CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 9 décembre 2021, n° 21/06265
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Fremavi (SAS)
Défendeur :
Eres Gestion (Sasu), Eres (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Masseron
Conseillers :
M. Rondeau, M. Chopin
EXPOSE DU LITIGE
La société Eres est une plate-forme de conception, distribution et gestion de dispositifs d'épargne salariale et retraite collective. La société Eres Gestion, filiale de la société Eres, est une société de gestion d'actifs ayant pour activité la gestion de fonds appelés organismes de placement collectif. Elle constitue essentiellement un canal de commercialisation.
La société Fremavi, dont le nom commercial est Epsor, exerce dans le domaine de la gestion d'actifs, et propose une offre exclusivement numérique d'épargne salariale et épargne retraite à destination des entreprises et de leurs salariés. Elle rejoint ainsi la catégorie des « Fintechs ». Messieurs Julien N. et Baptiste P. en sont les deux fondateurs.
En septembre 2019, M. Baptiste P., salarié d'Epsor, a négocié avec son employeur, une rupture conventionnelle de son contrat de travail, et la libération de sa clause de non-concurrence, et a quitté cette société le 25 octobre 2019 pour rejoindre la société Eres.
Les sociétés Eres et Eres Gestion, ont obtenu, selon ordonnance sur requête rendue le 3 septembre 2020 par le juge des requêtes du tribunal de commerce de Paris, que soit ordonnée une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, laquelle a été exécutée le 6 octobre 2020. Elles recherchaient les preuves matérielles d'une introduction frauduleuse dans leur système d'information protégé, soupçonnant une pratique déloyale d'Epsor.
Par exploit du 27 octobre 2020, la société Fremavi a fait assigner les sociétés Eres et Eres Gestion devant le juge des référés à qui elles ont demandé la rétractation de l'ordonnance sur requête précitée.
Par ordonnance du 24 mars 2021, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :
- débouté les sociétés Eres et Eres Gestion de leur demande visant à voir prononcer la caducité de l'assignation de la société Fremavi ;
- débouté la société Fremavi de sa demande visant à voir prononcer la nullité de l'ordonnance du 03 septembre 2020 ;
- débouté la société Fremavi de sa demande de rétractation de l'ordonnance du 3 septembre 2020 ;
- condamné la société Fremavi à payer à chacune des sociétés Eres et Eres Gestion la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif ;
- condamné la société Fremavi aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 79,83 euros TITC dont 13,09 euros de TVA.
Le premier juge a notamment relevé que les éléments invoqués par les sociétés Eres au soutien de leur demande au visa de l'article 145 du code de procédure civile - à savoir, l'existence d'actes de concurrence déloyale, de dénigrement et le fait que la société Fremavi ait pénétré de façon illicite sur la plate-forme d'Eres réservée à ses clients courtiers - justifiaient la mesure et le recours à une procédure adaptée dans un contexte de concurrence déloyale où le risque de disparition de pièces, pour une large part de nature commerciale, est élevé. Il a relevé également que les mesures engagées étaient limitées dans le temps et dans leur champ. Le premier juge a noté en outre que « la société Fremavi confirme la volonté d'intrusion sur le site des sociétés Eres et Eres Gestion et la possibilité qui lui en a été donnée en produisant un courriel de M. De M. à M. Julien N., président du conseil d'administration de la société Fremavi par lequel l'auteur du dit courriel communique les éléments nécessaires à une connexion au destinataire. »
Par déclaration du 1er avril 2021, la société Fremavi a interjeté appel de cette décision, critiquant celle-ci dans toutes ses dispositions, à l'exception de celle qui déboute les sociétés Eres et Eres Gestion de leur demande visant à voir prononcer la caducité de l'assignation
Par ses dernières conclusions communiquées par la voie électronique le 13 août 2021, la société Fremavi a demandé à la cour, au visa des articles 145, 493 du code de procédure civile, 1240 et 1241 du code civil, L 122-1 et L122-2 du code de la consommation, de :
- recevoir la société Fremavi exerçant sous l'enseigne Epsor en son appel de l'ordonnance du 24 mars 2021 ;
Y faisant droit,
- infirmer l'ordonnance dont appel en toutes ses dispositions ;
- débouter les sociétés Eres et Eres Gestion de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
