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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 10, 9 décembre 2021, n° 18/20147

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Matériel Médical 77 (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Papin

Conseillers :

M. Chazalette, Mme Lefevre

TGI Melun, du 19 juin 2018, n° 16/04492

19 juin 2018

M. D. présente une paraplégie de niveau D6 ASIA B d'origine traumatique depuis 1979, nécessitant l'utilisation d'un fauteuil roulant manuel.

Il a passé commande en avril 2015 auprès de la société Matériel médical 77 d'un fauteuil roulant Exelle de marque Progeo n° 2015XL07573 moyennant un prix de 2 720,11 euros.

Faisant valoir que le fauteuil livré n'était pas pourvu d'une inclinaison du châssis à 100° conformément à sa demande et à ses besoins, et qu'il ne pouvait donc utiliser le matériel acheté, M. D. a fait assigner les sociétés Matériel médical 77 et Progeo France par actes d'huissier des 9 et 10 août 2016 devant le tribunal d'instance de Melun (77), notamment aux fins de résolution de la vente, avec reprise du matériel, restitution du prix de vente et allocation de diverses sommes à titre de dommages-intérêts.

Par jugement en date du 25 novembre 2016, le tribunal d'Instance de Melun s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Melun, le montant des demandes de M. D. excédant le seuil de compétence de la juridiction primitivement saisie.

Par jugement du 19 juin 2018, le tribunal de grande instance de Melun a :

• rejeté le moyen d'irrecevabilité soulevé par la société Matériel médical 77 et la société Progeo France ;

• débouté M. D. de l'ensemble de ses demandes contre la société Matériel médical 77 et la société Progeo France ;

• débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, et notamment les défenderesses de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

• condamné M. D. aux dépens.

M. D. a interjeté appel le 16 août 2018.

Par ordonnance du 13 mars 2019, le magistrat chargé de la mise en état a notamment ordonné une expertise et désigné Mme D., médecin, pour y procéder, avec notamment pour mission de déterminer, lister et examiner les désordres existants sur le fauteuil litigieux, notamment déterminer si le fauteuil livré est conforme à la commande initiale, adapté aux besoins de M. D. et s'il peut en faire usage dans des conditions normales compte tenu de son handicap. Mme D. a déposé son rapport le 9 mars 2020.

M. D., aux termes de ses dernières conclusions en date du 8 mars 2021 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour de :

• le dire recevable et bien fondé en ses demandes ;

• débouter la société Progeo France de sa fin de non-recevoir ;

Au fond,

• infirmer le jugement sauf le rejet du moyen d'irrecevabilité de la société Progeo France ;

Statuant à nouveau :

• débouter les sociétés Progeo France et Matériel médical 77 de l'ensemble de leurs demandes ;

• prononcer la résolution du contrat ;

• ordonner la reprise par la société Matériel médical 77 du fauteuil livré dans les 15 jours de la signification de l'arrêt à intervenir, la société devant le prévenir des conditions de son passage et de l'organisation de la reprise, et ce sous astreinte de 150,00 euros par jour de retard ;

• condamner in solidum la société Matériel médical 77, et la société Progeo France, à lui payer la somme de 2 720,11 euros outre intérêts au taux légal à compter du 19 février 2016 date de la première mise en demeure jusqu'à parfait paiement, avec capitalisation des intérêts à compter de l'assignation dès lors qu'ils seront dus au moins pour une année entière ;

• condamner in solidum la société Matériel médical 77 et la société Progeo France à lui payer la somme actualisée de 77 200,00 euros en réparation du préjudice de jouissance subi ;

• condamner in solidum la société Matériel médical 77 et la société Progeo France à lui payer la somme de 5 000,00 euros en réparation du préjudice moral subi ;

• condamner in solidum la société Matériel médical 77 et la société Progeo France à lui payer la somme de 4 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens qui comprendront les frais d'expertise judiciaire, avec faculté de distraction au profit de Me Catherine R., associée de la SCP Malpel et associés.

