Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5, ch. 3, 9 septembre 2015, n° 13/17438

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

MAY WOUA (SARL)

Défendeur :

SAINT JEAN (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme BARTHOLIN

Conseillers :

Mme CHOKRON, Mme PARANT

TGI Evry, du 28 juin 2013

28 juin 2013

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 5 juin 2001, les consorts R., aux droits desquels vient la SCI Saint Jean par l'effet de la cession de l'immeuble intervenue le 21 juillet 2005, ont donné à bail commercial à la société May Woua des locaux sis [...] pour une durée de 3/6/9 années entières et consécutives à compter du 1er janvier 2000, à usage exclusif de restaurant chinois, produits exotiques, salon de thé, vente à emporter, traiteur, moyennant un loyer annuel de 5 820, 50 €, payable trimestriellement et à terme échu. Le bail s'est renouvelé a son terme par tacite prolongation.

Selon acte extrajudiciaire délivré le 16 septembre 2009, la SCI Saint Jean a donné congé à la société May Woua avec refus de renouvellement pour défaut d'exploitation, pour le 31 mars 2010.

Par acte d'huissier délivré le 28 juillet 2011, la société May Woua a fait assigner la société Saint Jean devant le tribunal de grande instance d'Evry aux fins, notamment, de voir déclarer nul le congé avec refus de renouvellement qui lui a été délivré le 16 septembre 2009.

Par jugement du 28 juin 2013, le tribunal de grande instance d'Évry a :

- déclaré la société May Woua irrecevable en sa demande additionnelle,

- débouté la société May Woua de l'intégralité de ses autres demandes,

- validé le congé délivré par la SCI Saint Jean le 16 septembre 2009 pour le 31 mars 2010 avec refus de renouvellement,

- dit que la société May Woua ne peut prétendre au versement d'une indemnité d'éviction,

- ordonné l'expulsion de la société May Woua et de tout occupant de son chef des locaux situés [...] avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier;

- dit n'y avoir lieu à séquestration des meubles garnissant les locaux ;

- dit que la société May Woua est redevable depuis le 1er avril 2010 d'une indemnité d'occupation dont le montant est égal à celui du loyer courant et ce, jusqu'à complète libération des lieux,

- condamné la société May Woua à payer à la SCI Saint Jean la somme de 2200 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société May Woua aux dépens.

-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

-rejeté le surplus des demandes.

La SARL May Woua a interjeté appel de ce jugement le 29 août 2013.

Par ses dernières concluions du 17 mars 2014, elle demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a fixé l'indemnité d'occupation au montant du loyer courant,

En conséquence,

- constater que la SCI Saint Jean n'a délivré aucune mise en demeure préalablement à son congé à la société May Woua,

- dire et juger que la SCI Saint Jean ne démontre pas le caractère irréversible et définitif du défaut d'exploitation pouvant l'exonérer d'une mise en demeure préalable à son congé,

- dire et juger que la société May Woua a poursuivi effectivement, continuellement, régulièrement et sans interruption l'exploitation de son fonds de commerce de restaurant ' salon de thé ' vente à emporter ' traiteur, et ce malgré la carence du bailleur dans l'exécution de ses obligations et les travaux communaux alentours,

- dire et juger que le motif de refus de renouvellement de bail commercial invoqué par la SCI Saint Jean est inexistant,

- dire et juger irrégulier le congé avec refus de renouvellement sans indemnité d'éviction délivré le 16 septembre 2009,

- dire et juger que la société May Woua a droit au paiement d'une indemnité d'éviction égale au préjudice subi lequel s'évalue à la somme de 65 000 €,

- condamner la SCI Saint Jean à lui payer la somme de 65 000 € à titre d'indemnité d'éviction,

- dire que jusqu'au paiement effectif de cette indemnité, la société May Woua aura droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du bail expiré,

A titre subsidiaire,

- dire que toute expertise qui pourrait être ordonnée, que ce soit pour fixer le montant de l'indemnité d'occupation ou pour fixer le montant de l'indemnité d'éviction, sera mise à la charge de la SCI Saint Jean,

En tout état de cause,

- condamner la SCI Saint Jean à lui payer la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SCI Saint Jean en tous les dépens de première instance et d'appel, dont distraction.

Par ses dernières conclusions du 24 janvier 2014, la SCI Saint Jean demande à la cour de:

- déclarer la société MayWoua recevable mais mal fondée en son appel,

- l'en débouter,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a validé le congé délivré par la SCI Saint Jean le 16 septembre 2009 pour le 31 mars 2010 avec refus de renouvellement, dit que la société May Woua ne peut prétendre au versement d'une indemnité d'éviction et ordonné en conséquence son expulsion et celle de tout occupant de son chef des locaux situés [...] avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier,

- la recevoir pour le surplus en son appel incident et le déclarer bien fondé,

statuant à nouveau, du seul chef du montant de l'indemnité d'occupation,

- dire et juger que la société May Woua est redevable depuis le 1er avril 2010 et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés d'une indemnité d'occupation,

- désigner, avant dire droit du seul chef de son montant, sans préjudicier au fond, un expert, avec mission habituelle en pareille matière, :

- rejeter toute autre demande plus ample ou contraire de la Société May Woua.

