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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. B, 28 juin 2007, n° 05/05408

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Espace Transactions (SARL)

Défendeur :

Editions des Dernières Nouvelles d'Alsace (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Litique

Conseillers :

M. Cuenot, Mme Wolf

Avocats :

SELARL Arthus Conseil, Me Wetzel

TGI Strasbourg, du 18 oct. 2005

18 octobre 2005

- Contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Nouveau Code de Procédure Civile.

- signé par M. Jean-Marie LITIQUE, président et Mme Corinne ARMSPACH-SENGLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Selon bail notarié du 27 octobre 1984 (remplaçant un bail sous seing privé du 27 juin 1983) la SA TRANSPORTS SEEGMULLER (aux droits de laquelle vient la SA EDITIONS DES DERNIERES NOUVELLES D'ALSACE ci-après dénommée la SA DNA) a consenti à M. Charles WILM (aux droits duquel vient la SARL ESPACE TRANSACTIONS ayant acquis le fonds de commerce au nom commercial 'Agence Immobilière WILM' le 31 mars 1998) un bail commercial à compter du 1er janvier 1985 et portant sur des locaux situés au rez-de-chaussée de l'immeuble du [...] (un magasin avec trois vitrines et bureaux) pour une surface moyenne de 140 m2 et au sous-sol un local d'environ 200 m2. Ce bail prévoyait en outre, au titre de son article 2, une destination tous commerces à l'exception de commerces alimentaires et autres commerces de nature à gêner les occupants de l'immeuble et, en son article 4, un loyer de 60.000 frs par an payable d'avance par trimestre et indexé, outre une avance sur charges trimestrielles de 1.500 frs.

Suite à une demande du locataire signifiée le 17 janvier 1994, le bail était renouvelé selon avenant du 1er juin 1994 et à compter du 1er janvier 1994 au loyer de 20.615 frs hors taxes indexé.

Suite à la demande de renouvellement de bail de la SARL ESPACE TRANSACTIONS signifiée le 10 juillet 2002 à la SA DNA et à compter du 1er janvier 2003, la bailleresse signifiait le 3 octobre 2002 qu'elle acceptait le principe du renouvellement, mais moyennant un loyer trimestriel de 6.600 euros hors taxes, toutes autres clauses du bail restant inchangées.

La SARL ESPACE TRANSACTIONS ayant refusé un tel loyer, et après échange de mémoires préalables au cours duquel la bailleresse exigeait un loyer mensuel de 3 513,33 euros outre les charges, et à défaut d'accord des parties, le Juge des Loyers Commerciaux de STRASBOURG était saisi par la SA DNA et, par jugement du 5 octobre 2004, ordonnait une expertise portant sur les éventuelles modifications des facteurs locaux de commercialité susceptibles de lui permettre un déplafonnement du loyer.

L'expert devait déposer son rapport le 25 avril 2005, dans lequel, après avoir présenté les caractéristiques de l'immeuble et des locaux loués, procédé à leur métré et la pondération des surfaces, enfin examiné les différents composants des facteurs locaux de commercialité pour conclure à une évolution favorable pour l'activité de cette agence immobilière et étudier les loyers de référence correspondant à la quasi totalité des commerces de la rue, il proposait un loyer annuel de 26 216,55 euros pour une surface pondérée de 149 m2.

Par jugement du 18 octobre 2005, le Juge des Loyers Commerciaux saisi, considérant que, après avoir discuté les constatations de l'expert :

- aucune conclusion favorable ni défavorable ne pouvait ressortir en ce qui concernait la modification du paysage urbain ;

- l'augmentation de la population strasbourgeoise et le marché immobilier en pleine expansion, la modification du plan de circulation de la ville avec l'arrivée du Tram à proximité faisant de la [...] un passage obligé pour toutes les personnes voulant entrer en centre ville, couplée avec l'existence du parking Broglie, proche du commerce et autorisant ainsi la clientèle de l'agence immobilière à trouver facilement à stationner, constituaient des facteurs extrêmement favorables pour le commerce considéré