La société Matériel médical 77, aux termes de ses dernières conclusions en date du 10 mai 2021 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour de :

• confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. D. de toutes ses demandes dirigées à son encontre,

Subsidiairement,

• limiter le montant des sommes qui pourraient être allouées à M. D. à :

• 1 045,88 euros au titre du remboursement du prix du fauteuil roulant ;

• 3 000 euros au titre du préjudice de jouissance ;

• 1 000 euros au titre du préjudice moral ;

• déclarer satisfactoire sa proposition de remplacement du fauteuil Progeo par un fauteuil Kunschall Compact avec options (main courante anti-dérapante et pneus marathon) d'une valeur totale de 2 781 euros ;

• condamner la société Progeo France au surplus des condamnations qui pourraient être prononcées au bénéfice de M. D.,

• débouter M. D. de toutes ses autres demandes à son encontre ;

• condamner la société Progeo France à la relever et garantir de toutes les condamnations pécuniaires qui pourraient être prononcées à son encontre ;

En tout état de cause,

• débouter la société Progeo France de toutes ses demandes dirigées à son encontre ;

• condamner tout succombant à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Progeo France, aux termes de ses dernières conclusions en date du 17 juin 2021 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour de :

• in limine litis, juger M. D. irrecevable en ses demandes ;

Au fond,

• confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. D. de ses demandes vis-à-vis d'elle ;

Subsidiairement,

• débouter la société Matériel médical 77 de ses demandes notamment d'appel en garantie formulées à son encontre.

• condamner M. D. et la société Matériel médical 77 à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

SUR CE,

Sur la fin de non-recevoir

La société Progeo France soulève l'irrecevabilité des demandes de M. D. au visa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale en soutenant qu'en dépit de ses demandes indemnitaires, il n'avait pas mis en cause les organismes sociaux.

Si, en vertu du 8e alinéa de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, la personne victime doit indiquer, en tout état de la procédure, sa qualité d'assuré social et appeler les caisses de sécurité sociale auxquelles elle est affiliée en déclaration de jugement commun, c'est seulement lorsque, en vertu du 1er alinéa du même article, la lésion dont l'assuré social est atteint est imputable à un tiers et qu'une action est exercée pour demander réparation du préjudice causé.

En l'espèce, M. D. poursuit la résolution de la vente d'un fauteuil roulant en exerçant une action à l'encontre de son vendeur et du fabricant du matériel : les condamnations de ce chef ne sont pas des indemnités mais des restitutions réciproques du prix et du matériel. Par ailleurs sur les autres chefs de demandes, M. D. ne réclame que l'indemnisation de préjudices extra-patrimoniaux, qui ne rentrent pas dans l'assiette de recours des tiers payeurs. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir de la société Progeo France.

Sur la résolution de la vente

En vertu de l'article 1604 du code civil, le vendeur est tenu de livrer un produit conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance.

La société Matériel médical 77 ne conteste pas avoir reçu commande de M. D. pour un fauteuil roulant Exelle de marque Progeo en début d'année 2015, bien que l'acheteur comme le vendeur déclarent ne pas être en mesure de produire le bon de commande. Cependant, il est constant que la société Progeo France a communiqué un devis à la société Matériel médical 77 daté du 6 janvier 2015 pour un montant hors remise de 2 589,78 euros HT (pièce 1 Matériel médical 77), sur lequel figurait, ainsi que le relève l'expert, quelques mesures de largeur, profondeur de l'assise, distance des repose-pieds, hauteur à l'avant, hauteur à l'arrière, couleur et quelques options concernant pneumatiques, freins et la main-courante.

Le 20 avril 2015, la société Matériel médical 77 a livré le fauteuil roulant à M. D., sans toile d'assise (pièce 5 Matériel médical 77). Le 24 avril 2015, la toile assise de la largeur du siège était livrée et installée sur le fauteuil (pièce 6 Matériel médical 77).