- condamner la société May Woua au paiement de la somme de 5 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur la régularité du congé

La société May Woua soutient que la SCI Saint Jean ne pouvait fonder son congé avec refus de renouvellement sur les dispositions de l'article L 145-8 du code de commerce sans mettre préalablement la société May Woua en demeure et sans prouver un défaut d'exploitation définitif et irréversible. Selon elle, le congé délivré le 16 septembre 2009 est irrégulier.

La SCI Saint Jean s'y oppose ; la mise en demeure visée à l'article l 145 - 17 n'était pas nécessaire, le congé ayant été délivré non pas au visa de l'article L 145 - 17 1° mais de l'article L 145 - 8, la cessation définitive d'activité sur les 3 dernières années du bail expiré entraînant la perte du bénéfice du statut des baux commerciaux et privant le locataire de son droit au renouvellement.

Il résulte de l'acte d'huissier délivré au locataire le 16 septembre 2009 qu'a été signifié un : ' congé avec refus de renouvellement pour défaut d'exploitation ' ; l'acte rappelle les conditions du bail ayant commencé à courir le 1er janvier 2000 pour se terminer le 31 décembre 2008 ; la requérante entend mettre fin au bail et donner congé au signifié pour le 31mars 2010 conformément à l'article L 145 - 9 du code de commerce ... ' ce refus de renouvellement est motivé par le défaut d'exploitation effective et continue par le signifié de son fonds de commerce pendant les trois dernières années du bail : en conséquence des dispositions de l'article L 145 - 8 du code de commerce, aucune indemnité d'éviction ne sera versée... ' .

Ce congé a été expressément délivré au visa des articles L 145 - 8 et 9 du code de commerce et non de l'article L 145 - 17 de sorte qu'il s'agit, comme le soutient la SCI Saint Jean, d'un congé dénégation à effet au 31 mars 2010, pour manquement à l'obligation d'exploitation effective au cours des 3 années qui ont précédé la date d'expiration du bail, soit, en l'espèce le 31mars 2010. S'agissant d'une infraction irréversible, le bailleur n'était pas tenu de notifier à la société May Woua une mise en demeure avant la signification du congé.

Sur la validité du congé et le droit à la perception d'une indemnité d'éviction:

La société May Woua soutient que, contrairement à ce que prétend le bailleur, elle a toujours maintenu une exploitation effective et continue des lieux qui n'ont jamais constitué le logement de sa gérante et de sa famille, que les photographies produites ne sont pas datées et sont contredites par d'autres photos tout comme les attestations de voisins par des attestations de clients et par ses pièces comptables et l'extrait de registre du commerce et des sociétés.

La SCI Saint Jean prétend rapporter la preuve de l'absence d'exploitation par les photographies prises en novembre 2008 lors d'une visite des locaux et par les attestations de voisins et de professionnels indépendants des parties à l'instance ; les pièces comptables non certifiées produites par la locataire établissent un déficit chronique ; l'activité de l'établissement secondaire du [...] et non du 14 et l'inscription au registre du commerce et des sociétés ne font pas plus la preuve de l'exploitation effective que la production des factures de gaz et d'électricité.

Il appartient à la SCI Saint Jean qui a délivré le congé pour défaut d'exploitation du fonds de rapporter la preuve du défaut d'exploitation effective et continue dans les 3 ans précédant la date du 31 mars 2010 pour laquelle le congé a été délivré.

Les photographies prises en novembre 2008, date à laquelle le bailleur s'est déplacé sur les lieux dans le cadre d'une visite dont la réalité n'est pas contestée par la société May Woua, établissent qu'à cette date, les locaux ne servaient plus à la restauration, à une activité de salon de thé ou de vente à emporter, mais servaient au stockage de nombreux objets, aucune trace de cuisine ou de restauration n'étant visible sur lesdites photographies, les locaux étant encombrés de meubles et d'objets à usage d'habitation familiale.

La lettre du 30 septembre 2008 écrite par Mme Ta, gérante de l'établissement confirme qu'à cette date, le restaurant était momentanément fermé. Les photographies produites par la société May Woua qui sont des photos de restaurant avec des tables et des chaises sans encombrement particulier ne sont pas datées et la cour ne peut déterminer si elles ont été prises dans les 3 années précédant le congé.

La SCI Saint Jean produit encore des attestations de voisins qui certifient n'avoir jamais constaté la présence de clients dans le restaurant et notamment l'attestation de M. T. qui certifie passer quotidiennement devant le restaurant May Woua pour faire ses courses depuis plusieurs années et n'avoir jamais constaté la présence de clients dans le restaurant. Et encore, une lettre d'une société de diagnostic qui écrit avoir établi en 2007, 2008, 2009 et 2010 , à huit reprises, à des dates précisées dans ce courrier, des diagnostics dans l'immeuble, et que lors de toutes les interventions, la société n'a jamais pu entrer en contact avec la locataire, ayant trouvé porte close à l'heure des repas la salle servant à stocker des objets divers ( visibles à travers la vitrine ).