- le loyer dans ces conditions devait être déplafonné

- s'agissant du prix du bail, l'expert avait effectué un travail complet et minutieux pour relever le maximum de comparaisons possibles [...] et procéder à des calculs de moyennes ; et compte tenu d'autres moyennes possibles et de ce qu'aucune méthode de calcul n'était imposée au Juge, il y avait lieu de fixer le prix unitaire à 190 euros majoré de 15 % compte tenu de la clause de destination particulièrement favorable, aboutissant à un loyer annuel de 32.556,50 euros, soit un loyer trimestriel de 8.139,12 euros

- le loyer renouvelé sera fixé par palier, a statué comme suit :

Fixe le loyer renouvelé à 26.000 euros par an hors taxes et hors charges du 1er janvier 2003 au 30 avril 2005,

Fixe le loyer renouvelé annuel hors taxes et hors charges à 32 556,50 euros à compter du 1er mai 2005,

Déclare le présent jugement exécutoire par provision,

Condamne la SARL ESPACE TRANSACTIONS aux frais et dépens de la présente procédure et à payer à la SA EDITIONS DES DERNIERES NOUVELLES D'ALSACE la somme de 2 000 euros (deux mille euros) par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

A l'encontre de ce jugement, la SARL ESPACE TRANSACTIONS a interjeté appel par déclaration déposée le 21 novembre 2005 au Greffe de la Cour.

Se référant à ses derniers écrits du 9 janvier 2007, elle conclut à l'infirmation du jugement, au débouté de la SA EDITIONS DES DERNIERES NOUVELLES D'ALSACE de l'intégralité de ses prétentions et à sa condamnation au paiement, outre les dépens, d'un montant de 5.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, en faisant valoir pour l'essentiel que :

- les aménagements urbanistiques n'ont aucun impact sur elle, bien au contraire, l'accès au parking Broglie n'étant pas associé à la [...] et cette dernière s'étant vue privée de tout transport en commun et ne constituant pas un passage obligé pour les voitures venant de l'autoroute.

- le quartier a été essentiellement marqué par la fermeture du Commissariat Central de Police et le déménagement du siège de la chaîne ARTE.

- l'extension du marché immobilier s'est réduite durant les années d'exécution du bail renouvelé.

- le sous-sol contient essentiellement des archives et des consommables, à l'exclusion de toute activité en relation avec la clientèle.

- le bail a été convenu à des conditions ordinaires.

- il n'y a donc pas lieu à déplafonnement du loyer.

Se référant à ses derniers écrits du 17 novembre 2006, la SA EDITIONS DES DERNIERES NOUVELLES D'ALSACE conclut à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de l'appelante au paiement, outre les dépens, d'un montant de 5 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile pour l'instance d'appel, en soutenant en substance que :

- le premier juge s'est livré à une étude minutieuse des facteurs locaux de commercialité et des prix pratiqués dans le voisinage pour estimer à juste titre qu'il y avait lieu à déplafonnement du loyer.

- avec l'arrivée du Tram, la [...] est le passage obligé de tous les véhicules sortant de l'autoroute pour se rendre au centre ville de STRASBOURG.

- le parking Broglie est proche et facilite le stationnement.

- l'arrivée des commerces de haut de gamme à proximité et la vitalité des différents commerces de la rue ont rendu celle-ci attractive à la clientèle.

- les loyers à la hausse pratiqués par les autres commerçants démontrent la croissance de la valeur locative.

- s'agissant du prix du bail renouvelé, les chiffres retenus par l'expert doivent être homologués, les clauses du bail étant particulièrement favorables à l'appelante et le premier juge ayant souligné à juste titre qu'aucune méthode de calcul ne lui était imposée.

SUR QUOI LA COUR :

Vu la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les écrits des parties auxquels il est référé pour plus ample exposé de leurs moyens et arguments :

L'appel interjeté dans des conditions de forme et de délai dont la validité n'est pas contestée est recevable.