Le même jour, la société Matériel médical 77 a établi une facture de 2 161,12 euros libellée au nom de M. D., sur laquelle celui-ci a payé une somme de 1 045,85 euros, après prise en charge de la caisse de sécurité sociale et de la mutuelle.

L'expert D. a relevé que le fauteuil livré le 20 avril 2015, avec le complément du 24 avril 2015, possédait des mesures différentes de celles figurant sur le devis du 6 janvier 2015, en particulier concernant la distance des repose-pieds à 37,5 cm et incluant l'inclinaison du châssis avant de 110°. La société Matériel médical 77 ne conteste pas que le devis adressé par la société Progeo France concernait un produit dont elle avait communiqué les caractéristiques conformément aux besoins de M. D.. S'agissant de l'inclinaison du châssis qui devait être à 100°, la société Matériel médical 77 connaissait le besoin de M. D. puisque par courriel du 2 avril 2015 (pièce 4 Matériel médical 77), sa commerciale salariée, Mme M., attirait l'attention du fabriquant sur l'importance d'une inclinaison du châssis avant à 100° eu égard aux besoins posturaux de M. D..

A la suite du courriel de Mme M. précité, il est constant que la société Progeo France a fabriqué un nouveau châssis d'une inclinaison alléguée de 100° puis a modifié le fauteuil dans ses ateliers, notamment pour porter la distance des repose-pieds à 45 cm. Le nouveau fauteuil a été livré à la date du 15 septembre 2015 (dire Progeo France à l'expert, pièce 7-2), le bon de livraison mentionnant un châssis de 100° et portant le cachet de la société Matériel médical 77, avec autorisation de paiement direct en sa faveur.

S'agissant du fauteuil finalement livré à la date du 15 septembre 2019, l'expert D. conclut qu'il « n'est pas adapté au positionnement nécessaire de M. Didier D. dans son fauteuil roulant manuel en raison des séquelles de sa pathologie, en particulier au niveau orthopédique et fonctionnel. Toute problématique de modification des mesures indispensables à la bonne situation de ce positionnement même minime est nécessairement délétère pour lui ». Ainsi l'inclinaison « incorrecte du châssis avant est incompatible avec l'état postural et fonctionnel du patient, et donc incompatible avec un usage dans des conditions normales de son fauteuil roulant manuel compte tenu de son handicap. L'expert considère en effet, après une série de mesure au goniomètre, que le fauteuil n'a pas I'angulation à 100° mentionnée dans le bon de livraison, mais à 108° - donc de 110° +/- 2° par rapport à l'instrumentation de mesure ».

La société Matériel médical 77 fait valoir qu'elle ne peut être tenu pour responsable de la non-conformité dès lors qu'elle a attiré en temps utile l'attention de la société Progeo France sur le point particulier de l'inclination du châssis et qu'elle n'est pas fabricante du fauteuil. Ce moyen sera rejeté, puisque la société Matériel médical 77 a seule la qualité de vendeuse du matériel défectueux à M. D.. Au demeurant, elle a accepté la livraison du matériel de la société Progeo France sans aucune réserve, ainsi que le révèle son cachet sur le bon de livraison, et sans aucun contrôle, même a posteriori, qui aurait pu lui révéler l'angulation défectueuse à 108°.

La société Matériel médical 77 ajoute que le rapport direct, entretenu entre M. D. et la société Progeo France doit être qualifié de rapport contractuel au titre du 2e fauteuil livré, seul en cause. Elle soutient qu'elle ne peut se voir reprocher un quelconque manquement à ses obligations contractuelles de conseil et de délivrance, n'étant ni revendeur de ce 2e fauteuil, ni fabriquant de celui-ci. Ce moyen manque en fait et sera rejeté, dès lors que le 2e fauteuil livré en septembre 2015 était l'objet de la vente convenue en avril 2015, après remplacement à la suite d'une première non-conformité portant sur la distance des repose-pieds et l'angle d'inclination du châssis, cette 2e livraison n'ayant donné lieu à aucune nouvelle facturation et au paiement d'aucun prix.