Statuant à nouveau :
- constater que les sociétés requérantes ne caractérisent pas suffisamment les circonstances nécessitant de déroger au principe du contradictoire par rapport au contexte dénoncé ;
- constater que les sociétés Eres et Eres Gestion au vu des pièces produites et du contexte dénoncé, ne rapportent pas des indices plausibles et suffisants d'une violation des règles de la concurrence et des actes de concurrence déloyale et de dénigrement ;
- constater que les mesures ordonnées sont disproportionnées et ne constituent pas des mesures d'instruction légalement admissibles ;
En conséquence :
- rétracter l'ordonnance sur requête en toutes ses dispositions ;
- déclarer nulles toutes les mesures d'instruction exécutées sur le fondement de cette ordonnance, en ce compris le procès-verbal de constat dressé par l'huissier instrumentaire le 6 octobre 2020 - dont il n'a pas été remis de copie à la société Epsor - en ce qu'il a porté sur la prise de connaissance et/ou la copie de la liste des clients d'Epsor et la copie ou l'extraction des documents émis entre le 1er février 2019 et le 6 octobre 2020 ;
- condamner les sociétés Eres et Eres Gestion à restituer tous les éléments établis et obtenus soit en original soit en copie à l'occasion de cette ordonnance et de ce constat, émis entre le 1er février 2019 et le 6 octobre 2020 inclus tels qu'énoncés dans ladite ordonnance et plus généralement de l'ensemble des documents et des données appréhendées par l'Étude d'huissiers D. et F. en exécution de ladite ordonnance ;
- faire interdiction aux sociétés Eres et Eres Gestion de faire usage du dit procès-verbal et de toutes les pièces et documents émis entre le 1er février 2019 et le 6 octobre 2020 inclus ;
A titre infiniment subsidiaire :
- rétracter les chefs de l'ordonnance rendue sur requête par le président du Tribunal de Commerce de Paris le 3 septembre 2020 dont la mise en œuvre confère à l'huissier instrumentaire des pouvoirs d'investigation extrêmement larges sans lien avec le litige allégué et disproportionnés ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
- constater que la mesure ordonnée non contradictoirement confère à l'huissier instrumentaire des pouvoirs d'investigation disproportionnés à la fois dans le temps (la recherche d'information porte sur une période de 22 mois du 1er février 2019 au 3 octobre 2020) et dans l'espace (elle concerne les travaux et correspondances de huit commerciaux et des deux dirigeants sur tous supports) ;
- constater que la mesure ordonnée non contradictoirement est également disproportionnée dans son objet dès lors que les mesures de collectes avec comme seul mots-clés « Eres, Eres Gestion » ne peuvent qu'aboutir à l'apparition d'un grand compte d'occurrences constituées de documents qui font référence à cette société et sans constituer pour autant des agissements répréhensibles ;
- dire que parmi ces documents collectés, autoriser une mesure de collecte des prospects n'est ni pertinente ni utile, mais ne peut que porter une atteinte illégitime aux droits d'Epsor.
En conséquence,
- exclure du périmètre de la mesure les échanges avec les prospects d'Epsor et les clients, le nom de ceux-ci ainsi que les documents permettant d'identifier les prospects ou clients - nom des représentants, adresse, tarification, etc. ;
- exclure de la mesure, les documents contenant l'utilisation des locutions ou mots clés Eres, Eres Gestion dès lors que ces documents sont eux-mêmes incorporés dans un document plus général à destination des dirigeants et administrateurs de la société.
En tout état de cause :
- constater qu'Eres fait preuve de mauvaise foi lorsque devant la cour elle dit « assumer » la présentation fausse des faits dans la conduite de la présente instance, en agissant de concert avec un ancien salarié d'Epsor afin de nuire à un jeune concurrent ;
- condamner Eres qui a donc abusé de son droit d'agir en justice, à payer à ce titre la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
- réformer les chefs de l'ordonnance prononçant la condamnation d'Epsor au paiement des sommes respectives de 3.000 euros à la société Eres et la société Eres Gestion soit au total 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
- débouter les sociétés Eres et Eres Gestion ;
- condamner in solidum les sociétés Eres et Eres Gestion à verser une somme de 12 000,00 euros à la société Fremavi sur le fondement des dispositions de l'article 700 du CPC ;
- condamner les sociétés Eres et Eres Gestion aux entiers dépens de l'instance.
