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Décisions

Cass. 3e civ., 29 mars 2011, n° 10-12.046

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Luna (Sté)

Défendeur :

Mexico 69 (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Avocats :

Me Jacoupy, Me Spinosi, SCP Hémery et Thomas-Raquin

Montpellier, du 08 déc. 2009

8 décembre 2009

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Luna et Mme X... agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Luna et en tant que de besoin en qualité de mandataire judiciaire de ladite société font grief à l'arrêt d'avoir dit que la dénomination " puta madre " ne pouvait être adoptée à titre de marque, d'avoir déclaré cette marque nulle et d'avoir débouté la société Luna de son action en contrefaçon, alors, selon le moyen :

1°) que l'expression " puta madre ", exclamation d'origine espagnole utilisée couramment pour exprimer la sidération et la stupéfaction, est dénuée de toute connotation obscène ou insultante ; qu'en décidant que son enregistrement à titre de marque portait atteinte aux bonnes moeurs, la cour d'appel a violé l'article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle, ainsi que l'article 6 du code civil ;

2°) que l'appréciation de la validité de la marque doit se fonder sur l'impression d'ensemble produite par le signe et ne peut être menée sur la seule base d'un élément retenu comme dominant qu'à la condition que tous les autres composants du signe soient négligeables ; qu'en appréciant la validité de la marque semi-figurative " puta madre " n° 03 3 255 729 sur la seule base de l'élément verbal " puta madre ", jugé dominant, sans constater que les éléments graphiques composant cette marque seraient négligeables ou insignifiants, la cour d'appel n'a pas apprécié la validité de la marque en cause en se fondant sur l'impression d'ensemble produite par celle-ci et a violé l'article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle ;

3°) que pour apprécier la validité d'une marque, il convient de se livrer à une appréciation globale tenant compte de l'ensemble des facteurs pertinents de l'espèce ; qu'en se bornant à prendre en considération la seule "traduction littérale" que le public français serait amené à faire des termes " puta madre ", sans rechercher si avec son graphisme particulier, la marque semi-figurative " puta madre " n° 03 3 255 729, destinée à être apposée sur des vêtements pour le grand public, ne présentait pas un caractère humoristique, décalé et distancié, exclusif de toute connotation insultante, aux yeux du public français, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle ;

4°) que l'exercice du droit à la liberté d'expression ne peut être soumis à certaines restrictions qu'à la condition que celles-ci constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la satisfaction d'un but légitime ; que les restrictions apportées à la liberté d'expression sont d'interprétation étroite ; que ne constitue pas une mesure nécessaire à la protection de la morale, dans une société démocratique, la restriction portée à la liberté d'expression commerciale par l'annulation d'une marque, décrite comme tendant à qualifier une mère de prostituée ou de femme facile et sans moralité ; qu'en retenant, pour prononcer l'annulation de la marque semi-figurative " puta madre ", que "ce rapprochement des mots " mère " et " pute " tend à qualifier la mère de prostituée ou de femme facile et sans moralité", quand une telle sanction ne répondait à aucun besoin social impérieux, la cour d'appel a violé l'article L. 711-3 du code de la propriété intellectuelle, ainsi que l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, en premier lieu, que c'est par une appréciation souveraine que la cour d'appel a retenu que la marque contrevenait aux règles de la morale sociale et en a déduit qu'elle était contraire aux bonnes moeurs ;

Attendu, en deuxième lieu, qu'il ne résulte ni des écritures de la société Luna devant la cour d'appel, ni de l'arrêt que cette société ait critiqué le jugement en ce qu'il avait relevé que l'élément verbal " puta madre " était, selon le propre aveu de la société Luna, l'élément prédominant et distinctif de la marque et ait fait valoir qu'il convenait pour apprécier sa validité de prendre en considération les éléments graphiques et de rechercher s'ils ne conféraient pas à l'ensemble un caractère humoristique ; que le grief, mélangé de fait et de droit, est nouveau ;

Attendu enfin, qu'il ne résulte pas davantage des conclusions de la société Luna ou de l'arrêt que cette société se soit prévalue, pour s'opposer à la demande en nullité de la marque " puta madre ", qu'une telle mesure constituerait une restriction excessive à la liberté d'expression commerciale ; que le grief, mélangé de fait et de droit, est nouveau ;

D'où il suit qu'irrecevable en ses deuxième, troisième et quatrième branches, le moyen n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société Luna et Mme X..., ès qualités, font grief à l'arrêt d'avoir déclaré irrecevable leur demande fondée sur la concurrence déloyale et parasitaire, alors, selon le moyen, que les demandes formées pour la première fois devant la cour d'appel sont recevables dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent ; que tendent aux mêmes fins deux demandes, fondées respectivement sur la contrefaçon de marque et sur la concurrence déloyale, dès lors qu'elles visent à sanctionner, l'une comme l'autre, l'usage du même signe par un tiers ; qu'en déclarant irrecevable comme nouvelle la demande formée par la société Luna au titre de la concurrence déloyale, quand celle-ci tendait, comme la demande initiale en contrefaçon, à voir réparer le préjudice résultant de l'usage du signe de " puta madre " par les sociétés intimées, la cour d'appel a violé l'article 565 du code de procédure civile ;

Mais attendu que l'action en contrefaçon sanctionnant l'atteinte à un droit privatif alors que l'action en concurrence déloyale repose sur l'existence d'une faute au sens de l'article 1382 du code civil, la cour d'appel a exactement retenu que la demande additionnelle, relative à des agissements déloyaux qui auraient eu pour effet de porter atteinte à l'image de marque de la société Luna, présentée pour la première fois en appel par cette société ne tendait pas aux mêmes fins que la demande en contrefaçon de la marque enregistrée sous le n° 03 3 255 729 formée devant les premiers juges et était donc nouvelle et irrecevable ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.