La société Matériel médical 77 affirme que le rapport contractuel direct entre Progeo France et M. D. résulte aussi du fait que le représentant de la société Progeo France, M. D., était présent au domicile de M. D. antérieurement à la commande pour procéder aux mesures. Cependant, la société Progeo France justifie que M. D. n'était pas son représentant mais un technicien envoyé pour répondre aux questions techniques qui pouvaient se poser à M. D. et à Mme M., commerciale pour la société Matériel médical 77. Il n'est pas démontré que ce technicien ait opéré des prises de mesure et, en tout état de cause, il demeure que la société Progeo France n'est pas partie au contrat de vente entre M. D. et la société Matériel médical 77.

Il résulte de l'ensemble de ces développements que la société Matériel médical 77, vendeur du fauteuil roulant, a manqué à son obligation de délivrance d'un produit conforme à la volonté commune des parties au contrat de vente.

Dans ces conditions, il conviendra d'infirmer le jugement et de prononcer la résolution de la vente litigieuse, faute pour le vendeur d'avoir satisfait à son obligation de délivrance conforme. Il appartiendra à ce titre à la société Matériel médical 77 de reprendre son matériel selon les modalités figurant au dispositif ci-après, sans qu'il y ait lieu d'ordonner une astreinte.

S'agissant de la restitution du prix, M. D. ne conteste pas n'avoir payé lui-même qu'une somme de 1 045,88 euros, le reste du prix de vente ayant été pris en charge par la Sécurité sociale et la mutuelle Via Santé. La société Matériel médical 77 sera donc condamnée à restituer à M. D. une somme de 1 045,88 euros. Les intérêts au taux légal ne seront pas dus à compter du 19 février 2016, car la lettre recommandée expédiée à cette date ne contient pas interpellation suffisante de restituer le prix, mais à compter du 9 août 2016, date de l'assignation, avec capitalisation par année entière. Il n'y aura pas lieu condamner la société Progeo France in solidum à la restitution d'un prix qu'elle n'a pas perçu.

Sur l'indemnisation de M. D.

M. D. fait valoir que le fauteuil finalement livré ne lui permettait pas de faire ses transferts en toute sécurité et le plaçait dans une position très inconfortable du point de vue de sa posture et à terme délétère pour sa santé puisque cause de souffrances physiques. Il souligne qu'il a été contraint de reprendre l'ancien fauteuil de marque Kunschall qui présentait une usure avancée. Il résulte en effet des constatations du sapiteur ergothérapeute de Mme D. que les toiles d'assises et de dossier « sont détendues, ce qui entraîne des modifications de points d'appui au niveau fessier et dorsal, majorant les déformations, et créant des conflits articulaires à l'origine d'importantes douleurs. » Le sapiteur poursuit en indiquant que « ces douleurs n'étant soulagées qu'en position allongée, M. D. est moins performant et moins endurant lorsqu'il est dans son fauteuil, et recherche spontanément une position antalgique. Il s'avère que M. D. passe en moyenne 6h de plus par jour en position allongée. »

Cette situation entraîne selon le sapiteur ergothérapeute :

- Une diminution de force musculaire (fonte musculaire liée à l'inactivité).

- Une plus grande difficulté à maintenir la station assise.

- Une perte du potentiel fonctionnel et donc d'indépendance.

- Une diminution de ses activités occupationnelles et socio familiales.

- L'altération de son état thymique.

M. D. soutient qu'il ne peut pas jouir normalement de sa vie quotidienne. Il explique qu'il avait pour habitude de faire de longue promenade avec son chien, de voir ses amis, de participer aux tâches quotidiennes de son foyer, et que ces activités ne sont plus possibles dans la mesure où il passe une grande partie de son temps allongé afin de supporter les douleurs que lui causait le fauteuil.