La société Fremavi a exposé en substance les éléments suivants :
- Les sociétés Eres ne démontrent pas l'existence d'une nécessité de déroger au principe du contradictoire :
- Aucun élément ni fait concret n'est visé pour démontrer que les informations ou éléments de preuve recherchés risquaient de disparaître,
- Les prétendus actes de concurrence déloyale ou de dénigrement ne suffisent pas en eux-mêmes à démontrer qu'il existerait une volonté de dissimulation ou de disparition des faits litigieux,
- Les sociétés Eres procèdent à un exposé erroné des faits,
- Les codes d'accès à la plate-forme étant déjà en la possession de la société Eres, ses demandes relatives à ces codes sont sans objet,
- La nature commerciale des pièces n'est pas un motif de dérogation au principe du contradictoire.
- Les sociétés Eres ne justifient pas d'un motif légitime rendant plausible une action en concurrence déloyale :
- Les échanges de courriels entre un collaborateur de Fremavi et la société Amnyos produits par les sociétés Eres ne sont pas de nature à démontrer de manière crédible l'existence d'un acte de concurrence déloyale par dénigrement,
- Le constat d'huissier réalisé le 6 mars 2020 sur le site internet d'Epsor ne comporte aucune information ni indication laissant penser qu'Epsor a eu accès à des informations confidentielles appartenant à Eres, et ne justifie donc pas la mise en oeuvre des mesures sollicitées,
- Les sociétés Eres font preuve de duplicité en ce qu'elles demandent à accéder à des informations qui sont non confidentielles et dont elles ont connaissance grâce à un ancien de leurs salariés aujourd'hui chez Epsor.
- Les sociétés Eres ne rapportent la preuve d'aucun préjudice justifiant le recours à une procédure dérogatoire :
- Aucune perte financière n'est rapportée alors qu'elle est une condition nécessaire à la recevabilité d'une action en concurrence déloyale,
- Les éléments invoqués au soutien de la requête constituent autant de moyens de preuve suffisants pour introduire une action en référé, préservant ainsi le contradictoire, la dérogation à ce principe étant dépourvue de toute utilité.
- Les mesures demandées et ordonnées confèrent à l'huissier instrumentaire des pouvoirs d'investigation extrêmement larges sans lien avec le litige allégué et disproportionnés à la fois dans le temps, dans l'espace et dans leur objet.
- La présentation mensongère des faits et la mauvaise foi des sociétés Eres caractérisent un abus de son droit d'agir en justice ayant causé un préjudice à la société Fremavi.
Par conclusions communiquées par voie électronique le 12 juillet 2021, les sociétés Eres et Eres Gestion demandent à la cour, au visa des articles 496 et suivants du code de procédure civile, R 153-2 et suivants du code de commerce, de :
- confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
A défaut,
- rejeter les demandes de rétractation totale et partielle formées par la société Fremavi et la débouter en toutes ses fins, demandes et conclusions ;
En tout état de cause,
- condamner la société Fremavi à verser la somme de 6 000 euros à chacune des sociétés Eres et Eres Gestion ainsi qu'aux entiers dépens.
Les sociétés Eres et Eres Gestion ont exposé en substance les éléments suivants :
- Les éléments versés aux débats par la société Fremavi caractérisent l'existence d'un motif légitime en ce qu'elle produit un courrier démontrant qu'elle avait accès à la plate-forme Eres et aux informations confidentielles qu'elle renferme bien avant l'ordonnance sur requête.
