CA Grenoble, ch. com., 28 mars 2007, n° 05/05220
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
M. Chareyre
Défendeur :
Thomas Cook Voyages (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Uran
Conseillers :
M. Bernaud, Mme Cuny
Avoués :
SCP Grimaud, Scp Jean Calas
Avocats :
Me Bobant, Me Barrillon, Me Seloron
La société THOMAS COOK VOYAGES, venant aux droits de l'agence HAVAS, est locataire commerciale, selon bail d'origine du 15 mai 1975 renouvelé pour 9 années à compter du 1er juin 1993, de divers locaux situés à [...], appartenant aux consorts Gérard et Jean-Louis CHAREYRE, dans lesquels elle exploite une activité d'agence de voyages.
Le loyer révisé s'élève actuellement à la somme annuelle de 43 550,36 € HT et hors charges.
Par acte du 17 décembre 2001 les bailleurs ont fait délivrer à la société locataire congé avec offre de renouvellement pour la date du 1er juillet 2002, et ont sollicité la fixation du loyer à la somme annuelle de 46 854,60 €.
A défaut d'accord sur le prix du bail renouvelé, les consorts CHAREYRE ont saisi le juge des loyers commerciaux du Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE, qui par un premier jugement du 3 février 2003 a ordonné une expertise.
L'expert Jean GEX a déposé son rapport le 3 juin 2005 aux termes duquel il a estimé que le déplafonnement s'imposait en raison d'une modification notable des facteurs locaux de commercialité et que la valeur locative s'élevait à la somme de 47 400 € au 1er juillet 2002.
Par jugement du 21 novembre 2005 le juge des loyers commerciaux, refusant d'écarter la règle du plafonnement, a fixé à la somme annuelle de 39 439,00 € le loyer révisé au 1er juillet 2002.
Les bailleurs ont relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 22 décembre 2005.
Vu les conclusions signifiées et déposées le 24 mars 2006 par les consorts Gérard et Jean-Louis CHAREYRE qui demandent à la Cour, par voie d'infirmation, d'écarter le mécanisme du plafonnement, de fixer le loyer du bail renouvelé à compter du 1er juillet 2002 à la somme annuelle de 47 420,00 € hors taxes et hors charges et de condamner la société THOMAS COOK VOYAGES au paiement de cette somme, outre intérêts au taux légal sur chaque échéance trimestrielle et indemnité de procédure de 4 000 €, aux motifs que l'expert judiciaire, confirmant en cela l'avis de leur propre expert (M. AMOUROUX), a estimé que l'implantation de la FNAC en septembre 1994 à une centaine de mètres des locaux loués, qui a eu pour effet de déplacer le cent re d'attraction commerciale de la ville, et l'augmentation très importante de la fréquentation du tramway Grenoblois, dont l'une des plus importantes stations est située à peine à 10 m de agence THOMAS COOK, ont entraîné une modification notable des facteurs locaux de commercialité au cours du bail expiré, justifiant le déplafonnement du loyer, que les locaux bénéficient d'un emplacement exceptionnel dans un secteur semi-piétonnier très bien desservi, que les loyers de comparaison analysés par l'expert, qui ne sont contredits par aucune référence contraire, permettent d'attribuer aux lieux loués une valeur locative de 200 € le M2 U.P ; étant observé que la taxe foncière reste à la charge du bailleur.
Vu les conclusions signifiées et déposées le 7 juin 2006 par la SA THOMAS COOK VOYAGES qui sollicite la confirmation du jugement, subsidiairement en cas de déplafonnement la fixation du loyer à compter du 1er juillet 2002 à la somme de 40 300,00 € et en tout état de cause la condamnation des appelants à lui payer une indemnité de 4 000 € pour frais irrépétibles aux motifs que la mise en service des deux lignes de tramway A et B ne peut être prise en compte comme étant antérieure à la prise d'effet du bail expiré, que les données chiffrées imprécises fournies par l'expert au titre de la fréquentation du réseau de tramway ne permettent nullement de conclure à une augmentation de la fréquentation du quartier concerné, qu'au demeurant toute éventuelle augmentation n'aurait pas nécessairement d'incidence sur le commerce considéré, qu'il n'est pas démontré que l'implantation de la FNAC en 1994 a eu un impact positif sur l'activité exercée par l'agence THOMAS COOK en présence de deux clientèles distinctes, les autres enseignes visées par l'expert étant déjà en place le 1er juin 1993, qu'en toute hypothèse la valeur locative ne saurait excéder la moyenne des loyers de référence les plus proches.
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MOTIFS DE L'ARRET :
Sur le déplafonnement du loyer
Selon l'expert judiciaire deux événements majeurs survenus au cours du bail expiré sont à l'origine d'une évolution favorable des facteurs locaux de commercialité :
- le transfert de la FNAC au cours de l'année 1994 dans un immeuble situé à moins de 100 mètres des lieux loués ayant eu pour effet de déplacer et de dynamiser l'hyper centre de la ville de GRENOBLE,
- l'augmentation importante de la fréquentation des deux lignes de tramway A et B (20% en 10 ans) à l'origine d'une augmentation de la clientèle potentielle transitant par la station Victor Hugo située à une dizaine de mètres des locaux occupés par la société THOMAS COOK VOYAGES.
Répondant aux dires des parties, l'expert a estimé que la densification de la population à proximité immédiate de l'agence exploitée par la société THOMAS COOK VOYAGES avait renforcé l'attractivité de l'emplacement commercial, qu'il qualifie d'exceptionnel et dont il indique qu'il est convoité par les grandes enseignes.
