CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 8 décembre 2021, n° 21/12113
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Blizzard Entertainment (SAS)
Défendeur :
KR Wavemaker (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
Me Boccon Gibod, Me Manin, Me Meynard , Me Barcella
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Blizzard Entertainment (ci-après « Blizzard ») est une SAS de droit français et la filiale d'un groupe américain spécialisé dans l'édition de jeux vidéo.
La société KR Wavemaker (ci-après « KRW »), anciennement dénommée KR Media, est une SAS de droit français qui est spécialisée dans le conseil en achat d'espaces publicitaires media et hors media. Cette société vient aux droits des sociétés MEC France et Lab Consulting par transmission universelle de patrimoine du 3 juillet 2018.
Dans le cadre d'une instance au fond initiée par la société KRW contre la société Blizzard sur le fondement d'une rupture brutale de relations commerciales établies intervenue courant 2018, la société Blizzard oppose une exception d'incompétence au profit des juridictions britanniques en se fondant sur clause attributive de juridiction mentionnée dans un accord conclu le 4 mai 2010 entre la société MEC Limited, de droit britannique, et la société Blizzard.
Par acte d'huissier en date du 31 octobre 2019, la société KRW a assigné la société Blizzard au visa des articles 114 et suivants du code de procédure civile, de l'article L. 442-1, II du code de commerce et de l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution.
Par jugement du 17 mai 2021, le tribunal de commerce de Paris :
Rejette les demandes de la SAS à associé unique BLIZZARD ENTERTAINMENT SAS quant à l'assignation délivrée par la SAS KR WAVEMAKER,
Se déclare compétent,
Déboute la SAS à associé unique BLIZZARD ENTERTAINMENT SAS de sa demande pour procédure abusive,
Dit irrecevable la demande de la SAS à associé unique BLIZZARD ENTERTAINMENT SAS quant à l'amende civile,
Renvoie la cause à l'audience publique de la 13e chambre du vendredi du 18 juin 2021 à 12h00 pour conclusions des parties sur le fond,
Condamne la SAS à associé unique BLIZZARD ENTERTAINMENT SAS à payer à la SAS KR WAVEMAKER la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du CPC, déboutant le surplus,
Ordonne l'exécution provisoire,
Condamne la SAS à associé unique BLIZZARD ENTERTAINMENT SAS aux dépens de l'incident.
La société Blizzard a interjeté appel de ce jugement le 1er juillet 2021 et sollicite l'infirmation du jugement du 17 mai 2021 dans certaines de ses dispositions.
Vu l'ordonnance présidentielle du 7 septembre 2021 autorisant la société Blizzard à assigner à jour fixe ;
Vu l'assignation à jour fixe ;
Vu les dernières conclusions de la société Blizzard déposées et notifiées le 1er juillet 2021, par lesquelles il est demandé à la cour d'appel de Paris de :
Vu l'article L. 442-1, II, du code de commerce,
Vu l'article 1240 du code civil,
Vu les articles 83 et suivants du code de procédure civile,
Vu la jurisprudence citée,
Vu les pièces versées aux débats,
Déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par la société Blizzard ;
Y faisant droit,
Infirmer le jugement du 17 mai 2021 rendu par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a statué sur les chefs suivants :
« Se déclare compétent »,
« Condamne la SAS à associé unique BLIZZARD ENTERTAINMENT SAS à payer à la SAS KR WAVEMAKER la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du CPC »,
« Ordonne l'exécution provisoire »,
« Condamne la SAS à associé unique BLIZZARD ENTERTAINMENT SAS aux dépens de l'incident ».
Juger que l'affaire relève de la compétence des jurisprudences compétentes d'Angleterre et du Pays de Galles ;
Renvoyer les parties à mieux se pourvoir ;
Débouter la société KRW de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
Condamner la société KRW à verser à la société Blizzard la somme de 10 000 euros au titre des frais irrépétibles ;
Condamner la société KRW aux entiers dépens.
Vu les dernières conclusions de la société KRW déposées et notifiées le 1er octobre 2021, par lesquelles il est demandé à la cour d'appel de Paris de :
Vu les articles 48, 75 et 114 et suivants du code de procédure civile,
Vu l'article L. 442-1, II, du code de commerce,
Vu l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exe'cution,
Déclarer irrecevable l'appel interjeté par la société Blizzard ;
A défaut,
Confirmer le jugement du tribunal de commerce en date du 17 mai 2021 en toutes ses dispositions et spécialement en ce qu'il s'est reconnu compétent pour juger de l'affaire qui lui était soumise ;
En tout état de cause,
Condamner la société Blizzard à payer à la société KRW la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de l'appel ;
La condamner aux entiers dépens dont les frais dits de recouvrement imputables au créancier d'une condamnation judiciaire exécutée par huissier.
MOTIFS
Sur l'opposabilité de la clause attributive de juridiction à la société KRW
La société Blizzard critique le jugement du tribunal de commerce en ce qu'il s'est dit compétent alors que, selon l'appelante, était opposable à la société KWR la clause attributive de compétence aux juridictions britanniques incluse dans le contrat conclu le 24 mai 2010 entre la société MEC England et la société Blizzard, lequel régirait les relations entre les parties.
En réplique, la société KWR demande la confirmation du jugement qui a rejeté l'application de la clause attributive de compétence.
A cet effet, la société KWR soulève, en premier lieu, le fait que l'exception d'incompétence opposée par la société Blizzard est irrecevable en se fondant sur les dispositions de l'article 75 du code de procédure civile qui exige que l'auteur d'une exception de compétence doit obligatoirement désigner expressément la juridiction compétente alors qu'en l'espèce la désignation des « juridictions compétentes d'Angleterre et du Pays de Galles » est floue et ne permet pas de savoir la juridiction devant laquelle l'affaire peut être portée.