- Contrairement à l'argumentation présentée par la société Fremavi, il existe des faits rendant plausible l'action en concurrence déloyale :
- Les échanges de mails entre Fremavi et Amnyos constituent un acte de dénigrement par voie de démarchage mais ne suffisent pas pour connaître l'ampleur de l'attitude dont il procède, d'où la nécessité des mesures sollicitées,
- S'agissant du rapport d'huissier du 6 mars 2020, l'écart entre sa date et l'introduction de la requête n'a aucun impact sur sa valeur probatoire ; l'attitude de la société Natixis en situation supposément similaire n'a pas à constituer un obstacle à l'utilisation de la procédure en cours par les sociétés Eres ; et, les données utilisées ne sont pas publiques dès lors que leur accès est subordonné à l'accord des sociétés Eres et à la qualité de courtiers.
- L'aveu par la société Fremavi de son accès à l'ensemble des données réservées aux courtiers des sociétés Eres caractérise en soi un acte illicite mais ne suffit pas à caractériser l'ampleur de la pratique ni l'étendue du préjudice en résultant, d'où la nécessité d'une mesure d'instruction.
- En réponse à l'argument selon lequel aucun préjudice n'est prouvé, les sociétés Eres et Eres Gestion rappellent que la mesure attaquée est de nature probatoire et les conditions de l'action envisagée n'ont donc pas à être caractérisées.
- En réponse au caractère prétendument trop général et disproportionné des mesures demandées, les sociétés Eres et Eres Gestion invoquent que :
- Tous les chefs de mission confiés à l'huissier instrumentaire sont rattachés aux faits dénoncés et les informations ne sont collectées que dans la mesure où elles concernent directement la société Eres.
- La procédure prévue pour la levée du séquestre permettra d'écarter tout élément de preuve qui ne serait pas lié aux faits dénoncés et prévoit de préserver le secret des affaires.
Par décision du 21 octobre 2021, la cour d'appel a ordonné la réouverture des débats afin que les parties produisent la requête déposée, assortie des pièces présentées par la société Eres et la société Eres Gestion, l'ordonnance rendue sur requête le 3 septembre 2020, le procès-verbal de constat du 6 septembre 2020 établi par la scp D. et F., huissiers de justice,
SUR CE, LA COUR
Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé. L'article 493 du même code prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.
Il résulte des articles 497 et 561 du code de procédure civile que la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête prescrivant des mesures d'instruction destinées à conserver ou à établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, est investie des attributions du juge qui l'a rendue devant lequel le contradictoire est rétabli.
Cette voie de contestation n'étant que le prolongement de la procédure antérieure, le juge doit apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui. Il doit à cet égard constater qu'il existe un procès en germe possible et non manifestement voué à l'échec au regard des moyens soulevés, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu'il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond, et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, celle-ci ne devant pas porter une atteinte illégitime aux droits et libertés fondamentaux d'autrui. Il doit encore rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe du contradictoire. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit.
En l'espèce, la société Fremavi fait état à l'appui de sa demande d'infirmation de l'ordonnance entreprise de ce que :
- les requérantes ne disposaient d'aucun motif légitime justifiant qu'il soit procédé à des mesures in futurum sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile,
- la dérogation au principe du contradictoire n'était pas justifiée,
- les mesures ordonnées sont disproportionnées au regard des objectifs poursuivis par l'article 145 du code de procédure civile,
1 - Sur le motif légitime
Pour justifier du motif légitime, les requérantes ont exposé qu'elles ont découvert au mois de février 2020 un échange par courriels d'un de leur client et de M. Bryan de O., commercial de la société Fremavi/ Epsor, qui a démarché ce client en précisant :
- « En toute transparence, Eres est l'acteur dont nous transférons le plus de clients »
- « Pour vous donner un aperçu, voici la dernière étude comparative en date pour un de nos clients : Gamme Eres vs Gamme Epsor. Les performances moyennes de nos supports équivalents sont quasiment doubles, à sharpe ratio plus favorable »
- « des clients comme BPI, Banco Santander, Fidelity ont transféré leur dispositif pour bénéficier de meilleurs performances offertes par notre gamme en architecture ouverte et sans surcouche de frais (12 sociétés de gestion) »
Elles font également état de l'existence d'une publicité comparative sur la page d'accueil du site internet de la société Fremavi/Epsor, mettant à disposition de l'internaute quatre comparatifs de « l'offre Epsor », et propose une analyse comparative dite complète faisant état des tarifs de la société Eres Gestion, de frais qualifiés d'injustifiés, d'offres « caractéristiques de l'absence de conseil » et de la conclusion suivante: « pas de conseil dans l'allocation des encours », « pas de pédagogie sur l'intérêt du dispositif », « une gamme de supports peu lisibles pour les salariés », « absence de conseil de d'accompagnement », proposant en outre un coût « juste moins cher pour un meilleur service ».