A) Sur le déplafonnement :

Au terme de l'article L.145-33 du Code du commerce, le montant des loyaux des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. À défaut d'accord, cette valeur est déterminée d'après :

1) les caractéristiques du local considéré ;

2) la destination des lieux ;

3) les obligations respectives des parties ;

4) les facteurs locaux de commercialité ;

5) les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

Et plus précisément pour le renouvellement du bail, l'article L.145-34 dudit Code dispose que, à moins d'une modification notable des éléments mentionnés au 1) à 4) de l'article L.145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d'effet du bail à renouveler, si sa durée n'est pas supérieure à 9 ans, ne peut excéder la variation de l'indice national trimestriel mesurant le coût de la construction publié par l'INSEE intervenu depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré (...).

S'agissant des caractéristiques du local considéré, celui-ci n'a pas changé au cours du bail renouvelé, étant constitué de bureaux au rez-de-chaussée et d'une cave aménagée au cours du bail initial ainsi que cela résulte de ce dernier. De même, il se situe toujours dans un immeuble imposant, de style architectural bourgeois, en pierre et enduit lissé et en bon état, occupé par ailleurs par les Dernières Nouvelles d'Alsace au rez-de-chaussée droit et aux étages, et présente une situation d'angle avec des façades commerciales d'environ 9,50 mètres linéaires [...] et [...] à raison de deux vitrines et une entrée centrale vitrée [...] et trois vitrines [...], enfin l'enseigne commerciale WILM étant apposée sur les vitrines. De même, le local commercial se situe, dans la [...], à hauteur de la [...].

S'agissant de la destination des lieux, celle-ci n'a pas changé depuis le bail initial, une activité d'agence immobilière y étant toujours exercée, même si à l'intérieur les bureaux aménagés dans la cave ne sont plus utilisés à cette fin, mais à titre de local annexe pour les archives, et sans qu'il soit établi que cette nouvelle utilisation ait débuté au cours du dernier bail écoulé.

S'agissant des obligations respectives des parties, elles n'ont pas été modifiées au cours du bail renouvelé, pas plus qu'elles ne l'avaient été au cours du bail initial, le premier renouvellement s'étant fait aux même conditions.

S'agissant des facteurs locaux de commercialité, au cours de la période à compter du 1er janvier 1994 jusqu'au 1er janvier 2003 le centre ville a vu l'implantation des lignes A et D du tramway en décembre 1994 passant par la [...] et des lignes B et C en septembre 2000 reliant la [...] à la [...] en empruntant la [...], la [...] et la [...] où se situe un arrêt, à environ 100 m de l'Agence WILM.

L'implantation du tramway a eu pour conséquence une modification du plan de circulation à compter de janvier 1999, la mise à double sens de la [...] devenant un axe principal pour entrer et sortir du centre ville dès lors qu'elle se situe, avec son prolongement constitué par le Faubourg de Pierre, dans l'axe de la [...] à hauteur de laquelle se trouve un noeud autoroutier important et sur lequel débouchent les grands axes de circulation en provenance du nord de l'Alsace.

En revanche, les bus n'empruntent plus de ce fait la [...], les arrêts situés presque en face de l'Agence WILM ont été supprimés.

Même s'il résultait des documents produits par l'appelante qu'avec l'arrivée des lignes B et C du tram, et du tram en général, la circulation dans l'élipse insulaire a fortement diminué, il n'en demeure pas moins que la [...] continue à être empruntée dès lors qu'elle a la particularité d'offrir une issue, si bien que cet élément est favorable pour visualiser l'enseigne commerciale WILM de même qu'elle permet de relier plus facilement l'Agence WILM, notamment pour la pose ou dépose des clients.

Si la commercialité générale de la rue ne semble pas avoir évolué favorablement d'après l'expert, les commerces y sont très mélangés quant à leur activité et bénéficient à la fois de baux anciens et de baux récents. De même, la nouvelle commercialité de la [...] n'a pas d'impact significatif sur les commerces de la [...], à tout le moins dans la partie basse de la rue entre le [...] et la [...].

D'autre part, pendant la durée du bail écoulé, s'il y a eu création de logements proches, il y a également eu départ du siège de la chaîne de télévision ARTE et le déménagement du Commissariat Central de Police.