Les troubles invoqués par M. D. sont détaillés par l'expert D. comme souffrances endurées et déficit fonctionnel temporaire, de la manière suivante :

« Souffrances endurées estimées à 3,5/7 : nous considérons que les souffrances endurées existent entre le moment dommageable (livraison du 2e fauteuil fin 2015) et le moment où le fauteuil sera adapté à la situation de M D., donc toujours en cours au moment de l'expertise. Ces souffrances sont :

Physiques : douleurs fessières et rachidiennes permanentes en position assise ;

Psychiques : dues à l'isolement sur le plan social, à la grabatisation progressive et la notion de pression de la démarche médico légale en cours dont il ne voit pas une issue favorable à son état de santé et son autonomie depuis 4 ans.

Le déficit fonctionnel temporaire qui correspond à l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle subie jusqu'à la consolidation, est bien chez M. D., la perte de qualité de vie, des activités et des joies usuelles de la vie courante. »

L'ensemble de ses troubles n'est plus établi par M. D. après la date du 23 juillet 2019, correspondant à la date d'achat d'un fauteuil neuf Kunschall d'un montant total de 3.241,90 euros (pièce 36 D.). Le préjudice démontré par M. D. pour une période de près de quatre ans sera justement évalué à la somme de 10 000 euros.

La demande de M. D. au titre d'un préjudice moral sera rejetée, faute par lui de justifier précisément d'un préjudice distinct des souffrances endurées, déjà réparé ci-dessus au titre du trouble de jouissance.

La société Matériel médical 77 devra indemniser M. D. du préjudice causé par le défaut de conformité du matériel vendu, sans pouvoir invoquer utilement la faute du fabricant la société Progeo France pour être mise hors de cause. En effet, vu l'ancien article 1147 du code civil applicable à l'espèce, la société Matériel médical 77 est tenue à indemnisation envers M. D. en sa seule qualité de vendeur, dès lors que le préjudice résulte d'un manquement contractuel, en l'espèce de l'obligation de délivrance conforme. L'indemnisation prend la forme de dommages-intérêts, il y conviendra donc de rejeter la demande d'indemnisation en nature, par le remplacement du fauteuil fautif.

Sur l'appel en garantie

L'absence de conformité du fauteuil livré a été sanctionnée sur la seule base d'une inclination du châssis qui n'était pas de 100°, seul angle compatible avec les besoins posturaux et fonctionnels de M. D..

La société Progeo France affirme que le fauteuil détenu par M. D. présente bien une inclination à 100°. La société Progeo France explique que l'expert judiciaire a indiqué que l'inclinaison du fauteuil était de 108°, mais a refusé de prendre en compte les preuves irréfutables qu'elle lui transmettait. Il résulte du rapport d'expertise que les mesures présentées par la société Progeo France sont issues de l'emploi d'une application de mesure sur un téléphone portable, avec une fiabilité qui ne peut pas être comparée aux mesures par goniomètre effectuées par le médecin expert. La société Progeo France reproche ensuite à l'expert de n'avoir pas opéré contradictoirement en refusant de reprendre une réunion à laquelle son technicien en arrêt-maladie n'avait pu se rendre et de n'avoir pas reproduit ses dires dans le rapport d'expertise. Cependant, à supposer même que ces reproches soit fondés, la société Progeo France n'en tire aucune conclusion, ne réclame pas l'annulation du rapport, ni son inopposabilité. Au demeurant, il résulte du rapport définitif que l'expert a répondu de manière détaillée à ses dires et que si le choix a été fait de ne pas permettre aux parties d'assister aux prises de mesure, c'était afin de respecter l'intimité de M. D. qui devait être dénudé et assis dans l'ancien fauteuil et le nouveau fauteuil pour visualiser les déformations, étant précisé que des clichés photographiques ont été fournis aux parties.

La société Progeo France fait valoir que la société Matériel médical 77 a accepté la livraison du fauteuil sans réserve en septembre 2015, alors qu'un éventuel défaut d'inclination de châssis constituait un vice apparent qui devait être dénoncé dans les trois jours conformément aux conditions générales de vente. Ce moyen manque en fait et sera rejeté, dès lors qu'à l'évidence, et comme en atteste le débat avec l'expert, la mesure de l'angulation du châssis ne peut se faire à l''il nu surtout lorsqu'il s'agit d'un différentiel de 10°.