Il résulte des éléments de la cause que les sociétés intimées avaient produit auprès du juge des requêtes le 3 septembre 2020 :
- le message électronique de M. Bryan de O., en date du 26 février 2020,
- un article du journal L'usine nouvelle en date du 14 mars 2019, intitulé « Epsor, la start up française qui veut accélérer la conversion des PME et des ETI à l'épargne salariale »,
- un procès verbal de constat sur internet du 6 mars 2020,
- un document intitulé « Epsor- l'épargne salariale en toute simplicité »,
- un extrait de sites internet relatifs aux liens existants entre M. Julien N., président du conseil d'administration de Fremavi/Epsor et M. François Xavier de M., courtier,
- un extrait du site LinkeldIn intitulé « Un an dans la vie d'une start up : le bilan 2018 d'Epsor ».
Il en résulte notamment que :
- le courriel de M. Bryan de O. a été transféré aux sociétés Eres par un de leurs clients, M. Cyrille A., démarché en vain par la société Fremavi/Epsor, courriel dans lequel il est fait état d'un comparatif, des clients de la société Fremavi/Epsor étant cités et supposés avoir été transférés de la société Eres à Epsor ( BPI, Banco Santander, Fidelity), alors qu'il est incontestable que ces sociétés ne sont pas clients des sociétés Eres,
- le procès-verbal de constat du 6 mars 2020 établit l'existence d'une offre comparative des prestations, par un système d'étoiles, sur la base de données fournies,
- l'analyse complète adressée à la société Tekhne Services reproduit les frais d'entrée du groupe Eres et précise « en moyenne de 2,5% pour Eres (jusqu'à 5%) ce qui est très élevé »,
- de la sorte, il apparaît bien que ces données, notamment celles relatives aux frais d'entrée, ne peuvent avoir été extraites exclusivement du site internet du groupe Eres ni de l'analyse complète dont il ressort que pour établir une moyenne, un accès a nécessairement eu lieu aux contrats des sociétés Eres, soit à la base de données sécurisée.
Ainsi, ces éléments constituaient bien un faisceau d'indices suffisants pour légitimer les suspicions de la partie requérante qui pouvait ainsi craindre des actes constitutifs de concurrence déloyale, de violation du secret des affaires voire d'une infraction aux dispositions de l'article 323-1 du code pénal.
Les éléments ainsi produits établissaient bien le motif légitime de réaliser une mesure de constat.
A cet égard, le premier juge a bien caractérisé l'existence d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile en faisant référence à l'ensemble de ces pièces.
L'ordonnance rendue sera confirmée sur ce point.
2 - Sur la dérogation au principe du contradictoire :
Il résulte de l'examen de l'ordonnance dont il est sollicité la rétractation que le juge des requêtes a spécialement motivé la nécessité de déroger au principe du contradictoire par les circonstances de la cause et la nature du litige.
Les motifs de la requête énoncent à cet égard que « Compte tenu du risque évident de dissipation des éléments de preuve, il va sans dire que donner un caractère contradictoire à une demande tendant à voir réaliser une mesure d'instruction in futurum n'aurait aucun sens sans cette affaire »
Comme l'a dit le premier juge avec pertinence, ainsi, « ces différents éléments justifiaient une recherche d'éléments probatoires au visa de l'article 145 du code de procédure civile, procédure adaptée à un contexte de concurrence exacerbée voir hostile où le risque de déperdition des pièces qui sont pour la plupart des pièces de nature commerciales est élevé ».
En effet, ce sont à la fois les circonstances évoquées dans la requête et la nature de la mesure d'instruction dans ce contexte précis qui justifiaient en l'espèce le recours à une procédure non contradictoire dès lors qu'à l'évidence, le risque de dissipation des éléments de preuve était majeur.