S'agissant du stationnement, le premier juge souligne à juste titre l'existence du parking Broglie avec ses 460 places, créé en 1976, et s'il résulte des documents produits par l'appelante que sa fréquentation ne connaît pas la hausse aussi importante que certains parkings plus centraux, tel que celui des Halles, ou certains 'parkings-relais', et que nombre d'emplacements sont utilisés par des abonnés, il n'en demeure pas moins qu'il reste suffisamment de places de parking pour les personnes de passage. Or, ce parking permet de rejoindre la [...] ou, par la [...] et la [...]l, la [...] en face de laquelle se trouve l'Agence WILM.

S'agissant de la commercialité de la partie 'basse' de la [...], en 1998 s'est installée l'enseigne Ligne Roset notamment qui n'a pu qu'améliorer le paysage commercial de cette partie de la rue et augmenter le nombre de chalands.

Par ailleurs, l'expert note entre les recensements de 1990 et de 1999 une augmentation du nombre des ménages d'environ 10 % aussi bien à STRASBOURG qu'en périphérie, ce qui ne peut être que favorable pour l'activité d'une agence immobilière d'autant que, pendant la période considérée, le marché immobilier actif de STRASBOURG connaissait une embellie et que l'appelante n'a jamais cantonné son activité commerciale au seul quartier dans lequel elle se trouve.

Dans ces conditions, c'est à juste titre que le premier juge a considéré qu'il y avait eu modification notable des facteurs de commercialité portant un intérêt certain pour l'activité d'agence immobilière exercée dans les lieux par l'appelante.

En conséquence, le loyer doit être déplafonné.

B) Sur le montant du loyer renouvelé :

Le montant devant correspondre à la valeur locative, et compte tenu des développements ci-dessus, il y a lieu de prendre en compte les prix couramment pratiqués dans le voisinage.

Or, l'expert s'est attaché à recenser 14 références, toutes situées [...], dont 6 portent sur des baux conclus ou renouvelés après la mise en place du double sens de circulation. Les valeurs sont comprises entre 91 euros et 444 euros le m2 pondéré par an. Il a tenté de rechercher une valeur homogène, procédant à différentes moyennes arithmétiques permettant de dégager une certaine constante : ainsi, plus les locaux sont vastes, moins le loyer est élevé. Aussi, tenant compte des caractéristiques du local, de la surface pondérée de 149 m2 et des prix pratiqués dans le voisinage, il a retenu une valeur unitaire de base de 153 euros par m2 pondéré et par an qu'il a majorée de 15 % compte tenu des conditions du bail particulièrement favorables au locataire pour en arriver à un loyer annuel de 26 216,55 euros.

Il convient de noter que l'appelante fournit trois attestations KLINGENFUSS, JUNG et WENDLING déjà prises en compte par l'expert, tandis que l'intimée produit en référence deux éléments correspondant à des décisions judiciaires, l'une du Juge des Loyers Commerciaux de STRASBOURG concernant des locaux situés [...] et fixant le loyer renouvelé au 30 juin 1994 à 10.800 frs par mois et l'autre de la Cour d'Appel de céans du 29 janvier 2004 concernant la galerie de peintures AKTUARYUS déjà prise en compte par l'expert.

Enfin, à juste titre le premier juge a souligné que l'appelante bénéficiait d'une clause de destination qui lui était particulièrement favorable puisque tous commerces, sauf ceux particulièrement gênants, peuvent être exercés dans les locaux, que le bail permettait en outre à l'appelante une libre cession de son bail et une libre sous-location, enfin qu'elle était autorisée à héberger toute société.

En conséquence, à juste titre le premier juge a estimé que le loyer devait être majoré de 15 %.

Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé à 32 556,50 euros le loyer annuel du bail renouvelé.

C) Pour le surplus :

L'appelante succombant supportera les dépens d'appel et sa demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ne saurait prospérer.

En outre, l'équité commande de la faire participer à concurrence de 2 500 euros aux frais irrépétibles d'appel qu'a dû exposer l'intimée.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

DECLARE l'appel régulier et recevable en la forme

Au fond, le DECLARE mal fondé et le REJETTE

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions

DEBOUTE l'appelante de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

La CONDAMNE aux dépens d'appel

La CONDAMNE en outre à payer à l'intimée un montant de 2 500 euros

(deux mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile pour l'instance d'appel.