'était pas non plus virtuellement comprise dans ses demandes soumises au premier juge.
En conséquence, cette demande est irrecevable comme nouvelle en cause d'appel.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
L'appelante, qui succombe, doit supporter les dépens de première instance et d'appel.
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme de 3 000 à chacune des intimées et de rejeter la demande de l'appelante de ce chef.
PAR CES MOTIFS,
Constate que la selarl Ascagne AJ est dessaisie de ses fonctions d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de la société Make up instinct,
Déclare irrecevable comme nouvelle en cause d'appel la demande de la scp B.T.S.G, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Make up instinct, tendant à la condamnation de la société Monoprix et de la société Monoprix exploitation à lui payer la somme de 448 468,91 sur le fondement de la responsabilité délictuelle prévue par les articles 1240 et 1241 du code civil,
Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Monoprix à payer à la société Make up instinct la somme de 42 385,32 au titre de la régularisation des remises indues et en ce qu'il a débouté les sociétés Monoprix et Monoprix exploitation de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau, déboute la scp B.T.S.G, ès qualités, de sa demande tendant à la condamnation in solidum des sociétés Monoprix et Monoprix exploitation à lui payer la somme de 1 050 552,29 au titre de factures de régularisation de remises indues accordées en 2018 et 2019,
Confirme le jugement pour le surplus et déboute la scp B.T.S.G, ès qualités, de toutes ses autres demandes,
Condamne la scp B.T.S.G, ès qualités, à payer la somme de 3 000 à chacune des sociétés Monoprix et Monoprix exploitation, par application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la scp B.T.S.G, ès qualités, aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.