Il a ainsi considéré qu'avec l'arrivée d'une clientèle diversifiée et variée, dans un secteur devenu le plus recherché de la cité, les facteurs locaux de commercialité avaient été notablement et durablement modifiés.
Bien que l'expert n'ait pas disposé d'une étude de fréquentation des lignes A et B de tramway par station, il a logiquement déduit de l'augmentation générale du nombre de voyages vendus (plus 20% entre 1992 et 2002) que le nombre de voyageurs transitant par la station Victor Hugo s'était notablement accru au cours du bail expiré (plus de 10%), et en a non moins logiquement tiré la conclusion que l'enseigne THOMAS COOK VOYAGES avait nécessairement bénéficié de la densification de la population utilisant les transports en commun de l'agglomération Grenobloise. A cet effet la Cour observe au vu du plan et des photographies annexés au rapport d'expertise, d'une part que la station Victor Hugo offre à l'usager de nombreuses possibilités de correspondances dans les principales directions, ce qui en fait un point de ralliement privilégié au coeur de l'hyper centre de la ville, et d'autre part que les deux vastes vitrines d'angle des locaux loués, situés à une dizaine de mètres seulement des quais, ne peuvent échapper au regard des voyageurs.
Surtout, l'implantation de la FNAC à proximité immédiate est incontestablement à l'origine de l'apport d'une clientèle potentielle massive et diversifiée, au point, selon l'expert, d'avoir fortement contribué au déplacement vers la [...] et à la dynamisation de l'hyper- centre, devenu dans la zone de chalandise des lieux loués le site le plus recherché par les grandes enseignes, dont plusieurs se sont implantées au cours de la période de référence (MARRIONNAUD et CAROL).
C'est de façon bien peu pertinente que la société intimée affirme que cet événement commercial de première importance n'aurait eu aucun impact sur son activité, alors que la clientèle massive et diversifiée de la FNAC, qui recherche des produits de loisirs, est également au moins pour partie celle qui voyage, comme en témoigne l'activité de voyagiste exercée sous l'enseigne FNAC VOYAGES ; étant observé que la présence de deux autres agences de voyages à proximité immédiate (PHILIBERT et CARLSON) atteste de l'attractivité exceptionnelle de la zone.
L'environnement commercial des lieux loués a donc connu des modifications notables au cours du bail expiré au sens de l'article L 145-34 du Code de commerce, ce qui doit conduire au déplafonnement du loyer que le premier juge a refusé à tort d'ordonner.
Au surplus et surabondamment, la Cour observe que le déplafonnement s'impose d'autant plus que les locaux litigieux sont manifestement à usage exclusif de bureaux au sens de l'article 23-9 du décret du 30 septembre 1953, alors que le bail d'origine n'autorise aucune autre activité que celle d'agence de voyages et de tourisme exercée par la société locataire, laquelle n'offre que des prestations intellectuelles.
Sur la valeur locative
L'expert judiciaire a repris les 10 références fournies par l'expert des bailleurs (Monsieur AMOUROUX), dont il a vérifié la pertinence.
Il a tenu compte également des cinq loyers de comparaison, cités par les bailleurs, afférents à des locaux situés dans le même ensemble immobilier.
Il a enfin complété son approche par deux baux relatifs à des locaux situés de part et d'autre des lieux loués ([...]).
Après avoir écarté les termes de comparaison de la [...], moins passante, dont il a estimé qu'elle bénéficiait d'une commercialité plus réduite, il a retenu une valeur locative de 200 € le m2 de surface utile pondérée.
Cette estimation doit être entérinée alors :
- qu'elle correspond à la moyenne arithmétique des 11 loyers de référence les plus pertinents payés dans le micro secteur analysé,
- que la condition d'équivalence posée par l'article 23 - 5 du décret du 30 septembre 1953 n'exige pas que soient privilégiés les prix couramment pratiqués dans le même immeuble ; étant observé que l'expert a logiquement considéré comme particulièrement significatifs les trois baux de comparaison de la [...] portant sur des locaux disposant également de larges façades sur rue,
- que le prix proposé par la société locataire, qui n'excède pas le loyer révisé contractuellement exigible au 1er juillet 2002, est manifestement sous évalué comme ne prenant pas en compte l'évolution favorable des facteurs locaux de commercialité,
- que disposant d'une large vitrine d'angle de 16 mètres les locaux occupés par la société THOMAS COOK VOYAGES bénéficient d'une situation commerciale exceptionnelle, meilleure que celle de la plupart des locaux de référence,
- que la taxe foncière est à la charge des bailleurs.
Sur la base du calcul de surface utile pondérée effectué par l'expert, qui est accepté de part et d'autre, le loyer du bail renouvelé le 1er juillet 2002 sera par conséquent fixé à la somme arrondie de 47 400,00 € (200 € x 237 m2) hors taxes et hors charges.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire,
Après en avoir délibéré conformément à la loi,
INFIRME le jugement déféré et statuant à nouveau,
- écarte la règle du plafonnement,
- dit et juge que le loyer du bail renouvelé le 1er juillet 2002 doit être fixé à la valeur locative,
- fixe le loyer à compter de cette date à la somme annuelle de 47 400,00 € HT et hors charges,
- dit que conformément à la règle posée par l'article 1155 du Code Civil chaque terme de loyer supplémentaire exigible à compter du 1er juillet 2002 portera intérêt au taux légal à compter de son échéance,
CONDAMNE la SA THOMAS COOK VOYAGES à payer aux consorts CHAREYRE une indemnité de 2 500,00 € au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel,
CONDAMNE la SA THOMAS COOK VOYAGES aux entiers dépens, y compris les frais d'expertise, dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP d'avoués GRIMAUD.