La société Progeo France ajoute que si le fauteuil n'est pas conforme aux besoins de M. D., il est en revanche conforme à la commande passée par la société Matériel médical 77. Cependant, et sans qu'il soit utile de revenir sur les péripéties de la prise de commande initiale des livraisons d'avril 2015, il est constant que le fauteuil affecté de l'inclinaison fautive est celui qui a été livré le 15 septembre 2015. Or cette nouvelle livraison faisait suite au courriel du 2 avril 2015 (pièce 4 la société Matériel médical 77) dans lequel la salariée

de la société Matériel médical 77 demandait la rectification de l'inclinaison du châssis avant à 100° eu égard aux besoins posturaux de M. D.. A la suite de cette demande, le bon de livraison accompagnant le fauteuil délivré par la société Progeo France le 15 septembre 2015 (pièces 5/1, 5/2 D.) mentionne : châssis avant 100°. Dès lors que cette mention est erronée et que le matériel commandé par la société Matériel médical 77, tel que spécifié dans le courriel du 2 avril 2015, a été livré avec une angulation de 108°, à 2° près, il doit être considéré que la société Progeo France a manqué à son obligation de délivrance conforme envers la société Matériel médical 77.

Ainsi qu'il a été décidé dans les développements qui précède, le préjudice de M. D. se rattache exclusivement à la mauvaise inclinaison du châssis, qui rend le matériel inutilisable par lui. A supposer même que la société Matériel médical 77 n'ait pas rempli son devoir de conseil et d'information de manière satisfaisante à l'égard de son client au cours du premier trimestre 2015, conduisant à la livraison d'un matériel inadapté en avril 2015, ce manquement n'est pas à l'origine du préjudice de M. D., qui est seulement causé par le matériel livré en septembre 2015. Dès lors, la société Progeo France sera condamné à garantir la société Matériel médical 77 de la totalité de la condamnation indemnitaire prononcée contre elle, en ce compris sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Cass. Ass. Plén. 6 octobre 2006, n° 05-13.255 ; Cass. Ass. Plén., 13 janvier 2020, n° 17-19.963). En l'espèce, le manquement contractuel de la société Progeo France à l'égard de la société Matériel médical 77 doit conduire à retenir sa responsabilité délictuelle à l'égard de M. D., compte tenu du préjudice qu'il lui a créé. La société Matériel médical 77 et la société Progeo France seront donc tenues in solidum à l'indemnisation de M. D..

Autres demandes

La société Progeo France, qui succombe au principal, sera tenue des entiers dépens de première instance et d'appel, qui comprendront les frais d'expertise judiciaire. Les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées, à l'exception de celle de M. D. qui se verra allouer une somme de 3 000 euros mise à la charge in solidum des deux sociétés intimées.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir de la société Progeo France ;

L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau ;

Ordonne la résolution de la vente par la société Matériel médical 77 du fauteuil roulant Exelle de marque la société Progeo France n° 2015XL07573 et dit que la société Matériel médical 77 devra reprendre son matériel dans les 30 jours de la signification du présent arrêt, à charge pour elle d'avertir M. D. des conditions de son passage et de l'organisation de la reprise ;

Condamne la société Matériel médical 77 à payer à M. D. une somme de 1 045,88 euros à titre de restitution du prix de vente, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 août 2016, avec capitalisation par année entière ;

Condamne in solidum la société Matériel médical 77 et la société Progeo France à payer à M. D. :

- une somme de 10 000,00 euros à titre de dommages-intérêts ;

- une somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

et dit que la société Progeo France devra intégralement garantir la société Matériel médical 77 du paiement de ces sommes ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Condamne la société Progeo France aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, et dit que Me Catherine R., associée de la SCP Malpel et associés, avocat au barreau de Melun, pourra recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.