Les 7 attestations de clients rédigées en 2012 versées aux débats par la société May Woua qui font état pour certains d'une restauration dans la salle de restaurant et pour d'autres de l'achat de plats cuisinés ne précisent pas, pour la plupart, la date de ces faits de sorte que ces attestations ne peuvent faire la preuve de la réalité d'une activité commerciale dans les 3 années précédant le congé, étant rappelé que la société May Woua est locataire depuis le 1er janvier 2000. Les faits qui sont datés de 2009 et 2010 sont rapportés par Mme K. mais ils concernent sa fille et n'ont donc pas été constatés par l'attestante ; seule l'attestation de Mme G. fait état de l'organisation de repas collectifs conviviaux depuis 10 ans par Mme Ta, ce qui fait la preuve de l'organisation ponctuelle, pendant la période considérée, par la société May Woua de repas collectifs pour le compte de l'association les Bouches Décousues ou pour d'autres événements culturels locaux.

Les factures d'électricité ne sont pas plus des éléments probants de l'effectivité d'une activité commerciale dans les lieux mais seulement de la réalité d'une consommation d'énergie, laquelle peut être privée comme professionnelle. Et l'extrait du registre du commerce et des sociétés ne fait pas non plus la preuve de la réalité de l'exploitation prétendue.

Enfin, à supposer que les éléments comptables, non certifiés, produits par la société May Woua elle même, puissent constituer des éléments de preuve de la réalité de l'exploitation, ils révèlent, pour les exercices 2007, 2008, 2009 une activité déficitaire et, pour le fonds de restaurant et d'activité à emporter litigieux, un chiffre d'affaires détaillé comme suit :

2007 : restaurant : 3 407 €, à emporter : 783 €,

2008 : restaurant : 954 €, à emporter : 194 €,

2009 : restaurant : 503 €, à emporter : 1787 €,

alors que le second établissement secondaire du 21 de la même [...] de la société May Woua a développé pour la même période :

2007 : thé : 6 169 €, accessoires : 5 486 €,

2008 : thé : 6 963 € accessoires : 4 504 €

2009 : thé : 7335 € accessoires : 4821 €

Ils démontrent une activité très réduite dans le fonds considéré, la majeure partie du chiffre d'affaires étant développée dans le second local dédié à la vente de thé et d'accessoires ; le chiffre d'affaires total dans le fonds litigieux aurait varié de 4 190 € en 2007 à 2 290 € en 2009 en passant par 1148 € en 2008, ce qui révèle une activité négligeable, conforme aux attestations qui en font état, portée principalement, depuis 2008, par la vente à emporter .

Il s'ensuit que la preuve est rapportée du défaut d'exploitation normale et régulière du fonds de commerce de restaurant chinois, produits exotiques, salon de thé, vente à emporter, traiteur par la société May Woua dans les 3 années précédant le congé délivré le 16 septembre 2009 de sorte qu'il convient, par confirmation du jugement entrepris, de valider le congé délivré le 16 septembre 2009 à effet au 31mars 2010. Le jugement déféré sera également confirmé en ses dispositions sur l'expulsion de la société May Woua.

Il est constant que le locataire qui est privé, par l'effet d'un congé, du droit au renouvellement de son bail pour défaut d'exploitation des locaux loués ne peut prétendre au bénéfice de l'indemnité d'éviction de l'article L145-14 du code de commerce de sorte que le jugement entrepris qui a débouté la société May Woua de sa demande en paiement d'une indemnité d'éviction sera également confirmé sur ce point.

Sur l'indemnité d'occupation

La SCI Saint Jean a formé un appel incident sur l'indemnité d'occupation en sollicitant une mesure d'expertise destinée à chiffrer son montant ; la société May Woua sollicite que, dans ce cas, les frais en soient avancés par le bailleur.

L'indemnité d'occupation due par la société May Woua à la date de prise d'effet du congé avec refus de renouvellement n'est pas l'indemnité d'occupation dite statutaire de l'article L 145 - 28 du code de commerce mais une indemnité destinée à indemniser le bailleur de l'occupation sans droit ni titre du locataire privé du droit à renouvellement de son bail sans indemnité d'éviction .

Il convient, comme l'a jugé le tribunal, en l'absence de preuve de préjudice particulier subi par la SCI Saint Jean du fait de l'occupation des lieux par la société May Woua postérieurement au 31mars 2010, de fixer l'indemnité d'occupation au montant du loyer contractuel, sans qu'il y ait lieu d'ordonner de mesure d'instruction.

Sur le surplus des demandes

Le jugement entrepris sera également confirmé en ses dispositions sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile.

La société May Woua qui succombe en son appel sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à la SCI Saint Jean la somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société May Woua à payer à la SCI Saint Jean la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société May Woua aux dépens de l'instance d'appel.