Cependant, la partie qui soulève l'incompétence des juridictions françaises n'est tenue d'indiquer que l'Etat dans lequel se trouve la juridiction compétente, sans avoir à préciser ni sa nature ni sa localisation exacte (Civ. 1, 27 janvier 2021, pourvoi n° 19-23.461).
En l'espèce, la société Blizzard a soulevé l'incompétence des tribunaux français au profit de celle des juridictions de l'Angleterre ou du Pays de Galles, relevant toutes de l'Etat du Royaume-Uni.
Par conséquent, l'exception d'incompétence soulevée par la société Blizzard est fondée sur une clause attributive de compétence dont les termes sont suffisamment précis pour désigner les juridictions de l'Etat du Royaume Uni, conformément aux prescriptions de l'article 75 du code de procédure civile.
En deuxième lieu, la société KRW soutient qu'elle n'a jamais eu connaissance ni accepté la clause attributive de compétence invoquée par la société Blizzard et en conclut que cette clause ne lui est pas opposable.
A cet effet, la société KWR affirme que la Cour de cassation et la Cour de justice de l'Union européenne requièrent que la clause attributive de juridiction, pour être valide, doit être expressément acceptée par les deux parties au contrat et qu'en l'espèce, elle n'a jamais signé ce contrat, ce qui implique qu'elle n'a jamais eu connaissance de l'existence de la clause attributive de juridiction.
Elle ajoute que selon l'article 1199 du code civil, la clause d'attribution de compétence figurant dans le contrat signé entre les sociétés Blizzard et MEC Limited n'est opposable qu'aux deux parties signataires de ce contrat et pas à la société KRW qui n'est pas partie à ce contrat, relevant que s'agissant de groupes de sociétés, le principe est celui de l'indépendance juridique de chacune des sociétés.
Enfin, la société KWR ajoute qu'en tout état de cause s'agissant de deux sociétés de droit français, autonomes en fait et en droit des autres sociétés du groupe MEC UK ou du groupe Blizzard US, et ayant une relation commerciale qui consistait en la délivrance de prestations sur le territoire français, il n'existe aucune raison pour qu'un litige entre elles relève de la compétence des juridictions anglaises ou galloises.
Quant à la société Blizzard, elle soutient que la société KWR avait eu connaissance et avait accepté la clause attributive de compétence, en faisant valoir que :
- les sociétés MEC England et KRW ont un lien juridique direct ou indirect car ces deux sociétés partagent la même dénomination, suivent la même évolution sociétaire et font partie du même groupe,
- il n'est pas nécessaire d'être signataire d'un contrat pour être tenu par les obligations qu'il prévoit, l'exécution valant acceptation et ratification des clauses du contrat,
- les responsables français de la société KRW se sont référés au contrat conclu avec la société MEC England pour formaliser et encadrer la rémunération qui les concernait, notamment les addendum de 2012 et 2014,
- il résulte des nombreux e-mails échangés entre les parties et versés aux débats que la société KRW intervenait dans la négociation des contrats.
Sur ce ;
Il résulte de la lecture de la « Letter of Agreement » du 24 mai 2010 prévoyant en son article 21que les litiges afférents audit accord seront soumis aux juridictions d'Angleterre et du Pays de Galles, que cet accord a été conclu entre la société Blizzard et la société MEC Limited, de droit britannique. (pièce 4 de Blizzard)
S'il est constant que la société KWR est venue aux droits de la société MEC France appartenant au même groupe de sociétés que la société MEC Limited, néanmoins le principe de l'autonomie des sociétés implique que la société MEC France devenue KWR ne peut être considérée comme partie à cet accord.
La société KWR relève avec raison que les dispositions de l'article 1199 du code civil (ancien article 1165) fixent la règle de l'effet relatif des contrats et il n'est pas démontré en l'espèce que cette « Letter of Agreement » ait été transmise à la société MEC France devenue KWR, société tierce audit acte. Cet acte ne peut donc pas régir la relation commerciale entre les sociétés KWR et Blizzard qui est seule en cause dans le présent litige.
En outre, l'acceptation de la clause litigieuse ni même sa connaissance par la société KWR n'est démontrée au vu des échanges par courriels versés aux débats (pièces 9 à 15 et 18 à 20 de Blizzard). En effet, le seul fait que pour déterminer les prix des prestations entre les parties, il ait été fait référence aux conditions tarifaires du contrat anglais ne permet pas de prouver que les parties qui sont deux sociétés de droit français en relation pour des prestations sur le territoire français, avaient choisi de faire régir leurs relations par la « Letter Agreement » signée par la société Blizzard avec MEC Limited, société de droit britannique.
Par conséquent, la société Blizzard échoue à démontrer que la clause attributive de compétence à des juridictions étrangères est opposable à la société KWR la décision du tribunal de commerce de Paris ayant écarté l'application de ladite clause et s'étant dit compétent pour trancher le litige sur la rupture brutale invoquée par la société KWR à l'encontre de la société Blizzard sera confirmée.
Sur les frais et dépens
Le jugement sera également confirmé sur les frais et dépens.
La société Blizzard, partie perdante, sera condamnée aux dépens, déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à verser à la société KWR la somme de 5 000 euros sur ce dernier fondement.
PAR CES MOTIFS,
Statuant dans la limite de l'appel,
Confirme le jugement dans toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute la société Blizzard de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Blizzard aux dépens de l'appel et à payer à la société KWR la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.