Par ailleurs, la société Epsor tente de démontrer que les sociétés Eres ont eu à leur disposition tous les éléments lui permettant une action par le biais d'une procédure contradictoire. Sur ce point, elles produisent un courriel de M. François de M., courtier, à M. Julien N., président du conseil d'administration de la société Fremavi/ Epsor, par lequel l'auteur, qui entretient manifestement des relations d'amitié avec ce dernier, lui communique les identifiants de connexion aux données sécurisées des sociétés Eres, et admettent que M. Baptiste P., ancien salarié de la société Fremavi, a bien accédé à cette base de données pendant la durée de son contrat de travail avec la société Fremavi/Epsor qui les détenait donc. Toutefois, il y avait tout de même tout lieu de craindre, à défaut d'effet de surprise, pour les requérantes, notamment que certains éléments pertinents soient supprimés. Notamment la seule liste des clients détournée est de toute évidence insuffisante à démontrer l'ampleur d'un éventuel détournement qui doit concerner également les prospects.
Enfin la société Epsor ne démontre pas en quoi une telle mesure d'instruction comporterait une violation du secret des affaires, étant précisé que le simple risque d'une atteinte au secret des affaires n'est pas en soi un obstacle à l'instauration d'une mesure d'instruction in futurum.
La nécessité de déroger au principe du contradictoire est ainsi suffisamment caractérisée.
L'ordonnance rendue sera confirmée sur ce point.
3 - Sur les mesures
Les mesures d'investigation doivent être légalement admissibles, les mesures d'investigation générales étant prohibées, de sorte qu'elles doivent être circonscrites dans le temps et l'objet.
Or, l'ordonnance rendue comporte des mots clés pertinents (Sales, Epsor, Julien N., Baptiste P., Eres, Eres Gestion, E68091310, Benoitbuisson49, https://extranet.eres-group.com), dont la combinaison apparaît nécessaire à l'établissement des faits, et prévoit une saisie des éléments correspondants à compter du 1er février 2019, alors que la société Fremavi/ Epsor qui existe depuis 2017 a ouvert le 29 octobre 2019 un établissement à Paris, devenant son établissement principal.
De la sorte, les mesures prescrites sont circonscrites dans le temps et l'objet, tout en étant proportionnées au but poursuivi et à la recherche d'éléments probants ainsi qu'à l'exercice du droit de la preuve. En effet, il apparaît bien que l'atteinte au secret des affaires invoquée est bien limitée aux recherches de preuves en lien avec le litige.
L'ordonnance sera également confirmée sur ce point.
4 - Sur les demandes de la société Epsor
La société Epsor demande la rétractation partielle de l'ordonnance rendue estimant que la mise en oeuvre confère à l'huissier instrumentaire des pouvoirs d'investigation larges et sans lien avec le litige allégué et disproportionné.
Toutefois, au regard de ce qui précède, le périmètre de la mesure doit de toute évidence inclure les prospects, et clients d'Epsor, alors que l'exclusion de documents contenant l'utilisation de locutions ou mots clés Eres et Eres gestion dès lors que ces documents sont eux-mêmes incorporés dans un document plus général à destination des dirigeants ou administrateurs de la société n'est pas pertinente.
La société Fremavi/Epsor demande en outre la condamnation des sociétés Eres au paiement des dommages intérêts pour procédure abusive, ce dont elle sera déboutée eu égard à ce qui est jugé en appel.
Sur les frais et les dépens :
Le sort des dépens et de l'indemnité de procédure pour la procédure de première instance ont été exactement réglés par le premier juge.
Il convient de confirmer l'ordonnance entreprise de ces chefs.
Il y a lieu de condamner la société Fremavi partie perdante aux dépens.
En outre, elle doit être condamnée à verser aux sociétés Eres et Eres Gestion qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer pour chacune à la somme de 3 000 euros pour la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance rendue en toutes ses dispositions,
Rejette toute autre demande,
Condamne la société Fremavi aux dépens d'appel,
Condamne la société Fremavi à payer aux sociétés Eres et Eres Gestion chacune la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.