Cass. 3e civ., 24 juin 2021, n° 20-15.886
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Allianz IARD (SA), Naos Les Laboratoires (SAS)
Défendeur :
Selarl MJC2A (ès qual.), Sylumis (SA), Axa France IARD (SA), Courtois (SAS), Sagebat (SA), SMA (SA), EM2C construction Sud-Est (SAS), Caisse Régionale d'Assurance Mutuelle Agricole de Rhône-Alpes Auvergne, Gan assurances (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chauvin
Avocats :
SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Didier et Pinet, SCP L. Poulet-Odent, SCP Le Griel, SCP Marc Lévis
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° F 20-15.886 et n° G 20-16.785 sont joints.
Désistements partiels
2. Il est donné acte aux sociétés Allianz IARD et Naos les laboratoires du du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Axa France IARD, Courtois, anciennement Bruno Courtois, et Sagebat.
3. Il est donné acte à la société EM2C constructions Sud-Est (société EM2C) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Axa France IARD, Bruno Courtois et Sagebat.
Faits et procédure
4. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 novembre 2019), la société Dipta, aujourd'hui dénommée Naos les laboratoires, qui exerce une activité d'étude, de mise au point et de conditionnement de produits médicaux, de parfumerie et de cosmétologie, a confié à la société SB2E, aux droits de laquelle vient la société EM2C construction Sud-Est (la société EM2C), en qualité d'entreprise générale, assurée auprès de la société SMA, la construction d'une "salle blanche" de fabrication et de stockage.
5. La société SB2E a sous-traité le lot cloisons et éclairage à la société Oxatherm, assurée auprès de la société Caisse régionale d'assurance mutuelle agricole - Groupama Rhône Alpes Auvergne (la société Groupama), qui s'est fournie en luminaires auprès de la société Soudures et applications électriques (la société SEAE), aux droits de laquelle vient la société Sylumis, aujourd'hui en liquidation judiciaire et représentée par M. Ancel, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire, assurée auprès de la société Gan assurances.
6. Les travaux ont été réceptionnés sans réserves le 31 mars 2005.
7. Un incendie ayant détruit les locaux exploités par la société Dipta, celle-ci et la société Allianz IARD, son assureur assurance habitation, qui l'avait indemnisée de ses préjudices matériels et immatériels, ont assigné, après expertise, les intervenants à l'acte de construire et leurs assureurs en réparation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal de la société EM2C
Enoncé du moyen
8. La société EM2C fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de l'absence de déclaration de créance au passif de la procédure collective, alors « que le jugement d'ouverture d'une procédure collective interdit toute action en justice à tous les créanciers dont la créance a son origine antérieure audit jugement, tendant en particulier à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ; que lorsqu'aucune instance en paiement d'une somme d'argent n'est en cours au jour de l'ouverture de cette procédure, le créancier ne peut faire constater le principe de sa créance antérieure et en faire fixer le montant, autrement qu'en la déclarant et en se soumettant à la procédure normale de vérification du passif ; que cette interdiction constitue une fin de non-recevoir pouvant être proposée en tout état de cause et dont le caractère d'ordre public impose au juge de la relever d'office ; qu'en l'espèce, les commandes par lesquelles la société EM2C s'est vu confier la construction litigieuse sont intervenues entre décembre 2004 et février 2005, la réception des travaux en juin juillet 2005 et le sinistre objet du litige en mai 2009, tandis que le jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde de la société EM2C a été rendu le 10 février 2010 ; qu'il s'ensuit que la créance invoquée par la société Dipta et son assureur, fondée sur des désordres de construction attribués à la société EM2C et des manquements prétendus à ses obligations contractuelles d'information et de sécurité, antérieure au jugement d'ouverture, devait être déclarée ; que, cette déclaration n'ayant pas eu lieu, ainsi qu'il n'était pas contesté et que la cour l'a admis, l'action et, à tout le moins, la demande en paiement de la société Dipta et de son assureur, introduites postérieurement à ce jugement, devait être déclarée irrecevable ; qu'en rejetant dès lors la fin de non-recevoir d'ordre public soulevée par la société EM2C de ce chef, la cour a violé les articles L. 622-21 et L. 622-26 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 622-21 et L. 622-26 du code de commerce :
9. En application de ces textes, lorsqu'aucune instance en paiement d'une somme d'argent n'est en cours au jour de l'ouverture de la procédure collective du débiteur, le créancier ne peut faire constater le principe de sa créance et en faire fixer le montant, autrement qu'en la déclarant et en se soumettant à la procédure de vérification du passif.
10. Cette interdiction constitue une fin de non-recevoir qui peut être proposée en tout état de cause et dont le caractère d'ordre public impose également au juge de la relever d'office.
11. Pour rejeter la fin de non-recevoir qui était opposée à la demande des sociétés Allianz IARD et Naos les laboratoires, l'arrêt retient que le défaut de déclaration de créance n'a pour seule sanction que de rendre ladite créance, qui n'est pas éteinte, inopposable à la procédure collective pendant l'exécution du plan et que le créancier a la possibilité de reprendre son droit de poursuite si le plan de sauvegarde n'est pas complètement exécuté.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident de la société Groupama
Enoncé du moyen
13. La société Groupama fait grief à l'arrêt de déclarer les demandes des sociétés Allianz IARD et Dipta recevables et de la condamner à garantir partiellement la société EM2C, alors « que l'action en garantie décennale est attachée à la qualité de maître d'ouvrage ; qu'en se fondant sur les circonstances inopérantes que l'incendie avait détruit les locaux professionnels de la société Dipta et qu'elle était assurée auprès de la société Allianz pour le risque incendie, sans rechercher si la société Dipta était propriétaire des desdits locaux ou si elle disposait d'un titre l'habilitant à exercer l'action en responsabilité décennale, ce qui était expressément contesté, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1792 du code civil :
14. Aux termes de ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipements, le rendent impropre à sa destination.
15. Pour rejeter la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Dipta et de son assureur subrogé sur le fondement de la responsabilité décennale, l'arrêt retient qu'il n'est pas établi que la société Dipta bénéficie d'un crédit-bail et qu'il s'agit de locaux d'activité, lesquels étaient assurés auprès de la société Allianz IARD pour le risque d'incendie.
16. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la société Dipta justifiait de sa qualité de propriétaire ou d'un titre l'habilitant à exercer l'action en responsabilité décennale, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche, du pourvoi incident de la société SMA
Enoncé du moyen
17. La société SMA fait grief à l'arrêt de constater l'absence d'aggravation du risque couvert et de juger qu'elle était tenue de garantir la société SB2E, alors « que l'assurance de responsabilité décennale obligatoire a un régime propre avec un maintien des garanties, même dans l'hypothèse de résiliation, et est étrangère à la notion de déclenchement de la garantie en base dommage ou base réclamation ; qu'en affirmant péremptoirement qu'il importait peu que la société EM2C n'ait jamais été assurée en garantie décennale auprès de la société Sagena, dès lors que, conformément aux dispositions de l'article L. 124-5 du code des assurances, la garantie déclenchée par la réclamation couvre l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres, dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date d'expiration de la garantie, quand le contrat Artec souscrit par la société EM2C ne couvrait pas la responsabilité décennale des constructeurs et que l'article L. 124-5 du code des assurances est étranger à l'assurance de construction obligatoire, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 124-5, L. 241-1 et A 243-1 du code des assurances, ensemble l'annexe I à ce dernier texte :
18. Selon le premier de ces textes, l'option laissée aux parties d'une garantie déclenchée, soit par le fait dommageable survenu entre la prise d'effet initiale du contrat et sa date de résiliation ou d'expiration, soit par la réclamation adressée entre la prise d'effet initiale de la garantie et l'expiration d'un délai subséquent à sa date de résiliation ou d'expiration, n'est pas applicable aux garanties d'assurance pour lesquelles la loi dispose d'autres conditions d'application dans le temps.
19. Selon les trois derniers, le contrat de responsabilité décennale couvre, pour la durée de la responsabilité pesant sur l'assuré en vertu des articles 1792 et suivants du code civil, les travaux ayant fait l'objet d'une ouverture de chantier pendant la période de validité fixée aux conditions particulières, la garantie étant maintenue dans tous les cas pour la même durée.
20. Il résulte de la combinaison de ces textes, que la garantie d'assurance obligatoire des constructeurs est déclenchée par le fait dommageable.
21. Pour juger que la garantie de la SMA était due à la société EM2C venant aux droits de la société SB2E, l'arrêt retient que l'opération de fusion-absorption de la seconde par la première a été réalisée antérieurement à la couverture de risque par l'assureur, qu'il importe peu que la société absorbée n'ait jamais été assurée en garantie décennale dès lors qu'aux termes des conditions générales la garantie s'applique aux dommages survenus en cours de contrat et que, conformément aux dispositions de l'article L. 124-5 du code des assurances, la garantie déclenchée par la réclamation couvre l'assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres dès lors que le fait dommageable est antérieur à la date d'expiration de la garantie.
22. En statuant ainsi, alors que l'assurance de responsabilité décennale souscrite par la société absorbante, même après une fusion-absorption, n'a pas vocation à couvrir, sauf stipulation contraire acceptée par l'assureur, la responsabilité décennale de la société absorbée du chef de travaux réalisés par celle-ci antérieurement à la fusion-absorption, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence.
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel Lyon.